lundi 29 avril 2019

Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère... (R. Allio, 1976)




Film remarquable et singulier de René Allio, qui met en scène un fait divers du XIXème siècle (1) avec une sensibilité étonnante : il parvient à capter une époque, un lieu, des personnages. Le récit alterne des témoignages de villageois ou de proches avec la parole de Pierre Rivière (extraordinaire Claude Hébert) racontant sa propre histoire et il passe par de longs flash-backs qui font écho à la voix de Pierre.
Il y a du Bresson dans ce style simple, épuré, sans lyrisme ni effets, qui retrouve les usages et les gestes anciens et, bien sûr, il y a cette langue des campagnes, ce ton, cet univers qu'Allio capte sous nos yeux.



La ruralité profonde décrite dans le film impose une vie très dure et un enfermement dans un lieu qui devient étouffant. Difficile, en effet, d’avoir une intimité, difficile d’échapper à sa famille, aux voisins, aux quolibets, à la médisance. Et le pauvre père de Pierre est humilié sans cesse, mené par le bout du nez par sa femme cyclothymique.
Témoin permanent des humiliations de son père, Pierre Rivière, dont on ne sait s’il est attardé ou simplement trop sensible, qui oscille entre humanité et monstruosité, est montré avec une vie presque miséreuse et qui n’est faite que du difficile travail aux champs, à peine entrecoupé de minuscules préoccupations de môme (bricoler un piège pour les oiseaux). Et, dans cette vie difficile qui n’est emplie que de petitesse, le crime qu’il projette, avec son dessein qui le dépasse – il se sacrifie pour son père – lui semble enfin être un acte d’une certaine hauteur, qui dépasse le misérabilisme quotidien.
Le récit, à la fois chronique familiale et rurale du point de vue d’un jeune adulte en marge, amène à comprendre ce qui a pu se passer dans la tête du jeune homme, à relire les événements sous une autre lumière. Et Allio ne tombe jamais dans la victimisation : rien n’est éludé de l’horreur du triple meurtre (la séquence d’ouverture, sur un ton de médecin légiste, n’en cache rien) et jamais Pierre ne cherche à se cacher derrière les circonstances : il sait le châtiment qui l’attend et l’accepte. Et s'il prend un papier pour écrire ce qui l'a amené à ce triple meurtre, c'est qu'il relie son histoire à une forme de destin familial plus grand que lui, pour sauver son père.



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(1) : Ce fait divers a été étudié de près par Michel Foucault dans son étude sur le pouvoir judiciaire ; c'est sur ce travail que s’appuie Allio.

samedi 27 avril 2019

La Bataille d'Alger (La Battaglia di Algeri de G. Pontecorvo, 1966)





Grand film de guerre, La Bataille d'Alger est aussi le premier film (et l'un des rares) à traiter sans détour de la guerre d'Algérie au travers d'un des épisodes les plus emblématiques du conflit. Il montre sans détour les terroristes qui fabriquent et installent leurs bombes aussi bien que l'armée française qui torture pour venir à bout de la rébellion.
Gillo Pontecorvo (1) traverse la casbah en long et en large, avec sa caméra au poing, il filme les ruelles, s'attarde sur des visages, saisit des mouvements de foule. Il capte des silences, des bouillonnements internes et fixe à l'image la haine qui s’installe, les univers qui s'affrontent. Le montage est nerveux, sec, très prenant, dès la séquence d'ouverture – qui est un flash-forward annonçant la séquence finale – et sans jamais faiblir ensuite. Certaines séquences, par le réalisme de la photo, par le souci descriptif, ont valeur de reportage (2) – le film s’inscrit dans le déroulé de la bataille en affichant à l'écran différentes dates qui sont autant de moments clefs –  qu'il s'agisse de la casbah vibrante ou des bars fréquentés par les Français.

