Bon
film de guerre d’Eastwood, au style toujours classique et efficace (en
particulier les séquences de guerre en Irak où il est très à l’aise). Très
clairement – et contrairement à ce que comprennent beaucoup de critiques – ce
film n’exalte pas la guerre. Eastwood ne discute jamais de l’objectif de la
guerre ou de son bien-fondé (dès lors il ne cherche pas à la justifier) :
il y a un conflit et des hommes sont envoyés au front.
Dès
les premières séquences, Eastwood est clair sur un point : gagner la guerre
nécessite un engagement total, sans limite, inhumain. Il l’illustre par la
métaphore du chien de berger : défendre les siens (c’est-à-dire faire le
chien de berger), si on suit l’idée jusqu’au bout (ce que fait Kyle), cela
signifie tuer des femmes et des enfants s’il le faut. Excellente séquence que
ce baptême du feu qui est l’occasion de pousser le curseur le plus loin
possible d’emblée. Cela rejoint une idée importante à propos de la guerre mais
qui est bannie de notre époque pacifiste (idée déjà abordée dans des films tels
que Les Nus et les morts, Cote 465 ou Capitaine Conan) : il faut des durs insensibles
pour gagner une guerre. Ici ce sera un sniper qui ne tremble pas.
Ensuite,
dans les séquences suivantes, Eastwood annonce le fond de l’affaire : en
faisant baptiser son sniper Chris Kyle du surnom de « La Légende » – vu
ses « exploits » à répétition –, il fait référence directement
à L’Homme qui tua Liberty Valance de Ford (et Eastwood connait
bien ses classiques, en particulier les westerns de Ford) dont la célèbre
morale est un écho à ce que va vivre Kyle : « Quand la légende
dépasse la réalité, imprimez la légende ». La réalité – cachée
derrière le héros américain – ce sera donc la névrose de Kyle, qui va devoir
vivre avec les morts, les bruits des balles qui sifflent ou les cris des hommes
blessés. L’inébranlable tireur – la Légende – a une figure humaine, moins sûre
d’elle-même que ce que nous dit la belle histoire des héros.
Eastwood
aide pourtant Kyle en assimilant l’ennemi à la sauvagerie la plus
extrême : les soldats irakiens sont incarnés par un massacreur
épouvantable – le Boucher – qui tue avec une perceuse, y compris les civils. Si
les méchants sont très méchants, Kyle peut appuyer sur la gâchette avec encore
moins d’hésitations et avoir moins de remords ensuite.
Le
film, en même temps, peut se lire comme un western moderne : le désert
irakien remplace le désert ouest américain, la guerre en Irak remplace les
guerres indiennes, et l’irakien est vu comme le cinéma américain présentait les
Indiens : ce sont des sauvages qui attaquent. La perceuse a remplacé le
scalp.
Mais
rien n’y fait : si des soldats durs et sans conscience sont nécessaires
pour gagner une guerre, chacun d’eux, sorti du contexte où il se bat pour
sauver ses frères d’armes, se retrouve face à sa conscience. Et se marteler à
soi-même qu’on a fait son devoir, cela ne suffit pas. Car Kyle n’a pas le choix
et il botte en touche avec sa conscience : s'il a tué tous ces gens – y
compris des femmes et des enfants – c'était pour sauver des frères d’armes.
Cette antienne est sa seule protection face à l’horreur de ce qu’il a fait.
Mais
si Eastwood s’intéresse en fait réellement à ce qu’il y a derrière la lunette
du sniper, c’est-à-dire l’intérieur bouillonnant de la tête de son infaillible
soldat, sa démonstration manque de puissance et les séquences familiales sont
beaucoup trop conventionnelles. Ces séquences n'ont pas l'impact qu'elles
auraient pu avoir, ne serait-ce qu'en montrant leur opposition avec la vie au
front. On est loin d'un traitement comme celui de M. Cimino dans Voyage
au bout de l’enfer (film cité par Eastwood), dont le
propos principal était de montrer l’impact de la guerre sur la société. Mais il
faut dire que, chez Eastwood, Chris Kyle est seul face à sa névrose quand, dans
le Voyage, c'est la société dans son intégrité même qui est impactée par
la guerre. American Sniper relate ces guerres lointaines où
sont envoyés relativement peu d’hommes (Irak, Afghanistan) et qui ont un impact
sur l’individu plus que sur l’ensemble de la société comme c’était le cas pour
la guerre du Vietnam.
La
dernière séquence est le moment qui permet à Eastwood de conclure sa réflexion,
dans son dialogue avec John Ford. Il reprend en effet la réflexion de Liberty Valance, articulée autour de
quelques questions clefs : qu’est-ce qu’un héros ? l’Histoire
a-t-elle besoin de héros, fussent-ils fabriqués de toutes pièces ? Eastwood,
en choisissant de montrer des images de télévision, réellement tournées lors
des funérailles de Chris Kyle, indique bien que, quoi que l'on pense
de Kyle (est-ce qu’il est un héros, ou un simple soldat, ou même un soldat particulièrement
lâche parce qu’il tue ses ennemis à distance en restant caché ?), il
montre bien que, de doute façon, Chris Kyle est une légende. Il fait
aujourd’hui partie de la légende des soldats américains, quelle que soit sa
légitimité, quel que soit le personnage derrière l’image, son cercueil est salué
par les Américains.
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