L’expérimentation
et la recherche d’Antonioni s’expriment parfaitement dans ce film qui créa les
controverses les plus vives dès sa sortie : il s’agissait pour les uns
d’une recherche créative qui emmenait le cinéma dans de nouvelles directions,
pour les autres d’une mascarade tant le film ne signifie rien et raconte peu.
Il est bien
certain que le film marque une frontière nette entre deux cinémas (le classique
et le moderne) et explore deux manières de conduire un récit.
Si le récit
commence lentement mais de façon conventionnelle (quelques jeunes fortunés font
une croisière en Méditerranée) Antonioni va rapidement perdre le spectateur
puisque le personnage qui était jusqu’alors ressenti comme le personnage
principal (Anna, joué par Léa Massari) va disparaître du récit (au cours d’une
balade sur une île Anna disparaît). On se souvient qu’Hitchcock, dans Psychose avait ainsi construit un
premier récit, articulé autour de sa star, dont la mort prématurée, totalement
inattendue et violente, scotchait le spectateur. Mais cette mort servait à
Hitchcock à embrayer sur un autre récit, principal celui-là qui tenait en
haleine le spectateur. Rien de tout cela ici, puisque Anna sera bien cherchée quelques temps par ses amis, mais, assez vite, elle sera oubliée par les jeunes
gens qui continueront leur périple, périple sans réelle queue ni tête, empli
d’une béance qui constitue en fait la substance même du cinéma moderne.
Le spectateur a
donc de quoi être désarçonné et il faut s’en remettre à la technique d’Antonioni,
à son sens de cadrage ou du découpage, pour bien comprendre à quel point cette
béance, cette absence de détermination des personnages, et donc du récit, est
recherchée et travaillée. Les personnages ne vont plus d’un point A à un point
B, ils errent en chemin. Le héros classique (celui qui, par ses actions,
modifie des situations) n’est plus, il n’y a ni suspense, ni intrigue, ni
question qui trouvera sa réponse pour accrocher le spectateur (Anna, par
exemple est vite oublié et il n’est plus question d’elle ; rien ne viendra
expliquer sa disparition). A la froideur du style, répond l'incommunicabilité entre les personnages.
Antonioni se
place ici dans la continuité de l’approche de Rossellini, qu’il mène encore
plus loin. On se souvient de l’errance du petit Edmund dans Allemagne année zéro, de celle de Karin
dans Stromboli, ou encore du couple
dans Voyage en Italie. Antonioni
étend cette errance au récit lui-même.
On comprend
alors à la fois l’importance d’Antonioni qui explore une nouvelle voie du
cinéma (qui sera suivie, par exemple, par Godard), mais une nouvelle voie bien
loin d’un récit classique et bien difficile d’accès pour le spectateur, à tel
point qu’il puisse rebuter et être tout à fait détesté. J. Lourcelles – qui n’aimait
guère le cinéma moderne – n’a pas de mots assez durs à son endroit, en
conseillant de voir, tout de même, un film d’Antonioni, afin de mieux
apprécier, par contraste, la qualité des vrais grands cinéastes.
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