Extraordinaire chef-d’œuvre de Hitchcock
(encore un !), qui explore (encore et toujours) de nouvelles voies pour
surprendre le spectateur. Ici il décide rien moins que d’immobiliser son héros,
Jeffries, en le clouant dans un fauteuil roulant et en le condamnant à simplement
regarder par la fenêtre pour tromper son ennui et, accessoirement, zoomer
comme il peut avec le téléobjectif de son appareil photo pour entrer au plus près
de l’intimité des gens.
James Stewart est parfait, comme
toujours, et Grace Kelly, héroïne hitchcockienne parfaite, vient suppléer le héros pour agir à
sa place.
C’est que le héros aimerait bien
agir : depuis sa fenêtre il observe, scrute, réagit et cogite. Mais il est cloué dans son fauteuil comme le spectateur de cinéma dans la salle. Lui aussi observe, scrute, réagit et cogite, mais, lui non plus, ne peut agir. Alors,
Grace Kelly agit pour nous : c’est elle qui se glisse dans l’appartement
d’en face, qui prend tous les risques, qui improvise, qui est confrontée au
voisin patibulaire.
Pour Deleuze, on tient là un film
marquant le basculement d’un type de cinéma à un autre. En effet, avec ce héros
cloué et incapable d’agir, Hitchcock, en plus d’une métaphore du spectateur
dans son fauteuil, annonce le cinéma moderne où les liens sensori-moteurs
seront dépassés progressivement : exit les héros actifs, qui agissent en
fonction des situations auxquelles ils sont confrontés, exit ces films déterminés
qui savent où ils vont. Viennent progressivement des films avec des
personnages bien peu motivés, ou dont les actions ne sont pas claires, qui
tournent en rond, qui sont incapables de se décider ou d’agir.
On trouve mille clins d’œil à Fenêtre sur cour dans bien des films (quand
ce ne sont pas des séquences entières, comme dans Body double de B. De Palma, qui ne se lasse pas de re-filmer, à sa
sauce, tantôt des séquences, tantôt des films entiers du maître). On notera avec amusement que Avatar reprend
la même situation de départ, avec un héros handicapé et qui utilise un avatar
(là où James Stewart utilisait Grace Kelly) pour retrouver ses jambes et agir
directement. Le film de J. Cameron lorgne du côté des jeux vidéo où l’action
explose en tous sens, là où le film d’Hitchcock s’amuse avec son héros (et le
spectateur) en laissant la part belle aux déductions et aux doutes. Le peu qu’entrevoit
Jeffries lui permet d’imaginer quelque chose, et c’est à partir de là que tel
ou tel doute s’immisce, dans son esprit comme dans celui du spectateur et qu’il
brûle d’aller voir d’un peu plus près. Même si, pas plus que le spectateur, il
ne peut se lever et véritablement entrer dans l’action. Pauvre Jeffries, pauvres
spectateurs, bien incapables d’agir et condamnés à rester assis !
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