samedi 30 juillet 2016

Alien 3 (D. Fincher, 1992)




Intéressant film de David Fincher qui construit un huis-clos efficace dans une prison perdue sur une planète lointaine. Revenant à l’univers oppressant du premier Alien (délaissant les explosions de violence de Aliens), Fincher (dont c’est le premier long métrage) réalise un film sombre, glauque et pessimiste.
Il faut noter que Alien 3 est, parmi tous les films de la saga, celui dont les effets spéciaux sont les moins réussis et le film en souffre : alors qu’il est plus vrai que nature dès le film de 1979, le passage au numérique, ici, ne lui rend guère service.


Dans le premier épisode l’équipage ne connaît pas la nature de la bestiole qu’il affronte et le spectateur découvre avec lui l’horreur de la chose. Mais, désormais, si les prisonniers ignorent toujours l’agressivité extrême de l’alien (malgré Ripley qui cherche à les avertir), le spectateur sait parfaitement ce qu’il en est. Du coup le suspense, même savamment mené, ne peut être aussi efficace que dans le premier épisode : il ne s’agit que du retour de quelque chose de connu et non d’un monstre nouveau.

Néanmoins Fincher mène savamment son film, réutilisant les codes du genre (l’épouvantable cycle de vie de l’alien) tout en intégrant des nouveautés (la relation entre Ripley et le monstre).

jeudi 28 juillet 2016

Jack l'Éventreur (The Lodger de J. Brahm, 1944)




Intéressant film de genre, dans lequel John Brahm déroule sa qualité de metteur en scène : il utilise très bien l’ambiance « victorienne » noire de Londres (au travers d’une photo remarquable) et l’étrangeté du locataire (très bon Laird Cregar) pour envelopper le film dans  un certain mystère. Certaines séquences sont très réussies. Plusieurs seconds rôles sont intéressants, en particulier le couple de propriétaires, qui apportent un contrepoint non dénué d’humour.
Mais le film pâtit d’un scénario trop linéaire et qui manque de suspense. L’idée d’adapter très librement l’histoire de Jack l’éventreur est bonne, mais, en laissant davantage de place au soupçon et au doute, le spectateur aurait été davantage happé par l’histoire.

mercredi 27 juillet 2016

Les Lumières de la ville (City Lights de C. Chaplin, 1931)




Quel chef-d’œuvre encore de Chaplin ! Il y a toujours autant de rires (y a-t-il plus grande séquence comique que le match de boxe ?) et toujours autant d’émotion, par exemple la célèbre scène du quiproquo où la jeune aveugle prend Charlot pour un millionnaire. Le tournage de cette seule scène durera plus d’un an, Chaplin – conscient de son importance pour le film – la repensant inlassablement et la retournant sans cesse. On touche du doigt l’exigence et la perfection de Chaplin mais aussi sa liberté (liberté permise par sa formidable richesse personnelle) : jamais un producteur n’aurait accepté un tel tâtonnement ruineux.

La jeune aveugle prenant le vagabond pour un millionnaire
L’expressivité sublime de Chaplin, la douceur de Virginia Cherrill, la dimension sociale du jeu entre les riches et les pauvres (qui s’exprime par le millionnaire ami ou indifférent selon qu’il est saoul ou non), la tendresse altruiste de Charlot qui ne sait comment gagner de l’argent pour sauver la jeune aveugle, tout cela rend le film sublime. Chaplin se sert du burlesque (les gags sont filmés comme autant de sketchs issus de courts-métrages muets) et le dépasse. On comprend combien il était frustré par le format des courts-métrages : toute la dimension émotionnelle et triste ne pouvait s’y exprimer.

