dimanche 28 décembre 2014

3 h 10 pour Yuma (3:10 to Yuma de D. Daves, 1957)




Excellent western, à l'action très resserrée, qui doit beaucoup à cette densité ainsi créée et à l'interprétation des deux acteurs principaux (Glenn Ford parfait en bandit et le très bon Van Heflin en fermier qui se défend comme il peut). Ce resserrement dramatique reprend – en le magnifiant – les thèmes de la lâcheté et de l’honneur déjà évoqués dans Le Train sifflera trois fois.
Une des richesses du film tient dans le lien qui se noue entre le hors-la-loi Ben Wade, redoutable bandit et le fermier Dan Evans, incarnation de l’honnête homme. Ces deux personnages – typiques des westerns – se rapprochent et, finalement, l’un et l’autre se sauvent tour à tour la vie. Ben Wade n’est pas seulement le bandit sanguinaire que l’on pensait (il a de toute façon une intelligence et une malice qui le mettent loin au-dessus des brutes habituelles), et Dan Evans, finalement, ne se bat plus pour l’argent ou pour la tranquillité de sa famille, mais bien pour l’honneur d’un camarade tué. C’est au travers de l’action à laquelle il est confronté que son sens profond de l’honneur se révèle.
On tient ici un exemple remarquable de film parfaitement tenu, efficace et haletant.


Van Heflin et Glenn Ford, excellents tous les deux
Ce film est un des rares exemples où l'exploitation de filon se révèle plus fructueuse que la découverte dudit filon : le film rebondit en effet sur le très grand succès du Train sifflera trois fois (dont l’inspiration rejaillit jusque dans le titre), et il en reprend plusieurs axes essentiels (trame à durée réelle, une heure fatidique qui se profile, un homme qui se retrouve seul face à un bandit et cerné par une bande). On remarquera qu’une différence importante tient dans le héros : un courageux shérif dans Le Train sifflera trois fois et un simple citoyen ici. La portée du film s’en trouve accentuée en permettant un regard sur la responsabilité de chaque citoyen. Cet aspect ressort largement de par le personnage de Dan Evans : s'il est valeureux, il n’est pas du tout un héros au sens hollywoodien et habituel du terme (et le casting reflète cette différence : Van Heflin, pour le spectateur, n'ayant pas tout à fait la même résonance que la superstar Gary Cooper !).

Le remake de 2007 par James Mangold (avec Russell Crowe et Christian Bale dans les rôles principaux) est bien moins âpre et n'apporte rien.

mardi 23 décembre 2014

L'Isolé (Lucky star de F. Borzage, 1929)



Lucky Star L'Isolé Franck Borzage Janett Gaynor Charles Farrell Affiche Poster

Film éblouissant sur l’amour fou, plein de tendresse et de lyrisme. Quand on pense aux chefs-d’œuvre du muet, on cite Murnau ou Chaplin et on oublie souvent Borzage. Pourtant on touche ici une perfection.
Ce film muet extraordinaire est tourné en pleine transition muet-parlant : la version proposée aux USA est une version parlante (les acteurs ont dû prendre des cours de diction). C’est donc le dernier film muet de Borzage (retrouvé en 1990) et c’est un chef-d’œuvre absolu. On comprend, en le voyant, le mot d’Hitchcock  quand il disait « au muet il ne manquait que la parole » : avec le parlant beaucoup de choses ont été perdues.
On comprend aussi qu’il ait fallu bien des années au parlant pour produire à son tour des chefs-d’œuvre. Même le génie de Chaplin aura bien du mal à s’en accommoder et il ne se sera jamais aussi bien exprimé avec le parlant qu'il ne l'a fait au temps du muet. Ce qu’il fait passer à travers son personnage de Charlot (qui restera à jamais muet, même dans Les Temps modernes) est bien plus fin et touchant que le discours lourd qui clôt Le DictateurBorzage est ainsi l’un des très rares réalisateurs à avoir su produire des chefs-d’œuvre muets, mais aussi parlants (en particulier The Mortal Storm).
Le couple star Charles Farrell et Janet Gaynor est plein de poésie, vibrant. On est loin du « réalisme » des sentiments (aujourd’hui on cherche sans cesse à coller au réel, semble-t-il), on est dans le lyrisme, dans l'exaltation, quand l'amour peut renverser des montagnes. Et la neige, l’eau, la lumière, tout est sublime.

Lucky Star L'Isolé Franck Borzage Janett Gaynor Charles Farrell Affiche Poster

Il y a du Vermeer dans certaines scènes, quand la lumière vient doucement se poser, par petites touches, sur le front de Mary, sur son profil, sur l'anse du seau. C’est à la fois sobre, lumineux, très beau.

