Très grand film
d’Elia Kazan, dont le style, haut en couleur, riche en symboles, au jeu d’acteurs
appuyé et au lyrisme de tous les instants, parvient non pas à caricaturer le
propos comme on pourrait le craindre mais au contraire à capter une pulsion – la
fièvre du titre français – qui sera le moteur du récit.
L’ouverture du
film résume parfaitement ce style exubérant avec Dean (Nathalie Wood) et Bud
(Warren Beatty), à peine adultes, enlacés, sur fond de cataractes violentes et
improbables. Puis Dean repousse doucement Bud, qui sait qu’il ne faut pas. Et
il s’énerve, alors que l’eau rugit en arrière-plan. Toute la frustration du
désir est dans cette image, frustration qui sera le coin enfoncé dans leur vie
et qui modèlera tout le récit. Le film alors, sera la lente extinction de cette
incandescence.
On retrouve en
fin de film, en contre-point de cette première scène, quelques vers de William
Wordsworth, dits par Dean, qui permettent de mesurer le désenchantement du film (1)
:
[…] Though nothing can bring back the hour,
Of splendour in the grass, of glory in the flower;
We will grieve not, rather find,
Strength in what remains behind […]
[…] Et s’il doit manquer désormais
Une splendeur à l’herbe, une gloire à la fleur,
Je veux sans m’affliger, jouir
Des dons que je possède encore […]
Tout le désir et
tout l’amour passionné se sont envolés entre temps : sous les coups d’un
père autoritaire, d’une société puritaine, sous la morale, sous les coups de butoir
du destin (la crise financière de 1929), la brutalité, la violence, la folie
même se sont invitées et ont rongé cet amour.
L’absence de Bud
(envoyé au loin faire ses études universitaires) et le carcan des interdits ont
fait exploser la pauvre Dean : les crises d’hystérie ont révélé la
pression sociale des interdits et l’impossibilité de retrouver Bud. Bud qui, de
son côté, vit autrement les conventions en subissant les volontés de son père
et finissant par un mariage de convenance, loin de cette passion qui l’animait
et le faisait bouillonner au commencement du film.
La Fièvre dans le sang apparaît alors
comme un film sur la désillusion : celle d’une Amérique qui se prend de
plein fouet la crise financière, mais surtout celle des amours passionnées, réfrénées par la société et le carcan violent de l’ordre des choses.
La séquence
finale (la visite de Dean dans le petit ranch de Bud) est extraordinaire de
justesse, dans cette façon de fixer irrémédiablement les choses. C’est toute la
fin des rêves enfouis que capte la caméra de Kazan dans le regard de Nathalie
Wood. La vie, désormais, sera sans fièvre.
(1) : Le magnifique
titre original du film est issu du long poème de William Wordsworth cité
par Dean (« Ode on Intimations of
Immortality from Recollections of Early Youth »). Quand bien même le
titre français ne trahit pas le film lui-même, il manque singulièrement de
poésie.
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