mardi 28 février 2017

Où est la maison de mon ami ? (Khāneh doust kojāst de A. Kiarostami, 1987)




Très beau film de A. Kiarostami, à la fois simple et touchant, et duquel, au-delà de sa forme épurée, surgit un charme émotionnel puissant. Cette histoire d’un petit garçon qui doit aller rendre un cahier à un camarade de classe pour que celui-ci ne se fasse pas renvoyer de l’école, bien loin d’être simpliste, fait rayonner une humanité touchante et sincère.
On lit dans l’extraordinaire visage de Ahmad, à la fois naïf et fragile, la complexité des sentiments qui passent, et la compréhension de ce qui arrivera s’il ne rend pas le cahier de son camarade. Et, par sa caméra qui saisit ce regard de l’enfant, Kiarostami parvient à rendre grave cette méprise qui, dans le monde des adultes, n’est pas bien importante. Les adultes, d’ailleurs, qui ne peuvent comprendre ce qui se joue, depuis la mère d’Ahmad, jusqu’à ce menuisier qui a besoin de rédiger un rapide contrat et qui déchire une feuille, sans se rendre compte du caractère précieux et sacré du petit cahier.
On sait pourtant peu de choses du lien entre Ahmad et Mohamad. Ils sont camarades d’école, voisins de banc mais ils habitent loin l’un de l’autre et il faut faire les devoirs avant de pouvoir jouer, quand il n’y a pas les parents à aider. On peut ainsi voir dans cette quête d’Ahmad, non pas seulement la recherche de la maison de Mohamad, mais aussi la quête d’un ami. Et cette escapade jusqu’au village voisin, en soi modeste, apparaît quasi initiatique à l’échelle de l’enfant qu’il est, elle le confronte au monde adulte, dans ce village qu’il ne connaît pas et qui est pourtant juste à côté, alors que la nuit tombe.


On notera que Kiarostami choisit de ne pas filmer le moment où Ahmad emporte par mégarde le cahier de son voisin (ce qui revient à insister sur l’aspect involontaire de sa méprise), de même qu’il fait l’ellipse sur le trajet de retour à la nuit tombée.
Et le cahier, objet qu’Ahmad ne parvient pas à rendre le soir même (il s’arrête devant la porte désignée et ne frappe pas), devient un objet qu'il devra compléter pour pouvoir être ramené. La dernière séquence, le lendemain matin, à l’école, est magnifique.


samedi 25 février 2017

Jackie (P. Larrain, 2016)



Le biopic de Pablo Larrain tente de saisir le moment où, juste après la mort de JFK, le couple Kennedy devient un mythe. Il montre donc Jackie lors de son interview fameuse à Life, une semaine après l’assassinat de Dallas, qui raconte les événements. Le film est donc très américain : ce couple mythique est bien plus présent dans les mémoires américaines que françaises, où c’est davantage le choc de l’assassinat qui s’est inscrit dans les mémoires.
Natalie Portman est parfaite. Elle parvient même à se faire oublier et l’on voit Jackie, avec sa coupe de cheveux, ses tailleurs, sa robe tachée de sang.
Consciente que son mari n’a pas eu le temps de réaliser de grandes choses, Jackie se démène pour lui faire des funérailles d’une ampleur historique (en partant de celles de Lincoln) afin d’ancrer le destin de John Fitzgerald dans l’histoire des Etats-Unis. Mais Jackie reste à peu près inconsciente de l’aura qu’elle a déjà (depuis l’émission de télé à grand succès où elle fait découvrir la Maison-Blanche et sur laquelle s’attarde le réalisateur) de même qu’elle ignore (on peut le comprendre) combien son assassinat a propulsé aussitôt son mari au rang de légende brisée.
Mais Larrain joue intelligemment, durant le film, avec des allers-retours incessants entre le moment de l'interview et l'actualité récente, et en mélangeant les moments et les émotions. L’interview de Jackie, filmée en champ-contre-champ francs et prise de face, la montre en pleine construction de son mythe, avec une clairvoyance et une volonté de maîtrise d’images très modernes. On remarquera que Larrain mélange aux images qu’évoque Jackie des extraits de l’émission de télé qu’elle n’évoque pas : c’est donc ici le réalisateur qui entreprend, avec une distance d’un demi-siècle, de réfléchir à la naissance du couple mythique. De même, en fin de film, il montre Jackie découvrir des mannequins de mode avec sa coiffure et ses tailleurs, montrant ainsi combien son aura la dépasse, quoi qu’elle cherche à maîtriser. Larrain s’amuse aussi à égrener quelques images d’archives, pour ancrer définitivement son récit dans la légende américaine.


