vendredi 29 juillet 2022

Une citation d'Alfred Hitchcock : la vraisemblance dans un film



Une explication d’Alfred Hitchcock qui en dit long sur ce qui lui semble primordial ou non dans un film :

« Demander à un homme qui raconte des histoires de tenir compte de la vraisemblance me paraît aussi ridicule que de demander à un peintre figuratif de représenter les choses avec exactitudes. »

Et quand on sait le génie d’Hitchcock pour manipuler le spectateur, on comprend bien que certains éléments d’un film – la vraisemblance dans La Mort aux trousses ! – comptent pour rien.



mercredi 27 juillet 2022

U-Turn - Ici commence l'enfer (U-Turn de O. Stone, 1997)

 



La force de frappe d’Oliver Stone – une force hallucinée, un peu cauchemardesque et qui envahit volontiers l’image – si manifeste dans Tueurs nés, semble ici émoussée et tourner davantage à vide. Sans doute parce que l’histoire de cette petite frappe perdue dans un patelin désertique n’accroche pas, avec tout ce qui tombe sur la tête de Bobby, qui suit en cahotant une pente descendante et forcément fatale.
Penelope Cruz autant que son personnage sont très incongrus et s’accordent mal avec cette population très Reds Necks, façon Easy Rider ou même Délivrance.
Il reste alors à Oliver Stone sa vista, ses jeux de caméra baroques, son montage parfois frénétiques, son ironie, mais cela ne suffit pas et le film a bien du mal à captiver. Reste un beau condensé du savoir faire de l’ami Stone dans son générique qui joue à plein l’Amérique qu’il aime tant filmer, avec ses traumas et ses folies.

 


lundi 25 juillet 2022

En corps (C. Klapisch, 2022)

 



Cédric Klapisch, réalisateur de plusieurs comédies populaires (Un air de famille notamment), se noie ici en proposant un film dont le ton se cherche sans cesse (entre drame et comédie) et dont l’ambition de montrer la trajectoire d’une vie décrit finalement un étonnant surplace. En effet, Élise, la danseuse classique blessée, après bien des déboires… finit danseuse contemporaine : comme exemple de résilience et comme nouvelle vie on a fait mieux.
Il faut dire que le film commence avec une dramatisation un peu forcée (la première séquence de ballet), dramatisation qui est ensuite reléguée au second plan avec l’introduction de personnages comiques (le kiné) ou caricaturaux (le père) opérant des ruptures de tons dont la dramatisation initiale ne se remet pas. Tout le sérieux de départ passe à la trappe.
Klapisch semble ensuite hésiter entre maintenir ce ton qui raconte comment Élise va surmonter sa blessure – Élise traumatisée, éplorée, qui voit son rêve se briser : tout cela est raconté avec beaucoup de sérieux par un Klapisch qui veut émouvoir – et un ton beaucoup plus comique grâce à des séquences de pures comédies (avec l’ami cuistot par exemple). Mais Klapisch semble ignorer que pour que l’assemblage comédie/drame fonctionne, il faut que ce soit le même personnage qui passe d’un registre à l’autre et non pas des personnages dédiés les uns au drame et les autres à la comédie. Sinon – et c’est ce qui se passe ici – dès qu’il y a du comique, tout le drame est éteint, comme un feu étouffé.

Et, par-dessus cette instabilité de ton, le film rajoute une moraline sucrée bien dans l’air du temps, avec un discours aux allures de  prêchi-prêcha sur les bienfaits de la danse contemporaine, sur cet univers très cool où l’on boit des bières entre potes, où l’on prend le temps de contempler le coucher du soleil, univers qui permet de se reconstruire, qui fait des faiblesses une force, etc.
La quintessence des défauts du film est rassemblée dans le personnage de Josiane (Muriel Robin, qui cabotine de façon insupportable) : à la fois caricatural et moralisateur, ce personnage n’a aucune crédibilité et chaque mot qu’il prononce se veut une leçon de vie.

On notera néanmoins la rencontre amoureuse qui est traitée, une fois n’est pas coutume, avec retenue : on n’entendra jamais parler Mehdi, son rapprochement avec Élise étant évoqué en mode mineur avec un tact appréciable, comme si Klapisch avait changé, le temps de traiter ce sujet, son rouleau à peinture pour un pinceau plus fin.
Et, à la fin, Élise vit toujours dans son bel appartement parisien (on se demande un peu quel chemin de vie âpre et difficile elle a dû parcourir) et son père essuie une larmichette. Tout cela est très gentillet et l’ambition de départ sérieuse et sincère est depuis longtemps passée aux oubliettes.

