lundi 30 janvier 2023

Barbaque (F. Éboué, 2021)

 



Amusante comédie horrifique de Fabrice Éboué qui parvient à se hisser au-dessus du tout-venant fatigant et vain des comédies françaises produites en masse.
Il faut dire que Barbaque – avec son histoire de boucher qui se met à tuer des vegans pour mieux les vendre, ensuite, dans la boucherie familiale, sous forme de jambons ou de rôtis – a le bon goût de renvoyer dos à dos à la fois les bouchers et les vegans, chacun étant ridiculisé. Entre le boucher beauf et raciste et le vegan ridicule et extrémiste, le film ne choisit pas et cogne sur les deux. Il nous fait ainsi grâce d’une quelconque morale, qui était le grand risque d’un tel film (et qui ne nous est guère épargné, malheureusement, dans la majorité des comédies françaises).

Le cannibalisme, au cœur du sujet, s’il pouvait emmener le film du côté du New French Extremism, est le ressort comique efficace du film. Entre humour noir, scènes de chasse, métaphores, comique de situation et comique de répétition, les scénaristes s’en sont donné à cœur joie.

Et le petit artifice final (envoyer le couple de bouchers au cœur de l’émission de télé qui jalonne le film) est une jolie manière pour le scénario de s'en sortir et de retomber sur ses deux pieds.

 



jeudi 26 janvier 2023

La Bataille des Ardennes (Battle of the Bulge de K. Annakin, 1965)

 



Film de guerre assez quelconque, où Hollywood s’occupe de représenter la dernière contre-offensive allemande à l’hiver 1944.
Sans grande conviction, le film de Ken Annakin n’offre guère plus que quelques séquences intéressantes. De même, si la distribution impressionne (Henry Fonda, Robert Ryan, Dana Andrews, Charles Bronson…), il n’y a guère que Robert Shaw qui soit convaincant en colonel allemand. Dans la foulée de Bons baisers de Russie, l’Est lui va à ravir.

Pour le reste, malgré les près de trois heures de projection, on n’est guère pris par ces mouvements de chars, ces généraux qui ne veulent pas comprendre, ces soldats dilettantes pour les uns et héroïques pour les autres.

 



mardi 24 janvier 2023

Sans filtre (Triangle of Sadness de R. Östlund, 2022)

 



Film très quelconque de Ruben Östlund, à peine sauvé par quelques séquences ou images presque burlesques. La séquence d’introduction (avec le casting de mannequins) est réussie et prometteuse mais, ensuite, le film n’a guère d’intérêt, perdu entre des blablateries de couples, des regards conventionnels sur la hiérarchie des classes ou la robinsonnade ridicule, mâtinée de matriarcat. Tout cela est sans saveur et sans originalité, se perd dans une dénonciation tous azimuts et, hormis une ou deux images (le Nutella livré en hors-bord, le capitaine haut en couleur ou le dîner de gala qui finit avec des relents de La Grande Bouffe), on oublie vite ce Sans filtre sans intérêt.

Il y a longtemps que le Festival de Cannes a perdu toute crédibilité, mais, une nouvelle fois, il délivre sa prestigieuse récompense à un film de second rang, auquel on se demande ce que le jury a bien pu trouver.




vendredi 20 janvier 2023

Avatar : La Voie de l'eau (Avatar: The Way of Water de J. Cameron, 2022)

 



Dans ce pensum mou, lent et empli de bons sentiments, jouant tout sur la beauté de l’image, James Cameron, sans grande surprise, déçoit.

Concentré sur l’image – après la 3D c’est maintenant le nombre d’images par seconde qui se veut la grande nouveauté technologique –, se fourvoyant dans une ambition presque documentariste (on a l’impression de voir un documentaire sur une planète fictive), Cameron en oublie ses points forts cinématographiques, à savoir le rythme d’un film, qu’il savait parfaitement doser, par exemple dans Abyss ou Titanic, et il sombre dans de longues séquences où la narration s’arrête presque, étirant en longueur des passages obligés (l’arrivée dans une nouvelle tribu, l’accueil, l’initiation, etc.) et laissant le spectateur s’endormir doucement.

Sans cesse, au cours de sa carrière, Cameron aura rallongé ses films, à mesure qu’il les aura augmentés de discours sucrés, passant d’un film sec et massif comme Terminator, jusqu’à Avatar : La Voie de l'eau, donc, dégoulinant de bons sentiments.

Il faut dire aussi que, puisque Cameron réutilise l’univers qu’il avait créé pour le premier opus, il n’y a plus de nouveau regard sur un nouveau monde, plus de surprise, plus d’immersion, autant d’éléments qui étaient une réussite d’Avatar. Il n’utilise plus, non plus, le passage incessant entre le monde des humains et celui des avatars, basculant ici presque totalement dans le monde numérique. Il reste une simple beauté plastique et fluide, mais qui garde sans cesse une patine numérique que l’on retrouve partout, aussi bien dans l’eau que sur les bêtes ou la peau des Na’vis eux-mêmes. Cet univers très beau à l’image, garde toujours quelque chose de superficiel et  numérique.

