jeudi 29 mai 2025

Snake Eyes (Dangerous Game de A. Ferrara, 1993)

 




Mise en abyme complexe, Dangerous Game évoque le tournage d’un film par le réalisateur Eddie Israel (impeccable Harvey Keitel, à la fois habité et fébrile, comme il sait si bien le jouer) dont le sujet est la rupture complexe d’un couple. Madonna est très bien aussi dans le rôle de cette actrice paumée qui fait ce qu’elle peut, coincée entre les foudres de son partenaire et le réalisateur.
La situation, les acteurs, le tournage puis le tournage dans le tournage s’entremêlent et tendent un miroir à Ferrara avec Eddie qui est son alter-ego. Ferrara montre ainsi combien sa réalisation est imbriquée dans sa vie. Il ne voit pas son métier comme un technicien ou un artisan mais bien comme un artiste, rejoignant là une position très peu américaine (où le réalisateur n’est qu’un maillon d’une chaîne) mais bien plus européenne (la politique des auteurs chère à la Nouvelle Vague). Un film, nous dit Ferrara, est la création d’un créateur.
Mais Ferrara montre aussi combien les acteurs eux-mêmes confondent ce qu’ils sont avec leurs personnages, en une fusion où le cinéma et la vie, finalement, ne font qu’un. « Le cinéma est plus important que la vie » disait Truffaut dans La Nuit américaine, chez Ferrara l’un et l’autre se confondent. Et la fin très habile achève de convaincre le spectateur que si le tournage s’arrête, la folie qui se développait sur le plateau, elle, ne s’arrête pas.


lundi 26 mai 2025

Le Cri (Il grido de M. Antonioni, 1957)

 



Ce film au relent très néoréaliste montre l’errance de Aldo, qui, sa femme ne l’aimant plus, part et ne sait où aller, de petits boulots en rencontres. Michelangelo Antonioni suit Aldo qui tourne en rond dans ce paysage vide et plat, alors que, de rencontres avortées en déceptions, il est de plus en plus seul, incapable de reconstruire quelque chose.
Antonioni capte très bien ces fausses rencontres, ces fausses avancées, ce monde vide pour un homme vide. La fin tragique exprime puissamment les pensées profondes du personnage.
Précédent L’Avventura et sa radicalité révolutionnaire, Antonioni, dans Le Cri, prend au néoréalisme et y mêle les thèmes (la solitude, l’errance) et les motifs (des paysages géométriques et vides) qui lui sont déjà chers et qu’il déploiera de façon systématique et presqu’abstraite par la suite.


vendredi 23 mai 2025

Ho ! (R. Enrico, 1968)

 



Curieux film de Robert Enrico, valant surtout pour le jeu qui tourne autour du personnage joué par Jean-Paul Belmondo. En début de film ce personnage est volontiers ridiculisé et moqué et il apparait faible et dépassé. Il se rebiffe ensuite mais sans y parvenir réellement, en continuant de se laisser emporter par les évènements alors qu’il voudrait les contrôler. On est là très loin des personnages joués par celui qui sera bientôt Bebel. Ce rôle apparaît ainsi comme une vraie originalité.
Mais, hormis cette singularité qui lui donne aujourd’hui un intérêt, le film manque de relief et reste loin des plus grandes réussites du réalisateur.


mercredi 21 mai 2025

Bienvenue Mr Marshall (¡Bienvenido Mister Marshall! de L. G. Berlanga, 1953)

 


