vendredi 18 mars 2016

Allemagne année zéro (Germania anno zero de R. Rossellini, 1948)




Après Rome, ville ouverte et Paisa R. Rossellini emmène sa caméra dans un Berlin encore dévasté. Il parvient à saisir la ville en ruine, les habitants errant dans les décombres, les petits marchés de débrouille, le vieil horloger, etc.
Il choisit d'axer son histoire sur un garçon, Edmund, qui, à la fois, représente et explique l’attitude folle de l’Allemagne lors de la seconde guerre. Rossellini explique lui-même ce qu’il a voulu dire :
« Les Allemands étaient des êtres humains comme les autres ; qu'est-ce qui a pu les amener à ce désastre ? La fausse morale, essence même du nazisme, l'abandon de l'humilité pour le culte de l'héroïsme, l'exaltation de la force plutôt que de la faiblesse, l’orgueil contre la simplicité. C’est pourquoi j'ai choisi de raconter l'histoire d'un enfant, d'un être innocent que la distorsion d'une éducation utopique amène à perpétrer un crime en croyant accomplir un acte héroïque. Mais la petite flamme de la morale n'est pas éteinte en lui : il se suicide pour échapper à ce malaise, à cette contradiction ».

Il faut remarquer que le point de départ de Rossellini (« qu'est-ce qui a pu amener les Allemands à ce désastre ? ») rejoint celui de l'historien Ian Kershaw qui s'interroge, en introduction à sa monumentale biographie d'Hitler : 
« Comment Hitler a-t-il été possible ? Comment un désaxé aussi bizarre a-t-il pu prendre le pouvoir en Allemagne, pays moderne, complexe, développé et culturellement avancé ? Comment a-t-il pu, à partir de 1933, s’imposer à des cercles habitués à diriger, bien éloignés des brutes nazies ? Comment a-t-il réussi à entraîner l’Allemagne dans le pari catastrophique visant à établir la domination de son pays en Europe, avec, en son cœur, un programme génocidaire terrible et sans précédent ? »

On suit donc l'histoire terrible du petit Edmund, tour à tour influencé par un intellectuel irresponsable, qui obéit ensuite sans réfléchir, sans se rendre compte de son acte, puis qui en est désespéré.
Le génie de Rossellini s'exprime sublimement dans la dernière séquence : Edmund erre dans les ruines, semble s'amuser, mime un revolver, joue, semble-t-il, avant de se jeter dans le vide. La puissance sèche des images impose de repenser, ensuite, toute la séquence en tentant de la comprendre réellement : cette errance de l'enfant n'est qu'un chemin détourné, instable, qui le conduit au suicide. C'est que jamais le visage de l'enfant ne reflète son conflit intérieur. Comme le dit A. Bazin : « les signes du jeu et de la mort peuvent être les mêmes sur un visage d'enfant, les mêmes du moins pour nous qui ne pouvons percer son mystère ». C'est que Rossellini ne nous aidera pas à lire dans la conscience de l'enfant, son style est celui d'une totale objectivité psychologique. Dès lors, continue Bazin, « ce n'est pas l'acteur qui nous émeut, ni l'événement, mais le sens que nous sommes contraints d'en dégager ».
On a là une des séquences les plus dures et les plus pures de tout le cinéma : il n'y a rien d'autre, à l'image, que l’errance d'un enfant, qui mêle passe-temps, jeux, fugacité et point de non-retour.



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