mercredi 30 novembre 2016

Pierrot le fou (J.- L. Godard, 1965)





Film très célèbre de Jean-Luc Godard qui est emblématique de la modernité du cinéaste. Aussi bien dans le fond que dans la forme on tient là un parfait exemple des recherches de Godard et de sa volonté de rupture.

Formellement Godard continue de casser les codes du montage. Faisant fi des conventions habituelles du montage transparent, il impose des cut à tout va et multiplie les faux-raccords et les répétitions. De même il joue sans cesse avec la bande-son, avec une musique tantôt extradiégétique, tantôt faisant irruption, etc. Allant plus loin encore, il brise la narration classique. Par exemple, dans la séquence où Ferdinand et Marianne s’enfuient de l’appartement, on voit se succéder des allers-retours montrant le couple filant en voiture, puis descendant d’une gouttière pour s’échapper, puis la voiture démarrant, puis le couple montant en voiture. Un tel mic-mac a désarçonné les théoriciens, occupés qu’ils étaient à dresser une typologie soignée des séquences narratives. C. Metz, un des grands théoriciens français (auteur notamment de la Grande Syntagmatique), un peu coincé, dut développer de nouveaux outils théoriques jusqu’à l’apparition de l’idée de dysnarration. C’est cela : Pierrot le fou est dysnarratif, pas vraiment narratif mais narratif quand même.
Godard ne s’arrête pas là : il continue de remplir le cadre d’aplats de couleurs rouges et bleus qui envahissent chaque image, jusqu’au célèbre visage barbouillé de peinture de Belmondo. Il ponctue son film de lettres au néon, joue avec la graphie, opère des correspondances de formes ou de couleurs. Et, fidèle à lui-même, il cite à profusion : des films, des tableaux, des essais, des BD, tout y passe.
Enfin il s’en remet totalement à ses acteurs et les laisse improviser, s’arranger, discuter, se reprendre, vaquer. Belmondo est très à l’aise et Anna Karina, avec ses « je me demande, je sais pas quoi faire… », tient une réplique légendaire et symptomatique du cinéma moderne. On préférera peut-être l'étonnante intervention de Raymond Devos, tout à fait dans son registre habituel. Cette saynète intervient comme un ready-made, profitant de la présence de Devos et le laissant faire. Elle lui permet aussi, il faut bien dire, de rajouter quelques minutes, Godard étant éternellement tétanisé par l'idée de produire un métrage trop court.


Pour ce qu’il est de l’histoire elle-même, le film est un modèle du genre : les personnages errent et agissent sans but, le temps passe, ils vont et viennent, cela part de nulle part et n’aboutit à rien. Tout y semble banal et sans intérêt. On serait bien en peine de comprendre ou d’expliquer (là où, dans Le Mépris, Godard cherchait à comprendre un instant fugace dans un couple, bien plus qu’il ne cherchait à l’expliquer).
Mais le film reprend une nouvelle fois (c'était déjà le cas dans Le Mépris), la thématique de l'île, pris ici comme moment idyllique fugace, où le couple se trouve, avant de se briser petit à petit. Il s'agit bien sûr d'une réminiscence du fondateur Monika de Bergman qui suit la même structure.

Enfin, concernant l’esthétisme de son film (mot pris dans le sens d’un message artistique véhiculé par le film), si Godard casse les codes, il construit peu. Et, dans l’assemblage qui en résulte, on a fortement l’impression, que, au travers de cette mise en scène qui s’exhibe tant, Godard, à chaque plan, dans chaque scène, écrit un manifeste qui crie sans cesse « c’est nouveau, je sors des sentiers battus, c’est de l’art ! ». On comprend mieux, sans doute, d’une part que les films de Godard soient souvent obscurs et abscons et, d’autre part, qu'ils puissent ne faire naître que bien peu d’émotion.


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