Mais, bien sûr, le film dépasse le simple film de genre. Il est un acte politique, au moment où la politique française – et avec elle le cinéma français – a tourné le dos à l'Algérie. Mais Pontecorvo, s'il dénonce les exactions, a le souci d'équilibrer les choses et il prend le temps de donner la parole aux deux camps. On voit les rebelles algériens acculés et ne pouvant plus s'exprimer que par les bombes. On voit le colonel français expliquer n'avoir pas le choix sur les méthodes qu'il emploie pour venir à bout des rebelles. Les spectateur est alors à même de comprendre les deux points de vue antagonistes : le recours au terrorisme pour les uns et le recours à la torture pour les autres. Avec, dans les deux cas la même question : quel autre moyen d'action ?
Mais, si le film s'attache à reconstituer le point de vue algérien et le point de vue français sur ces événements, il manque malgré tout d'objectivité en montrant des Français nettement arrogants et méprisants envers les Algériens. Et le spectateur n'ira pas dans les appartements français comme il va dans les maisons de la casbah. Le film, d'ailleurs, construit la figure héroïque d'Ali la pointe, qui ne faiblira jamais.

Mais, malgré cela, l'horreur du terrorisme n'est pas éludé : on voit longuement les Français qui s’amusent dans les bars avant d'être déchiquetés par les bombes traîtresses.



Les acteurs (non professionnels à l'exception de Jean Martin) sont parfaits, en particulier Brahim Haggiag, qui campe parfaitement Ali la pointe, lui donnant cette part de colère et de détermination qui marque celui qui sera bientôt un symbole de la bataille du côté algérien.

Enfin il est symptomatique que le film soit réalisé par un Italien. On sait que le cinéma français – qui se targue pourtant de ne pas manquer de réalisateurs engagés – ne s'est pas emparé de la guerre d'Algérie qu'il a soigneusement glissée sous le tapis, à l'inverse, par exemple, du cinéma américain qui, de son côté, n'a pas cherché à éluder le traumatisme du Vietnam (les premiers films sur le sujet apparaissent très tôt, quelques années à peine après la fin du conflit (3)). En France il faut attendre bien longtemps pour que le sujet soit abordé, et encore, sans aborder frontalement les questions qui fâchent (celle de la torture en particulier). Avoir vingt ans dans les Aurès de R. Vautier, tourné dix ans après les accords d'Évian, est, à ce titre, bien seul dans le paysage cinématographique français de l'époque (on citera aussi R.A.S. de Y. Boisset, qui trouve sans doute une source d'inspiration chez Pontecorvo).





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(1) : Pontecorvo est aussi connu dans le monde du cinéma pour avoir été violemment ciblé par Jacques Rivette dans les Cahiers du Cinéma : ce dernier est l'auteur du fameux texte sur le « travelling de Kapo »  – où il est question de mépriser un réalisateur pour un mouvement de caméra, le fond  et la forme étant indissociables  – et Pontecorvo a été conspué par la critique française à ce propos.
(2) : Notons aussi que le film est toujours utilisé par différentes armées (dont l'américaine) comme document sur la guérilla urbaine et le soulèvement d'un peuple.
(3) : Et même avant la fin si l’on considère Les Visiteurs d’E. Kazan.

jeudi 25 avril 2019

Dillinger est mort (Dillinger è morto de M. Ferreri, 1970)