 


vendredi 22 juillet 2022

La Peau (La Pelle de L. Cavani, 1981)

 



Étonnant film, avec un Mastroianni un peu emprunté, mais qui nous balade dans une Naples volontiers délirante, grotesque, exubérante et laminée. Ce personnage témoin – un pied auprès des Italiens, un pied auprès des Américains – créé un équilibre qu’il n’était pas simple de trouver.
Liliana Cavani parsème son film d’images chocs, comme un exutoire pour montrer l’horreur omniprésente, qui vient contrebalancer le grotesque et l’illusoire. On passe alors de la splendeur de Capri (la villa Malaparte) aux bas-fonds de Naples, en passant par les palais baroque où l’on joue à faire semblant avec la légèreté des américains férus de mise en scène de la guerre, légèreté qui vient contraster avec la violence subie par le peuple. La séquence finale avec l’éruption du Vésuve est très réussie.
L’ensemble, assez baroque et frôlant l’absurde par moment (les lieux de plaisir évoquent Catch 22 de Nichols), dresse une vision très iconoclaste mais puissante de la guerre.

 


mardi 19 juillet 2022

Ciel d'enfer (Ṣira‘ Fī al-Wādī de Y. Chahine, 1954)

 



Dans ce film qui mélange les genres (entre drame paysant, film noir, romance et jalousie), Youssef Chahine est très à l’aise et s’appuie à la fois sur une action pleine de rebondissements – dont il gère impeccablement le rythme – et sur des personnages réussis (hormis celui joué par Omar Sharif, trop monolithique). Les deux personnages du Pacha et de son neveu – les méchants de l’affaire – sont très réussis. On les voit s’enfoncer et s’embourber dans leurs méfaits, allant sans cesse plus loin – jusqu’au meurtre – pour s’en sortir.
Le rythme, les personnages, la tragédie qui se noue peu à peu : l’ensemble est une réussite. D’autant plus que l’atmosphère entre le village de paysans et le palais du Pacha, en passant par les colonnes de Louxor, procure bel un exotisme.

 


samedi 16 juillet 2022

Le Bouffon du roi (The Court Jester de M. Franck et N. Panama, 1955)

 



Comédie qui pouvait être intéressante en ce qu’elle pastiche allègrement les films en costumes hollywoodien (typiquement ceux de Richard Thorpe) mais, malgré quelques bonnes idées et quelques belles scènes, l’ensemble sombre un peu trop dans le loufoque potache qui va trop loin. Le film, alors, manque de finesse et manque sa cible : on s’ennuie passablement là où l’on était prêt à rire.

 



jeudi 14 juillet 2022

Tandem (P. Leconte, 1987)

 



Sous des dehors faussement comiques, ce road-movie de Patrice Leconte, en suivant ces deux personnages qui ne cessent de jouer de faux-semblants de plus en plus intenables, saisit un peu de cette France froide, glauque, volontiers beauf, perdue au fin fond des campagnes et des petites villes. Le regard est très dur, à la fois sur ces provinces perdues et sur le ringard Mortez qui cabotine sans cesse, cachant le vide de sa vie par la notoriété qui l’accompagne. La détestation du personnage pour les provinciaux qui sont pourtant son public (comme le lui dit le factotum Rivetot qui l’accompagne) va jusqu’à rendre ce personnage souvent pathétique et parfois même pitoyable. Il sera sauvé par les dernières séquences qui le réhabilitent totalement de façon un peu surprenante.
Si Jean Rochefort construit parfaitement son personnage et lui donne une belle épaisseur, on n’en dira pas autant de Gérard Jugnot dont le personnage de Rivetot sert finalement uniquement de faire-valoir. Il est vrai que Rivetot est assez creux, mais Jugnot n’en fait à peu près rien. Les personnages qu’il interprète, bien souvent, sont décrits immédiatement et ne sortent ensuite jamais de la petite case où ils sont placés : un peu comique, un peu pathétique, souvent à la limite du caricatural. Il manque à l’acteur, malgré tous ses efforts, de l’humanisme, celui dont regorgent les grands acteurs à la tonalité volontiers comique, de Alberto Sordi à Peter Sellers en passant par Toto.



mardi 12 juillet 2022

Le Spectre du chat (The Shadow of the Cat de J. Gilling, 1961)





Surprenant film fantastique qui joue avec l’interprétation – par les spectateurs autant que par les protagonistes – des agissements du chat d’abord témoin du meurtre de sa maitresse puis acteur à part entière de la vengeance.
On est loin des réalisations habituelles de la Hammer, où le sang rouge vif glisse du cou des jeunes victimes de Dracula. Ici John Gilling fait jouer à plein les ressorts du fantastique et il construit une ambiance étrange qui met à l’aise, avec certaines séquences étonnantes de modernité, comme lorsque le majordome court après le chat dans les marais. On notera aussi les étonnants plans subjectifs glissés dans d'audacieux champ-contre-champ où le spectateur prend la place du chat.
Plus classiquement le film est empli de personnages profondément immoraux et il n’y a guère que Beth qui, tout au contraire, est la gentillesse même. Et, bien sûr, tournant autour des personnages, rôdant dans la maison, apparaissant et disparaissant sans cesse, ce chat, tantôt doux et ronronnant, tantôt bras armé, semble-t-il, de sa maitresse assassinée.




