samedi 28 février 2015

In the Mood for Love (Fa yeung nin wa de Wong Kar-wai, 2000)




Très beau film, très lent, tout en retenue et en suggestion. Il aborde le thème classique de la rencontre amoureuse, sur le même plan que D. Lean (Brève rencontre) ou que C. Eastwood (Sur la route de Madison). In the Mood for Love est aussi un brillant exercice de style de Wong Kar-wai qui, avec une caméra chaude et douce, filme merveilleusement cette relation entre Su Li-zhen et Chow Mo-wan. Relation qui n'en est pas une : ils se croisent, se frôlent, se parlent avec peine, avec force silence, comprennent ce qui les relie (leur mari et femme respectifs sont amants), mais sans jamais parvenir à s’extraire de leur situation. En fait Wong Kar-wai filme une impasse.


La photo est sublime (souvent baroque), l’image propose un champ très réduit (coinçant les personnages dans des couloirs, leur laissant peu d’espace pour se croiser), la bande originale envahit le film. Wong Kar-wai, dans des séquences de ralentis célèbres et éblouissants, parvient à atteindre la grâce en magnifiant le quotidien. Aller chercher du riz – équivalent à Hong-Kong d'aller acheter une baguette – devient un moment de grâce. Maggie Cheung ondule doucement dans sa robe qui allonge son corps.
  

Suprême virtuosité du cinéaste : quand bien même il propose des images raffinées et parfaites, le hors-champ est fondamental, aussi bien en complément de l'image (par exemple on devine que Su Li-zhen et Chow Mo-wan se sont croisés en hors-champ) qu'en complément de l'histoire (l'aventure des époux n'est jamais montrée, elle est pourtant fondatrice du rapprochement de Su Li-zhen et Chow Mo-wan).


jeudi 26 février 2015

Au nom du père (In the Name of the Father de J. Sheridan, 1993)




Film réussi de Jim Sheridan, porté par un scénario prenant et par l’interprétation hors pair de Daniel Day-Lewis. Sheridan s’appuie sur un moment de l’histoire particulièrement difficile pour les Anglais dans leur lutte contre les séparatistes d’Irlande du Nord pour reconstituer avec une application austère l’administration judiciaire anglaise, bien décidée à agir coûte que coûte contre les bombes irlandaises, écrasant au passage le junkie paumé qui est un bouc émissaire bien pratique.
On regrette toujours qu’il faille s’appuyer sur un cas particulier (ici une erreur judiciaire flagrante) pour dénoncer une situation qui dépasse largement le cas présenté ici. Mais il n’en reste pas moins que le film est efficace et que Sheridan sait construire une rhétorique convaincante – mais partisane –, malgré quelques raccourcis un peu faciles (le personnage de l’avocate par exemple). Mais le film prend le temps d’épaissir le personnage de Gerry (qui bénéficie de l'interprétation de Daniel Day-Lewis, parfait comme toujours), il fouille sa psychologie, ses ressorts internes, son évolution au fur et mesure de l’incarcération, la relation à son père et son combat face à une justice anglaise jusqu’au-boutiste et cruelle.




mercredi 25 février 2015

Les Diaboliques (H.- G. Clouzot, 1954)