Film OVNI de Marco Ferreri, qui lâche volontiers la bride à Michel Piccoli et laisse son personnage de Glauco occuper l’écran et passer ce moment seul, tandis que sa femme s’est endormie à coup de somnifères, à errer dans sa cuisine, regarder la télé, se projeter le film de ses vacances et, bien sûr, découvrir ce révolver rouillé, le dégraisser – tout en faisant la cuisine, avec son petit tablier rouge –, le repeindre, tout cela sans trop y penser, sans réelle intention. Ferreri capte parfaitement ce temps mort de la vie de ce cadre, rentré du boulot, seul et désœuvré.
Dillinger est mort est un film éminemment moderne, construit autour de ce personnage qui parle peu, qui agit à peine et ne sort guère du trivial. Glauco, seul et désœuvré, n’est pas loin du « je sais pas quoi faire » de Pierrot le fou. Glauco tourne en rond et s’occupe comme il peut, sans y être, sans passion, il se prépare un repas, s’accoquine avec la bonne, retape un vieux révolver, s’invente des choses à faire.
Ferreri, en fait, gratte le faible vernis qui recouvre la civilisation. Il inspecte d’un peu plus près ce qui empêche – ou ne parvient pas à empêcher – un homme d’être barbare, ce qui l’aliène, ce qui le rend fou. Et ce qui le rend fou, nous dit Ferreri, c'est la vie qui n’a pas de sens, c'est la solitude. Ces coups de sonde tombent juste et prennent parfaitement la température d’un moment, d’une époque, d’un personnage.


Et Ferreri emplit son film d’images étranges, constamment en décalage, avec cette couleur rouge qui revient sans cesse par petites tâches, ces masques à gaz, le visage absent de Piccoli. Et, à mesure que ces moments s’accomplissent sans aucune signification, le film se remplit curieusement de vide, ce vide abyssal et angoissant de la solitude.
La fin, comme une fulgurance jetée à la face du monde, toujours sans motivation et sans signification, cristallise le terrible regard porté par Ferreri sur le monde qui l’entoure.

mardi 23 avril 2019

Notre histoire (B. Blier, 1984)




Si l’on retrouve rapidement l’univers typique de Bertrand Blier (une froideur décalée, un penchant pour l’absurde, des passages incertains entre rêve et réalité ou des acteurs qui jouent plusieurs personnages), Notre histoire a bien du mal à emporter le spectateur au gré de l’histoire.
La froideur volontaire des dialogues et cette façon de s’adresser directement au spectateur pour raconter l’histoire fonctionnent assez mal et tendent à l’effet inverse : au lieu de nous plonger dans l’histoire, on ressort constamment du film.

Alain Delon est en plus assez décevant. Il se heurte à son problème majeur : dès qu’il accentue un élément de son jeu, il en fait trop. Ses soupirs sont forcés, sa démarche est forcée, ses mimiques sont forcées. On le sait, Delon est condamné au naturel le plus absolu (il n’y a guère qu’en Tancrède, dans Le Guépard, que son punch passe bien). Nathalie Baye fait ce qu’elle peut pour se rendre distante et transparente, mais là aussi, dans le genre, on est bien loin des meilleures actrices (Catherine Deneuve par exemple). On peut en revanche s’amuser de voir les premiers pas de nombreux acteurs, réduits ici à de simples apparitions (Jean Réno, Vincent Lindon, etc.).


samedi 20 avril 2019

Les Visiteurs (The Visitors de E. Kazan, 1972)




Dégoûté par le traitement réservé par les producteurs à son dernier film L’Arrangement (dont il n’a pas maîtrisé le montage final), Elia Kazan tourne le dos à Hollywood, prend avec lui une caméra de 16 mm, quelques techniciens et acteurs et file à l’autre bout du pays, dans sa propre demeure. Là il y a tourne, avec trois francs six sous, en complète rupture stylistique, un film à la fois intimiste et violent, comme un coup de poing envoyé à la face de l’Amérique.
Il s’agit rien de moins que du premier film sur le traumatisme du Vietnam. Avec des gros grains de la pellicule, des aplats noirs qui emplissent progressivement l’écran, des gros plans incessants sur l’instable Mike (excellent Steve Railsback, qui est rapidement effrayant), des prises de vue au ras du sol, ou encore la neige qui isole la maison et transforme le film en un huis-clos oppressant, Kazan scrute les failles irréversibles provoquées par le conflit dans la société américaine. Les déceptions du passé (le père qui vit dans la guerre du Pacifique et reproche sa pusillanimité à son beau-fils) et les déchirures présentes (la dénonciation de Mike et Tony par Bill) dressent un portrait de l’Amérique très sombre. Les jeunes adultes confrontés au Vietnam sont devenus monstrueux, traumatisés, inadaptés.
On retrouve ici la thématique de la confrontation à la Frontière qui, bien loin de régénérer, détruit. De Voyage au bout de l’enfer à Rambo – pour citer des films très différents – ce discours sur la guerre sera repris. La mise en scène oppressante conduit le film vers un dénouement tragique qui semble inéluctable, renforçant le regard sur les deux jeunes brisés par ce qu’ils ont connu au Vietnam.