Ce premier film de Luis García Berlanga, s’il lui a donné une reconnaissance, a assez mal vieilli malgré la bonne idée de mettre sens dessus dessous un petit village à l’idée de l’arrivée des Américains.
C’est là l’occasion pour le réalisateur d’un portrait d’une Espagne provinciale, loin des remous du monde, qui, tout à coup, entre en effervescence et montre à quel point l’Amérique est désirable. Non seulement par l'argent espéré et qui fait tourner les têtes mais aussi, plus largement, par tous les rêves qui l'accompagne. On le voit non seulement dans la frénésie qui gagne la ville mais aussi avec les images – caricaturales mais d’autant plus parlantes – qui émaillent le film, notamment la longue rêverie autour du western, montrant la puissance du cinéma américain dans les imaginaires.
Cette satire légère et rythmée fonctionne (avec une ouverture en voix off originale) même si, on l’a dit, l’ensemble a assez mal vieilli.


lundi 19 mai 2025

Symphonie pour un massacre (J. Deray, 1963)

 



Intéressant polar de Jacques Deray qui construit de façon classique mais efficace sa trame : dans une bande, l’un des quatre trahit et manigance pour récupérer le pot commun. Bien sûr, comme dans tout plan parfaitement huilé, des grains de sable vont venir gripper la machine. La réalisation est appliquée, les acteurs sobres, l’intrigue impeccable.
Le film vaut alors pour cette belle ambiance des années 60 et pour la distribution, avec Claude Dauphin, Charles Vanel et Michel Auclair qui entourent Jean Rochefort (sans moustaches). Ils campent les quatre compères de la bande, avec des personnalités fortes et différentes, qui, comme il se doit, vont finir par se tirer dans les pattes.

 

vendredi 16 mai 2025

The Killer (D. Fincher, 2023)

 



Adapté d’une BD à succès, The Killer reprend la personnalité du tueur au centre du récit et la forme intéressante de la BD presque sans phylactères et dont le texte exprime simplement les pensées du personnage. Ici aussi les dialogues sont très réduits et le film utilise beaucoup la voix off en commentaires de ses propres actes et de ses pensées.
David Fincher construit un personnage glaçant, absent, qui parcourt le monde sans humanité, sans trace, sans affect et qui règle ses comptes. Il y a, bien entendu, du Samouraï dans ce personnage et du Delon dans le jeu froid et minimaliste de Michael Fassbender. Le film peut être vu comme une forme de remake de Melville, en moins abstrait et radical, et transposé dans un monde moderne, plus étendu (le personnage parcourt plusieurs continents), mais toujours figé, avec son personnage seul et qui s’avance vers la mort.
On regrette un peu, dans ce sens, la fin, nettement positive, qui contredit la trajectoire du personnage et lui enlève une radicalité certaine qu’il avait su garder jusque-là. La grandeur folle du samouraï de Melville devait beaucoup à son hara-kiri final, que l’on ne retrouve pas ici, bien au contraire.

 

mercredi 14 mai 2025

Le Temps d'un week-end (Scent of a Woman de M. Brest, 1992)

 



Pâle remake de Parfum de femme, Le Temps d’un week-end, à la réalisation bien pâle de Martin Brest, n’a même pas pour lui la prestation d’Al Pacino, qui fait le job mais sans lui insuffler ce que Vittorio Gassman insufflait dans le personnage : il n’y a pas de folie grandiloquente, de verve folle et pleine d’élan. C’était le contraste entre le handicap et la vitalité du capitaine Fausto qui lui donnait cette allure à la fois chevaleresque et désespérée (jusqu’au moment où le panache ne suffisait plus) dans le film de Risi, alors qu’ici le colonel Slade est déjà marqué, entre alcool et cynisme. Cette version américaine du personnage ne convainc guère.
Notons l’Oscar reçu par Al Pacino pour ce rôle mineur : cela illustre une nouvelle fois, si besoin était, la vacuité de l’Académie.