Et si l’on sait depuis longtemps que Cameron est animé de sentiments douceâtres et naïfs qu’il saupoudre tout au long de ses métrages (on se souvient de la morale d’Abyss qui était déjà faite d’amour, d’eau fraîche et de bons sentiments), ici il déploie un discours lénifiant, rajoutant à toutes les couches déjà vues dans le premier opus un discours sur la famille convenu et pesant. On subit même les frasques des adolescents (entre rébellion et amours naissantes) ou les rivalités entre femmes. Rien ne nous est épargné.

Le scénario se réduit encore par rapport au film d’origine (si c’était possible) puisqu’il n’est même plus question de sauver la planète d’un complexe militaro-industriel sans pitié mais simplement d’échapper à la vengeance du méchant colonel, revenu d’entre les morts. Ce qui d’ailleurs est curieux parce que pendant que Jake s’enfuit avec sa famille, on oublie de dire que la forêt, très certainement, se fait gaillardement exploiter et détruire puisque voilà Jake parti, ce qui était le but de la manœuvre de la part des « hommes venus du ciel ».

Et ce qui faisait le cœur du discours cinématographique de Avatar – derrière le prêchi-prêcha écolo –, à savoir son rapport à la Frontière, son héros paraplégique qui, à l’instar de James Stewart dans Fenêtre sur cour, parvenait à agir malgré tout, ou encore sa dimension comme film de gamers, tous ces thèmes donc, qui dépassaient un scénario très simpliste, sont ici aux oubliettes. Derrière la petite histoire de Sully qui cherche à protéger sa famille de la vengeance du grand méchant loup, il n’y a rien. C’est à peine si l’on s’amuse de quelques citations (avec des clins d’œil à Titanic ou à Abyss).

Et bien que l’on ne sache pas si la nature sauvage de Pandora subit les mêmes forces évolutives que sur Terre (quoique, à voir les différences de morphologie entre peuple de la forêt et peuple de l’eau, il semble bien que la sélection naturelle prévale), on note, histoire de suivre le jeu évolutionniste de Cameron et de sa planète, qu’il est étrange que le peuple de la forêt ait la peau bleue quand, de son côté, le peuple de l’eau a la peau… verte.




mercredi 18 janvier 2023

Paris brûle-t-il ? (R. Clément, 1966)

 



Film célèbre mais très conventionnel de René Clément, Paris brûle-t-il ? est l’occasion pour le réalisateur de reprendre son sujet favori, puisqu’il a déjà traité de la guerre et de la résistance à travers des films aussi divers que La Bataille du rail,  Jeux interdits, Les Maudits ou Le Père tranquille.

Mais ici l’ampleur voulue du film empêche tout travail de fond sur les personnages (beaucoup trop nombreux) où sur l’action elle-même et le film apparaît comme un ensemble de coups d’éclats, traités au travers de saynètes qui se succèdent à l’écran. Cette somme mise bout à bout a bien du mal à donner une cohérence au récit.

Mais là n’est pas, bien sûr, l’intérêt principal du film. Il est dans son casting incroyable, ce qui entraîne l’apparition à l’écran, fut-ce pour quelques secondes à peine, d’une ribambelle d'acteurs. Cela dit, si cette idée nuit grandement au récit, elle est assez réjouissante puisqu’elle est l’occasion de voir apparaître ou de reconnaître tel ou tel acteur, parfois très prestigieux. On retrouve donc, dans Paris brûle-t-il ?, reprenant en cela la formule du Jour le plus long ou du Napoléon de Guitry, une incroyable pléiade d’acteurs français (de Delon à Belmondo en passant par Yves Montand, Charles Boyer, Claude Rich, Michel Piccoli, Daniel Gelin, Bruno Crémer...) ou américains (Kirk Douglas, Glenn Ford, Orson Welles...). Et il faut bien admettre que, à l’heure où ce sont maintenant des castings de stars du show-business qui envahissent certains films (stars de talk-shows, du sport, ou de la chanson), voir ainsi se succéder à l’écran tant de grands acteurs est un vrai plaisir. C’est ainsi que, aujourd’hui, alors que le cinéma devient de plus en plus une émanation de la télévision (Astérix aux jeux Olympiques en étant le prototype ultime), Paris brûle-t-il ? devient, sans doute, toujours plus plaisant pour les cinéphiles.

 



lundi 16 janvier 2023

Le Petit fugitif (Little Fugitive de R. Abrashkin, 1953)

 



Cet important film de Raymond Abrashkin raconte une histoire très simple sans chercher à lui imprimer une tension, un rythme ou un artifice particulier. S’il peut sembler aujourd’hui un film mineur, Le Petit fugitif, au-delà de ce qu’il raconte, revêt, au regard de l’histoire du cinéma, une grande importance. Il est en effet comme un trait d’union américain entre deux grandes étapes fondamentales du cinéma européen : il vient en effet s’intercaler entre le néoréalisme italien et la Nouvelle Vague française.