Kazan exorcise ici ses propres démons  il avait dénoncé des acteurs communistes pendant la chasse aux sorcières des années 50  et met sans doute beaucoup de lui dans Bill, coincé dans ses contradictions, entre la dénonciation d’un crime et la trahison envers ses amis. Cette attitude rejoint ce que Kazan disait de sa propre attitude pendant le maccarthysme : s’il dit avoir agi par conviction, il n’en a pas moins brisé des vies et des carrières. Le jeu de James Wood (dont c'est le premier rôle) exprime très bien cette tension qui écartèle le personnage, à la fois persuadé qu’il ne pouvait pas faire autrement et rongé d’une culpabilité mordante.

Le film, enfin, est à la croisée des chemins : si le thème de l’intrusion évoque par exemple Les Chiens de paille de S. Peckinpah, sa mise en scène oppressante emmène le film vers le film d’horreur et sera reprise aussi bien du côté de W. Craven (La Dernière maison sur la gauche) que de M. Haneke (le début de Funny Games).

jeudi 18 avril 2019

Jusqu'en enfer (Drag Me to Hell de S. Raimi, 2009)




Sam Raimi, après ses succès dans de gros blockbusters (une série de Spider-Man dont le premier volet est plutôt réussi), revient à son pêché mignon : le film d’horreur gore. On retrouve donc les éclaboussures de sang et les masques sanguinolents horrifico-comiques qui rappellent les deux Evil Dead, des fantômes qui surgissent ici et là et d’autres formes à demi-gore et à demi-grotesques. Si l'histoire révèle peu de surprises, le twist final est en revanche très réussi.

Raimi cherche néanmoins à raconter un petit quelque chose : suivant le ton actuel convenu, il tape sur le bouc émissaire social par excellence, à savoir les banquiers. Ici c’est une jeune conseillère qui se voit jeter un sort pour avoir refusé un délai de paiement à une petite vieille (qui se révèle être une sorcière) pour se faire bien voir de son patron et bénéficier d’une promotion. Bien entendu le déferlement d’horreurs que subit la banquière est sans commune mesure avec ce qu’elle a pu faire mais passons. La vieille sorcière représente alors les pauvres injustement spoliés et sacrifiés sur l’autel du fric et du carriérisme.
C’est donc la critique capitaliste (dans une version caricaturale et simpliste) qui s’invite dans le film d’horreur. Ici les pauvres ne font pas que subir mais ils serrent les poings et se vengent. Un peu comme dans Chato’s Land, où l’Indien décime ceux qui le poursuivent : ici ce sont les spoliés et les démunis qui rendent les coups.



lundi 15 avril 2019

Les Innocents (The Innocents de J. Clayton, 1961)




Film fantastique qui cherche à créer une atmosphère étrange et déroutante sur fond de demeure gothique, Les Innocents pâtit d'un rythme peu haletant et d'une intrigue qui ne progresse guère. Le film donne l’impression que Clayton s’est concentré sur les scènes où des événements fantastiques se manifestent, au détriment d’une avancée progressive de la tension à mesure que la narration progresse. C’est ainsi que le film dans son ensemble n’est guère passionnant, même si certaines scènes sont très réussies, notamment l’étrange apparition d’un homme en haut d’une tour, remarquablement amenée, et qui introduit une rupture autant visuelle que sonore avec le réel.



