mardi 30 septembre 2014

Les Bourreaux meurent aussi (Hangmen Also Die! de F. Lang, 1943)




Film exceptionnel sur la résistance, écrit à chaud (l’assassinat de Heydrich, qui sert d’argument au film, a eu lieu quelques mois à peine auparavant) et qui montre comment une famille, puis bientôt une ville entière, se liguent contre la Gestapo.
Lang, associé à Brecht (association qui fera l’objet de bien des discussions quant à la mésentente ou non entre les deux auteurs), cherche à secouer le peuple américain en faisant un film anti-nazi.
Formellement Lang est d’une maîtrise absolu, il construit son récit avec toujours le même mélange de rigueur et de foisonnement en rassemblant différentes intrigues en une seule, avec des emboîtements successifs : ici les différents pièges, de la Gestapo d’abord pour tenter de confondre Mascha ou Novotny, des Praguois ensuite pour faire croire à la responsabilité du collabo Czaka dans l’assassinat.
La véracité ressentie (certainement due à la réalisation in vivo pendant la guerre) et l’émotion de certaines scènes (le père qui va être exécuté en représailles) sont tout à fait exceptionnelles.


dimanche 28 septembre 2014

Charlot soldat (Shoulder Arms de C. Chaplin, 1918)




Chef d’œuvre de Chaplin, qui est intermédiaire entre ses courts métrages burlesques et ses futurs longs métrages. On sent qu’il a besoin de plus de temps dans un film (le format court le cantonne aux gags) pour que sa pleine expression puisse exploser.
Ici, le choix même du sujet provoque un équilibre entre la comédie et la tragédie. L’œuvre est destinée à être projetée aux soldats au front (1) alors même que la guerre n’est pas finie : rire de la guerre alors qu’une guerre épouvantable est en cours est un grand risque de Chaplin qui est suivi par les producteurs. Ceux-ci imposeront tout de même de changer la fin du film. La dernière séquence, qui voit Charlot se réveiller, permet de tempérer un peu la fougue du film : Charlot n’a pas gagné la guerre a lui tout seul, ce n’était qu’un rêve.
Le film commence par une excellente séquence burlesque : l'entraînement du soldat avant de l'envoyer au front. Cette séquence résume parfaitement le personnage de Charlot : il est inadapté à la société, en marge, et il est aussi inadaptable, quand bien même il cherche à bien faire. Ce personnage en marge, en porte-à-faux, ne peut évidemment pas marcher au pas et satisfaire son sergent. 
C'est intéressant de constater que Kubrick choisira de commencer Full Metal Jacket par la même séquence – la formation du soldat – mais sur un tout autre ton et avec la force que l'on sait.


Certaines séquences sont de grands classiques du burlesque (Charlot déguisé en arbre et confronté à l’ennemi), d’autres montrent le génie de Chaplin, en particulier quand il fait rire à partir de moments de la vie quotidienne du soldat dans les tranchées. Et le mélange sublime et chaplininen du rire et de l’émotion affleure et annonce les longs métrages de Chaplin.



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(1) : Ce texte de Blase Cendrars témoigne de l'extraordinaire popularité de Charlot jusque dans les tranchées (dans Trop, c'est trop, 1965) :
«  Tout le front ne parlait que de Charlot. A la roulante, au ravitaillement, à la corvée d'eau ou de pinard, le téléphoniste au bout du fil, la liaison P.C., le vaguemestre qui apportait les babillardes, et jusqu'à ces babillardes elles-mêmes, d'un copain à l'hostaeau ou d'une marraine de guerre distinguées, ne nous parlaient que de Charlot.
Qui ça, Charlot ? J'en restais rêveur. J'aurais bien voulu connaître ce nouveau poilu qui faisait se gondoler le front. Charlot, Charlot, Charlot, Charlot dans toutes les cagnas et, la nuit, l'on entendait rire jusqu'au fond des sapes. A gauche, à droite, et sur tout la ligne de feu, on se trémoussait. Charlot, Charlot, Charlot.
La ligne d'en face, en revanche, restait dure. En dressant l'oreille, nous entendions de notre petit poste avancé le « Wer da ? » des sentinelles allemandes. Charlot était français.
Un jour, ce fut enfin mon tou d'aller en permission. J'arrivai à Paris. Quelle émotion en sortant de la gare ud Nord, en sentant le bon pavé sous mes godillots et ne voyant pour la première fois depuis le début de la guerre des maisons pas trop chahutées. Après avoir salué la tour Eiffel, je me précipitai dans un petit cinéma de la place Pigalle. Je vis Charlot .[...]
Charlot ! Quelle soirée ! Je riais aux larmes. »