Le légendaire match de boxe

lundi 25 juillet 2016

La Chèvre (F. Veber, 1981)




Bonne comédie française, qui tient ici par la mise en scène du très bon duo d’acteurs. De même que dans les autres films du duo (Les Fugitifs, Les Compères), leur rôle est bien réparti. Pierre Richard est parfait et il parvient à épaissir son personnage, accablé par tous les malheurs du monde, dépassé, voué à l'échec. Depardieu a peu à faire tant sa stature naturelle épouse le rôle, mais c'est son regard qui est primordial et qui fait le film : il regarde les pitreries de Perrin avec sidération, amusement, fatigue ou exaspération.
On s'amusera de voir qu'à force de vouloir tirer Perrin de son échec, c'est, tout au contraire, l'échec de Perrin qui rejaillit sur Campana : les malheurs de Perrin s'étendent à Campana.

samedi 23 juillet 2016

Il était une fois en Amérique (Once Upon a Time in America de S. Leone, 1984)




Dernier film de Sergio Leone, Il était une fois en Amérique est aussi son second chef-d’œuvre (après Il était une fois dans l’Ouest). Sortant de son maniérisme westernien, Leone déroule 45 ans de la vie de David Aaronson, alias « Noodles », gamin d’un quartier de New York qui devient gangster pendant la prohibition avant d’être trahi. Le film est très ample et la période de l’adolescence de Noodles exceptionnelle.

Le film est construit autour d’allers-retours (1) entre le temps présent du film (la vieillesse de Noodles, en 1968) et différentes époques du passé (en 1922, quand il était adolescent, et en 1933, quand il est adulte).
L’évocation de la jeunesse de Noodles est d’une poésie magnifique, empreinte de nostalgie, avec des transitions éblouissantes : en particulier quand Noodles, devenu vieux et revenant sur le lieu de sa jeunesse, regarde par une fente du mur et contemple son passé.

Noodles, âgé, regarde par la fente du mur...
Il y contemple ses souvenirs...
Cette manière de procéder ancre ces événements du passé : le passé ne disparaît pas tant que Noodles le garde en lui.
Tout le film n’est ainsi qu'une quête du temps passé (et en même temps une quête du temps perdu, quête proustienne s’il en est), au fur et à mesure que Noodles comprend qui l’a trahi et qui le manipule ainsi, bien des années plus tard.
Il faut noter combien les acteurs sont formidables, non seulement Robert De Niro ou James Wood (on n’en attend pas moins d’eux), mais aussi bon nombre d’acteurs secondaires (en particulier les acteurs qui interprètent les personnages principaux lorsqu’ils sont jeunes).
Ce mélange des époques donne au film une tonalité très nostalgique et triste (tonalité qui explose dans le visage de De Niro lorsqu’il reflète la douleur de ce temps à jamais perdu). La première et la dernière séquence du film – qui s’organisent toutes les deux autour de la fumerie d’opium – permettent bien des conjectures : tout le film n’est peut-être qu’une rêverie de fumeur d’opium perdu dans les brumes de la drogue (2).





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(1) : Il faut noter qu’il n’y a qu’en France que le film est sorti en respectant le montage souhaité par S. Leone (aux USA le film est sorti avec une histoire présentée de façon chronologique).

(2) : D'après J.- B. Thoret, S. Leone a puisé son inspiration pour la séquence de fumerie d'opium dans la fin de John McCabe, où, effectivement, dans un beau jeu d'images, Mrs Miller abîme sa lassitude triste et abandonnée dans l'opium.

vendredi 22 juillet 2016

Un homme est passé (Bad Day at Black Rock de J. Sturges, 1955)




Intéressant film, construit autour d’une trame très classique qui reprend des thèmes propres au western, mais en situant l'action au sortir de la seconde guerre mondiale : on est dans une bourgade isolée dans le désert, à laquelle on ne peut accéder que par chemin de fer (et encore le train ne s’y arrête-t-il jamais : personne ne vient jamais à Bad Rock) et où le temps semble s’être arrêté (l’action se situe deux mois après la fin de la seconde guerre mondiale).
Le film est très sec, sans fioritures : un homme surgit (Spencer Tracy, très bien, comme toujours) pour régler de vieux comptes. Mais il se heurte au silence de tous. C’est donc un film sur la lâcheté, sur l’omerta dans la bourgade, avec l’emprise de quelques-uns de plus en plus hostiles (Robert Ryan, très bon méchant) pour maintenir enfoui coûte que coûte le secret qui les mine. On est sur le même thème que Le Train sifflera trois fois ou Quatre étranges cavaliers : Maccreedy, seul contre tous, ne pourra compter que sur lui-même pour parvenir à ses fins.