Lucky Star L'Isolé Franck Borzage Janett Gaynor Charles Farrell Affiche Poster

La fin du film, en particulier, est merveilleuse et miraculeuse (dans le sens religieux du terme).

Lucky Star L'Isolé Franck Borzage Janett Gaynor Charles Farrell Affiche Poster

samedi 20 décembre 2014

Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County de C. Eastwood, 1995)




Exceptionnel mélodrame de C. Eastwood, très à l’aise loin des genres où on l’attend. Il explore un ton nouveau pour lui, mais il continue d’appliquer son classicisme, et avec quel talent !
Pourtant le script est très conventionnel. On est proche de Brève rencontre, dans une version plus moderne (encore que l’action principale – la rencontre – se déroule dans les années 60). On pense beaucoup à Sirk bien sûr, le grand maître des mélodrames hollywoodiens, à Tout ce que le ciel permet.
Meryl Streep est très simple, très juste, très touchante dans son désarroi, dans cet amour qui lui tombe dessus et dont elle ne sait que faire. Mais on sait ses qualités d’actrice. Clint Eastwood, en revanche, surprend : dans un rôle très sobre, il est parfait lui aussi, pour interpréter un baroudeur proche des images que l’on s’en fait (celui qui bourlingue et traverse le monde avec son appareil photo, sans attaches), mais il parvient à affiner cette image, à la modifier, jusqu’à la dernière scène où son personnage apparaît : l’image initiale qu’il représentait est alors définitivement balayée.


Bien sûr le film est centré sur la tristesse de Francesca qui reste avec son mari et ses enfants. Et Eastwood semble ne pas s’attarder sur ce que devient Robert Kincaid : il s’y arrête le temps d’une scène quand, sous la pluie, il voit Francesca passer en voiture, hésiter peut-être, mais ne pas descendre. Pourtant on comprend que Robert avait trouvé – mais qu’il n’a pas eu – ce qui lui manquait en ce monde et que, désormais, il ne sera plus un globe-trotter concentré sur ses photos, mais un homme seul à tout jamais. Cette façon de renvoyer les deux partenaires dos à dos est déchirante.
La scène clef – le premier mouvement physique de l’un vers l’autre – est d’une justesse confondante, quand Francesca, debout, au téléphone, remet machinalement le col de Robert assis à côté d’elle, comme un geste anodin de tous les jours …


vendredi 19 décembre 2014

Sin City (2005) et Sin City : J'ai tué pour elle (Sin City : A Dame to Kill For, 2014) de R. Rodriguez et F. Miller




Sin City est un film original de prime abord mais, une fois la surprise passée, il devient rapidement lassant.
Il est à peu près unique dans son genre puisqu’il adapte un univers de BD comme aucun autre, bien loin des adaptations hollywoodiennes habituelles qui fleurissent sur les écrans ces dernières années (de Spiderman à Iron Man). Ici le style très particulier de Miller, revisité pour l’écran, dans un style un peu rétro-futuriste pourrait-on dire, joue avec des effets très BD et des noirs et blancs rehaussés de quelques pointes de couleurs choisies. Et l’image passe d’un monde numérique à un monde graphique, superposant le tout, jusqu’à l’abstraction. Ainsi, sous des dehors rudimentaires (avec des traits de crayons simples et des aplats de noirs et blancs), le film consacre le règne du numérique le plus moderne.


Le problème est que le seul intérêt du film réside dans l'apparence de l’image. De sorte que, une fois passée la surprise de la découverte (ce qui, tout de même, vient assez vite), on découvre qu’il n’y a rien derrière ce style. En effet, l’histoire reprend quelques grandes lignes du film noir (les femmes fatales, les gars rudes qui vident une bouteille en fumant une cigarette accoudés au bar, une voix off grave qui insiste sur la fatalité des événements, etc.) mais il ne va pas beaucoup plus loin et semble n'avoir jamais rien à dire.
Le film s’étire en longueur, en multipliant les héros et les histoires emmêlées (l’ombre de Tarantino, qui sera nettement cité dans le second opus, rôde) mais cela est très répétitif : c’est toujours la même approche, et tout cela ne mène à peu près nulle part. Cette multiplication des personnages entraîne, de facto, leur manque d’épaisseur : ils sont comme en deux dimensions – celle de la planche à dessin d’où ils sont issus – et jamais on ne parvient à s’intéresser à eux.
On comprend alors que le passage à la BD n’est que le prétexte à multiplier les barbouillages de sang (reprenant, là aussi, le goût pour la chose du Tarantino de Kill Bill), les décollations, les tranchages de membres et autres gerbes rouges qui viennent s’étaler sur les murs. Bien entendu il n’y a rien derrière tout ça, l’histoire en elle-même n’étant d’aucun intérêt.
Du coup on aurait apprécié que le film se réduisît à la longueur d’un clip : cent vingt minutes pour raconter si peu et avec si peu d’émotion, c’est au moins cent minutes de trop.