jeudi 25 septembre 2014

Furie (Fury de F. Lang, 1936)




Exceptionnel film de Fritz Lang qui, pour son premier film américain, tire à boulets rouges sur la société qui l'accueille. Alors qu’il fuit l’Allemagne nazie, sa charge est très lourde contre l’Amérique.
Le film est remarquable par la double trame qu'il propose. Lang montre comment la population, influencée par les on-dit et prise en otage par son émotion (il est question du meurtre d'une fillette), peut déborder de haine destructrice. Pour Lang le constat est accablant. Le pauvre Joe Wilson (très bon Spencer Tracy) a le tort d’être au mauvais endroit au mauvais moment et sa bonhomie décontractée tombe en lambeau face à la déferlante qui se déchaîne contre lui.


 

Mais ensuite, après l’attaque de la prison et de la disparition de Joe, c'est un second film qui commence. Car Joe ourdit sa vengeance. Le procès équitable – et justifié – des lyncheurs en devient inéquitable du fait de Joe qui veut aller au bout de sa vengeance. Le procès intenté à ceux qui ont refusé un procès à Joe devient lui-même perverti par une fausse preuve qui accable les accusés. La transformation de Joe, qui s’enferme dans sa haine et sa souffrance, est remarquablement traitée.
Si la fin est optimiste, le spectateur prend de plein fouet le grand thème langien de la culpabilité : nul n’est innocent nous dit Lang. Même Joe, au départ simple victime mais qui devient, progressivement, ivre de vengeance.



On remarquera que les images projetées lors du procès sont autant de preuves de la culpabilité des accusés. La vérité présentée par les images est donc ici présentée comme indiscutable. Mais, dans la réalité, ce n’est pas toujours aussi simple. C'est ainsi que le fameux film de Zapruder, qui aurait pu être une preuve par l'image, ne permet pas de comprendre clairement le déroulement de l'assassinat de Kennedy.

mardi 23 septembre 2014

Entrée des artistes (M. Allégret, 1938)




Le film vaut surtout pour quelques répliques de Jouvet : ses commentaires au théâtre sont exceptionnels (y sont résumés tous les principes du théâtre selon Jouvet lui-même) ; sa tirade au couple de blanchisseurs qui ne veut pas lâcher leur fille est formidable. Pour le reste le film, et en particulier les intrigues amoureuses qui se nouent, est en-dessous.

lundi 22 septembre 2014

Les Tontons flingueurs (G. Lautner, 1963)




