mercredi 8 août 2018

Vera Cruz (R. Aldrich, 1954)





Extraordinaire western, virevoltant et haut en couleur, mais dont la truculence n’empêche pas une humeur amère et sombre : Robert Aldrich parvient à réaliser un film trépidant, empreint d’humour, chatoyant par moments (la séquence dans le palais de l’Empereur), tout en lui donnant une teinte nihiliste terriblement pessimiste.
Aldrich s'appuie sur son duo de stars (Gary Cooper et Burt Lancaster), pour secouer les conventions du western et l’emmener dans des directions inconnues du western classique. Il prend le contre-pied de la solide amitié hawksienne des westerns, le « à la vie à la mort » du western classique qui résiste à toutes les tentations : rien de tout cela ici, si Joe et Ben se sauvent la vie mutuellement, c’est uniquement par intérêt (ils ont besoin l’un de l’autre). Dès lors la nature humaine en prend un coup : il n'y a pas une action qui soit réellement due à un bon sentiment, tout n'est que trahison, fausseté et mensonge, que ce soit entre Ben et Joe, Joe et ses hommes, la comtesse et les deux compères, ou, bien entendu, Maximilien et les Américains. Tout n’est qu’égoïsme, individualisme et ambition.
Vera Cruz est ainsi, dans l'histoire du western, une des premières pierres qui vient dynamiter le genre en rendant floue la ligne de partage du bien et du mal, du héros et du anti-héros. Bien loin des belles ambitions qui motivent les héros du western (le rêve, l’amour, l’amitié), les aventuriers ne vivent que pour l'appât du gain. Si Gary Cooper garde encore l’apparence du cow-boy gentleman, que dire de Burt Lancaster, qui incarne une crapule détestable mais campée de façon incroyablement charismatique (l'acteur s'en donne à cœur joie avec son légendaire sourire) 


Il n’y a qu’à la toute fin qu’un soubresaut de morale vient sauver un peu l’ordre des choses, mais on est bien loin d’un happy-end, et Benjamin Trane s’en va, déçu, amer et sombre.

Le film annonce ainsi le western italien : aussi bien dans les ressorts de son action (une bande de mercenaires courant après de l’or annonce la trame générale du Bon, la brute et le truand), que dans ses personnages. Baignant dans l'amoralité, crasseux et mal rasé, Joe préfigure les crapules que camperont, dans les westerns italiens, une dizaine d’années plus tard, Thomas Milian, Gian Maria Volontè, Eli Wallach ou encore Jason Robards. Et la noirceur du film appelle la décadence morale des westerns italiens : Joe achève le capitaine d’origine allemande en lui enfonçant sa lance avec un rictus de contentement semblable aux actes des pires salauds. L'or vaut plus que tout et il justifie toutes les trahisons.
Et l’impact de Vera Cruz est aussi manifeste sur le plan du style : avec ses angles de vue étonnants ou sa profondeur de champ génialement employée, on voit ici une préfiguration du style exubérant si typique de Sergio Leone.


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