Très bon film
noir dans lequel Jacques Tourneur met sa patte si particulière. Il y distille
une angoisse, une inquiétude très bien dosée qu’il construit à l’aide de la
suggestion, comme il le fait si bien, en projetant des ombres inquiétantes ou
en rajoutant un élément à l’arrière du plan qui provoque le malaise.
Tourneur
s’appuie sur des codes habituels du genre, en travaillant avec des flash-backs
(figure de style très classique) et notamment l’idée de fatalisme ressenti par
James Vanning, victime d’un passé auquel il ne peut échapper (on retrouve ici
le cœur du propos de La Griffe du passé
par exemple). Le jeu minimaliste d’Aldo Ray fonctionne parfaitement, avec un
corps comme une boule de nerfs tendus et un texte murmuré.
Tourneur oppose
aussi avec brio la noirceur traditionnelle du genre, c’est-à-dire une noirceur
urbaine, faite de contrastes, d’ombres, de lumières artificielles et de lieux
traditionnels (un bar la nuit, une rue sombre), avec la blancheur éclatante des
extérieurs enneigés du Wyoming. Ces vastes décors blancs, synonymes d’abord
d’innocence pour Vanning, puis, finalement de rédemption, sont tout à fait
novateurs dans le genre et viennent cerner une intrigue resserrée et efficace.
Esthétiquement Tourneur s’éloigne du style expressionniste qui est resté l’influence majeure du genre pendant de longues années. Ici le style plus
naturaliste de Tourneur montre l’apport personnel du réalisateur à un genre
très codé.
On voit très
bien, au travers de ce Nightfall, combien
Tourneur est un « contrebandier » du cinéma, dans le sens que lui
donne Scorsese, c’est-à-dire un réalisateur qui, l’air de rien, bien que
contraint de mille manières par les studios, sans avoir nullement les coudées
franches, parvient à imprimer sa patte particulière, son style, sa manière de
faire, malgré tout, en douce, comme en contrebande.
Cette qualité,
lorsque l’on est ni un réalisateur superstar tout puissant qui peut imposer ses
desiderata, ni un réalisateur autonome financièrement, a sans doute manqué à
de nombreux réalisateurs qui se sont ou bien couchés devant les studios, ou
bien fâchés avec eux, de telle sorte que, les vivres coupées, ils n’ont que
rarement pu donner la pleine mesure de leur talent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire