samedi 31 octobre 2020

Peninsula (Bando de S. Yeon, 2020)




Présenté comme une suite de Dernier train pour Busan, le film n’a en réalité pas grand rapport : il se contente de travailler un schéma très classique du genre, où dans une zone abandonnée à des hordes de zombies (un peu sur le mode du Jour des morts-vivants de Romero par exemple), des survivants se débrouillent comme ils peuvent, les uns s’organisant humblement, les autres se radicalisant. Le tout sur fond de zombies hurlants, qui sont tout à fait modernes (c’est-à-dire qu’ils ne sont pas des morts-vivants hagards comme chez Halperin, Tourneur ou Romero, mais des malades infectés par un virus, et qui se ruent sur tout ce qui bouge).
Si Le Dernier train pour Busan, sans qu’il soit très novateur, était efficace, ici, Sang-Ho Yeon rentre dans le rang et fatigue, même, avec ses personnages stéréotypés (le lieutenant sadique, le garçon débrouillard qui s’en sort toujours) et une fin sirupeuse.




jeudi 29 octobre 2020

Garçon ! (C. Sautet, 1983)

 


Alors que Claude Sautet a signé de très grands films dans les années 70, il marque nettement le pas dans les années 80. Garçon ! représente tout à fait cette tendance : il est une version affadie et superficielle de Vincent, François, Paul... et les autres. Là où le premier film fouillait tout un groupe d’amis, ici il se concentre sur un unique personnage et encore ne l’emmène-t-il pas bien loin.
Yves Montand, au centre du premier film, se trouve bien trop esseulé ici : il cabotine et en fait trop – comme souvent dans la dernière partie de sa carrière. Et, sans véritable contrepoids (pas de Piccoli, de Reggiani ou de Depardieu ici), il s’agite, tourne en rond, méridionnalise son personnage, mais la sauce ne prend pas vraiment.


mardi 27 octobre 2020

Keoma (Keoma il vendicatore de Enzo G. Castellari, 1976)



Pour saisir l’intérêt très relatif de Keoma, il faut rappeler que, mis à part une petite dizaine de films (réalisés, notamment, par les trois Sergio – Leone, Corbucci et Solima –), les plusieurs centaines de westerns italiens apparus en une grosse dizaine d’années à partir de 1964 ont tout du cinéma d’exploitation et qu’ils cherchent à extraire le maximum du filon ouvert par la Trilogie du dollar de Leone. Et, après avoir accumulé les poncifs aussi bien dans ses scénarios que dans sa mise en scène, le genre s’épuisera de lui-même à l’orée des années 80.
Keoma vient donc en queue de comète de ce filon exploité avec avidité et, tout en ressassant des idées et des motifs vus mille fois, il manie néanmoins quelques images intéressantes. La violence y est davantage mélancolique et sans aucune ironie (le western italien, passé par tous les avatars, s’est auto-enterré à coup de parodies pénibles) : la fin du genre n’est pas loin.
Franco Néro reprend une nouvelle fois son rôle légendaire de pistolero hirsute (même si, ici, il devient Indien, ce qui n'est pas sans évoquer La Porte du Diable.), pistolero qui revient mettre un peu d’ordre (colt au poing) dans la ville de son enfance, où un baron local a pris violemment les rênes.

On notera aussi la mélodie lancinante qui revient et accompagne les apparitions du héros, héros nostalgique, conscient que son monde – celui du western italien – n’est plus très loin de la fin.



lundi 26 octobre 2020

Le Colosse de Rhodes (Il colosso di Rodi de S. Leone, 1961)

 