Le film vaut évidemment d’abord pour ses acteurs formidables et ses dialogues truculents, les uns et les autres étant le reflet d’un genre et d’une époque et, dans le même temps, légendaires et intemporels.
L’adaptation du roman d’Albert Simonin, si elle a nécessité de nombreuses modifications, a veillé à conserver l’argot, un des grands atouts du roman. De nombreuses répliques de Michel Audiard sont ainsi passées à la postérité. Mais l’équilibre entre l’aspect comique et le ton de film de gangster, qui existe dans le roman, semble difficile à trouver à l’écran. Ainsi le film adopte délibérément un ton comique (quitte à tomber parfois dans le loufoque), quand Touchez pas au grisbi, par exemple, autre adaptation célèbre de Simonin, est traité sur le mode du film de gangsters, sans humour.
Ce film comique qui doit beaucoup aux dialogues reprend la tradition littéraire des grands dialoguistes français (Jacques Prévert ou Henri Jeanson par exemple), habitués aux phrases qui font mouche et destinées à être dites par tel ou tel comédien (Gabin, Jouvet, Herrand, etc.). Ici on sait combien Audiard travaillait ses dialogues en sachant quel acteur (Ventura, Blier, etc.) les dirait et en jouant avec la diction ou le phrasé particulier de celui-ci. Cette fusion entre scénariste et acteurs se ressent parfaitement dans Les Tontons flingueurs, notamment au travers des fameuses répliques qui émaillent le film et qui sont entrées largement dans la culture populaire.


Et le grand plaisir de voir Lino Ventura (qui joue ici son premier rôle comique), Bernard Blier et Cie se saouler, s’envoyer des coups de lattes et autre bourre-pifs est inaltérable.


dimanche 21 septembre 2014

La Horde sauvage (The Wild Bunch de S. Peckinpah, 1969)




Important western (même s'il est très surcoté), qui marque une étape décisive de l’évolution du genre. En effet, en faisant s’entre-tuer des hors-la-loi, des mercenaires et des Mexicains (le film s’ouvre et se termine par un carnage), Sam Peckinpah dissout dans la violence toute la richesse du western. Exit les réflexions sur la Frontière, sur la constitution de communautés ou sur les premières villes de l’Ouest. Exit l’ancien manichéisme (dépassé depuis longtemps par les westerns des années 50 et 60) et l’héroïsme : il n’y a ici que des brutes sanguinaires. Exit donc les complexités des personnages : on se pose peu de questions (si ce n’est celle, intime, que se pose le spectateur : jusqu’où cette violence ira-t-elle ?). Mais il n’y a rien d'autre, ici, qu’une violence terrible, déballée comme une névrose, à la fois comme un point de départ et comme une solution.
Le film, très influencé par les westerns italiens, en particulier ceux de Sergio Corbucci, célèbres pour leur violence débridée, les dépasse en quelque sorte : ici c’est le western en tant que genre qui semble annihilé par ces massacres.

Peckinpah en  a bien conscience : tout au long du film les personnages sont des morts en marche, qu’il s’agisse de la bande de tueurs de Bishop ou de ceux qui les poursuivent, menés par Thornton. Et les personnages eux-mêmes en ont conscience, notamment lorsque les quatre de la bande, Pike Bishop en tête, vont réclamer aux Mexicains leur camarade : ils savent parfaitement que c’est là le dernier acte, qu’ils ne marcheront plus longtemps, que bientôt les hommes de l’Ouest ne seront plus. Thornton, désabusé, restera longtemps appuyé contre le mur : ce massacre final, monumental bain de sang, ne laisse rien survivre du monde d’avant.


Peckinpah renforce cette impression en s'appuyant sur deux grandes stars vieillissantes, William Holden et Robert Ryan : ils campent parfaitement des personnages d’un autre temps, dépassés par la violence qu’ils ont contribué à déclencher, incapables de faire autrement.

Deke Thornton (Robert Ryan) lucide et désabusé
Le film est évidemment célèbre pour plusieurs séquences de massacre : c’est là l’apothéose du style de Peckinpah, à propos duquel on parle pompeusement de « stylisation de la violence ». Peckinpah filme les impacts de sang qui éclatent sur des corps qui se tordent sur eux-mêmes. Il est bien difficile aujourd’hui de regarder ces images en se replaçant dans un contexte innovant : cette manière de filmer la violence est devenue un des grands poncifs des films d’action. Ici Peckinpah innove, invente et, dans le même temps, parvient à l’outrance : la séquence finale est un déluge de feu et de sang, qui se déclenche sur un jeu de regards (le massacre aurait pu – aurait dû – ne pas avoir lieu) et qui n’épargne personne.
On voit bien à quelle outrance aboutit la disparition du code Hays et le prétexte de styliser la violence : c’est un déluge de sang qui est capté par la caméra. Dans ce sens La Horde sauvage ouvre une nouvelle voie dans le cinéma d’action : celle des déferlements de violence et des barbouillages de sang. Cette voie – outrancière et qui a bien du mal à parvenir quelque part – sera malheureusement empruntée par de nombreux réalisateurs.

