vendredi 2 mai 2014

La Passion de Jeanne d'Arc (C. T. Dreyer, 1928)




Éblouissant film de Dreyer, très original sur le plan du style. On sait que Dreyer voulait son film parlant mais qu’il dut y renoncer pour des raisons techniques. Dès lors cette multitude de cadrages en gros plans avait un tout autre objectif que celui d’une prise de position purement artistique. Mais, quoi qu’il en soit, cette façon de filmer avec autant de gros plans de visages, tronçonnant sans cesse les corps des juges dont on ne verra d’eux, au mieux, que les bustes, ces travelling où la caméra monte et descend pour suivre les lignes des têtes, cette insistance sur le visage de Jeanne, ces champs-contre-champs permanents entre Jeanne et les juges qui la harcèlent, ce jeu de contre-plongée permanente pour mieux rehausser les juges et rabaisser Jeanne, ces cadrages débullés qui créent une géométrie abstraite, tout cela crée une esthétique à peu près unique, qui tend à l’abstraction et qui détache peu à peu le récit de la réalité sur laquelle il s’appuie (retracer le jugement de Jeanne d’Arc à partir des écrits de l’époque).


L’esthétique très dépouillée (les murs sont blancs, les décors minimalistes) rend plus moderne encore ces visages en très gros plans dont on contemple les pliures de la peau, les pincements des lèvres et, sur le visage rond de Jeanne, les larmes qui coulent. Enfermée dans ces pièces abstraites aux murs vierges, Jeanne n’a aucune extériorité vers laquelle se tourner, la seule échappatoire se trouve à l’intérieur d’elle-même, dans sa foi.
Et de cette esthétique si radicale et singulière naît une très grande émotion. Le visage doloriste de Jeanne, qui figure l’humanité souffrante, visage à la fois humble et rustique, touche par sa douleur sans cesse exprimée. Jeanne est perdue face à ces juges retors qui guettent chaque mot qu’elle dira pour mieux la coincer dans une contradiction théologique, juges infiniment et petitement humains, face à une Jeanne emportée et qui n’est déjà plus de ce monde.


Dans la dernière partie, où l’on sort de cette prison blanche et abstraite pour aller jusqu’au bûcher, Dreyer multiplie des plans audacieux, quasi expérimentaux, jusqu’à l’émeute finale qui vient entériner ce que le film a suggéré : Jeanne d’Arc, ici, n’est ni une combattante, ni une représentante du peuple de France insoumis face aux Anglais, elle est une sainte martyre.

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