Ce premier film entièrement réalisé par Sergio Leone est bien décevant. Non seulement l’intrigue est pour le moins poussive et décousue, mais le film verse dans le péplum industriel à gros budget, sans âme ni panache.
Mais, surtout, même si Leone fait tout pour s’émanciper d’un genre qu’il n’aime guère (mais dans lequel, industrie du cinéma oblige, il est contraint de travailler), on ne retrouve guère, ici, le style flamboyant qui fera sa gloire. Même à l’état d’embryon, il n’y a nul cadrage délirant, nul jeu de musique, nul gros plan outré, nul ironie distante ou sadique.
On notera malgré tout la violence parfois crue qui fait irruption, rare indice qui annonce le ton des films à venir. On peut aussi trouver, dans cette intrigue très lâche et peu palpitante, l’annonce de la substance des westerns à venir dans lesquels le scénario très simple sert surtout prétexte à l’expression d’un style (peu importe ce qu’il y a à dire, c’est la manière de raconter qui compte).
Mais Le Colosse de Rhodes est un succès : Sergio Leone obtient d'avoir les coudées franches. Alors, aussitôt, il se rue vers le western, avec le succès que l'on sait.


vendredi 23 octobre 2020

Le Moment de la vérité (Il momento della verità de F. Rosi, 1965)




On peut ne pas aimer la boxe et, pourtant, adorer The Set-Up ; on peut être indifférent au théâtre japonais et être subjugué par le Conte des chrysanthèmes tardifs ; on peut détester les voitures et la mécanique et être sidéré par Crash : lorsqu’un film parvient à nous passionner alors qu’il est centré sur un domaine qui, de prime abord, ne nous passionne pas, c’est toujours le signe que quelque chose se passe à l’image. Avec Le Moment de la vérité, Francesco Rosi fait pulser à l’écran une vitalité et une émotion extraordinaires. Il touche quelque chose d’indiscernable et parvient à saisir les suspensions du temps, avant l’entrée dans l’arène, ou dans cet espace entre l’homme et le taureau, quand l’un et l’autre se font face et ne bougent plus, qu’ils se touchent presque, se touchent finalement, seuls au milieu de la foule.

Intrigant à plus d’un titre – puisque, d’une part, il s’agit d’un film italien tourné en Espagne et que, d’autre part, il n’a rien à voir avec les films-dossiers habituels du réalisateur – ce film de Rosi, construit autour d’un scénario très simple, parvient à saisir une vérité du monde, à en capter une humeur.
On peut bien sûr voir le film comme une métaphore de l’Espagne sous le satrape de Franco, pays blessé et saigné comme le taureau dans l’arène ; on peut aussi voir une critique sociale avec Manuel – ce péon qui rêve d’argent et d’émancipation – d’abord aliéné par sa condition puis aliéné, ensuite, par son promoteur. Mais là n’est pas le cœur battant du film. Avec de très gros objectifs qui transpercent la foule pour venir cueillir le regard de l’homme fixé sur le taureau, Rosi saisit la substance des choses. Il scrute Miguel avant son entrée en scène, happé, déjà, par le taureau.


Rosi se garde bien de juger la corrida (on voit de nombreux taureaux, lardés de banderilles, être plantés des lances des picadors et, l'épée d'estocade enfoncée jusqu’à la garde, s’affaler dans la poussière, du sang dégorgeant du mufle), il ne la magnifie pas non plus, simplement il la filme. Miguel, d’ailleurs, torée non pas par passion mais, très prosaïquement, pour l’argent, pour s’élever socialement et rompre la fatalité qui le voudrait continuer à travailler dans les champs avec son père.

On l’a compris : par une singularité cinématographique, il a fallu que le meilleur film sur la tauromachie soit italien. Et, bien plus qu’un simple film sur la tauromachie, il est un film exceptionnel.


mercredi 21 octobre 2020

La Môme (O. Dahan, 2007)


 