mercredi 20 juillet 2016

Crimson Peak (D. del Toro, 2015)




Guillermo del Toro, s’il continue, films après films, de jouer avec les mêmes éléments qui le passionnent (une toile de fond  fantastique ou merveilleuse, une atmosphère surannée ou désuète, des monstres ou des fantômes – on retrouve ici peu ou prou la même histoire de fantômes que dans L’Échine du diable –), n’enrichit guère l’émotion qui passe au travers de son cinéma.
Del Toro rajoute bien de multiples influences (on pense aux romans d’Edith Wharton ou à l’atmosphère très gothique du film) la seule véritable originalité, pour lui le fan de monstres, est dans ce manoir étrange : c’est lui le véritable monstre, qui respire, pulse, saigne et grince à tout va.


Mais l’histoire elle-même est sans doute trop absorbé par cette enveloppe esthétique, gothique et froide, oubliant au passage d’affiner les personnages (hormis Thomas Sharpe, bien campé par Tom Hiddleston) et déroulant un récit finalement bien conventionnel et peu passionnant et qui multiplie les effets pour tenter de retenir l’attention du spectateur.

mardi 19 juillet 2016

Batman v Superman : l'Aube de la justice (Batman v Superman : Dawn of Justice de Z. Snyder, 2016)




Blockbuster inutile et vain, qui tire largement vers le bas la moyenne des films mettant en scène des super-héros (qu'ils soient issus de l'univers Marvel ou de DC Comics). L’idée de départ (faire une confrontation entre Batman et Superman) est un thème récurrent du monde des Comics mais le résultat est très décevant (on est loin du ton très sombre de la BD de Miller dont s'inspire le film). Le scénario est très alambiqué (forcément), avec deux histoires entremêlées (ce qui, en soi, est une bonne idée, mais aucune des deux histoires n’est réellement intéressante). On sent des relents des films de Nolan, aussi bien dans le scénario (en brodant autour de la question du super-héros qui est ou non au-dessus des lois, de ses responsabilités, etc.) que dans la mise en scène ou la bande originale (en particulier, ce n’est pas surprenant, dans bien des séquences avec Batman). Ben Affleck n’est pas transcendant en Batman, Henry Cavill est aussi lisse que son personnage de Superman, et Jesse Eisenberg interprète un Lex Luthor – le grand méchant du film – qui est une énième version du petit génie-fils à papa complètement fou.
Tout cela coûte extrêmement cher (même si tout cela rapporte énormément), mais, pour le spectateur, il n’y a pas grand-chose à tirer d’autre qu'un spectacle médiocre.

lundi 18 juillet 2016

L'Année dernière à Marienbad (A. Resnais, 1961)




L'Année dernière à Marienbad est un bon exemple de ce que l'intellectualisme (la prétention intellectuelle) peut produire : le film permet des analyses et des commentaires sans fin mais, pour le spectateur, il reste très ardu.
Resnais dit à propos de son film : « Je rêvais d'un film dont on ne saurait laquelle est la première bobine ». Certes la dysnarration, les nappes de passé qui surgissent ici et là et se croisent, les relations confuses entre protagonistes ou encore cette réflexion sur la vérité du souvenir, constituent autant d'éléments qui témoignent de la liberté de l'artiste. Mais, s'ils ravissent les théoriciens du cinéma (Deleuze par exemple), ils laissent le spectateur perplexe. Godard et Resnais, dans des styles différents, étant les deux réalisateurs qui ont poussé cette particularité très loin.

mercredi 13 juillet 2016

Les Tuche (O. Baroux, 2011)




Comédie française au ressort ultraclassique (une famille beauf gagne au loto : on suit son irruption dans l’univers bourgeois et guindé de Monaco) qui se contente de dérouler des gags répétitifs et attendus (accent régional ou social, réaction effarée face aux sans-gênes, etc.). On rit peu, tout cela est bien pataud.
On notera que Monaco a refusé de donner une autorisation de tournage à l'équipe du film (on peut le comprendre !).
Ce film est assez typique des comédies françaises contemporaines : sans saveur, sans légèreté, sans originalité, sans intelligence.

