jeudi 25 janvier 2018

La Porte du diable (Devil's Doorway de A. Mann, 1950)




Avec La Porte du diable, Anthony Mann frappe très fort : il s'agit de l'un des premiers films à prendre le parti des Indiens et à dénoncer les injustices qu’ils ont subies. Jusqu’alors la vision hollywoodienne classique considérait à peine les Indiens, surtout montrés comme des sauvages hurlants et agressifs dévalant les collines au galop pour attaquer les diligences (1). En 1950, en même temps que La Flèche brisée de D. Daves (et après une première pierre posée par J. Ford dans Le Massacre de Fort Apache), La Porte du diable s’intéresse aux Indiens, les met en avant, s’attarde sur des personnages forts (Lance Poole ici, Cochise dans le film de Daves) et dénonce le comportement des Blancs à leur endroit.

La force du film est d’adopter le point de vue de l’Indien (et non de l’homme blanc, comme dans La Flèche brisée) et de montrer que l’injustice subie par les Indiens, si elle prend sa source dans le racisme anti-Indien, est relayée par la loi elle-même : c’est en s’appuyant sur les lois que les éleveurs entendent prendre possession des terres occupées depuis toujours par les Indiens Shoshone. Cette injustice des lois elles-mêmes s’exprime au travers des hésitations du sheriff, vieil ami du père de Lance Poole, mais qui doit faire respecter une loi qu’il ne cautionne pas. De la même façon la loi l’oblige à mettre un écriteau qui exclut de servir les Indiens dans le saloon.


Le choc est alors terrible pour Lance Poole (impeccable Robert Taylor, dans un registre inattendu) qui revenait auréolé de ses faits d’armes de la Guerre de Sécession avec de l’espoir au cœur : il est persuadé que ceux qui se sont battus contre l’esclavage sauront le considérer, lui qui a versé son sang pour leur cause. Mais le racisme anti-Indiens est beaucoup trop ancré, dans les esprits et jusqu’au cœur des textes de loi. En 1950, les Noirs américains devaient nourrir le même regard sur leur pays en revenant de la Seconde Guerre où ils sont allés combattre le terrible racisme nazi. Et, tout du moins dans les états du Sud, la société a continué d’être violemment ségrégationniste. Le ressentiment de Lance Poole face à l’injustice évoque donc une injustice similaire contemporaine du film.
Mann parvient à éviter tout manichéisme en montrant que Lance Poole, par une certaine fierté arrogante, ne cherche pas à apaiser la situation, de même que le sheriff, on l’a dit, est pris dans la tenaille dans un choix complexe. Il enrichit également le film d'une vision supplémentaire très progressiste en donnant à une femme le rôle de l’avocat de la cause perdue.

Le désespoir des Indiens, leur déracinement, le vol de leur terre, la violence inique qu’ils subissent emplissent ce film sombre qui prépare le terrain aux westerns révisionnistes des années 70.



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(1) : Il faut cependant se garder de caricaturer : dans les tout premiers westerns que sont les Indian pictures (produits souvent par des sociétés françaises telles que Pathé ou Gaumont, et avant même que le mot western ne désigne ces films)les Indiens ont fait l’objet d’un regard particulier ;  ce fut le cas aussi très tôt à Hollywood, par exemple dès Le Cheval de fer de 1924, où Ford montre que si certains Indiens sont des sauvages menaçants, d’autres, au contraire, aident des ouvriers des chemins de fer.


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