Il était inévitable que le biopic, genre qui a tant le vent en poupe actuellement à Hollywood, vienne jusqu’en France. C’est La Môme qui a inauguré le bal, avec à la clé un grand succès et une reconnaissance internationale. La mode, ensuite, entrainera des dizaines d’autres biopics, qui garantissent le plus souvent à la fois une promotion facile (les médias adorant parler de stars), un succès public (les fans assurant un minimum de spectateurs) et des louanges sur l’acteur qui aura joué le rôle principal (ce type de rôle est un grand pourvoyeur de Césars et autres Oscars). C’est ainsi que, de Mesrine à Yves Saint Laurent en passant par Claude François, Gainsbourg ou Jean-Luc Godard, on ne compte plus les biopics français ces dernières années.
Pourtant La Môme est un film bien décevant. On y retrouve, mélangés, le mythe d’Edith Piaf (enfance de misère, coup durs de la vie, voix saisissante) et l’ambiance rétro un peu sépia du Paris d’Amélie Poulain. Cette esthétique très pénible, artificielle et forcée, est en plus brouillée en tous sens par un scénario inutilement alambiqué. En effet, Olivier Dahan multiplie les allers-retours dans le temps, selon un jeu narratif sans surprise et qui ne mène à peu près nulle part. Il faut dire que le biopic a ceci de particulier qu’on connait la fin du film avant d’avoir vu le film – ou, plutôt que de connaître la fin, disons que l’on connait l’issue du film. Dahan cherche à faire fi de cette évidence et veut créer une émotion qui naitrait peut-être de la juxtaposition d'époques différentes (en particulier en fin de film). Mais tout cela ne fonctionne guère et seuls les fans de la chanteuse s’y retrouveront.


Quant à l’interprétation de Marion Cotillard – qui a gagné avec ce rôle ses galons de star – on se sent obligé de rappeler que la capacité d’un acteur au mimétisme n’est pas du tout, nous semble-t-il, révélatrice des qualités de cet acteur, dont la substance même n’est pas de ressembler à un personnage – fut-il existant – mais de le créer.
Faire vivre un personnage qui a existé et tenter de se rapprocher de ce qu’il était est sans doute une réussite, mais ce n’est pas une performance créative. Bien au contraire, d’ailleurs, puisqu’il faut inventer le moins possible. On pourrait remarquer qu’il y a bien une part de création quand le personnage qu’il faut copier est éloigné de l’acteur lui-même (dans son caractère, son style, sa manière d’être) mais cela n'est guère pourvoyeur d'émotion.

C’est ainsi que les biopics les plus saisissants sont peut-être sur des personnalités moins connues ou dont on sait peu de choses, ce qui laisse à l’acteur une possibilité de création, en s’écartant sans doute – mais qu’importe, un film est une fiction – de la réalité. Sans aller juqu’au Jeanne d’Arc de Dreyer, on pense à Monsieur de Sainte-Colombe dans Tous les matins du monde de Alain Corneau. Ou encore, si l’on cherche cette énergie vibrante et folle qu’un acteur peut mettre dans son personnage, retournons voir Dustin Hoffman dans le Lenny de Bob Fosse, que l’on mesure alors la différence avec un biopic comme La Môme, qui noie sa recherche de mimétisme dans une tambouille esthétique prétentieuse.

Et l’on regrette aussi que La Môme, complètement centré sur Edith Piaf, délaisse les autres personnages – amis, producteurs, amants – qui ne semblent pas intéresser le moins du monde le réalisateur. Alors, selon les cas, ou bien l’acteur en fait des tonnes pour exister un peu (Sylvie Testud, insupportable), ou bien le personnage est oublié et reste en retrait, comme Marcel Cerdan, la brute touchée par cette petite môme bringuebalée par la vie, mais qui ne fait que passer dans le film : le fameux boxeur reste vide et creux et ne sert à rien d’autre qu’à faire rire ou pleurer la Môme.


lundi 19 octobre 2020

Le Traître (Il traditore de M. Bellocchio, 2019)