Les Diaboliques Affiche Henry-Georges Clouzot

Excellent thriller noir qui s’amuse à jouer avec les nerfs, jusqu’au choc de la révélation finale. On a beau jeu de voir la fin trop grand guignolesque : elle reste très efficace.
La distribution est excellente, en particulier Paul Meurisse qui est parfait en directeur sadique et inflexible.
L'ambiance réaliste du pensionnat est une réussite, de même que plusieurs séquences (toute la partie du film qui se déroule à Niort en particulier).
Le réalisateur fait adopter au spectateur, sans qu’il s’en rende compte, le point de vue de Christina : on suit son hésitation à tuer son mari, on la voit se laisser convaincre, participer au meurtre, puis on est surpris, en même temps qu'elle, de la disparition du corps, puis, comme elle, on ne sait pas trop quoi penser devant les indices qui se multiplient à propos de la présence de Michel (enfant puni, costume mis au nettoyage, reflet dans une vitre…), et on subit, toujours en même temps qu'elle, la séquence finale.
L’intelligence du film est de changer d’orientation au fur et à mesure de l’avancée des événements, de sorte que le film s'organise autour de trois questions successives, qui mènent l’intrigue et le suspense :
                   - Christina va-t-elle tuer Michel ?
                   - Où est passé le corps ?
                   - Michel est-il vivant ?
Cette organisation permet de relancer l’intrigue et de perdre le spectateur qui ignore très longtemps ce qui se trame derrière les murs du pensionnat.
A noter que la scène finale de l’enfant prétendant avoir aperçu la directrice, après son décès, peut plonger à nouveau le spectateur dans le doute : soit l’enfant ment, soit il dit la vérité…

Paul Meurisse Les Diaboliques Clouzot

lundi 23 février 2015

Capitaine sans peur (Captain Horatio Hornblower de R. Walsh, 1951)



Capitaine sans peur Affiche Poster

Bon film maritime, très hollywoodien, empli de belles batailles navales, d’honneur d’officier, d'évasion, de voyages épiques.
Même si Gregory Peck est un acteur charismatique qui campe un bon capitaine Hornblend, il nous entraîne moins cinématographiquement qu’un Errol Flynn par exemple, dont il n’a pas la fougue, ou surtout qu’un Gary Cooper, à côté duquel G. Peck apparaît trop lisse.
Si le film est réussi, il n’a pas le supplément d’âme d’autres films de Walsh.

dimanche 22 février 2015

El (L. Bunuel, 1952)




Extraordinaire film de Buñuel (peut-être son meilleur), qui, avec maestria, explore les confins de la paranoïa.
Le film commence comme un mélodrame conventionnel (le riche Francesco parvient à séduire Gloria, qui était pourtant fiancée, et ils se marient). Mais, très vite, la relation entre Francesco et Gloria devient complètement délirante, à cause d’une jalousie totalement paranoïaque et morbide de Francesco qui transforme la vie de Gloria en cauchemar. Dès la nuit de noces, Francesco doute («  Dis-moi, à qui penses-tu en ce moment ? », demande-t-il à sa femme) et la vie de Gloria va devenir un enfer.


Une image qui annonce des scènes célèbres de Vertigo
Bunuel explique très bien son idée quand il prend cet exemple à propos de la paranoïa : « supposons que la femme d'un paranoïaque joue une mélodie au piano. Son mari sera persuadé que c’est un signal qu'elle envoie à son amant, caché dans la rue ». Il va alors s'appliquer, tout au long du film, à montrer comment le désir de Francesco se transforme au fur et à mesure en délire, jusqu’à une tentative de faire subir à Gloria des sévices sadiques épouvantables.

Que va faire Francesco à sa femme ? ose à peine se demander le spectateur ?
Buñuel est très à l’aise, et ajoute des touches d’humour noir (par exemple lorsque, craignant qu’on l’épie, Francesco glisse une aiguille par le trou de la serrure) ou de fétichisme (fétichisme des pieds, présenté ici comme une déviation du rituel religieux de la première scène, et que l’on retrouve dans d’autres films du réalisateur). La montée de la tension est très bien rendue : « mais jusqu’où ira-t-il ? » se demande le spectateur perplexe, avant de refuser de croire ce qu'il voit (il supplicie sa femme façon Sade !?).
Buñuel, tout en maîtrise, achève son film sur une image finale à la fois simple et géniale.