Pike Bishop (William Holden) dans la séquence finale

jeudi 18 septembre 2014

Le Prénom (A. de La Patellière, 2012)





Petit film aux allures de pièces de théâtre. Parfois amusant il se veut un jeu social un peu bobo, un peu critique, autour d’un thème très classique (un quiproquo – ici une blague autour du prénom d’un futur enfant – sert de révélateur à tout un tas de non-dits).
Mais le film n’apporte guère de surprise ni une quelconque émotion.

lundi 15 septembre 2014

Bunny Lake a disparu (Bunny Lake is missing de O. Preminger, 1965)




Très bon thriller de O. Preminger. Dans un style très sophistiqué, il parvient à captiver et à distiller une ambiance étrange et très hitchcockienne.
Ann Lake, nouvellement arrivée à Londres où elle est venue rejoindre son frère, dépose sa fille Bunny le matin dans sa nouvelle école, mais, en fin de journée la petite fille a disparu. Bien pire : personne ne l’a vue de la journée. Ann, bientôt aidée de son frère et de la police cherche la petite fille.
On s’interroge longtemps sur la réalité de ce qui se déroule, sur ce qui a pu se passer, sur l’existence même de Bunny Lake. Preminger s’approche alors du visage de Ann pour scruter le cauchemar qui prend forme sous nos yeux : est-elle folle ?
Les seconds rôles hauts en couleur et étranges ajoutent à la bizarrerie dans laquelle plonge le film. Le spectateur ne sait trop quelle direction prendre : s’agit-il d’un enlèvement d’enfant ou de la folie d’une femme ?



C’est le monde de l’enfance qui est scarifié par Preminger : il utilise les ressorts du conte, des passions enfantines et les tord rageusement (poupée brûlée, colin-maillard qui doit permettre de s’échapper, balançoire affolante, etc.).
Laurence Olivier – qui incarne la raison rassurante – est parfait et Keir Dullea interprète un Steven Lake (le frère de Ann) qui n’est pas sans rappeler Norman Bates.

samedi 13 septembre 2014

Les survivants de l'infini (This Island Earth de J. Newman, 1954)



Important film de science-fiction des années 50, Les survivants de l'infini bénéficie d'un scénario original et passionnant. Deux scientifiques sont embarqués dans un voyage merveilleux et vont découvrir une planète en train de mourir et avec eux leurs occupants, ce qui explique qu’ils veulent coloniser la Terre.
C’est l’occasion pour le réalisateur à la fois d’emporter les spectateurs dans un space-opera assez poétique (à grands renforts de décors de toiles peintes), mais aussi de montrer avec une certaine mélancolie un monde qui se meurt. Bien sûr il y a là une métaphore (très en avance sur son temps) de la Terre dont le destin est peut-être similaire à Métaluna.


Les effets spéciaux sont, évidemment, complètement dépassés (alors qu’ils étaient salués comme étant le point fort du film à l’époque !) mais ces premiers efforts donnent au film un charme désuet.
On remarquera que le film porte en germe de nombreuses idées qui seront reprises au cours des décennies suivantes. Les extraterrestres d’Independance Day, par exemple, viennent coloniser la Terre quitte à épuiser ses ressources, pour ensuite aller en coloniser une autre. Et Tim Burton saura se souvenir de l’apparence du mutant que doivent affronter les héros lorsqu’il composera ses Martiens dans Mars attacks!