 

vendredi 9 mai 2025

Le Parrain, 3e partie (The Godfather: Part III de F. F. Coppola, 1990)

 



Moins prenant et magistral que les deux opus précédents (mais le film est forcément plombé par les références à ses illustres prédécesseurs), plus sombre et plus lent, Francis Ford Coppola reprend cette chronique familiale qu’il élève à nouveau au rang d’une tragédie dynastique.
Le film est grandiose malgré quelques facilités mais, curieusement, c’est Al Pacino qui crève moins l’écran. Son personnage, conscient que son temps est passé, cherche une rédemption permanente (ce que ne faisait pas son père et, sans doute, ce que ne fera pas son neveu successeur). De sorte que cette nouvelle passation de pouvoir ne se fait pas suivant la précédente : Michael semble bien davantage éteint que ne l’était son père. Le cœur n’y est plus, en quelques sortes.
Le film convainc moins aussi parce qu’il ne dit rien d’autre de Michael : après la première partie qui montrait combien Michael ne pouvait échapper à la succession et après les désastres inévitables que montrait la deuxième partie, il n’y a rien de bien nouveau ici. Tout est achevé depuis longtemps pour Michael, prisonnier de son destin. Il ne lui reste qu’à transmettre les rênes de la famille – et le poids qui va avec – mais il trouve en son neveu le personnage idéal, à la fois fort et suffisamment sage.

 

lundi 5 mai 2025

My Sweet Pepper Land (H. Saleem, 2013)

 



Derrière l’exotisme du film, My Sweet Pepper Land mélange un drame réaliste avec les codes du western. Mais si le mélange est original (un western moderne irakien, si l’on veut) et assez réussi, le scénario, finalement, reste très banal. Replacé dans un contexte classique, le film aurait aussitôt un air de déjà vu : on connaît de nombreux westerns américains tissés sur la même trame avec un nouveau sheriff qui, en débarquant dans une petite ville perdue de l’Ouest, doit affronter le parrain local.
Le film s’en remet donc à cette situation exotique (dans le Kurdistan irakien, près de la frontière turque) pour captiver. Appliqué, servi par de bons acteurs (souvent sobres), empli d’une retenue et de non-dits, le film est assez réussi.
Mais la réserve vient de cette trame déjà vue si souvent et qui ne s’autorise aucune surprise, jusqu’à la fin, prévisible.
En cela le film rejoint Les Racines du monde situé en Mongolie et qui tirait de ce seul fait une grande part de son attrait. Si le voyage est indéniable, cela fait peu pour émouvoir réellement.


vendredi 2 mai 2025

Los delincuentes (R. Moreno, 2024)

 



Intéressant film construit en deux parties bien distinctes qui, même si elles semblent se suivre, apparaissent progressivement très différentes l’une de l’autre. Cette rupture change complètement la trajectoire du film, qui était jusque-là basée, de façon assez classique, sur un hold-up, même s’il y avait déjà l’originalité d’être commis par des personnages qui ne sont pas des voleurs par essence. Cette particularité prendra bien sûr toute sa dimension dans la seconde partie, où le film bifurque vers une esthétique très différente, avec une plongée dans la nature, dans les rencontres, dans cet ailleurs, qui constitue en fait le hors-champ de la première partie. Après la ville, la banque, les cloisons dures qui bornent l’espace et les rapports humains délétères, vient le temps de l’ouverture, de l’espace, de la douceur calme. Rodrigo Moreno joue de cet antagonisme, montre les aspirations de Morán, puis de Román (son anagramme), le laisse errer, découvrir la saveur de la liberté qu’il a cherché à acquérir.
De façon pertinente, Moreno montre aussi les conséquences du hold-up avec le gardien qui est licencié. L’individualisme de l’acte de Morán est ainsi montré, là aussi comme une espèce de contre-champ idéologique de son hold-up puisque son action libératrice et juste – selon son point de vue (ne voler que le nécessaire pour vivre sans travailler) – provoque des licenciements. Moreno n’oublie donc pas ce terrible aspect des choses, qui, par effet domino, fait partie du prix à payer pour la liberté : si le hold-up et la prison sont une violence acceptée par Morán, son beau projet violente socialement quelqu’un qui n’a rien demandé.