jeudi 19 février 2015

eXistenZ (D. Cronenberg, 1999)



eXistenZ David Cronenberg Affiche Poster

Film très intéressant de David Cronenberg, qui développe plusieurs de ses thèmes habituels, en particulier le mélange organique et technologique (le tout saupoudré d’un peu de gore, il faut bien).
Cronenberg s’amuse à plonger ses personnages (et le spectateur en même temps) dans un jeu grandeur nature qui est une anticipation des consoles de jeux modernes (et futures ?). L’idée de brancher la console directement sur le corps est très bonne, surtout avec le traitement par Cronenberg : la séquence avec Willem Defoe est particulièrement réussie. Les gamers assidus doivent ressentir cette ouverture dans un autre monde apportée par le jeu vidéo.
Dans un premier temps on voit bien la réalité et le virtuel, mais très vite les frontières s’estompent, il faut s’en remettre à l’étrangeté de l’image (bonne idée du personnage qui bugge, tant qu’il n’a pas la bonne question), aux bizarreries rencontrées (dans l’abattoir, à découper des animaux à mi-chemin entre le poisson et l’amphibien). Et, finalement, les personnages sont complètement perdus, et le spectateur aussi.

La qualité de réalisation de Cronenberg lui permet d’utiliser l’image pour mettre mal à l’aise, pour nous perdre dans les méandres de cette alternance réalité/virtualité du jeu. Il vient ainsi magnifier le scénario : le malaise et l’incompréhension ne naissent pas seulement du déroulement de l'histoire mais aussi des images. La fin, bien entendu, ouvre bien des perspectives.

Ce film, bien plus que Matrix qui lui succédera de peu, annonce ces films inspirés des jeux vidéo, en particulier Avatar qui reprendra, en le développant sous un autre angle, la recherche de la fusion entre les jeux vidéo et le cinéma.

mercredi 18 février 2015

Hannibal (R. Scott, 2001)




Petite suite de Ridley Scott, à partir du remarquable Silence des agneaux. Le film cherche à tenir grâce au jeu d’Anthony Hopkins qui reprend son personnage du Docteur Lecter que l’on découvre cette fois-ci in vivo. Le film joue alors à fond sur la dichotomie entre les goûts parfaits et classiques du Docteur, son raffinement et son érudition, et la violence de ses meurtres, ou bien accomplis avec une quasi-sublimation de l'acte, ou bien accomplis avec un parfait détachement. Jusqu’à la séquence finale de dégustation de cervelle assez vaine et jusqu’au-boutiste. Comme le veut l’époque on ne suggère plus rien : on montre le plus possible.
Ray Liotta est bien décevant, Julianne Moore supplée bien maladroitement Judie. Giancarlo Giannini ou Gary Oldman n’apportent pas grand-chose et, surtout, R. Scott ne se foule pas.
On est dans un de ses innombrables films où le réalisateur, pourtant doté financièrement, entouré de bons acteurs et pourvu d’un personnage fascinant et devenu iconique n’en fait pas grand-chose. Il délivre sa partition sans y mettre rien d’autre que le kit de base du film professionnel, histoire qu’il marche en salle suffisamment pour être rentable. Faire déambuler le spectateur dans la salle des Cinq-Cents ne saurait sauver le film. Ce n’est qu’une énième exploitation de filon hollywoodien, là où il y avait la place pour bien mieux.

mardi 17 février 2015

La Mouche noire (The Fly de K. Neumann, 1958) et La Mouche (The Fly de D. Cronenberg, 1986)


         

La Mouche de David Cronenberg est un remake remarquable de La Mouche noire de Kurt Neumann. Les deux films sont très bons, même s’ils abordent l’histoire de façon différente et c’est ce qui rend leur comparaison très intéressante.
Cronenberg insiste sur deux aspects nouveaux par rapport au film original.
Tout d’abord il se plaît à montrer la transformation de son héros. Lorsqu’il voit son corps partir en lambeau, Seth Brundle se dit qu’il va mourir. Et ensuite seulement il comprend qu’il se transforme en autre chose. Cette évolution du héros, à la fois physique et psychique, est un apport de Cronenberg qui est fascinant.
Ensuite, et on reconnaît là le penchant pour l’organique un peu gore de Cronenberg, le film s’attarde sur tel ou tel détail sanguinolent et repoussant (les dents qui tombent, la régurgitation d’acide…). Cronenberg en rajoute dans une fin grand-guignolesque mais efficace. Et surtout cette fin répond à l’évolution de Seth Brundle : Cronenberg va au bout de son idée.

