lundi 16 septembre 2024

Oranges sanguines (J.- C. Meurisse, 2021)

 



Film surprenant de Jean-Christophe Meurisse mais qui, sous des dehors volontiers choquants, est finalement assez décevant.
Le film développe pourtant un scénario qui part dans plusieurs directions et qui s’ingénie à faire se croiser les personnages, souvent dans des moments d'abord comiques qui deviennent ensuite plus grinçants à mesure que la scène s'étire. Certaines séquences sont très réussies et drôles mais d’autres en revanche ne prennent pas du tout (les colères soudaines dans le jury de rock ou le dîner familial au restaurant, faussement acide et en fait très banal). Et Meurisse n’hésite pas, dans des séquences qui se veulent outrancières et choquantes, à secouer le spectateur avec le ministre drogué et violé (le film propose ici une version française du redneck dégénéré de Delivrance) ou l’adolescente Louise d’abord violée puis vengeresse qui émascule bientôt son bourreau. Certaines scènes relèvent du film de genre, tout en lorgnant du côté de Tarantino (Pulp Fiction, par exemple, est clairement cité).
Mais ce qui gêne le plus, peut-être, dans le film, c’est que derrière une image qui se plaît à aller jusqu’au trash le plus gore, le discours du réalisateur est bien loin d’être subversif. Et ce qui pouvait être un joli jeu de massacre tombe finalement à l’eau. En effet, l'on s’aperçoit peu à peu que le film, bien loin d’aller jusqu’au bout de son idée, finit par retomber sur des bases bien sages : les gentils s’en sortent, les vilains sont punis. Et même le couple de vieux endetté, s’il se suicide, n’est pas accablé : dans une belle séquence, leur mort est filmée avec une sérénité douce-amère qui dénote au milieu de scènes beaucoup plus violentes.
Le film ensuite, propose même une succession de conclusions qui viennent appuyer la bonne morale : le ministre vicieux et cynique est définitivement humilié, le pervers fou martyrisé, Louise vengeresse est innocentée. Tout retombe bien sagement sur ses pieds. De sorte que cette volonté de choquer n’en est pas une : il n’y a que l’image qui est subversive et volontiers trash, alors que le discours reste lui politiquement correct, en allant même très loin dans ce sens avec Louise qui va jusqu’à chercher l’approbation du spectateur par un clin d’œil de connivence très malvenu. Malgré les apparences, il semble donc que le réalisateur n’ait pas grand-chose à dire. Et c’est là, sans doute, que Meurisse fait fausse route : il est bien difficile de choquer tous azimuts tout en ayant une morale impeccablement bien-pensante.
Si le ministre avait retourné à son avantage son viol (retournant finalement le retournement qu’il subit), la chose aurait été autrement acide ; si le détraqué sexuel émasculé s’en était sorti tandis Louise avait pris quinze ans de prison (au lieu d’être libre et acclamée par les féministes), là aussi le malaise aurait été autrement plus grand. Tout le contraire, finalement, de ce que fait le film, qui réhabilite les bons et achève les méchants. Et comme l’avocat jusque-là falot sauve finalement Louise, alors le film se devait de punir le chauffeur de taxi qui l’avait humilié. Ce qu’il ne manque pas de faire dans le générique de fin. La morale est sauve et les salauds sont punis. Ce n’est pas précisément l’idée que l’on se fait d’un film corrosif.



vendredi 13 septembre 2024

Whiplash (D. Chazelle, 2014)

 