jeudi 23 février 2017

Hantise (Gaslight de G. Cukor, 1944)



Bon film noir de G. Cukor qui bénéficie en Charles Boyer d’un interprète parfait pour construire le personnage de Gregory, délicieux de sadisme, qui tente de faire sombrer sa femme Paula dans la folie. Si la partition d’Ingrid Bergman est à saluer (elle enrichit ici sa palette en jouant ce rôle d’une femme qui perd la tête, peu gratifiant de prime abord pour une superstar hollywoodienne), c’est bien plus Charles Boyer le pivot du film.
Si l’issue du film ne fait guère de doute (on se doute bien, Hollywood oblige, que le bon inspecteur Cameron (Joseph Cotten), qui tourne autour de la maison du couple, va bien finir par comprendre ce qui s’y trame), cela ne gêne en rien la progression de la tension. Il faut dire que l’ambiance victorienne est très réussie : depuis les intérieurs typiques, très riches et raffinés, jusqu’aux extérieurs où les personnages longent de hautes grilles pour mieux se perdre dans le brouillard (on pardonnera le malheureux décor de l’épisode du lac de Côme qui fait par trop carton-pâte). La photographie et les jeux d’ombre et de lumière (avec, évidemment, cette intensité lumineuse des becs de gaz qui diminue mystérieusement) sont parfaits.


L’angoisse qui étreint Paula fait penser à Rebecca et cette ambiance victorienne à souhait fait écho au Suspect de Siodmak. Hantise et Le Suspect sont d’ailleurs très intéressants à comparer : dans un univers cinématographique assez proche, le premier propose un personnage principal épouvantable qui oppresse sa femme, quand, dans le second c’est au contraire un homme bon et affable qui ne sait comment se dépêtrer de sa femme, mégère et acariâtre. Le spectateur détestera (avec délectation) le terrible Gregory, alors qu’il accompagnera dans sa détresse l'affable monsieur Marshall. On tient là deux films d’époque remarquables.


mercredi 22 février 2017

Le Majordome (The Butler de L. Daniels, 2013)



Film assez ambitieux mais qui reste très conventionnel. La bonne prestation de Forest Withaker ne sauve pas le film du conformisme, que ce soit dans la forme ou dans le fond, où les sympathies du réalisateur aussi bien que ses dénonciations sont tout à fait convenues.
Lee Daniels, sur toute la période que retrace le film (1926-2009), se focalise sur le long combat pour l’égalité des droits. Il utilise plusieurs moments historiques pour ponctuer son récit, traçant un parallèle qui est certes habile mais aussi un peu artificiel entre le père, majordome, et le fils, qui se bat pour les droits des Noirs. En finissant sur l’élection d’Obama, il donne à cette lutte, présentée sous des dehors très militants et même communautaires (même pour des périodes récentes ce qui est surprenant), une apparence mythologique très américaine.


dimanche 19 février 2017

Je t'aime, je t'aime (A. Resnais, 1968)