La manière qu'a Cronenberg de filmer la métamorphose est fascinante. Cette métamorphose renvoie à la métamorphose comme thème classique dans le cinéma ou dans la littérature qu'il s'agisse de Docteur Jekyll et Mr. Hyde ou bien du mythe du loup-garou. Mais il s'agit ici d'une métamorphose irréversible, en une fois, qui fait disparaître la personne derrière le monstre. Et plutôt que de montrer la métamorphose sous forme d'ellipse (comme le fait Mamoulian par exemple) ou au travers d'une séquence choc (dans Le Loup-garou de Londres par exemple), c'est tout le sujet du film de scruter cette transformation. Et Cronenberg voit juste : une métamorphose, au sens biologique du terme, correspond à la destruction d'organes et, ensuite à la formation de nouveaux organes. C'est tout à fait ce que montre le film, avec Brundle qui ne comprend qu'après coup que si ses organes disparaissent, c'est pour permettre, ensuite, à de nouveaux organes d'apparaître.
Mais à filmer la destruction d'un corps, Cronenberg renvoie inévitablement à la mort et à la disparition progressive des facultés, organe par organe. Brundle est comme atteint par un cancer, ses organes tombent, il se voit mourir. Ces images terribles renvoient à la dégénérescence juste avant la mort. C'est une vieillesse en accélérée, un cancer violent qui le prend. L'image de Brundle, dans sa salle de bain, qui s'assoit sur le rebord de sa baignoire et qui comprend qu'il va mourir est saisissante.

Dans le film original, ces aspects sont complètements absents. C’est au contraire la froide sobriété des images qui les rend terrifiantes. Neumann montre peu, il suggère et cela suffit bien. Évidemment le coup de force du film est dans l’image finale, brillante et terrifiante idée à laquelle a dû renoncer Cronenberg. Le prix à payer pour montrer l’évolution du héros auquel s’est attaché Cronenberg, c’est le renoncement à cette image finale.
De sorte qu’au-delà de l’aspect gore ou pas gore, au-delà des effets spéciaux ou de l’ambiance du film (un film typé années 50 ou typé années 80) on préférera l’un ou l’autre selon qu’on s’intéressera à la transformation lente d'un homme en mouche ou à la transformation soudaine de l’homme… et de la mouche.


Steh Brundle, dans La Mouche de Cronenberg

André Delambre, dans La Mouche noire de Neumann

samedi 14 février 2015

2001, l'Odyssée de l'espace (2001 : A Space Odyssey de S. Kubrick, 1968)




Immense film de Kubrick, qui trouve ici une harmonie à la fois dans la forme et dans le fond : à la lenteur du rythme, à la lenteur des déplacements minutieux des vaisseaux répond la lenteur du temps et l'espace infini. Kubrick révolutionne les effets spéciaux et fait paraître des films contemporains ou même postérieurs comme datés sur ce plan là, par exemple Le Mystère Andromède, brusquement dépassé.
L'ampleur du propos a été largement commentée : le parallélépipède mystérieux vient, comme une borne, à la fois inspirer l'humain (ou le pré-humain dans la première séquence) et montrer sa petitesse.
C'est, en outre, un magnifique prolongement de la réflexion de Theilhard de Chardin :
« Mais pourquoi donc, dira-t-on, ce labeur ? Pourquoi ressentir autant de plaisir à mieux voir la physionomie de cette boule énorme et ennuyeuse dont la surface nous emprisonne ? Qu'est-ce qui courbe donc invinciblement l'homme sur la tâche inutile de comprendre la  Terre ? La réponse est facile… Obstinément, parce qu'un secret instinct le pousse et qu'une longue expérience l'a instruit, l'homme croit qu'aucune parcelle de vérité n'est stérile, mais que la moindre découverte scientifique est un élément irremplaçable, sans lequel ne s'achèvera pas l'éveil entier de sa conscience, c'est-à-dire la plénitude de son âme. La terre était liée à lui comme un monstrueux problème. Il s'est jeté sur elle. Qui oserait dire que de ce contact avec l'inconnu il n'est pas sorti grandi ? »
Kubrick, en cinéaste, n'a pas besoin de paroles ou d’explication, tout est contenu dans le pouvoir de l'image.