Sans que Les Tuche ait rencontré un succès fracassant, les producteurs ont lancé Les Tuche 2 (où la famille multimillionnaire et prolo part en vadrouille aux USA) qui, lui, a rencontré un beau succès. Las, il semble bien que cela conduise droit vers Les Tuche 3...

lundi 11 juillet 2016

La Valse dans l'ombre (Waterloo Bridge de M. LeRoy, 1940)




Parfait mélodrame, parfois un peu lent, mais avec une très belle retenue. Le film semble désuet en particulier parce que ce sont les expressions des sentiments qui font les ressorts de l’action. D'une séquence à l'autre, les personnages passent ainsi du plus parfait bonheur (Ah ! les valses dansées par le couple Vivien Leigh et Robert Taylor !) à la détresse absolue (très beau rôle de Vivien Leigh, qui semble toujours si fragile et qui, d’un regard à l’autre, est si gaie ou si triste). Dès lors Mervyn LeRoy utilise avec subtilité beaucoup d’ellipses et de litotes pour raconter son histoire.
Il faut remarquer la noirceur du scénario qui, d’une part, n’hésite pas à faire sombrer son héroïne dans la prostitution et, d’autre part, se fait l’économie d’une happy-end conventionnelle pour une fin, au contraire, particulièrement triste.


mercredi 6 juillet 2016

Dallas Buyers Club (J.- M. Vallée, 2013)




Film au ressort assez classique (un individu isolé se bat contre une institution) et qui vaut surtout pour la performance de Matthew McConaughey.
Son personnage est intéressant : atteint du SIDA, mourant, Jeff Woodroof cherche à se soigner à tout prix et comme le seul médicament qu’on lui propose n’est pas satisfaisant (nous sommes en 1985 et il n’y a pas encore de produits probants disponibles), il se soigne en utilisant des médicaments illégaux. Il participera ainsi, dans son combat contre la FDA (administration officielle qui autorise ou non les médicaments aux USA), à faire progresser les soins aux séropositifs.
Matthew McConaughey est remarquable : cowboy émacié et titubant, avec son accent à couper au couteau, il porte le film, de par l’expression, tour à tour, de son désespoir, de sa rébellion, de son assurance ou de son attachement progressif à Rayon (très bonne composition de Jared Leto), travesti séropositif.
On regrettera une mise en scène trop plate, qui se veut pourtant prenante en cherchant à saisir sur le vif avec une caméra très mobile et collée aux personnages, mais cela fonctionne assez mal. On regrettera aussi que les personnages secondaires restent très peu utilisés (hormis Rayon). C’est dommage cela aurait donné au film une dimension supplémentaire.

mardi 5 juillet 2016

Point limite zéro (Vanishing Point de R. C. Sarafian, 1971)




D’un scénario simple et droit comme une route américaine, Sarafian fait un film mythique et qui est même un manifeste, presque malgré lui, de la génération contestataire des années 70 aux Etats-Unis.
Kowalski, ancien pilote de courses, traverse l’Ouest américain, shooté à la marijuana, un peu pour gagner un pari (rallier Denver à San Francisco en moins de quinze heures) et surtout sans raison. Le film est une longue course-poursuite avec la police, état après état, et l’avancée de Kowalski est commentée au fur et à mesure par un animateur radio, Super Soul, noir et aveugle, qui prend fait et cause pour lui, pirate les radios de la police et élève son parcours au rang de geste contestataire.

L'imperturbable Kowalski (Barry Newman)
Point limite zéro (1) brasse une multitude de symboles américains. Il met en scène le nouveau rider (lointain héritier du lonesome cow-boy), rebelle et résistant, qui trace la route, coupe à travers le désert, qui est aidé par ceux qu’il rencontre (ici une femme nue sur sa moto, là un vieil homme) et qui continue, coûte que coûte, imperturbable. La Dodge Challenger R/T de Kowalski, en associant la vitesse et la liberté, se trouve panthéonisée et la fin, tragique et inévitable, n’est pas questionnée.