Très bon film d'Alain Resnais, original et bien emmené. Claude (très bon Claude Rich), suicidaire sauvé de justesse, est choisi par des médecins pour tenter une expérience : il s’agit de tester une machine qui permet de retourner dans son passé.
Cette projection dans le passé offre un prétexte scénaristique à Resnais pour tout un travail de montage, de mélange de séquences et de jeux d’images qui retracent des moments de la vie passée de Claude.
Par flashs successifs, lentement, Claude va et vient entre présent et passé, emporté progressivement dans les méandres de sa vie. La machine expérimentale ne permet pas à Claude de se souvenir, elle lui permet de revivre des moments du passé. On passe alors, à coups de cuts brusques et de faux raccords, d’une nappe du passé à une autre. Et des images symboles (Claude perdu en plein océan) sont disséminées dans le film, à mesure que l’aventure se reconstitue, que l’amour entre Claude et Catrine est révélé, que cet amour s’épuise, jusqu’au cauchemar qui a conduit Claude à sa tentative de suicide.


Kiyoshi Kurosawa reprendra plusieurs idées du film – avec un traitement différent – dans Real.


samedi 18 février 2017

Elle (P. Verhoeven, 2016)



Bon film de Paul Verhoeven, qui, à partir d’une trame mince mais bien menée, arrive à construire un film réussi qui oscille entre un ton noir et celui, plus détaché, de l’humour  noir grinçant.
Le film avait en effet tout pour être très noir et traumatique, tant il regorge de thèmes violents et agressifs, mais Verhoeven s’appuie sur son personnage principal pour créer une distanciation ironique et grinçante, provoquant un mélange de tons parfait.
Il dispose d’une excellente Isabelle Hupper : Michèle, son personnage, est une femme complexe qui traverse la vie avec fracas. Egoïste, méchante, jalouse, épouvantable avec ses proches, son passé tragique qu’elle veut enfouir n’en finit pas de remonter à la surface. Et l’on suit les mille avatars de sa vie, depuis sa belle-fille épouvantable, sa mère délurée, son père psychopathe, jusqu'au viol répété, à l'accident de voiture, etc.
C’est en outre un bel exemple d’identification propre au cinéma : le spectateur épouse le regard de Michèle, en prenant fait et cause pour elle, alors que, probablement, à bien des égards, il détesterait avoir affaire à un tel personnage dans sa vie de tous les jours.
Verhoeven montre tout son talent : outre des jeux de flash-backs alliant image mentales et souvenirs, il distille dans son film de nombreux signes (qui sont autant de symptômes deleuziens) qui montrent comment Michèle est rattachée à un monde pulsionnel, duquel elle ne peut échapper, et qui lui tourne autour. Ainsi les scènes de viol, la descente dans la chaufferie, la photo d’elle petite en train d’aider son père à brûler sa maison, le jeu vidéo modifié où elle est violée par un monstre.
On retrouve des sensations propres à un cinéma pulsionnel (celui de Crash par exemple, quasiment cité avec le boitement de Michèle après son accident) qui offre comme un double fond infernal à cette histoire d’une femme qui continue de se construire et de traverser la vie avec rage et détachement, alors qu’elle est violée, attaquée, esquintée, matraquée de toute part.

mercredi 15 février 2017

Le film : une oeuvre d'art ou un produit industriel ?