Abrashkin reprend en effet la grande idée de Rosselini ou De Sica en descendant avec sa caméra dans la rue pour filmer l’errance d’un enfant, parmi les passants, cachant sa caméra et saisissant des moments de vie sur le vif. Loin des studios, sans acteurs professionnels, le film se construit in situ et capte comme elle vient toute l’agitation du parc d’attractions de Coney Island. S’attachant à suivre les pas d’un enfant, le film évoque Allemagne année zéro, la tragédie en moins.

Mais l’histoire de ce petit garçon qui s’échappe et passe un week-end parmi les attractions, annonce, évidemment, Les Quatre cents coups, un peu comme si Le Petit fugitif montrait les frasques d’Antoine Doinel quand il avait sept ans. Et l’utilisation de la caméra à l’épaule, très novatrice et permettant la discrétion et donc la saisie sur le vif, captivera Jean-Luc Godard.





jeudi 12 janvier 2023

Les Banshees d'Inisherin (The Banshees of Inisherin de M. McDonagh, 2022)

 



Martin McDonagh n’a réalisé que peu de films mais ils sont assez variés – aussi bien dans leur qualité que dans leur genre – et le réalisateur a tendance à se bonifier puisqu’après avoir successivement réalisé un premier film bien terne (Bons baisers de Bruges) et un deuxième largement oubliable (Sept psychopathes), Les Panneaux de la vengeance était réussi. Avec Les Banshees d’Inisherin, si l’originalité apparente du sujet, sa belle interprétation et son cadre magnifique masquent un discours très convenu, il faut néanmoins reconnaître que McDonagh procède d’une manière insolite pour parler de la guerre. C’est que, derrière la discorde entre deux amis, le réalisateur a autre chose en tête.

Le film s’ouvre sur une brouille entre deux amis, brouille traitée sur un mode semi-comique du fait de la personnalité de Pádraic parfaitement campé par Colin Farrell. Cette première partie est très réussie, le spectateur plongeant sur fond de folklore irlandais dans un univers loin de tout, sur cette petite île à la beauté sauvage, aux chemins rocailleux et aux murets de pierres. Mais on ignore s’il s’agit d’une accroche ou bien si l’on tient là le cœur du film. Le doute est levé lorsque Colm s’inflige des automutilations, ce qui donne au propos une tension à la fois dramatique et très violente. C’est que le film cherche avec une certaine réussite à mélanger les tons, avec des plans ou des remarques comiques au milieu d’une humeur générale lourde et réaliste, même si le film tombe par moment dans le Grand-Guignol (Colm qui vient jeter ses doigts coupés sur la porte de Pádraic).
L’interprétation est un beau point fort avec Colin Farrell qui tient très bien un rôle difficile : son personnage un peu simplet se modifie peu à peu pour basculer en fin de film dans une haine définitive épaissie d'une complexité psychologique qu'il n'avait pas. L’acteur parvient à ne pas trop en faire et le film repose beaucoup sur sa performance. 
Cela dit, si McDonagh capte très bien la beauté sauvage de l’Irlande, il n’en montre pas sa rigueur et sa dureté, dureté qui aurait servi son propos. Le paysage évoque d’ailleurs La Fille de Ryan, où la nature servait un film romantique, loin du ton des Banshees d’Inisherin. Ici on ne voit guère qu’une Irlande verte et ensoleillée et non pas une terre âpre, austère, froide, humide ou venteuse, Irlande qui rendrait les hommes durs, les fermerait et scellerait leurs visages. 

Dans cette île d’Inisherin qui est une petite Irlande, la métaphore de la guerre civile – métaphore qui reste discrète tout au long du film – est clairement assumée dans la dernière séquence du film. On y voit les deux amis irréconciliables qui parlent de la guerre au loin mais on comprend qu’il parle d’eux et de la haine qui, désormais, les sépare. Et quand ils s’en retournent chacun de leur côté, ils sont séparés, dans le plan, par la vieille femme qui symbolise la mort. Le dialogue est ici très habile (ils commentent la guerre au loin – disant qu’elle ne se terminera jamais – mais, en fait, ils parlent de leur guerre entre eux deux) alors que le film, tout du long, a fait exactement le contraire : en parlant de ces deux amis dont la fâcherie vire à la haine, c’est de la guerre civile dont il est question. Et cette métaphore est très bien tenue : la guerre civile, nous dit le film, naît entre frères, sans raison véritable, elle est excessive, délirante et sanglante.
L’automutilation est une image parfaite d’un peuple qui s’entretue et la haine, en fin de film, a pris place à l’amitié : il n’y a plus de réconciliation possible, tout ce qui pouvait unir a été balayé. Ce qui se joue dans cette petite île au large de l’Irlande reflète parfaitement ce qui se joue là-bas, sur la grande île, et dont on n’entrevoit que quelques échos et quelques explosions au loin.

Cela dit – et c’est là que le bât blesse et que le film déçoit –, même si la métaphore est très bien menée, si le film est, en définitive, une fable sur la guerre et qu'il montre très bien le passage de la gentillesse à la haine chez 
Pádraic (soit le passage de la paix à la guerre sans concession), on est un peu navré que le réalisateur ne dise rien d’autre sur la guerre que des banalités : la guerre n'a aucun sens, nous dit-il, elle est inutile et horrible. Difficile, en définitive, de faire plus convenu.