Sarafian introduit ainsi un regard sur le rôle des médias qui mettent progressivement en pleine lumière le raid de Kowalski. Aussi vite que puisse aller sa Dodge lancée à pleine vitesse sur les routes du Navada, elle sera toujours dépassée par l’emballement hystérique provoqué par les médias. La représentation par les médias de Kowalski – qui devient symbole de résistance, de liberté et d’héroïsme – dépasse la réalité, en particulier au travers de la fin tragique et instantanée (la rencontre de la Dodge et des bulldozers qui lui barrent la route) : les médias, à l’époque, ne véhiculent pas d’images, ce qui laisse à chacun des auditeurs la liberté de se construire leur image du héros qui vient de braver les autorités. La cécité de l’animateur Super Soul prend alors tout son sens.

Super Soul (Cleavon Little)
L’épaisseur du film vient entièrement du personnage de Kowalski, personnage complexe – ancien du Vietnam et ancien flic, aujourd’hui poursuivi par les flics – qui est l’héritier d’un monde de valeurs perdues, semble-t-il. Cette tonalité ajoute une dimension nostalgique (et suicidaire) à l’aspect contestataire de son raid sans espoir.
Ce film sur la marginalité, qui est construit comme une mèche allumée qui se consume jusqu’à l’explosion, est alors à la fois une métaphore d’une vie dépourvue de sens profond et l’expression d’une soif de liberté d’une génération marquée (et souvent sacrifiée) par le Vietnam.

Sarafian montre, quand bien même son film n’est pas exempt de défauts (certaines cassures dans le rythme en particulier), sa capacité  à tirer, de peu de matière (un paysage, une voiture, un acteur au jeu minimaliste) et de peu d’histoire, un très bon film, très ancré dans une époque et qui associe bien des tensions de la société américaine des années 70.
Et le film est un concentré de ce qui fait le cinéma des années 70 : l'action d'un homme seul, une humeur désespérée et, en même temps, un bouillonnement d'énergie.







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(1) : Le titre original est très parlant, Vanishing point signifiant « point de fuite », c’est-à-dire là où les lignes de fuite d’une image tendent vers l’infini. Là où file à pleine vitesse la Dodge de Kowalski…

samedi 2 juillet 2016

Voyage au bout de l'enfer (The Deer Hunter de M. Cimino, 1978)




Extraordinaire film, très ample, d’une puissance visuelle étonnante, dont les images marquent et interpellent longtemps.
S’il s’agit d’un des premiers films américains à traiter de la guerre du Vietnam et de ses impacts sur la société américaine, Cimino marque nettement la différence entre un film de guerre et un film sur la guerre : sur les trois heures de films, seule une trentaine de minutes se passent au front (1). Et Cimino se permet une ellipse brusque en faisant se succéder à la longue séquence du mariage la guerre du Vietnam et en sautant d'un plan à l'autre deux ans en avant.
Ce sont les différences entre l’avant et l’après qui marquent ainsi le drame réel de la guerre : plus encore que les tragédies des combats, c’est la société elle-même – quand bien même elle est loin de la bataille – qui est ravagée par la guerre. De sorte que les raisons de la guerre, la culpabilité américaine, les atrocités partagées, tout cela n'intéresse pas Cimino. Le vrai sujet du film est beaucoup plus la société américaine qui, cisaillée par la guerre, confrontée à un choc terrible, perd une innocence qui lui restait te doit se reconstruire.
Dès lors qu’il ne s'attarde pas longtemps sur les combats eux-mêmes, Cimino se devait de filmer une scène « choc » : de là cette fameuse séquence de la roulette russe, terrible et éprouvante, historiquement fictive mais cinématographiquement géniale. Au-delà de l'image choc, il y a là un raccourcis saisissant pour montrer ce qu'est la guerre : revenir sain et sauf, blessé ou bien mourir, tout cela tient du hasard, comme de jouer à la roulette russe. Cette séquence sera très critiquée : comme le film est l'un des premiers à avoir été tourné en Asie du Sud-Est après la fin de la guerre, d'aucuns s'attendaient à ce qu'il représente, même de façon approximative, ce qui s'était passé au Vietnam. Ce n'est pas du tout ce que fait Cimino qui présente les Vietcongs comme des tortionnaires surexcités (dressant en quelques séquences une vision incroyable de cette Nouvelle Frontière que constitue le Vietnam).