Bien entendu, plus encore que la rigueur de construction narrative, que l'application à chaque plan, que le sens de l'ellipse (extraordinaire passage de l'os au vaisseau spatial), que le combat de l'homme contre la machine (avec une éblouissante séquence de mise à mort de l'ordinateur, où le spationaute est comme plongé au cœur même de l'organisme mécanique), c'est la puissance de l'image de Kubrick qui fascine.


Sans un mot, confiant à Ligeti l'aspect étrange, mystérieux et rayonnant du monolithe, il explore le questionnement de l'homme. Il passe ainsi, séquence après séquence, du singe à l'homme, puis de l’homme au surhomme (reprenant ainsi la progression nietzschéenne). Et l'on suit l'apparition de la technologie, l'affrontement de l'homme et de la technologie et enfin le dépassement de cette technologie.
Toute la dernière séquence est éblouissante : c'est uniquement par l'étrangeté de l'image, du montage, du décor, que Kubrick interpelle et renvoie l'homme au-delà de ses propres limites. C'est par l'image qu'il fait s'élever les interrogations de son film, c'est par l'image qu'il s'exprime le mieux. C'est ainsi que Kubrick, formidable créateur d’images, est éblouissant.



vendredi 13 février 2015

Avatar (J. Cameron, 2009)


Avatar Affiche Poster

Le film a beau être très spectaculaire, on peut avoir du mal à prendre du recul face au manichéisme primaire du scénario. D’un côté les méchants militaires, accoquinés avec le encore-plus-méchant industriel, et de l'autre les gentils Na’vis. D’un côté la méchante civilisation qui abat les arbres sans discernement, de l’autre la Nature harmonieuse qui se défend. Bien entendu il faut dépasser cette réduction ridicule de l’intrigue : très vite on sait très bien où l'on va et l'on n’imagine pas un instant que le vilain colonel ou que l’arriviste représentant des industries vont imposer leur loi. Et puis on connaît Abyss : on sait que, chez Cameron, l’amour et la nature vont gagner.
Alors certes Avatar convoque des ressorts typiques du western (l'avancée des militaires avec le massacre des Na'vis évoque forcément le sort réservé aux Indiens) et le film est bien plus qu'un simple film de scénario, mais on peut malgré tout être surpris de cette incapacité à proposer un scénario un poil plus fin pour un film par ailleurs aussi ambitieux.
C’est un peu dommage tant, évidemment, la richesse de l’image est étonnante : on est submergé par toute cette couleur et cette inventivité numérico-technologique.



Pourtant l’essentiel est ailleurs. En effet Avatar est à regarder non pas comme un film à effet spéciaux ou comme popularisant la 3D (insupportable 3D, on a l’impression de regarder un dessin animé) mais bien plus comme un film de gamers. Le film propose en effet au spectateur, aussi bien qu’au héros Jake Skully, de plonger dans un autre monde, exactement comme face à un jeu vidéo : on choisit un personnage et on va à l’aventure avec lui.
Jake Sully est handicapé, il est coincé sur un fauteuil comme le spectateur et il entre dans un univers virtuel avec son avatar dont il découvre les possibilités au fur et à mesure (il marche, court, puis se bat, communique avec la nature…) et il affronte ensuite des dangers sans cesse plus grands. On a évidemment un parallèle avec les jeux vidéo où le joueur choisit un personnage, subit un entrainement ou une initiation, et doit ensuite affronter des dangers qui croissent palier par palier. Ici Skully (ou plutôt son avatar) doit d’abord dompter un petit dragon et il finira par dompter un grand dragon.
Il y a là une dimension déjà travaillée dans Fenêtre sur cour, où James Stewart, pareillement coincé sur un fauteuil roulant, envoyait Grace Kelly pour agir à sa place. Ici, merveille de la technologie, c’est un autre lui-même qui fait l’action.
On comprend la simplicité du scénario : de même dans bien des jeux vidéo le fil scénaristique est très mince (dans bien des jeux de guerre, par exemple, le manichéisme gentil/méchant est très simple).

