mercredi 27 mai 2015

La Soif du mal (Touch of Evil de O. Welles, 1958)




Extraordinaire exercice de style d'Orson Welles, qui lance sa caméra en tous sens pour construire un film baroque et marqué.
Pourtant le film est loin d'être parfait : il est le résultat d'un contrôle des producteurs, contre l'avis de Welles (ce qui fut courant au cours de ses relations compliquées avec les studios américains) et d'un scénario qui montre plusieurs incohérences (citons par exemple Vargas qui délaisse sa femme bien longtemps et l'envoie dans un hôtel isolé alors qu'il sait la menace qui pèse sur eux). Mais le génie de Welles, ici, est de faire oublier la faiblesse de l'histoire par son sens de l'image, par ses cadrages insolites, par ses mouvements de caméra hors normes, par ses personnages (en particulier celui qu'il interprète, suant et visqueux à souhait : Welles est ici excellent acteur). L’opposition entre Vargas (Charlton Heston) et Quinlan (Welles) est remarquable : l’un est sournois, marqué par son histoire (le meurtre de sa femme) et marche à l’instinct ; quand l’autre, Vargas, est droit, incorruptible et fait confiance à sa raison. Mais Vargas a toujours été épargné par le mal (et le sera tout au long du film, malgré les menaces endurées par sa femme, finalement épargnée).
Le plan-séquence d'ouverture, à juste titre si célèbre, est éblouissant. Il permet à Welles de montrer tout son génie : technique exceptionnelle (allant du gros plan au plan d'ensemble, suivant une voiture, un couple, tournant, déambulant comme les personnages) et, en même temps il permet le lancement du film : en deux minutes, Welles parvient à créer un suspense (le spectateur attend que la bombe mise dans le coffre explose), à créer une ambiance (déambulation dans des rues animées, avec une musique entraînante), à introduire le personnage principal (Vargas, ici avec sa femme) et à le présenter (on apprend qui il est, ce qu'il lui reste à faire vis à vis des trafiquants de drogue, les menaces qui tournent autour de lui) et, enfin à lancer son film (l'objet du film sera de trouver qui a pu placer une bombe). Le film se lance réellement sur l'explosion, qui a lieu lors d'un baiser : la séquence est parfaite. Elle donne la mesure de l'ambition de Welles, peut-être plus encore que de son savoir-faire.
Comme toujours avec Welles, ses relations avec les producteurs furent très tumultueuses, à tel point qu’il s’agit de son dernier film américain (il se tournera ensuite vers l’Europe).

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