Le mutant des Survivants de l'infini
Un martien agressif dans Mars attacks!

jeudi 11 septembre 2014

Les Enfants du paradis (M. Carné, 1945)




Film célèbre et éblouissant, Les Enfants du paradis est un incontestable chef-d’œuvre. Marcel Carné et Jacques Prévert trouvent ici un ton parfait, à la fois dans l’équilibre entre l’aspect romantique et l’aspect théâtral, mais aussi dans le portrait d’individus très contrastés. Et Carné parvient, en plus de ces portraits travaillés d’individus, à reconstituer la vie foisonnante du boulevard du Crime dans le Paris du XVIIIème siècle. Malgré les contraintes du tournage en pleine guerre, malgré la censure de Vichy, une poésie inaltérable, gracieuse, et très belle enrobe le film.

Le boulevard du Crime
Le film est porté par des acteurs extraordinaires, dont le jeu permet de dépasser le classicisme de la mise en scène de Carné et d'inscrire l'oeuvre dans la mémoire des spectateurs, en particulier Arletty (délicieuse en Garance), Jean-Louis Barreault (qui joue à merveille le mime Deburau), Pierre Brasseur (son Frédérick Lemaître est inoubliable) et Marcel Herrand qui compose un Lacenaire fascinant.

Marcel Herrand en Lacenaire
Il est remarquable que, alors que les dialogues de Prévert sont célèbres à juste titre, le numéro de mime de Jean-Louis Barrault, soit lui aussi inoubliable. L’idée de départ était d’ailleurs un film sur le mime Deburau, mais il est devenu, en plus de ces scènes de mime, un des plus beaux films de dialogues. On a en effet un superbe entremêlât de tons, avec la gouaille naïve d’Arletty, la verve de Pierre Brasseur, la causticité de Marcel Herrand ou encore la froideur hautaine de Louis Salou.
C’est ainsi que se dessinent des personnages variés, poétiques, rêveurs, ambitieux, orgueilleux ou idéalistes. Et c’est cette galerie de personnages qui épaissit le film et l’enrichit remarquablement, bien plus que les relations entre les personnages, qui sont en fait assez sommaires (relations d’amour et de jalousie principalement).
Ces récits entremêlés convergent tous vers la même triste conclusion : celle de l’impossibilité de l’amour à rendre heureux. Les amours légers de Frédérick Lemaître, aussi bien que l’amour romantique de Baptiste ou celui possessif de Nathalie, rien n’y fait, chacun des personnages, à sa façon, vit tristement.
Cette conclusion, un peu simple et naïve (on a là la touche de Prévert…) mais touchante, tranche avec le ton du film, en particulier sa première partie, enlevée et truculente.

On se souvient que Truffaut, encore critique, éreintait Carné de ses critiques acerbes, avant de lui avouer, bien plus tard, devenu réalisateur, qu'il donnerait tous ses films pour avoir réalisé Les Enfants du paradis...

Jean-Louis Barrault et Arletty

mardi 9 septembre 2014

Image-action et image-temps



Gilles Deleuze (dans L’Image-mouvement et L’Image-temps, 1983 et 1985) propose de classer les images en deux grands types :

- Tout d’abord des images qui fonctionnent selon un schéma sensori-moteur, c’est-à-dire des images qui présentent une situation, situation qui va engendrer une action (ou une suite d’actions tout au long du film). Cette action va provoquer une modification de la situation initiale, amenée vers une situation finale. Par exemple, dans La Rivière rouge de H. Hawks, le troupeau de vaches est emmené d’un point A vers un point B suite aux aventures racontées dans le film : les actions ont modifié la situation initiale. Deleuze rassemble ce type d'images sous le terme d'image-mouvement (c'est le mouvement qui est filmé).