Très bon film de Marco Bellochio, sans doute l’un de ses meilleurs (même si Un poing dans les poches reste un premier film très marquant).
Quand bien même le film démarre avec une référence au Parrain (en débutant par une fête de famille), il s’éloigne ensuite de son prestigieux (et écrasant) prédécesseur pour raconter brillamment l’histoire de Thomas Buscetta, qui rompt l’omerta et parle. Mais, de son point de vue, il ne s’agit pas d'une trahison, puisqu’il reste fidèle à l’idée qu’il se faisait de la Cosa Nostra, qu’il considère comme ayant trahi sa ligne avec l’irruption de la drogue (on retrouve là aussi un parallèle avec Le Parrain puisque c’est la question de la drogue qui provoque une guerre entre les familles Newyorkaises). Il se considère alors comme délié de sa parole du fait de la traitrise de la Cosa Nostra. Le film, en étant axé sur l’omerta reprend donc plus la filiation de La Mafia fait la loi de D. Damiani ou de Cosa Nostra de T. Young plutôt que celle des films américains de Coppola ou Scorsese. Mais on y retrouve, bien sûr, comme le veut la tradition des films de mafia, cette violence où des amis proches qui faisaient la fête ensemble s’assassinent sans coup férir. Et le film, s’appuyant sur des évènements réels, illustre aussi la violence terrible qui peut s’abattre, avec en particulier l’assassinat remarquablement filmé du juge Falcone).
Le film met en lumière le fameux et retentissant procès de Palerme, qui fut retransmis à la télévision, mais sous un angle inédit : il montre ce qui était resté caché aux yeux des caméras, c'est-à-dire le contre-champ qui ne fut jamais montré pour des raisons de sécurité. Là c’est le traître qui occupe le cadre.


Construit comme une fresque et s’étalant sur des années – avec en point d’orgue le fameux procès – Le Traître s’appuie sur un excellent Pierfrancesco Favino, qui épaissit sans cesse son personnage : on le croyait monolithique, il se révèle empli de failles ; il est vu comme un traître quand il reste, de son point de vue, un homme d’honneur.


samedi 17 octobre 2020

Phantom of the Paradise (B. De Palma, 1974)




Incroyable film de Brian De Palma, dont la virtuosité stylistique et l’esthétique volontiers kitsch envahissent chaque plan. Et, non content de ce style détonnant, De Palma construit un récit dense, qui évoque à la fois Faust, Le Portrait de Dorian Gray, Docteur Mabuse ou encore, bien sûr, Le Fantôme de l’opéra.
C’est ainsi que Swan, le producteur tout puissant, dévore tous les artistes qui se présentent, les essorant comme des citrons – d’où le nom du groupe qu’il utilise (The Juicy Fruits, les fruits juteux) pour les vider bientôt de leur substance – comme il le fait avec Winslow Leach, figure de l’artiste maudit. De Palma, en passant, règle ses comptes avec les studios, dénonçant la dévitalisation des réalisateurs, embringués dans la grande machinerie des majors (en particulier la Warner, qui l’a évincé de la réalisation de Get to Know Your Rabbit, remontant le film sans son accord).
Swan, alors, devient cette grande figure faustienne, celle avec lequel on signe un pacte diabolique qui va bientôt perdre Winslow, figure qui évoque aussi le Docteur Mabuse, dont l’attrait magnétique lui permet de dépouiller ses victimes.
Le mélange des genres, pourtant pas simple avec de telles figures tutélaires, est parfaitement réussi. C’est que De Palma, confiant dans sa vista, déroule des plans baroques et géniaux (il se permet de reprendre, en le complexifiant, le célèbre plan d’ouverture de Welles dans La Soif du mal, comme pour montrer qu’il est plus virtuose encore que le maître), installe une esthétique pop criarde mais dont l’outrance est assumée (avec le look et le style des Juicy Fruits) et construit un récit foisonnant. Et, bien sûr, De Palma ne serait pas totalement De Palma sans référence à l’assassinat de JFK, grand motif qui traverse si souvent son œuvre, ni référence à Hitchcock (il pastiche ici la scène de la douche de Psychose et évoque L’Homme qui en savait trop).



jeudi 15 octobre 2020

Les Quatre de l'Ave Maria (I quattro dell'Ave Maria de G. Colizzi, 1968)




Western italien très quelconque et très vite lassant, qui surjoue sans cesse ses situations et ses mises en scène. Giuseppe Colizzi grossit le trait de Sergio Leone, qui, lui-même, grossissait le trait du western américain classique. On en arrive alors, de grossissement en grossissement, à une boursouflure épuisante : le film est une vaste caricature, où rien n’est nouveau, rien n’est surprenant et où ce qui est filmé comme un coup de théâtre est attendu par le spectateur.
Bud Spencer et Terence Hill campent un de leurs premiers duos, dont les films feront autant de buddy movies qui sont toujours parodiques, gras et lourds à digérer. Le personnage joué par Eli Wallach est du même acabit : il caricature et enfle celui, légendaire, de Tuco, qui courait d’un bout à l’autre du Bon, la Brute et le Truand ; mais, ici, il n’est qu’une substance prétentieuse et vide.
Rien de bon, donc, dans ce western italien qui est un triste exemple de la subversion du genre qui a été, le temps de quelques films, fascinant, mais qui, le plus souvent, fut réduit à ce type de films racoleurs, creux, et tout à fait oubliables.