Mais au fait, il n’y a pas d’œil arraché dans ce film ? Pas d’inquiétude, le deuxième épisode assure la relève. C’est reparti, donc, avec Sin City : J’ai tué pour elle.
Quand la nouveauté d’un film s’épuise au bout de dix minutes pour laisser place à une redondance lassante, on ne peut guère espérer une suite intéressante. Sur la même esthétique, le récit tourne donc à nouveau en boucle. On pourrait continuer à l’infini, à faire arriver en ville un nouveau héros, lui faire rencontrer une autre femme fatale et le voir se castagner avec les sbires de tel ou tel caïd de la pègre qui a fait du mal à sa belle : le film pourrait durer deux fois plus longtemps ou être deux fois plus court sans qu’il n’y ait rien de plus ni rien de moins.


Bien sûr, tout cela est au énième degré, mais il n’en reste pas moins que cette profusion d’hémoglobine est sans doute réservée aux fans, qui, n’en doutons pas, seront ravis devant cet apparat un peu vain : ce n'est pas beaucoup plus qu'une boucherie savamment présentée.

jeudi 18 décembre 2014

Bright Star (J. Campion, 2009)




Beau film de Jane Campion qui s’attache à filmer avec douceur et poésie la relation entre le poète Keats et sa muse, la jeune Fanny. C’est d’ailleurs elle, et non Keats ou sa poésie, qui est au centre du film. Il en résulte une romance un peu trop appliquée et conventionnelle, qui à dire vrai, manque un peu de poésie. C’est une très belle mise en image d’une passion, même si cette passion ne pulse pas forcément dans les images.
Les jeux de lumière sont très beaux et on sent chez Campion, la néo-zélandaise, une attention très hollandaise : on pense à Vermeer. Mais pas dans une grâce lumineuse, plutôt dans un calme attentionné, dans une ambiance bourgeoise, dans une oisiveté chez les plus riches, dans des inspirations de poètes. Et la caméra sait s’attarder sur un moment ou sur un cadrage. Le symbole des papillons (imageant ainsi un ver de Keats) est très bonne, de même que la voix off qui lit lentement les poèmes. Oui tout cela est formellement très beau, même si cela n’est pas réellement poétique.
Bright Star, sans doute, manque d’un certain emportement, d’un certain lyrisme, en ne parvenant pas à s’élever au-dessus d’un drame passionné, très beau mais appliqué.


mardi 16 décembre 2014

La Dame du vendredi (His Girl Friday de H. Hawks, 1940)




Parfait modèle de la comédie américaine trépidante et dont les dialogues sont des feux d’artifice éblouissants. Le film est adapté d’une pièce de théâtre et son passage au cinéma s’offre la maîtrise de Howard Hawks et le jeu épatant de Cary Grant.
Un rédacteur en chef (Cary Grant) en instance de divorce combine avec sa futur ex-épouse (Rosalind Russell) pour obtenir un scoop auprès d’un condamné à mort. La situation est au service des volte-face, des réparties, des coups de théâtre pour offrir une des plus épatantes screwball comedy du cinéma.

Ralph Bellamy, Cary Grant et Rosalind Russell

lundi 15 décembre 2014

Les Nus et les Morts (The Naked and the Dead de R. Walsh, 1958)



Les Nus et les morts Affiche Poster

Très bon film de guerre, qui conjugue l’épique et la réflexion sur la guerre. Il n’y a plus l’énergie qu’il y avait dans Aventures en Birmanie, mais c’est maintenant le temps de la réflexion pour Walsh.
Le sergent Croft est la pierre angulaire du film, qui s’articule autour de trois personnages qui sont trois visions des hommes faisant la guerre. Et le film nous laisse dans l’expectative, avec ce sergent trop dur, trop violent, mais qui, il faut bien dire, permet les victoires.
Walsh a bien avancé depuis Aventures en Birmanie, où le récit était simple et lucide (tout en étant très réaliste quant à la dureté de la guerre et en s’attachant aux hommes). Ici les ambiguïtés sont exposées tout au long du récit, et jusqu’à la fin. Que faire du sergent Croft (que Aldo Ray, déjà très bon dans Nightfall, et qu’il préfigure dans Cote 465, campe de façon inoubliable) ? Faut-il le regretter, dans sa dureté jusqu’au-boutiste et sa violence ; ou faut-il l’espérer parce qu’il est nécessaire ? La guerre est une folie mais enfin quand une guerre est engagée il faut bien la gagner. Le film nous laisse avec nos interrogations, entre la vision humaniste du lieutenant et la version « sang et tripes » du sergent.

