vendredi 5 octobre 2012

La Fièvre dans le sang (Splendor in the Grass de E. Kazan, 1961)




Très grand film d’Elia Kazan, dont le style, haut en couleur, riche en symboles, au jeu d’acteurs appuyé et au lyrisme de tous les instants, parvient non pas à caricaturer le propos comme on pourrait le craindre mais au contraire à capter une pulsion – la fièvre du titre français – qui sera le moteur du récit.
L’ouverture du film résume parfaitement ce style exubérant avec Dean (Nathalie Wood) et Bud (Warren Beatty), à peine adultes, enlacés, sur fond de cataractes violentes et improbables. Puis Dean repousse doucement Bud, qui sait qu’il ne faut pas. Et il s’énerve, alors que l’eau rugit en arrière-plan. Toute la frustration du désir est dans cette image, frustration qui sera le coin enfoncé dans leur vie et qui modèlera tout le récit. Le film alors, sera la lente extinction de cette incandescence.



On retrouve en fin de film, en contre-point de cette première scène, quelques vers de William Wordsworth, dits par Dean, qui permettent de mesurer le désenchantement du film (1) :

[…] Though nothing can bring back the hour,
Of splendour in the grass, of glory in the flower;
We will grieve not, rather find,
Strength in what remains behind […]

[…] Et s’il doit manquer désormais
Une splendeur à l’herbe, une gloire à la fleur,
Je veux sans m’affliger, jouir
Des dons que je possède encore […]

Tout le désir et tout l’amour passionné se sont envolés entre temps : sous les coups d’un père autoritaire, d’une société puritaine, sous la morale, sous les coups de butoir du destin (la crise financière de 1929), la brutalité, la violence, la folie même se sont invitées et ont rongé cet amour.
L’absence de Bud (envoyé au loin faire ses études universitaires) et le carcan des interdits ont fait exploser la pauvre Dean : les crises d’hystérie ont révélé la pression sociale des interdits et l’impossibilité de retrouver Bud. Bud qui, de son côté, vit autrement les conventions en subissant les volontés de son père et finissant par un mariage de convenance, loin de cette passion qui l’animait et le faisait bouillonner au commencement du film.
La Fièvre dans le sang apparaît alors comme un film sur la désillusion : celle d’une Amérique qui se prend de plein fouet la crise financière, mais surtout celle des amours passionnées, réfrénées par la société et le carcan violent de l’ordre des choses.
La séquence finale (la visite de Dean dans le petit ranch de Bud) est extraordinaire de justesse, dans cette façon de fixer irrémédiablement les choses. C’est toute la fin des rêves enfouis que capte la caméra de Kazan dans le regard de Nathalie Wood. La vie, désormais, sera sans fièvre.






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(1) : Le magnifique titre original du film est issu du long poème de William Wordsworth cité par Dean (« Ode on Intimations of Immortality from Recollections of Early Youth »). Quand bien même le titre français ne trahit pas le film lui-même, il manque singulièrement de poésie.

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