Clayton cependant, a le bon goût de ne jamais trancher (encore que l’image montre des manifestations fantastiques) et l’ambiance gothique réussie évoque beaucoup Rebecca.
R. Wise, dans La Maison du diable, parviendra bien mieux à utiliser les ressorts du doute tout en utilisant parfaitement un décor inquiétant pour créer une ambiance plus terrifiante et haletante.

samedi 13 avril 2019

Baby Doll (E. Kazan, 1956)




Dans un film assez intimiste bien loin de ses célèbres peintures lyriques (La Fièvre dans le sang par exemple), Elia Kazan développe le jeu classique du triangle amoureux mais qu’il enrichit en l’insérant dans un contexte social particulier (le Sud des années 50, avec la décrépitude et les champs de coton) et en mettant en scène des personnages très marqués et volontiers machiavéliques.
C’est ainsi que le rustaud Archie Lee (Karl Malden impeccable) et le vénéneux Silva (Eli Wallach, parfait lui aussi) développent une relation de haine terrible tout en tournant autour de Baby Doll, la femme-enfant.
Baby Doll (révélation de Carroll Baker) est l’épouse calculatrice et intéressée d’Archie Lee, qui dort dans un lit pour enfant, à la sensualité exacerbée par une photo splendide et par des jeux de mise en scène soignés de Kazan.
Tout le film tourne autour de ce jeu à trois, avec des séquences parfois très longues, que Kazan laisse se dérouler. L’image déborde ainsi par moment d’une sensualité puissante, avec la palpitation de la tentation qui pulse de la peau claire et douce de Baby Doll et des regards de braise de Silva, tandis qu’Archie Lee déborde de transpiration jalouse. L’épisode de la balançoire, où Baby Doll est progressivement enlacée par Silva est à ce titre très réussie.


Mais cette sensualité puissante qui a pu faire de Baby Doll un film sulfureux n’a pas la même résonance aujourd’hui, et tout ce qui pouvait être tendancieux lors de la sortie du film est davantage ressenti comme le simple charme langoureux de Carroll Baker.

vendredi 12 avril 2019

Nouvelle vague (J.- L. Godard, 1990)




Certes Jean-Luc Godard profite tout à la fois de son image de penseur solitaire à demi-maudit et de la résonance médiatique de la star Delon pour construire son film, mais Nouvelle vague (1) déçoit quelque peu. Moins abscons que ses précédentes réalisations des années 80, le film appartient à la catégorie de ces films pliés en deux, qui peuvent emporter le spectateur dans une autre dimension (on pense récemment à Copie conforme ou à Heawon et les hommes). Mais la froideur sèche de Godard et son incapacité à réfléchir à voix basse empêchent de plonger tout à fait dans l’histoire.
En effet, comme souvent (mais, encore une fois, de façon moins marquée que dans Sauve qui peut (la vie) ou Hélas pour moi), Godard ne veut pas d’une narration simple, mais il veut aussi qu’« on voit qu’il n’en veut pas ». Il en résulte toujours cette distance froide, lourde et singulière, très artificielle.



C’est tout à fait regrettable puisque l’argument du film est passionnant : il est question de rattraper le temps, de refaire les choses, mais différemment, pour ne pas décevoir, pour être celui qu’il aurait fallu être. Ce thème de la seconde chance, que permet d’évoquer à merveille le medium cinéma, est ici enrobé d’une lourdeur et d’une prétention pénibles.



