samedi 14 mai 2022

Comment parler d'un film ? Quel regard porter sur un film ?

 



Si tout le monde a quelque chose à dire (et parfois tellement à dire !) sur un film, la plupart du temps tout ce qui peut être dit se mélange et, bien souvent, les conversations tournent à vide car les uns et les autres ne parlent pas des mêmes choses. Or, c’est bien connu, on ne peut comparer que ce qui est comparable.

En effet, si l’on dit d’un film qu’il nous a émus et que l’interlocuteur répond que ce qu’il a apprécié dans ce même film est qu’il est brillamment réalisé quand un troisième explique que, en revanche, il ne l’a pas aimé à cause du message porté par le film, force est de reconnaître que tout cela n’a rien à voir.
En fait, si l’on veut organiser un peu la critique et la discussion, il faut s’entendre sur ce que l’on dit d’un film et le regard qu’on lui porte.

On peut ainsi distinguer la description : c’est-à-dire s’en tenir à ce qui apparaît à l’écran. Si l’on prend l’exemple fameux de L’Escalier d’Odessa dans Le Cuirassé Potemkine, il s’agit de décrire la foule rejetée dans les escaliers par les soldats qui avancent au pas, puis tel personnage qui reçoit une balle quand tel autre est écrasé, alors qu’un landau abandonné descend en cahotant les marches, etc.

L’analyse de la séquence s’attardera sur les procédés techniques utilisés et leur fonction : le travelling qui accompagne la rectitude écrasante des soldats, les gros plans qui affichent en plein cadre la douleur d’une vieille femme et, bien sûr, le fameux montage d’Eisenstein qui relie entre eux tous ces éléments et leur donne une terrible force dramatique.

L’interprétation de la séquence, de son côté, incite à resituer le film dans le contexte de sa création : il s’agit d’une œuvre de propagande, commandée par les bolcheviques et qui sert une cause politique en montrant l’armée du tsar qui martyrise le peuple. À ce titre le film fut longtemps interdit en Europe.
Cette approche conduit le spectateur à s’interroger : le film montre-t-il (dans ce sens la séquence de Potemkine met simplement en scène une troupe qui s’interpose face à une révolte) ou prescrit-il (Potemkine est alors une œuvre de dimension politique) ?
Ces différents niveaux de lecture, selon les films, peuvent être idéologiques, politiques, religieux, etc.

Enfin l’évaluation du film consiste à dire, finalement, si le film a procuré une émotion, s’il a plu ou ému, s’il a fait rire ou pleurer, s’il a évoqué quelque chose d’intime, provoqué une résonance particulière ou si, au contraire, il a ennuyé et n’a pas su capter l’attention ni provoquer d’émotion.



On remarquera que la description et l'analyse, fondamentalement, procèdent d'un regard objectif, quand l'interprétation et l'évaluation viennent d'un regard subjectif sur l’œuvre.

Certains films sont facilement réduits à une seule de ces dimensions, empêchant en réalité d’aborder d’autres éléments. On sait par exemple que
300 de Z. Snyder est bien souvent réduit à sa prétendue dimension fascisante et, aujourd’hui, l’on retient des films d’Eisenstein, le temps passant, non plus leur dimension politique mais bien leur extraordinaire brio technique.

Donc, tantôt c’est l’interprétation qui donne le la de la critique, tantôt l’analyse. Dès lors on comprend bien que ce n'est qu'en gardant à l’esprit ces différents regards et en disant nettement les choses que l'on rend possible une discussion qui n'est pas un dialogue de sourds.


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