lundi 2 mars 2015

La Nuit du chasseur (The Night of the hunter de C. Laughton, 1955)




L’unique film de C. Laughton est un chef-d’œuvre extraordinaire. En un film il est l’égal des plus grands réalisateurs. Quand on pense que c'est à cause du manque de succès de ce film que Laughton s'est détourné de la réalisation !
La célèbre composition de Robert Mitchum dans le rôle de Powell est inoubliable et permet au film de flirter avec différents genres et sur différents tons.

La Nuit du chasseur est un conte, dont les influences sont multiples.
Le personnage de faux pasteur que le film met en scène rapproche La nuit du chasseur des films noirs, qui présentent souvent, comme ici, des personnages pervers, violents ou manipulateurs. Ici Powell tue et manipule. De même, comme dans beaucoup de films noirs, la plupart des autres personnages sont ambigus : le vrai père, Ben Harper, est un meurtrier mais aussi une victime (ses actes sont expliqués, sinon légitimés, par sa crainte de voir ses enfants réduits à la misère), Willa est une bonne mère mais faible et elle abandonne ses enfants à Powell, Rachel est bonne mais elle est brusque, quant à Powell lui-même, on ignore s’il est réellement fou ou s’il est un meurtrier conscient de ses actes.

L’atmosphère du film, exceptionnelle d'envoûtement, change selon les moments (elle est parfois oppressante et menaçante, parfois douce et calme). Certaines séquences ont un traitement réaliste, d’autres sont expressionnistes. Laughton fait clairement référence à plusieurs chefs-d’œuvre du genre. Son ouverture reprend celle de M. Le Maudit et il continue ensuite de reprendre, par séquences, des atmosphères propres à l’expressionnisme.

Le Cabinet du docteur Caligari de R. Wiene (1920)
L'assassinat de Willa
   
Nosferatu de F. W. Murnau (1922)
Powell à la recherche des enfants
A l’opposé, certains moments sont filmés de façon onirique, merveilleuse, par exemple la fuite des enfants en barque, et font comme une pause dans le récit, une pause douce, calme, scintillante, qui se déroule comme dans un rêve, hors du monde réel.
Laughton propose même des images merveilleuses pour des moments tragiques : par exemple l’extraordinaire vision de Willa noyée, avec ses cheveux qui se confondent avec les algues, dans le miroitement de l'eau.

Willa noyée
Les enfants s'extirpant de la toile tissée par Powell
La fuite en barque
Le film permet une lecture très symbolique, soit à partir du conte, soit, bien sûr, à partir de la Bible. Le film s'ouvre d’ailleurs comme un conte moral : une femme entourée d'enfants lit un passage d’un livre. L’histoire racontée sera donc l’illustration de l’apologue annoncé au départ.
De même, comme dans de nombreux contes, ce sont des enfants orphelins qui sont à la fois les héros et les victimes (on pense à Hansel et Gretel par exemple). Harry Powell apparaît alors comme un ogre ou un loup (il semble être un être irréel - « il ne dort donc jamais ? » dit John -, il chantonne continuellement une ritournelle inquiétante), il gémit quand il se coince les doigts et quand il reçoit un coup de fusil il ressemble à un loup à qui on vient de botter les fesses. Il est aussi comparé à Barbe-bleue, qui tue les femmes qu’il épouse successivement. Enfin Rachel, même si elle est rude, est une bonne fée : elle recueille et protège les enfants contre le loup qui les pourchasse.
On trouve aussi de nombreuses répétitions, dualités et parallèles, qui sont une structure typique du conte  (dans Le petit Poucet ou Boucles d’or) : par exemple, la dualité vrai père/faux père, la maison qui est menaçante d’abord puis qui est un abri, la mère faible/Rachel forte ; et on retrouve, à la fin du film, la même scène d’arrestation de la figure paternelle qu’au tout début ; de même Powell et Harper passent successivement devant le même juge et Powell tente de jouer une seconde fois devant Rachel la scène de ses deux mains entrelacées.
        
Si le film est un conte, il est aussi une parabole religieuse. La moralité lue au début est extrait de la Bible : c’est un avertissement contre les faux prophètes et la parabole des mauvais arbres qui font de mauvais fruits (« on juge l'arbre à ses fruits »). La présence d’un (faux) pasteur met d’emblée la religion au cœur du film. Son jeu avec ses deux mains résume le combat entre le Bien et le Mal et annonce sa lutte contre les enfants (et montre même la victoire des enfants).
Les références à la Bible sont nombreuses et sont explicites : le passage où Rachel leur raconte la fuite en Egypte ou Moïse sauvé des eaux (le parallèle est net avec la barque des enfants qui est découverte par Rachel, comme dans la Bible), de même, la présence multiple de pommes (qui symbolisent pour les chrétiens à la fois le péché, la connaissance et la perte de l’innocence).
Visuellement lorsque Powell plaque John contre le tonneau empli de pommes la référence au sacrifice d’Isaac est claire.

John menacé par Powell
Le sacrifice d'Isaac par Le Caravage (1597)
De même, lors de la fuite en bateau, la Nature accueillante est comme un Eden pour les deux enfants. Rachel, qui les recueille, illustre la bonne version de la foi religieuse : sincérité, compassion, générosité. Elle est bien l’inverse du faux prêcheur Harry Powell.

Ces deux thèmes (conte/Bible) s'articulent autour de l'axe principal du film qui est la dualité Bien/Mal, antithèse que l'on retrouve sans cesse : par exemple dans la lumière (l'opposition noir/blanc, le contre-jour et les ombres, lors des nombreuses scènes nocturnes), dans les deux mains du pasteur (Hate/Love), ou encore dans l’opposition entre Ben Harper et Harry Powell : Harper prend l'apparence du Mal (il vole et commet un double meurtre) pour faire le Bien (sortir ses enfants de la misère) alors que Harry Powell prend l'apparence du Bien pour faire le Mal.

La Nuit du chasseur Robert Mitchum Charles Laughton
Robert Mitchum interprète le terrible pasteur Harry Powell

1 commentaire:

  1. Excellent résumé avec des références picturales et littéraires judicieuses.Cela donne envie de consulter d'autres articles.

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