- Mais tous les films ne suivent pas ce mécanisme. Ils ne montrent pas tous des situations réellement changées par des actions. Dans d'autres films, en effet, l’image ne montre pas l’action, elle montre le temps qui se déroule. C’est ce que Deleuze appelle l’image-temps. C’est le lot des films modernes, c’est-à-dire ceux qui montrent des héros qui errent sans but réels, qui ne sont pas motivés par une action bien déterminée, qui se laissent porter. De Taxi Driver à Pierrot le fou en passant par L’Avventura ou Blow-Up, on est dans cette image-temps. Pour Deleuze (et la chose est contestable) l’âme du cinéma est maintenant dans l’image-temps.

Bien sûr cette classification des images est intéressante mais ne doit sans doute pas être prise au pied de la lettre (c'est-à-dire qu'il ne faut pas chercher à classer impitoyablement chaque film ou chaque séquence). Elle doit surtout permettre d’enrichir les réflexions de chacun.

dimanche 7 septembre 2014

True Romance (T. Scott, 1993)




Histoire assez classique, celle d’un couple qui se forme tout en cherchant à fuir des grands méchants qui veulent leur peau pour une histoire de drogue volée. L’histoire n’a guère d’originalité, la fin baigne dans le sang façon Scarface de De Palma.
Il faut noter un hommage appuyé à Badlands : dans les deux cas il s’agit de l’errance d’un couple qui se constitue et l'ouverture ressemble à celle de Badlands, avec la voix off de l’héroïne sur une musique très proche du Gassenhauer de Carl Orff qui scande les premières minutes du film de Malick.

On ne sait trop pourquoi True Romance a une réputation de film culte. Peut-être est-ce dû à Tarantino qui a signé le scénario (on devine par là-même un scénario simple, qui se veut un peu drôle, sans grande finesse et qui est rempli de personnages caricaturaux). On retrouve, en filigrane du film, à la fois les goûts de Tarantino (ceux des vidéoclubs, du cinéma d'arts martiaux, etc.) et plusieurs idées qui reviendront dans Pulp Fiction ou Tueurs nés (dont Tarantino fut un des scénaristes). Peut-être est-ce dû au casting étonnant : le film est rempli d’acteurs de renom (de Dennis Hopper à Brad Pitt, en passant par Christopher Walken ou Gary Oldman). Mais c’est plus anecdotique qu’autre chose, la plupart de ces acteurs ne faisant que de brèves apparitions ou de petits rôles (et T. Scott s’amusant à tuer assez vite nombre de personnages).

samedi 6 septembre 2014

La Femme d'à côté (F. Truffaut, 1981)




Un des meilleurs films de François Truffaut, sur le thème simple et rebattu de la passion amoureuse. Mais Truffaut parvient à mener son couple à un point d’incandescence rarement atteint, montrant combien la passion et la destruction sont proches et combien la morsure de l’amour peut faire saigner.
Car la passion qui relie Bernard et Mathilde est absolument incontrôlable et irrésistible, fatale. Le film montre l’irruption de cette pulsion sauvage au sein de la société civilisée et policée. Et Mathilde agit et tente, quand Bernard, lui, succombe (le titre signale ce mouvement de lui vers elle).
Truffaut glisse dans son film, au travers de Mme Jouve, porteuse du récit, qui ne veut pas revoir cet ancien amant qui revient, la seule issue possible : ne plus voir l’autre. Or Bernard et Mathilde se revoient et, tour à tour, s’écroulent sous le poids de leur passion ; passion qui, à nouveau, fatalement, emporte tout. Et il n’est rien qui puisse l’apaiser, ni le quotidien, ni le temps, ni la vie de famille, ni les convenances sociales, ni les bonnes résolutions.
Et Truffaut met toute sa vista pour conduire avec une limpidité évidente cette histoire brûlante. Quant à Gérard Depardieu et Fanny Ardant, ils forment un couple exceptionnel, lui faisant bouillir en lui cette passion, elle se consumant.


jeudi 4 septembre 2014

Laurence anyways (X. Dolan, 2012)




Très bon film de Xavier Dolan qui montre un incroyable maîtrise de la mise en scène (Dolan n’a alors que 23 ans !). Son style lyrique explose : il éclaire ou rythme ses images à loisir, s’écarte ou se rapproche de ses personnages, joue avec sa narration (de grands flash-backs sont imbriqués les uns dans les autres), envoûte avec une bande-originale remarquable, le tout sur une longueur hors norme (2h47) et sur un sujet difficile.