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(1) : Le titre, s’il évoque bien sûr les années 60 du cinéma, peine à trouver sa justification dans le film lui-même.

mercredi 10 avril 2019

L'Attaque de la malle-poste (Rawhide de H. Hathaway, 1951)




Western de second rang qui a cependant une part d’originalité puisqu’il confine au thriller plutôt que de dérouler les séquences classiques du genre. Il n’y a pas ici d’attaque de diligence (contrairement à ce que laisse supposer l'introduction), de duel dans le saloon ou de chevauchées épiques : le film installe au contraire un quasi huis clos dans un relais, à attendre l’arrivée de la diligence qu’il s’agit d’attaquer.
On est proche d’un film de séquestration, avec les mêmes moments de tension, les tentatives pour se libérer, les plans déjoués et l’attente du bon moment pour passer à l’action.

Si l’ensemble est bien construit, on regrette que les personnages n’aient pas davantage d’épaisseur : ils réagissent tous conformément aux prévisions, les gentils sont gentils et les salauds sont salauds ce qui enlève une bonne part de la tension, plutôt bien menée par ailleurs. Tyrone Powell campe non pas un héros (en tous les cas pas encore : « il apprend le métier ») mais davantage un homme de tous les jours qui veut sauver sa peau. C’est son personnage assez inconsistant qui pose problème, plus que son interprétation. Et l’on a des regrets : Tyrone Powell est capable de tenir des rôles beaucoup plus aboutis. Susan Hayward, de son côté, est un peu pénible, avec cette sempiternelle moue boudeuse et renfrognée. Finalement c’est surtout Jack Elam – la légendaire trogne du western – que l’on retient, avec un aspect visqueux et toxique très percutant.



lundi 8 avril 2019

France société anonyme (A. Corneau, 1974)




Pour son premier film, Alain Corneau livre un objet étrange, qui part un peu dans tous les sens, qui se perd en route, reprend ses idées et livre un message détonant. L’ensemble, un peu foutraque, donne un film tout à fait unique en son genre.
Démarrant en film de science-fiction (un ancien parrain de la drogue est réveillé de son hibernation et raconte son histoire), il se poursuit sur fond de guerre de gangs entre trafiquants de la drogue (on croit avoir affaire à un avatar désargenté de French connection) mais part ensuite vers le pseudo-militantisme avec les délires à la fois amusants et très bien vus du Front de Libération des Toxicomanes Révolutionnaires. Corneau s’amuse alors à montrer une France où les drogues sont légalisées, ce qui donne une fraîcheur étonnante au film.



Michel Bouquet tient impeccablement l’affiche, avec ce ton très bien trouvé entre le personnage à la fois acteur et spectateur des changements qu’il constate.
Bien sûr le film est ambitieux, imparfait, avec des scènes ratées et procède d’un assemblage un peu bancal, mais ce mélange improbable accouche malgré tout d’un film OVNI qui réjouit et interpelle encore aujourd’hui.

Corneau, face à l’échec du film, se tournera ensuite vers des réalisations beaucoup plus conventionnelles et sûres d’elles (en particulier les polars avec Yves Montand en tête d’affiche) et ce n’est qu’au travers de quelques scènes de Série noire qu’on retrouvera cette verve un peu foutraque et délirante qui irrigue France société anonyme.

vendredi 5 avril 2019

La Ballade de Narayama (Narayama bushikō de S. Imamura, 1983)




Le succès critique de La Ballade de Narayama (Palme d’or) surprend pour ce film qui, s’il montre la pauvreté sociale en plein écran, est très inégal. Le film met en scène une humanité volontiers bestiale et détachée des valeurs morales de notre temps : un nouveau-né jeté dans une rizière, des cadets rejetés, des vieux qui doivent mourir. Si l’extrême pauvreté et la dureté des conditions de vie expliquent les mœurs du village, Imamura insiste sur ces dépravations et expose la crudité de cette violence en plein cadre. Le film multiplie ainsi des scènes qui doivent beaucoup à l’anthropologie, et que Imamura cherche à contrebalancer par un regard englobant : il cherche à intégrer les villageois aux cycles de la Nature, les subissant comme eux, dans l’impossibilité de s’extraire des contraintes dures de la montagne et de l’autarcie inévitable. Ici la soumission de l’individu à la collectivité et de la collectivité à la Nature est totale.