A l’heure où l’on regrette l’envahissement du marché du cinéma par des blockbusters qui coûtent des millions et en rapportent davantage encore, un star système qui impose ses figures, une publicité qui prend parfois la forme d’un déferlement médiatique invraisemblable (comme ce fut le cas lors de la sortie du nouvel épisode de Star Wars, fin 2015), on semble parfois regretter que le cinéma est une industrie et on se dit qu’on oublie qu’il est aussi un art.
Certes mais n’inversons pas les choses : historiquement le cinéma est d’abord et avant tout une industrie. D’une attraction de foire plaisante mais de peu d’envergure, des producteurs et hommes d’argent (Thomas Edison en tête) comprirent que la projection de films était une incroyable planche à billets. Et c’est ainsi que de gros capitaux furent mobilisés pour réaliser des films (surtout quand on eut compris que de gros investissements permettaient, si tout se passait bien, de très grosses rentrées d'argent). Et la machine hollywoodienne s’est progressivement mise en marche.
Ce n’est que dans un deuxième temps que, en France, l’effort fut fait pour redorer le blason du cinéma (à partir de 1907, avec L’Assassinat du duc de Guise si l'on veut une date précise). Mais le cinéma est toujours resté une industrie, avec ses contraintes, financières et matérielles, dont seuls quelques rares réalisateurs (C. Chaplin, S. Kubrick) ont été réellement capables de s’émanciper.
Et regretter l’existence de ces contraintes, c’est regretter l’existence même du cinéma tel qu’il est depuis ses origines. Et si certains films ont su se satisfaire d’un tout petit budget (dans des registres différents, on peut penser à Où est la maison de mon ami ? ou au Projet Blair Witch), on a tort d’opposer les aspects industriels et artistiques : il ne faut pas chercher à avoir un film qui soit une œuvre d’art plutôt qu’un simple procédé industriel à caractère commercial, toute la difficulté est de parvenir à une création artistique malgré ces contraintes.


mardi 14 février 2017

Hana-Bi (T. Kitano, 1997)



Exceptionnel film de T. Kitano, qui dépasse de très loin les films de yakuzas, genre dont il est en apparence issu. En effet, loin de s’intéresser à des séquences d’action ou de règlements de compte – kit de base des films d’actions asiatiques – Kitano s’attarde, au contraire, sur les traumatismes passés, sur les temps morts, sur ce qui sépare les êtres, jusqu’à leur faire regarder la mort comme une issue, une délivrance ou, tout du moins, une évidence.
Comme pour d’autres films de Kitano (Sonatine par exemple), le film est d’une très grande richesse narrative et se construit de façon complexe autour d’un travail de montage exceptionnel à plus d’un titre.

Le film joue à la fois de ruptures brusques, de fulgurances, d’à-coups ; il joue aussi de correspondances visuelles et symboliques ; il joue encore sur de grandes séquences qui se répondent au travers du film ; il joue, enfin, sur une discontinuité narrative incessante et incertaine.
Et, comme un pivot autour duquel les images tournent et s’entrecroisent, reste le visage brisé de l’inspecteur Nishi (Takeshi Kitano lui-même), figé dans ses traumatismes, parfois agité d’un spasme sous l’œil ou d’un léger rictus.


Certaines séquences – la violente arrestation où l’inspecteur est tué – sont montrées sans que l’on sache de prime abord à quel moment de l’histoire elle se situe. En rupture de ton par rapport aux autres séquences (absence de son d’ambiance, ralentis), ces séquences forment une toile de fond dramatique à laquelle se rattache l’attitude figée de Nishi. Le jeu du montage consiste alors à imbriquer des scènes explicites dont on discerne mal leur rapport chronologique avec d’autres séquences qui sont peu explicites mais dont la chronologie est précise (les moments où Nishi est avec sa femme). Il faut alors sans cesse, pour le spectateur, s’interroger sur la signification globale toujours en construction de l’histoire qui est racontée.
D’autant plus que dans le même temps, la structure narrative opère un grand montage parallèle entre les deux inspecteurs (Nishi et Horibe, handicapé dans son fauteuil) qui, chacun de leur côté, trouveront dans le suicide une façon d’échapper au passé.
Par ailleurs le montage offre aussi des correspondances de formes, de couleurs, de sensations (cuts brusques entre des coups de feu et des aplats de peinture, irruptions de fleurs en gros plans, toiles peintes par Horibe) qui forment de puissants symboles visuels, quoique ne participant pas directement à la narration.