samedi 9 juillet 2022

Où est la liberté ? (Dov'è la libertà? de R. Rossellini, 1954)





Étonnant film de Roberto Rossellini qui quitte un peu son néoréalisme habituel et se dirige vers le conte moral et la comédie. Si le propos reste dur sur la société italienne, le postulat amusant du film – la prison est un lieu tranquille et la société une jungle agressive et cruelle – donne un ton décalé, enrichi par les allers-retours de la narration entre le tribunal et Salvatore qui raconte son histoire.
Toto fait une partition remarquable et sa présence même détonne chez Rossellini. Mais il n’utilise guère sa puissance comique et c’est davantage son humanisme qui envahit l’écran, humanisme qui sied à tous les grands comiques expressifs.
Dès lors, si c'est bien Le Pigeon qui ouvrira bientôt en grand les portes de la comédie italienne, on voit dans Où est la liberté ?, au-delà de la présence annonciatrice de Toto, un premier pas de côté du néoréalisme qui s’enrichit d’un regard à la fois acerbe et ironique sur la société.

 


jeudi 7 juillet 2022

All or Nothing (M. Leigh, 2002)

 



Poursuivant sa volonté de scruter au plus près la vie des gens, Mike Leigh utilise sa caméra comme un microscope qui zoome sur les vies éclatées, désemparées, éteintes : la misère, le chômage, l’obésité, l’alcoolisme, toutes ces vies se perdent et se gaspillent. Mais, s’il parvient parfaitement à épaissir des personnages, les révélant à eux-mêmes autant qu’à nous, il laisse en plan, ici, bien des situations. Il n’y a que la famille de Phil – le chauffeur de taxi dépassé – et de sa femme avec lesquels il nous emmène plus loin et amorce une renaissance.
Pour les autres, ils sont laissés en plan dans leur vie qui piétinent. C’est un peu dommage, on a l’impression que Leigh renonce à suivre tous ces personnages. Le film, alors, donne cette impression d’avoir à nouveau saisi le ton de Secrets et mensonges – où la résonnance entre tous les personnages aboutissait parfaitement – mais sans aller au bout de son idée.




mardi 5 juillet 2022

La neutralité : le secret du cinéma



Pagine chiuse de G. Da Campo, 1969


Dans son fameux Dictionnaire du cinéma, Jacques Lourcelles explique, à propos du très beau Pagine chiuse, que son réalisateur, Gianni Da Campo, « a choisi de poser sur son personnage un regard neutre. Cette neutralité – expression d’une sensibilité d’écorché vif qui jugerait pour ainsi dire obscène toute insistance émotionnelle et qui est en même temps si requise par son sujet qu’elle en devient comme pétrifiée et sans révolte –, cette neutralité est l’un des secrets du cinéma ».

 

Nous le rejoignons à la fois sur ce mystérieux secret de la neutralité et, concomitamment, sur l’obscénité de l’insistance émotionnelle.

Nous ajoutons même que la neutralité, proche parente de la tempérance et de l’humilité, sans doute, est l’un des secrets non seulement du cinéma mais bien de tout Art, bien loin de l’acharnement des trémolos émotionnels, du partisanisme, du militantisme, de la transgression facile ou du premier degré racoleur.

 


samedi 2 juillet 2022

Les Affaires sont les affaires (J. Dréville, 1942)




Construit autour de la figure impitoyable de Isidore Lechat, patriarche affairiste qui étend sans cesse ses tentacules, le film avance inéluctablement vers la tragédie. Alors qu’il écrase, manipule ou balaie d’un revers de main ceux auxquels il est confronté, c’est par ses enfants – les seuls qui peuvent émouvoir quelque peu son cœur insensible – que les manigances tous azimuts de Lechat vont être foudroyées.
Ce film magnifique vaut pour ce regard acerbe sur le monde sans pitié des affaires lié à cette tension tragique. Et, bien sûr, par le jeu admirable de Charles Vanel qui compose un personnage balzacien à souhait.


On notera avec curiosité que Isidore Lechat rejoint Raimondeau l’aîné, dans La Ferme du pendu, réalisé peu de temps après par le même Jean Dréville et campé, là aussi, et avec le même brio, par Charles Vanel. Et Raimondeau rejoint Lechat, non seulement par son emprise sur la famille, mais aussi par son destin tragique avec, en ce qui le concerne, une issue tout à fait similaire.