La dernière demi-heure, avec la montagne gravie par Orin et Tatsuhei, est en revanche remarquable. Presque muette, c’est dans cette séquence que la poésie d’Imamura trouve réellement sa place et permet de créer un écho et une pulsion dans l’image, équilibrant ainsi la narration qui déborde de misère tragique. Ce voyage initiatique (qui mène non pas à la vie mais à la mort) est empli d’une réserve et d’une piété très belles. Et c’est cette poésie, cette réserve, ce regard silencieux sur la terrible vie des villageois qui manquent sans doute au reste du film.



mercredi 3 avril 2019

Les films cultes



Si le mot culte est galvaudé et semble aujourd’hui vouloir s'appliquer à n’importe quel film qui rencontre un tant soit peu de succès, un film culte désigne, au sens strict, un film qui fait l’objet d’un culte.
On peut prendre l’exemple de La Guerre des étoiles, dont la multiplication des épisodes entretient le culte. On donnerait d’ailleurs presque raison à Spielberg qui disait de son ami Georges Lucas qu’il aurait pu créer une religion avec son histoire de Force. Le Seigneur des anneaux de P. Jackson est pareillement entouré de hordes de fans.

Mais une définition plus restreinte suppose aussi que ces films sont peu connus et circulent sous le manteau. On pense évidemment à The Rocky Horror Picture Show, phénomène de dévotion qui voit ses adeptes venir déguisés aux projections, danser, chanter, jeter du riz ou des confettis dans la salle.



Aujourd’hui, avec la multiplication des supports et des possibilités de voir un film (via internet en particulier), beaucoup de films cultes rares se sont répandus. Pourtant, malgré cet accès plus facile, le côté méconnu continue de donner à tel ou tel film une coloration particulière : on pense à El Topo, Le Carnaval des âmes, Eraserhead, etc.
Et si Shining fait l’objet d’une dévotion particulière, c’est par la multitude d’interprétations qu’il propose et le caractère inépuisable de la lecture des signes qu’il recèle. Le documentaire Room 237 de R. Ascher fait par exemple le tour de plusieurs théories interprétatives (de la NASA aux signes chamaniques indiens) souvent exposées à son propos.


Et quand les fans de Retour vers le futur se bricolent la même Delorean que celle du Doc, ceux de La Nuit des morts-vivants – matrice des formes modernes de zombies –, se rassemblent dans des marches de zombies alors que les fans du Parrain vont en pèlerinage à Savoca. D’autres encore apprennent les répliques par cœur, répliques qui passent dans le langage courant (des exclamations de Tony Montana dans Scarface aux lignes de dialogues au vitriol du Père Noël est une ordure).
D’autres films cultes, enfin – Harold et Maude ! –, ne cessent jamais d’évoquer un ton, une époque ou une manière de voir le monde.



lundi 1 avril 2019

La Princesse de Montpensier (B. Tavernier, 2010)




Film en costume assez décevant de Bertrand Tavernier. La faute peut-être à un rythme inégal autour d’une intrigue assez lâche, où des séquences se suivent sans trouver réellement de liant.
La faute aussi, sans doute, à une distribution très quelconque. Autour d’une Mélanie Thierry peu crédible, Lambert Wilson joue complètement à côté du personnage – forçant jusqu’à la moindre ligne de dialogue – et Grégoire Leprince-Ringuet est particulièrement effacé (même si son personnage le demande). Seul Gaspar Ulliel campe son personnage avec fougue mais c’est son personnage qui déçoit, très monolithique et peu intéressant en fin de compte. De sorte que les différentes intrigues de cour ou les différents élans du cœur se laissent voir sans déplaisir mais sans passionner non plus. Il en ressort un film appliqué, sans guère de folie et peu marquant.