C’est ainsi que, derrière cette histoire qui peut sembler assez banale (celle d’un policier au bout du rouleau dont le collègue et ami a été blessé et dont la femme est gravement malade), Kitano tisse une trame d’images symboliques, qui sont en fait la substance de ce qu’il fait passer au spectateur : l’existence tragique, l’acceptation de la mort comme issue. Le couple, qui semblait à l’arrêt quand la femme de Nichi était à l’hôpital, connaît alors de nouveau des joies simples (un feu d’artifice, le jeu, subtilement hors champ, avec le gong) à proximité de la mort. Cela colore le suicide final (traité lui aussi en ellipse) d’une teinte émotionnelle très forte mais qui, paradoxalement et parce qu'il n’est pas rattaché au traumatisme porté par la première partie du film, n’est pas triste.


samedi 11 février 2017

Accattone (P. P. Pasolini, 1961)



Premier film de P. P. Pasolini, Accattone est encore très attaché au néo-réalisme (de par son regard réaliste sur les banlieues, et la vie des pauvres gens), et semble assez éloigné de ce que pourra réaliser Pasolini par la suite. On voit cependant apparaître des éléments plus poétiques (la musique de Bach notamment) et un idéal chez le personnage d’Accattone – le mac épris de pureté et qui est prêt à tout pour montrer qu’il existe et parvenir à ses fins – qui préfigure les thèmes chers au réalisateur.

vendredi 10 février 2017

Merci patron ! (F. Ruffin, 2016)



Documentaire « engagé » de François Ruffin qui s’amuse à mettre en scène sa stratégie destinée, tout à la fois, à sortir du pétrin une famille mise au chômage par la fermeture d’une usine, et à ridiculiser Bernard Arnault, grand patron du groupe qui a provoqué la fermeture de ladite usine en la délocalisant.
Ruffin promène sa caméra, parfois à l’épaule (on est alors dans le plus pur style run and gun propre aux vidéos saisies sur le vif), parfois la cachant habilement, parfois entrecoupant ses plans d’extraits d’actualité ou d’intertitres.
On est dans le militantisme : il ne s’agit donc pas de démontrer quoi que ce soit. Par exemple il ne s’agit pas de fouiller les raisons profondes de la fermeture de l’usine pour comprendre tel ou tel mécanisme de délocalisation et pour voir si les choses ne sont pas un peu plus complexes : on se contentera de ce qu’en dit la syndicaliste. De sorte que le ton sarcastique et la petite mise en scène destinée à coincer le négociateur ne réjouiront que ceux qui sont convaincus par avance.
De même le ton agit-prop faussement naïf est un peu simpliste, quand le réalisateur (qui est aussi le personnage principal-enquêteur-magouilleur-ambassadeur-zorro) vient dans les assemblées ou se pointe chez LVMH pour rencontrer Bernard Arnault.
Quant à la position politico-économique sous-entendue par le documentaire, on retiendra la syndicaliste expliquant, devant l’usine aujourd’hui fermée : « Moi je voulais rester à l’usine, ça me plaisait le travail que je faisais, même si on était exploité ». On tient là un fil que l’on aurait bien aimé voir déroulé, histoire de mettre en lumière certaines contradictions fondamentales.

mercredi 8 février 2017

Premier contact (Arrival de D. Villeneuve, 2016)



Intéressant film de science-fiction qui se focalise sur le moment du premier contact entre humain et extra-terrestre, moment fascinant s’il en est. L’intrigue réside donc dans cette prise de contact : comment être compris, comment comprendre ?
Loin des pyrotechnies habituelles, le film cherche à creuser cette incompréhension et, sur cet aspect, il est réussi. Certains plans sont splendides, en particulier ces jeux d’échelles ou d’incongruités, avec ces gigantesques formes ovales qui restent en suspension. Dans bien des images, Kubrick n’est pas loin.