On est sidéré de la naïveté (pour ne pas dire la niaiserie) de certains films de guerre plus récents qui veulent propager un message simpliste (le plus souvent un réquisitoire pacifiste, bien dans l’air du temps) quand d’autres films, comme celui-ci, prennent le parti d’une véritable réflexion.

Aldo Ray Les Nus et les morts


vendredi 12 décembre 2014

Annie Hall (W. Allen, 1977)



Annie Hall Woody Allen Poster Affiche

Extraordinaire comédie de W. Allen, qui réussit ici à renouveler un genre majeur du cinéma américain en imposant sa patte comique si particulière.
En se mettant en scène, en ne se ménageant pas, en abordant de plein fouet sa propre histoire avec Diane Keaton, Woody Allen innove. Son prologue, en forme d'adresse à la caméra, est un bon résumé de son génie si inventif et particulier.

Annie Hall Woody Allen Poster Affiche

La narration est complètement libre (flash-backs, adresse directe au spectateur, monologues, etc.) et le film est très drôle, léger, avec une auto-dérision jubilatoire. Woody Allen, par l'intermédiaire d'Alvy, son alter ego, use de la parole, sans cesse, comme parade, pour exorciser l'échec, le mettre en mot, le circonscrire. Las, la parole – et c'est une des idées du film –, quand bien même elle est un flot incessant, ne peut rien pour recoller les morceaux entre Alvy et Annie Hall. Woody Allen parvient ainsi à peindre un tableau à la fois drôle et touchant, jubilatoire et désabusé, chaque phrase, chaque morceau de dialogue étant comme un coup de pinceau sur la toile.

Woody Allen reprendra souvent ce personnage décalé, drôle et désabusé, le faisant évoluer dans ce milieu juif new-yorkais, mais sans jamais, peut-être, parvenir à la même harmonie extraordinaire que dans Annie Hall.

Annie Hall Woody Allen Poster Affiche

jeudi 11 décembre 2014

Naissance d'une nation (The Birth of a Nation de D. W. Griffith, 1915)




Premier long métrage américain, Naissance d’une nation a obtenu un succès immense aux Etats-Unis. L’importance du film est capitale : Griffith y développe les premières habitudes narratives qui deviendront, au fil des ans et des films, incontournables à Hollywood. Tous les procédés narratifs qui semblent évidents aujourd’hui ne l’étaient pas à cette époque où tout était à construire.
Griffith ambitionne de raconter l’épopée américaine, avec une volonté de lyrisme évidente, et, pour cela, il parvient à réunir des histoires individuelles et la grande histoire des Etats-Unis (avec Lincoln par exemple). Le film procède d’une idéologie raciste (le propos du film, en particulier dans la seconde partie, est de rejeter les Noirs, qui nuisent à l’union du Nord et du Sud !) sur laquelle il ne faut guère s’arrêter si l’on veut comprendre l’importance du film dans l’Histoire du cinéma.
Pourtant cette vision raciste à la fois ridiculise les Noirs tout en donnant d'eux – et pour longtemps l'image d'une puissance dont il faut avoir peur. Autant en emporte le vent donnera un peu plus tard une version plus romantique mais toujours « sudiste » et il faudra attendre les Mouvements des droits civiques et les films qui suivront (en particulier Mandingo) pour qu'Hollywood ose revisiter les images de Griffith. De même pour la vision du Ku Klux Klan qui est ici exaltée : si quelques films aborderont, de biais, le problème (La Légion noire ou Storm Warning), la volonté de ne pas fâcher les spectateurs du Sud bloque Hollywood qui, consensuel, délaisse longtemps la question. Dès lors les motifs de Naissance d'un nation perdureront très longtemps.


Il s’agit aussi du premier film américain où les producteurs investissent (à reculons) d’importantes sommes d’argent, ce qui conduira à de très importants bénéfices. Cet effet de levier vient donc mettre la première pierre à cette loi d’airain de la finance qui réussira si bien à Hollywood : l’engagement de gros capitaux constitue certes une prise de risques, mais les gains peuvent être énormes.
Ainsi, de même que le film a une importance capitale pour son ambition narrative et ses innovations formelles, il a aussi une influence fondamentale sur les maisons de production en venant entériner la possibilité de gains énormes avec le cinéma. On a là la première superproduction (même si Cabiria, en Italie, avait pu montrer la voie) qui sera pendant si longtemps l’apanage des majors d’Hollywood.