L’unique film de C. Laughton est un chef-d’œuvre extraordinaire. En un film il est l’égal des plus grands réalisateurs. Quand on pense que c'est à cause du manque de succès de ce film que Laughton s'est détourné de la réalisation !
La célèbre composition de Robert Mitchum dans le rôle de Powell est inoubliable et permet au film de flirter avec différents genres et sur différents tons.
La Nuit du chasseur est un conte, dont les influences sont multiples.
La célèbre composition de Robert Mitchum dans le rôle de Powell est inoubliable et permet au film de flirter avec différents genres et sur différents tons.
La Nuit du chasseur est un conte, dont les influences sont multiples.
Le personnage de faux pasteur que le
film met en scène rapproche La nuit du
chasseur des films noirs, qui présentent souvent, comme ici, des
personnages pervers, violents ou manipulateurs. Ici Powell tue et manipule. De
même, comme dans beaucoup de films noirs, la plupart des autres personnages
sont ambigus : le vrai père, Ben Harper, est un meurtrier mais aussi une
victime (ses actes sont expliqués, sinon légitimés, par sa crainte de voir ses
enfants réduits à la misère), Willa est une bonne mère mais faible et elle
abandonne ses enfants à Powell, Rachel est bonne mais elle est brusque, quant à
Powell lui-même, on ignore s’il est réellement fou ou s’il est un meurtrier
conscient de ses actes.
L’atmosphère du film, exceptionnelle d'envoûtement, change selon les moments (elle est parfois oppressante et
menaçante, parfois douce et calme). Certaines séquences ont un traitement réaliste, d’autres
sont expressionnistes. Laughton
fait clairement référence à plusieurs chefs-d’œuvre du genre. Son ouverture
reprend celle de M. Le Maudit et il
continue ensuite de reprendre, par séquences, des atmosphères propres à l’expressionnisme.
Le Cabinet du docteur Caligari de R. Wiene (1920) |
L'assassinat de Willa |
Nosferatu de F. W. Murnau (1922) |
Powell à la recherche des enfants |
A l’opposé, certains moments sont filmés
de façon onirique, merveilleuse, par exemple la fuite des enfants en barque, et
font comme une pause dans le récit, une pause douce, calme, scintillante, qui se
déroule comme dans un rêve, hors du monde réel.
Laughton propose même des images
merveilleuses pour des moments tragiques : par exemple l’extraordinaire
vision de Willa noyée, avec ses cheveux qui se confondent avec les algues,
dans le miroitement de l'eau.
Willa noyée |
Les enfants s'extirpant de la toile tissée par Powell |
La fuite en barque |
Le film permet une lecture très
symbolique, soit à partir du conte, soit, bien sûr, à partir de la Bible. Le film s'ouvre d’ailleurs comme un
conte moral : une femme entourée d'enfants lit un passage d’un livre.
L’histoire racontée sera donc l’illustration de l’apologue annoncé au départ.
De même, comme dans de nombreux contes,
ce sont des enfants orphelins qui sont à la fois les héros et les victimes (on
pense à Hansel et Gretel par exemple).
Harry Powell apparaît alors comme un ogre ou un loup (il semble être un être
irréel - « il ne dort donc jamais ? » dit John -, il chantonne
continuellement une ritournelle inquiétante), il gémit quand il se coince les
doigts et quand il reçoit un coup de fusil il ressemble à un loup à
qui on vient de botter les fesses. Il est aussi comparé à Barbe-bleue, qui tue les
femmes qu’il épouse successivement. Enfin Rachel, même si elle est rude, est
une bonne fée : elle recueille et protège les enfants contre le loup qui
les pourchasse.
On trouve aussi de nombreuses
répétitions, dualités et parallèles, qui sont une structure typique du
conte (dans Le petit Poucet ou Boucles
d’or) : par exemple, la dualité vrai père/faux père, la maison qui est
menaçante d’abord puis qui est un abri, la mère faible/Rachel forte ; et
on retrouve, à la fin du film, la même scène d’arrestation de la figure
paternelle qu’au tout début ; de même Powell et Harper passent successivement
devant le même juge et Powell tente de jouer une seconde fois devant Rachel la
scène de ses deux mains entrelacées.
Si le film est un conte, il est aussi une
parabole religieuse. La moralité lue au début est extrait de la Bible : c’est
un avertissement contre les faux prophètes et la parabole des mauvais arbres
qui font de mauvais fruits (« on juge l'arbre à ses fruits »). La
présence d’un (faux) pasteur met d’emblée la religion au cœur du film. Son jeu
avec ses deux mains résume le combat entre le Bien et le Mal et annonce sa
lutte contre les enfants (et montre même la victoire des enfants).
Les références à la Bible sont
nombreuses et sont explicites : le passage où Rachel leur raconte la fuite
en Egypte ou Moïse sauvé des eaux (le parallèle est net avec la barque des
enfants qui est découverte par Rachel, comme dans la Bible), de même, la
présence multiple de pommes (qui symbolisent pour les chrétiens à la fois le péché,
la connaissance et la perte de l’innocence).
Visuellement lorsque Powell plaque John
contre le tonneau empli de pommes la référence au sacrifice d’Isaac est claire.
John menacé par Powell |
Le sacrifice d'Isaac par Le Caravage (1597) |
De même, lors de la fuite en bateau, la
Nature accueillante est comme un Eden pour les deux enfants. Rachel, qui les recueille, illustre la bonne version de la
foi religieuse : sincérité, compassion, générosité. Elle est bien
l’inverse du faux prêcheur Harry Powell.
Ces deux thèmes (conte/Bible)
s'articulent autour de l'axe principal du film qui est la dualité Bien/Mal,
antithèse que l'on retrouve sans cesse : par exemple dans la lumière
(l'opposition noir/blanc, le contre-jour et les ombres, lors des nombreuses
scènes nocturnes), dans les deux mains du pasteur (Hate/Love), ou encore dans
l’opposition entre Ben Harper et Harry Powell : Harper prend l'apparence
du Mal (il vole et commet un double meurtre) pour faire le Bien (sortir ses
enfants de la misère) alors que Harry Powell prend l'apparence du Bien pour
faire le Mal.
Robert Mitchum interprète le terrible pasteur Harry Powell |
Excellent résumé avec des références picturales et littéraires judicieuses.Cela donne envie de consulter d'autres articles.
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