Villeneuve, en bon réalisateur, sait instaurer une tension et filme avec une certaine douceur la compréhension progressive de Louise, qui sent les choses peu à peu. On regrette qu'il se laisse emporter par une certaine tentation philosophico-merveilleuse, à mi-chemin entre Kubrick et Malick, mais qui fait un peu flop au bout du compte, le style de Villeneuve, avec ses lents mouvements d’appareils, surjouant un peu trop le lyrique.
Le récit est malin puisqu’il forme une boucle temporelle, en étant organisé de façon circulaire, avec une fin qui rejoint tout à fait le début. En effet les extra-terrestres, par leur langage, permettent à Louise de s’affranchir du temps et celle-ci, bien que connaissant son futur tragique (c’est le sens de la première séquence : Louise sait que sa fille va mourir d’un cancer en bas âge), elle décide de vivre ces moments malgré tout. Mais, si l’idée est belle et si la mise en scène semble habile (avec notamment le motif du cercle qui revient souvent dans le film, en particulier au travers du langage extra-terrestre), Villeneuve triche un peu. En effet, dans la séquence introductive, qui raconte en quelques plans cette mère qui perd son enfant, le père est absent. Et pour cause : ne voulant pas dévoiler son intrigue, Villeneuve ne montre pas Ian mais celui-ci apparaît, en revanche, dans la séquence finale, où l’on revoit ces moments fugaces de bonheur, lorsque l’enfant est bébé, mais avec le père cette fois qui joue avec la mère et la fille. Si l’intrigue forme donc une boucle, les images de début et de fin ne se répondent qu’en partie. Il manque quelque chose au début (Louise apparaît bien seule avec sa fille) et les images nous mentent, au moins par omission, pour préserver le scénario, ce qui n’est pas très adroit et même un peu trompeur. On préfère toujours une image que l’on ne comprend pas, avec un détail important que l’on ne voit pas d’abord ou un sens caché qui se dévoilera plus tard, à une image qui nous cache quelque chose, en laissant délibérément hors-champ un élément important, et qui ne permet donc pas de comprendre.

Il est dommage aussi que, en arrière-plan de cette double relation entre Louise et les extra-terrestres et entre Louise et Ian, on retrouve des dérives habituelles du genre : des militaires qui noyautent tout et qui rapidement ne demandent qu’à attaquer, des scientifiques qui comprennent mais qu’on ne veut pas écouter, tel ou tel dirigeant qui s’obstine dans son coin et risque de déclencher une guerre mondiale. On retrouve alors un canevas fréquent : des gentils (les scientifiques) qui cherchent à empêcher des méchants (les militaires, même si le colonel est compréhensif, il obéit aux ordres « qui viennent d’en haut ») de faire des bêtises avec leurs missiles. Les extra-terrestres étant finalement – mais on a guère de doute à ce sujet – très gentils. Sur cet aspect le film ne réserve guère de surprise et la fin est même particulièrement conventionnelle.
On reste d'ailleurs circonspect devant la résolution finale, le scénario s’asseyant d’un coup sur toute idée de réalisme (un coup de téléphone improbable). On voit bien que là n’est pas ce qui intéresse le réalisateur, mais il dénoue son intrigue un peu vite après avoir pourtant pris le temps de l’installer.


lundi 6 février 2017

Charulata (S. Ray, 1964)



Très beau film de Satyajit Ray, qui explore avec calme et minutie les sentiments naissants de Charulata, la femme oisive isolée dans la demeure riche de son mari, qui découvre l’amour pour son jeune beau-frère.
Ray propose un film délicat, à l’image extraordinaire, et il promène avec sa caméra, d’une pièce à l’autre, jouant des lumières, des clins d’œil, s’inspirant de Renoir (les gros plans, le jeu autour de la balançoire), oppose les intérieurs et les extérieurs dans le jardin, tout en contenant les sentiments et en maitrisant les émotions, montrant le labeur idéaliste du mari Bhupati – symbole de l’Inde qui s’émancipe – et l’oisiveté artistique d’Amal, avec lequel Charulata passe de la complicité à la passion.
Le film est d’une très grande beauté plastique, beauté qui s’incarne à la fois dans la photo limpide et claire, dans le visage de la très belle Madhabi Mukherjee mais aussi dans la calligraphie que Ray filme longuement.