samedi 10 octobre 2020

Slacker (R. Linklater, 1991)

 

Brillant film de Richard Linklaker qui déambule dans Austin, reprenant en quelque sorte la formule du Fantôme de la liberté : il glisse d’un groupe de personnages à un autre, tantôt les suivant le temps de traverser quelques rues, tantôt restant avec eux le temps d’une saynète. Dans la forme, le film, aux accents parfois un peu documentaires, évoque Jonas Mekas ou même Robert Altman (Nashville).
Linklater dresse ainsi un portrait de la ville, pris au fil de la journée, avec ses drames, ses mini-rencontres, ses moments perdus, ses hasards. Il choisit de restreindre son regard d’une part sur sa propre génération et d’autre part sur des petites gens, un peu en marge, un peu excentriques, formant une masse d’inconnus anonymes, ceux qui ne font rien (ou, pour reprendre un sarcasme célèbre, « ceux qui ne sont rien »), guettant le grain de folie – folie douce ou moins douce – tout autant que le moment trivial.
Cette marge, ici, est à mi-chemin entre la glande, la débrouillardise, la micro-activité, qui sont comme un pas de côté par rapport à l’Amérique, loin des représentations traditionnelles, le tout formant une espèce d’Americana un peu underground et contre-culturelle.
Deux grands motifs parcourent le film : l’un stylistique, avec de grands et longs travellings qui accompagnent les protagonistes, l’autre est la parole, très présente, avec toujours un personnage qui parle sans cesse, développant une théorie fumeuse, s’exclamant ou dissertant sur je-ne-sais-quoi.
S’il n’y a pas de jugement sur les actes (parfois tragiques) des uns et des autres, le réalisateur ne cache pas sa sympathie (au sens littéral du terme) : Linklater se positionne comme l'un des leurs (et il apparaît d’ailleurs dans un rôle).


mardi 6 octobre 2020

Joe, c'est aussi l'Amérique (Joe de J. G. Avildsen, 1970)

 

Film remarquable et injustement oublié de John Avildsen, dont la grande notoriété (après la déferlante de Rocky), ne mettra pas en lumière la filmographie. Le film, acerbe et crépusculaire, n’épargne personne, ni la classe aisée, ni l’ouvrier, ni la communauté de jeunes hippies tendance junky. On a du mal à reconnaitre, dans ce portrait terrible de l’Amérique, le message plein d’espoir que constitue Rocky.
Avildsen anticipe clairement les scripts façon Paul Schrader (ceux de Taxi Driver ou Hardcore) qui s’enfoncent dans les bas-fonds, regardent droit dans les yeux les paumés et les marginaux et ne s’illusionnent pas un instant sur l’Amérique.
Joe va s’associer avec celui qui, typiquement, est son rival social (l’ouvrier versus le patron) pour nettoyer la ville et assouvir son fantasme de la voir débarrassée de ceux qui, pour lui, sont des tares, depuis les junkies jusqu’aux Noirs, en passant par les hippies.
Et le scénario a l’intelligence de proposer une espèce d’association contre-nature entre le riche et l’ouvrier. C’est que, après son coup de sang face au junkie, le cadre sup se trouve à se salir les mains, réquisitionné par Joe qui le convainc de faire, avec lui, le sale boulot, un sale boulot stupide et vain. Et Joe, en une ironie terrible, devient le « théoricien » quand le patron – ou, tout du moins, celui qui commande aux ouvriers – devient l’homme de main, en une étonnante inversion du cerveau et de la main ouvrière. Cette association est aussi un moyen pour, un instant, se faire une place au soleil en devenant l’ami du patron et pour le recevoir chez lui avec sa femme, le temps d’un repas.
Le film bénéficie aussi des excellentes interprétations (dans des registres très différents) de Peter Boyle et Dennis Patrick.