Dans son deuxième long métrage, Damien Chazelle nous emmène du côté off de la scène, dans les méandres d’une école de jazz réputée, lors des répétitions et de l’apprentissage d’Andrew, jeune batteur qui veut percer. Si Damien Chazelle cherche à capter quelque chose de la virtuosité des artistes il passe pourtant, nous semble-t-il, à côté de son sujet.
En effet Whiplash, essentiellement didactique, illustre les sacrifices demandés ou attendus pour parvenir à réaliser un rêve. Mais le film souffre de n’être qu’une illustration : il ne cherche pas à émouvoir musicalement et l’on voit Andrew dans ses efforts, ses échecs et ses réussites, ses espoirs et ses déceptions, mais on ne le voit pas dans une dimension artistique. Il n’y a pas d’émotion dans ce qu’il produit. Le spectateur n’est pas non plus le public que le film refuse obstinément au jeune batteur : seul Terence Fletcher, l’intransigeant chef d’orchestre, est son juge.
De sorte que le sous-entendu du film est tout de même surprenant : il confine l’aboutissement du musicien à la virtuosité technique. Comme si Charly Parker – dont il est souvent question dans le film – n’était qu’un virtuose. Non bien sûr, loin s’en faut, il était bien davantage : il possédait un génie créatif, tout ce qui ne s’apprend pas, tout ce qu’avaient, en réalité, les grands musiciens de jazz dont nous parle le film. Mais il n’y a rien de tout cela ici : mesurée par le terrible Fletcher, seule la capacité du batteur à tenir un rythme complexe ou très rapide sera décisive. Le musicien, réduit à une dimension technique, apparaît comme un simple artisan performant mais non pas comme un artiste.
Et l’on reste circonspect devant ce Fletcher jusqu’au-boutiste qui a tout du sergent Hartmann (Full Metal Jacket est clairement cité). Il exige la perfection technique et reste seul maître du choix (encore une fois exit ici le public, ce qui est curieux concernant le jazz).
Et le film, donc, concentré sur la quête purement technique de son héros, oublie lui aussi la dimension émotionnelle. Ne saisissant pas le médium cinéma pour filmer la musique en train de se faire – c’est-à-dire montrer l’empreinte du génie créatif et l’émotion musicale – le film ne dépasse pas, émotionnellement, les déboires psychologiques de son personnage. La musique est à peu près nulle part émotionnellement.

On mesurera l’écart avec des films comme Amadeus ou Tous les matins du monde qui, dans des styles et avec des ambitions très différentes, sont emplis de musique,  avec All That Jazz (pour rester dans les coulisses d’un spectacle qui se monte), avec Bird (plusieurs fois cité, qui cherche à capter quelque chose de la musique de Charly Parker) ou encore, pour montrer combien le cinéma peut se saisir d’un art et en faire un véritable objet cinématographique, avec Les Chaussons rouges de Powell.

 


lundi 9 septembre 2024

Mais où est donc passée la septième compagnie ? (R. Lamoureux, 1973)

 



Il y a bien des films qui rencontrent non seulement un très grand succès populaire et, en même temps, sans être forcèment remarquables, ne sont pas dénués d’intérêts. Pourtant, ici, l’on a bien du mal à comprendre d’où vient la notoriété du fameux film de Robert Lamoureux.
Sans intérêt, sans grande séquence mémorable, avec des acteurs quelconques et sans charisme, sans rythme, sans réellement de contenu (il ne se passe pas grand-chose, finalement, dans ce film), sans vis comique, Mais où est passé la septième compagnie ? ennuie et son succès laisse perplexe. Les quelques répliques qui ont envahi la culture populaire (« J’ai glissé chef ! ») ne renvoient à rien de bien mémorable. On pourra peut-être, si l'on veut, saluer la volonté de faire rire quand l'histoire tourne autour d'une grande défaite de l'armée, particulièrement tragique.
Mais on est très loin, c’est rien de le dire, d’un film comme
La Grande vadrouille (pour rester dans le cadre de la seconde guerre mondiale) qui est lui rythmé, empli de séquences fameuses, de répliques délicieuses (« Hélas il n’a pas d’hélice, c’est là qu’est l’os ! ») et qui confrontent deux acteurs géniaux aux ressorts comiques inépuisables.
Las, cette comédie, donc, a rencontré un tel succès que, très vite, des suites sont tournées, et, à l’instar du Gendarme de Saint-Tropez (autre grand succès mystérieux), elle reste un de ces divertissements adoubé par le public, quand bien même l’on a bien du mal à l’expliquer.

 



lundi 2 septembre 2024

Big Guns : Les Grands fusils (Tony Arzenta de D. Tessari, 1973)





Intéressant polar italien qui part pourtant sur un argument classique (un tueur souhaite se retirer mais on ne se retire pas de la mafia). Mais Duccio Tessari trouve le bon rythme (à la fois de l’action, mais aussi des moments de calme qui s’accordent avec le jeu de Delon) et, surtout, la distribution est remarquable : Alain Delon en tueur à gages repenti et Richard Conte, tout juste auréolé de son rôle dans Le Parrain, qui campe à nouveau un chef mafieux.