Ce fameux film – adaptation
du tout aussi fameux roman de Umberto Eco – plonge avec plaisir le spectateur
dans un mélange des genres très réussi : à la fois film d’époque (le
Moyen Âge est parfaitement retranscrit à l’image), film policier (avec le
délicieux personnage de Guillaume de Baskerville en enquêteur), film théologique
(moins que le livre, certes, mais enfin la fameuse question du rire irrigue le
film) et même une touche de fantastique. Cet équilibre est très réussi et vient
parfaitement épouser l’atmosphère qui imprègne le film. Jean-Jacques Annaud a
réussi cette gageure de passionner par tous les aspects du film (comme le roman
le faisait lui aussi), sans tomber dans la facilité ou le racolage. Son
Moyen Âge est crédible, austère, rigoureux, avec cette abbaye qui règne au
milieu d’un monde de paysans (dépeints de façon un peu misérabiliste tout de
même, le début du XIVème siècle n’était pas un siècle si noir que cela, moins, d’ailleurs que le furent certains des siècles ultérieurs).
Annaud a construit un décor gigantesque,
résultat de la très longue préparation d’avant tournage. Le décor a ainsi pu
être construit en anticipant le rôle des différents éléments :
l’extraordinaire bibliothèque en forme de donjon est à la fois centrale dans le
décor et dans le film. On notera les écarts de manière de faire entre
réalisateurs : Claude Chabrol, par exemple, à l’opposé de Annaud, découvrait
les décors au moment du tournage (c’est son équipe qui les choisissait pour
lui) et ce n’est qu’au dernier moment qu’il réfléchissait aux endroits où il
allait pouvoir poser sa caméra. Annaud, lui, sait très précisément où il
va.
Le casting est remarquable : Sean
Connery est impeccable (il trouve le ton juste pour interpréter ce moine sagace
aux idées modernes) et l'on n’oublie pas qu’il a dû se battre pour le rôle
puisqu’Annaud, pour jouer son moine enquêteur, voulait un parfait inconnu. Mais
Sean Connery, pour notre grand bonheur, a réussi à s’imposer. Michael Lonsdale,
avec cette retenue pincée qui le caractérise, est parfait, de même que les
autres acteurs aux trognes mémorables (Ron Perlman s’en donne à cœur joie en
Salvatore).
On retrouve donc, au cœur du film et de l’abbaye cette bibliothèque fascinante
aux multiples métaphores. Le pouvoir du savoir enfermé dans ce labyrinthe et
protégé par Jorge : tout cela donne au lieu un mélange de fascination, de
mystère et de caprices d’imagination. Il faut préciser que cette architecture
avec de nombreuses cellules sur plusieurs niveaux avec de petits escaliers dans
tous les sens est une pure création cinématographique : il y a chez Eco une erreur puisque
la bibliothèque, dans son roman, est en deux dimensions, ce qui la rend peu
crédible, vu le nombre de pièces.
Cela dit il faut préciser que le film donne une image assez biaisée de l'époque et du rôle des monastères : alors que la reconstitution de Annaud
est minutieuse à l’image (allant jusqu’à demander des précisions qui furent des
défis pour les historiens), son discours sur les monastères est très
caricatural. Les Bénédictins, au XIVème siècle, ne sont pas tant des officines
obscurantistes que des lieux de savoir dont l’influence sur le développement
intellectuel (savoir livresque mais aussi architectural par exemple) est
considérable, ne serait-ce que par l’essaimage de l’ordre au travers de
l’Europe (l’ordre de Cluny, notamment, comprendra plus de mille monastères).
Avec les bûchers de l’inquisition, la fin peut sembler un peu excessive et manquer de retenue (en plus d’être
anachronique), mais elle donne une belle
progressivité à l’intrigue qui file au bout de son idée : le Diable est
dans les murs pensent les religieux, il faut l’en extirper, quoi qu’en pense
Guillaume de Baskerville et ses raisonnements rigoureux.
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