Cette dimension de jeux vidéo a été initiée récemment par eXistenZ (et encore avant par Tron mais en 1982 les jeux vidéo n'en étaient qu'à leurs balbutiements, l’effet n’est donc pas du tout le même) qui joue à perdre peu à peu le spectateur ; et on la retrouve de façon encore plus nette dans Edge of tomorrow qui fait un parallèle assumé avec les jeux de plateau (Matrix aussi proposait des allers retours entre la réalité et la virtualité mais sans l’aspect jeux vidéo).



Cela dit la fin est très inquiétante (si l'on s'en tient à cette interprétation et qu’on dépasse la fin poussive du film où les vilains militaro-industriels sont chassés et où la gentille harmonie de la nature l’emporte) : Skully renonce à sa condition d’humain (mais qu'a-t-il à perdre, n'était-il pas rejeté de toute part avant de se faire recruter ?) et choisit l’avatar : comme un ado qui s’enfermerait dans sa chambre pour ne vivre socialement qu’à travers l’avatar de son personnage de jeux vidéo. On frémit à cette vision pessimiste d’ado qui, en fait, refuserait de vivre.



dimanche 8 février 2015

Orange mécanique (A Clockwork Orange de S. Kubrick, 1971)




Film culte de Stanley Kubrick, qui a eu une influence considérable, à la fois sur le cinéma et sur la culture pop des années 70.
Formellement le film est exceptionnel. Kubrick maîtrise de façon éblouissante son art, il filme avec délice, maturité, ironie. Il se permet tout une séquence au ralenti auquel il fait répondre un accéléré amusant ; il cale sa caméra dans un coin ou la transporte avec allégresse, il glisse dans un de ses fameux travellings ou bien agite sa caméra avec frénésie, accompagnant la violence d'Alex. La bande originale répond au film de façon fascinante et crée un univers décalé et baroque.
Le personnage d’Alex est le pivot du film, Malcolm McDowell fait ici le rôle de sa carrière et le spectateur aura bien du mal à oublier le regard bleu insolent et cruel qui fixe la caméra.



La structure narrative est un modèle du genre : Alex « soigné » suit le même itinéraire que celui suivi en début de film. C’est une structure de conte qui accompagne la narration et l’entraîne presque vers une allégorie.
Le film, évidemment, aborde la question complexe de la violence dans la société. Il se désintéresse de l'origine de cette violence (Alex est donné comme étant le Mal, sans chercher d'explication ou d'excuses), la question étant bien plus de savoir que faire de cette violence. Et, au-delà du constat de cette violence, le film explore une réponse, qui se situe dans l’alternative libre-arbitre vs traitement Ludovico.


Kubrick délivre un double message sur la violence : il y a non seulement la violence d'Alex sur la société, mais aussi la violence de la société sur Alex. La structre en miroir du film (avant et après le traitement) reprend cette inversion : la violence que fait subir Alex dans la première partie, devient la violence qu'il subit. Et Kubrick est clair : cette violence de la société qui tente de rééduquer Alex (mais que faire d'Alex ?) est un échec.
Mais le point orignal du film – et sans doute le plus fondamental – est ailleurs. Il se situe dans le constat de la personnalité d’Alex : Alex est mauvais. Il fait le mal, il jouit du mal, ses fantasmes évoquent des meurtres, des viols, etc. La position de Kubrick est clairement anti-rousseauiste : Alex n’est pas né bon et il n’a pas été corrompu par la société. Il est né mauvais, c’est ainsi. Le film se situe ainsi aux antipodes des thèses habituelles sur ce thème (par exemple dans Les Ruelles du malheur, où N. Ray rend chacun de nous responsable de la délinquance juvénile). Et Orange mécanique va plus loin : il suggère qu’il n’y a rien à faire vis-à-vis d’Alex. Le guérir ? La méthode Ludovico n’est qu’un lavage de cerveau au bout duquel Alex n’est plus Alex.
On peut alors interpréter le film d'une manière plus "psychanalytique" : au début du film, Alex est à l'état de nature, sauvage, sans frein à ses pulsions. Le traitement Ludovico consiste à civiliser Alex, pour le rendre apte à la vie en société (le traitement inhibe ses pulsions, comme le cortex préfrontal le fait normalement). L'incapacité d'Alex, sa maladie, vient alors de la névrose de l'Homme dans la société. Et le terrible "je suis guéri" qui clôt le film évoque une guérison du traitement subi : Alex, à nouveau, est à l'état de Nature, ses pulsions ne sont plus réprimées, comme l'évoque son dernier fantasme.
Cette position anti-rousseauiste est très intéressante. Plus en tous les cas que la réflexion sur le choix et le libre-arbitre (que pose le prêtre quand il critique la méthode Ludovico) qui est assez classique.