La fameuse séquence de la roulette russe
Le film brosse le portrait d’une Amérique aux racines multiples (ce que Cimino évoquera à plusieurs reprises, notamment dans La Porte du paradis), ouvrière, croyante, peu consciente de la réalité d'une guerre lointaine et peu capable de raccrocher cette réalité avec la sienne. Cimino excelle à filmer les moments d’intimité entre amis (la chasse) ou les temps de communions (scène du bal, scène finale). Il parvient ainsi à donner une dimension allégorique à de nombreuses séquences qu’il filme longuement (l’aciérie, la chasse, le mariage orthodoxe) et le film devient alors fascinant et envoûtant.
Puis, brusquement, violemment, survient la guerre et les trois amis sont frappés de plein fouet dans l’horreur du Vietnam, dont aucun ne reviendra intact, ou bien détruit dans sa chair (Steven y perd ses jambes), ou dans sa tête (Nick, qui reste dans l'enfer de Saigon à jouer à la roulette russe).

Nick (Christopher Walken)
continue de jouer à la roulette russe...

Quant à Michael (Robert De Niro) il est hanté par ses souvenirs, ceux de ses amis, ceux du temps « d’avant », quand tous se retrouvaient au bar ou allaient chasser dans les montagnes. Et Mike sent combien sa tentative de retrouver l’Amérique « d’avant » est vaine. De la bande d'amis, Mike était le plus en retrait, le moins naïf sur la dureté du monde. Il sera d'ailleurs le seul à chercher à survivre – c’est par lui que tous s’évaderont – et le seul à rentrer au pays, son uniforme sur le dos (2). Ce qui lui tient lieu de blessure – à lui comme à l’Amérique –, c’est comme une prise de conscience supplémentaire du monde et de sa violence.
Et lorsque Mike retourne à Saïgon chercher Nick, Cimino reprend la grande thématique de La Prisonnière du désert : Nick, quand bien même il est encore vivant, est définitivement transformé par la guerre. Il ne pouvait donc être sauvé et sorti de l'enfer où il était désormais.


On remarquera le brio du film à sa façon d'utiliser un motif qui le traverse, celui du « one shot », évoqué par Michaël. Érigé d'abord en principe de chasse (il refuse plusieurs balles) qui est aussi un principe de vie (dans des séquences ou Michaël, perdu au-dessus des nuages, est un demi-Dieu mythologique), ce motif va devenir le symbole terrible de la roulette russe ou, tout au contraire, Michaël réclamera plusieurs balles. Le principe de vie est ici complètement perverti. Le one shot c’est la mort, distribuée au hasard. Et, en fin de film, au moment de retrouver Nick, c'est le motif du one shot qui le perd : Michaël, en l'évoquant, pense le ramener à la raison, mais l'expression est comprise par Nick comme un dernier tour, fatal, de roulette russe.
La toute fin du film laisse un espoir, lorsque que les amis, se retrouvant après les obsèques de Nick, entonnent le God Bless America : la communauté va pouvoir se reconstruire.
On remarquera enfin que ce film exceptionnel a eu un très grand succès critique et public, ce qui n’est pas si courant.



N.B. : On peut bien sûr lire, au travers de ce billet, un hommage à M. Cimino qui est décédé ce jour.



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(1) : Le titre français est ainsi un peu trompeur, il peut laisser croire que l'on va suivre les protagonistes jusqu’au fin fond du Vietnam (un peu comme dans Les Maraudeurs attaquent par exemple), alors que le titre original centre davantage le film sur Michael et ce qu’il éprouve.
(2) : Le thème du retour au pays pour les soldats, central dans beaucoup d’autres films (par exemple Les Plus belles années de notre vie ou Retour à la vie, et, sur la guerre du Vietnam, Rambo ou, beaucoup plus tard, American Sniper) est secondaire ici. C’est beaucoup plus la société elle-même qui intéresse Cimino, plutôt que tel ou tel individu.