Avec son affiche aux allures de tract électoral, Joe brosse un portrait de l’Amérique de Nixon sans concession, une fois de plus (puisque ces regards au vitriol furent légion dans les années 70). Et la dernière séquence noire et tragique est une conclusion terrible au réquisitoire de Avildsen.

samedi 3 octobre 2020

Parlons femmes (Se permettete parliamo di donne de E. Scola, 1964)



Dans la lignée des Monstres, Ettore Scola s’amuse comme un fou à mettre Vittorio Gassman – tantôt macho séducteur à l’italienne, tantôt faible et lâche, tantôt profiteur, etc. – aux prises avec des femmes tout à tour pulpeuses, mariées, prostituées, lascives, soumises, etc. Même si les sketchs sont inégaux, le ton volontiers irrévérencieux fonctionne à plein et la drôlerie n’empêche jamais un regard plus caustique sur l’Italie, sa société et ses mœurs. Comme toujours avec des films à sketchs, cette multitude de situations et de personnages s'assemble et dresse un portrait savoureux de l’Italie.
Et même quand le regard moqueur de Scola se fait aiguisé et plus satirique, on sent combien il aime ces Italiens, avec leurs tares, leurs manières et leur honneur. Le sketch où lequel Gassman reconnait dans le mari de la prostituée un ancien camarade ainsi que celui qui clôt le film (il cherche vainement un endroit où passer une heure avec sa belle du jour) sont exceptionnels : drôle, grinçant et avec cette tonalité si typique de la comédie italienne.



jeudi 1 octobre 2020

La Mafia fait la loi (Il giorno della civetta de D. Damiani, 1968)

 


Très bon film de Damiano Damiani, qui filme la Sicile écrasée par le soleil autant que par l’omerta, qui règne sans partage sur les villes, les villages et les campagnes. Damiani fouille les rapports de force, l’intégrité inutile du policier, la lâcheté des uns, la corruption des autres et, partout, le silence. Lee J. Cobb (étrange sonorité américaine dans ce monde sicilien) campe un parrain intouchable qui, dans une certaine mesure, annonce le Corleone de Coppola, en utilisant à foison son fameux rictus (déjà à l’œuvre avec un rôle similaire dans Traquenard de N. Ray). Et Damiani saisit parfaitement le désespoir des familles cadenassées, malgré leurs douleurs, par la peur de parler.
L’évolution du capitaine Bellodi – avec sa belle intégrité et ses ambitions qui se délitent petit à petit, de même que son allure, de moins en moins fringante et impeccable – accompagne sa compréhension progressive de la Sicile, lui l’homme du Nord de l’Italie, qui se heurte sans cesse au silence et au refus de collaborer. Et, à ce silence, répond une surveillance constante de tous par tous, avec toujours une profondeur dans le champ, un volet entre-ouvert ou un cadre dans le cadre qui permettent un regard, une observation dérobée. Cette tension, renforcée par la chaleur emplie de sueur, est menée impeccablement tout au long du film.
Le style de Damiani, aux accents naturalistes parfois plus grotesques, est typiquement italien et sa façon de mettre en scène le décor – avec son soleil de plomb, ses collines désolées, ses maisons isolées ou ses routes sinueuses – donne au film des relents de western et l’entraîne vers une minéralité qui achève de figer les éléments, inamovibles dans leur tradition, où rien ne se dit et rien ne bouge.
L’architecture même de la ville, avec la villa des parrains d’un côté de la place et le commissariat de l’autre côté, où chacun épie l’autre, rappelle les face-à-face des tout premiers westerns italiens.
Et puis, il faut bien dire, en face de Franco Nero en flic intègre et propre sur lui (ce qui change des desperados qui ont fait sa gloire), il y a Claudia Cardinale, en jeune mère de famille éplorée, italienne et sensuelle, à la fois au centre de tous les désirs et de toutes les diffamations.