jeudi 5 février 2015

Le Dernier rempart (The Last Stand de Kim Jee-won, 2015)



Le dernier rempart Kim Jee-won Arnold Schwarzenegger Affiche Poster

Après son intermède politique voilà Schwarzy qui reprend du service et revient en haut de l'affiche.
Alors on sait bien que le gars ne fait pas dans la dentelle, et on sait aussi qu'il a joué dans une bonne quantité de films débiles. Certes, mais pour un retour on pouvait peut-être espérer qu'il ne soit pas une caricature de lui-même. On pouvait se dire qu'il reviendrait pour jouer dans un film qui, au moins, serait potable. Mais non, rien de tout cela : voilà un nouveau film débile pour orner sa filmographie qui n'en manque pas. En fait c'est un film débile en hommage aux mêmes films débiles des années 80. Dit comme ça l'idée est amusante, mais bon, ça ne mène pas bien loin.
Les producteurs, en revanche, savent ce qu'ils font et on a une petite idée de l'opinion qu'ils se font de leur public-cible :

Anatomie comparée cerveaux

mardi 3 février 2015

Snake Eyes (B. De Palma, 1998)




Très bon film de Brian De Palma, qui est ici épaulé à merveille par Nicolas Cage (qui, décidément, est très fort dans ces rôles d'exalté aux yeux exorbités). De Palma joue tant et plus avec l'image (là où, dans le très bon Blow Out, il jouait tant et plus avec le son) : il fait couler sa caméra le long de plans séquences époustouflants, s'amuse à faire se rencontrer un autre plan séquence avec le précédent un moment plus tard, nous montre l'envers de ce qui nous était montré tout à l'heure, joue des caméras cachées et des indices visuels. Et, sur ce mélange délirant, s'agite le magouilleur explosif Rick Santoro (N. Cage), tout en tchatche, tout en petits arrangements, qui cherche – comme le spectateur – à comprendre ce qui se trame.

Mais, derrière cette histoire de petit magouilleur, c’est à l'assassinat de JFK que pense De Palma : c'est que le fameux film de Zapruder, s'il apporte une image qui a sidéré l'Amérique, crée aussi un manque frustrant. En effet, loin de tout révéler de l'assassinat, ce petit film pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Dès lors, ce qui manque à ce film célèbre, c'est son contre-champ, contre-champ qui apporterait les réponses. De Palma, en montrant l'envers de l'assassinat – envers explicatif qui déclenche la compréhension finale – expose le contre-champ dont l'Amérique rêve. Bien sûr  et De Palma le sait parfaitement  ce contre-champ n'existe pas et l'image de Kennedy assassiné continuera à jamais de mentir en ne révélant rien de ce qu'elle prétend montrer.

Mais, dans Snake Eyes, De Palma fait ce qui lui plait et donne corps au rêve : Santoro aussi bien que le spectateur, conduit de main de maître et avec beaucoup d'humour et de facilité par De Palma, finissent par décrypter ce qui s’est passé et à retomber sur leurs pieds.