Le film, en effet, suit le parcours de Laurence, professeur québécois, qui annonce à sa petite amie Fred qu’il veut devenir la femme qu’il s’est toujours senti être. Il décide alors de franchir le pas et de s’habiller en femme, de se vivre femme. Le film explore alors la réaction de la société, de sa famille, et surtout de Fred, à ce changement d’apparence de Laurence.
Plus qu’un film sur la transsexualité (on est assez loin, malgré le thème, des films d’Almodovar), c’est un film qui réfléchit à ce qu’est la marge par rapport à la norme.
Et, au-delà des réactions diverses de la société (acceptation du changement par un ami collègue, mais rejet par l’institution ; regards dans la rue ; remarques ou agressions diverses ; choc frontal – dans un premier temps – avec la mère de Laurence), c’est le devenir de sa vie avec Fred qui est au centre du film. Ce que suppose le choix de Laurence (non pas son choix de se sentir être une femme, mais celui de décider de vivre comme une femme) c’est de devoir renoncer à Fred alors qu’ils s’aiment. C’est là que la norme est réellement testée. Fred, au plus profond d’elle-même ne parvient pas à accepter que Laurence se sente une femme, malgré leur amour et bien qu’ils ne puissent vivre l’un sans l’autre. C’est là qu’est la résistance, c’est là que Laurence ne peut être heureux en femme, non pas tant par la société qui le rejette (il est déterminé à vivre selon son ressenti malgré les regards et l’ostracisme), mais par sa relation devenue impossible avec Fred. La question en exergue sur l'affiche (« Will the woman he wants love the woman he wants to be » ?) montre bien l'importance clef de cet aspect. La question est complexe d'autant plus que la mère de Laurence, qui s'opposait frontalement à ce changement de son fils, lui explique, des années plus tard, voir en lui une fille qu'elle aime.
La norme profonde est donc celle qui est inscrite en Fred et l'empêche de continuer à vivre avec Laurence, malgré son tempérament tout feu tout flamme et exacerbé, malgré son amour pour Laurence.
C'est ainsi que Laurence anyways dépasse les autres films qui traitent de ce thème de la marginalisation (et qui s'arrêtent bien souvent à la norme à l'échelle de la société) en allant explorer, à l'intérieur des individus les plus proches, les réactions intimes qui se font malgré soi.

mardi 2 septembre 2014

New York-Miami (It Happened One Night de F. Capra, 1934)




Très célèbre comédie de Capra, qui pose plusieurs bases du genre et qui a, aujourd’hui encore, un charme certain. Il s’agit du premier road-movie du cinéma mais dont le trajet est inverse à celui du titre français, bien malvenu. Ce parcours à la fois hors des grandes villes et hors de la société permet à Peter et Ellie de se révéler à eux-mêmes autant qu’à l’autre. Ils sortent ainsi des caricatures faciles auxquelles le début du film les avait confinés (le journaliste arriviste et l’enfant gâté capricieuse).
Capra lorgne du côté des récits d'aventures et se permet de multiples connotations sociales qui sont autant de mini-divergences et qui viennent enrichir le récit (la mère qui tombe d’inanition par exemple, etc.) et apporter des touches insolites amusantes.
La situation plusieurs fois reprise du drap tendu en un mur de Jéricho est très bonne et permet un happy end final qui boucle la boucle. A ce final fait écho le titre original, « It Happened One Night », étonnamment osé pour l’époque (puisqu’il fait bien allusion à ce qui se passe la nuit).
Et puis, il faut bien dire, Clarke Gable croque des carottes comme personne (il a même, semble-t-il, inspiré le personnage de Bugs Bunny).