Ray, comme Renoir avant lui, oscille entre une poésie sensible et un monde réaliste et il oppose la femme d’intérieur qui s’égare dans les jardins et son mari, Bhupati, chez qui le projet journalistique prend toute la place, qui ne sait rien de ce qui se joue dans les pièces de sa demeure et qui comprend trop tard la passion solitaire de sa femme.

S’éloignant du réalisme de ses premiers films (La Complainte du sentier et ses suites), Ray opte pour la beauté formelle et une histoire de bourgeoisie où les cœurs restent pris dans l'ordre social.


jeudi 2 février 2017

Les Sept mercenaires (The Magnificient seven de A. Fuqua, 2016)



Western très décevant, qui reprend la trame du film de Sturges (qui était lui aussi, déjà, une adaptation), mais en opérant quelques changements décisifs et regrettables. Il s’agit en fait, pour le réalisateur, de faire un western-blockbuster. Et il suit la recette avec application.
D’une part le réalisateur (qui est décidément bien terne et n’a d’autre qualité que celle d’un grand professionnel « technique ») italianise complètement son film : il semble bien que, de Tarantino à Fuqua, on ne sache plus filmer un western autrement qu’en faisant un ersatz de Sergio Leone. Et il ne s’agit pas seulement de la forme (il y a ici mille plans qui sont des copier-coller de ce qu’on trouve dans les westerns spaghettis, où le héros remonte lentement la tête jusqu’à ce que les yeux apparaissent par-dessous le chapeau : Fuqua ne joue pas avec les codes du western il en garde les aspects les plus mécaniques) mais aussi du fond : les méchants sont très méchants et les gentils très gentils. On pourrait objecter que les gentils sont des criminels ou des chasseurs de prime. Mais Fuqua ne s’intéresse guère à cet aspect : ses mercenaires sont là pour défendre la veuve et l’orphelin, et, même, par leur sacrifice, les voilà pardonnés et réhabilités.
Et c’est ainsi que tout est à l’excès : l’Ouest n’est que le déchaînement de la loi du plus fort et le chef des méchants (qui n’est plus un bandit mais un industriel !) n’est qu’un pervers épouvantable.
D’autre part, Fuqua installe dans son film des éléments propres aux films d’action actuels. L’image est impitoyablement numérique, avec un grain brillant et un jeu outré de la lumière et de la poussière qui donne non pas un aspect réaliste mais un aspect, au contraire, artificielo-numérique. Et certains personnages sont des avatars des films d’action modernes. Un exemple représentatif : là où le personnage joué par James Coburn, dans le film de Sturges, jouait avec un couteau, il est ici représenté à l’écran par un asiatique bardé de sabres et de lames en tout genre et qui se bat comme dans un film de John Woo. Ajoutons aussi un zeste de bien-pensance dans le choix des mercenaires (un héros noir, un bon indien qui tuera le mauvais indien, un asiatique ; des méchants bien blancs, là où Yul Brynner et ses sbires massacraient du Mexicain).
Est-il besoin de parler du casting, très gros point fort du film de Sturges, et qui ici laisse perplexe ? Denzel Washington surjoue de façon fatigante et stérile (quand Fuqua l’utilise, il n’en fait décidément pas grand-chose), et les autres acteurs affadissent considérablement les personnages (déjà bien peu épais, certes).

On comprend que ce n’est pas avec ce type de film que le western, genre moribond et de plus en plus méconnu, va renaître de ses cendres. Bien au contraire, ce produit commercial caricatural laisse penser que le western, simplifié à l’extrême depuis la fin des années 60 et affadi encore aujourd’hui par les modes des films d’action, n’a plus rien à dire et qu’il n’en finit pas de mourir.