mercredi 30 novembre 2016

Pierrot le fou (J.- L. Godard, 1965)





Film très célèbre de Jean-Luc Godard qui est emblématique de la modernité du cinéaste. Aussi bien dans le fond que dans la forme on tient là un parfait exemple des recherches de Godard et de sa volonté de rupture.

Formellement Godard continue de casser les codes du montage. Faisant fi des conventions habituelles du montage transparent, il impose des cut à tout va et multiplie les faux-raccords et les répétitions. De même il joue sans cesse avec la bande-son, avec une musique tantôt extradiégétique, tantôt faisant irruption, etc. Allant plus loin encore, il brise la narration classique. Par exemple, dans la séquence où Ferdinand et Marianne s’enfuient de l’appartement, on voit se succéder des allers-retours montrant le couple filant en voiture, puis descendant d’une gouttière pour s’échapper, puis la voiture démarrant, puis le couple montant en voiture. Un tel mic-mac a désarçonné les théoriciens, occupés qu’ils étaient à dresser une typologie soignée des séquences narratives. C. Metz, un des grands théoriciens français (auteur notamment de la Grande Syntagmatique), un peu coincé, dut développer de nouveaux outils théoriques jusqu’à l’apparition de l’idée de dysnarration. C’est cela : Pierrot le fou est dysnarratif, pas vraiment narratif mais narratif quand même.
Godard ne s’arrête pas là : il continue de remplir le cadre d’aplats de couleurs rouges et bleus qui envahissent chaque image, jusqu’au célèbre visage barbouillé de peinture de Belmondo. Il ponctue son film de lettres au néon, joue avec la graphie, opère des correspondances de formes ou de couleurs. Et, fidèle à lui-même, il cite à profusion : des films, des tableaux, des essais, des BD, tout y passe.
Enfin il s’en remet totalement à ses acteurs et les laisse improviser, s’arranger, discuter, se reprendre, vaquer. Belmondo est très à l’aise et Anna Karina, avec ses « je me demande, je sais pas quoi faire… », tient une réplique légendaire et symptomatique du cinéma moderne. On préférera peut-être l'étonnante intervention de Raymond Devos, tout à fait dans son registre habituel. Cette saynète intervient comme un ready-made, profitant de la présence de Devos et le laissant faire. Elle lui permet aussi, il faut bien dire, de rajouter quelques minutes, Godard étant éternellement tétanisé par l'idée de produire un métrage trop court.


Pour ce qu’il est de l’histoire elle-même, le film est un modèle du genre : les personnages errent et agissent sans but, le temps passe, ils vont et viennent, cela part de nulle part et n’aboutit à rien. Tout y semble banal et sans intérêt. On serait bien en peine de comprendre ou d’expliquer (là où, dans Le Mépris, Godard cherchait à comprendre un instant fugace dans un couple, bien plus qu’il ne cherchait à l’expliquer).
Mais le film reprend une nouvelle fois (c'était déjà le cas dans Le Mépris), la thématique de l'île, pris ici comme moment idyllique fugace, où le couple se trouve, avant de se briser petit à petit. Il s'agit bien sûr d'une réminiscence du fondateur Monika de Bergman qui suit la même structure.

Enfin, concernant l’esthétisme de son film (mot pris dans le sens d’un message artistique véhiculé par le film), si Godard casse les codes, il construit peu. Et, dans l’assemblage qui en résulte, on a fortement l’impression, que, au travers de cette mise en scène qui s’exhibe tant, Godard, à chaque plan, dans chaque scène, écrit un manifeste qui crie sans cesse « c’est nouveau, je sors des sentiers battus, c’est de l’art ! ». On comprend mieux, sans doute, d’une part que les films de Godard soient souvent obscurs et abscons et, d’autre part, qu'ils puissent ne faire naître que bien peu d’émotion.


lundi 28 novembre 2016

Le montage : la naissance du sens et de l'émotion




Le montage est une étape décisive dans la création d'un film, c'est en fait la dernière écriture, celle qui permet de passer de la discontinuité du tournage à la continuité du film. En outre, c'est au moment du montage que le sens et l’émotion naissent.
Si certains cinéastes ont cherché à ne pas lui donner une grande importance (en cherchant par exemple à minimiser le nombre de prises de vue, comme Ford ou Capra), d'autres, en revanche, pouvaient rester plusieurs années à réaliser le montage de leurs films, longtemps après que les prises de vue aient été achevées (c'est le cas de Kubrick ou de Tarkovski).
On mesure la différence de conceptions des réalisateurs, entre John Ford qui disait aux monteurs « Ne travaillez surtout pas vous abîmeriez mon oeuvre ! » et Orson Welles qui expliquait que « le seul endroit où j'exerce un pouvoir absolu est la salle de montage ».


On distingue principalement 3 grands types de montage, qui ont à la fois des formes et des objectifs différents : le montage narratif, le montage discursif et le montage de correspondances.

         1. Le montage narratif

Historiquement l’idée de montage apparaît quelques années après les débuts du cinéma, quand, au-delà de la simple collure entre des plans successifs, l’objectif de raconter une histoire se met en place. On passe ainsi, comme le dit V. Amiel (dans Esthétique du montage), d’une esthétique de l’attraction à une esthétique de la narration. Le but du montage, alors, est d’établir des liens narratifs.
On doit à Griffith les premières grandes tentatives de narration par le montage. Il filme une personne qui sort du champ par une porte à droite et qui entre, au plan suivant, par une porte située à gauche. C’est ainsi que les plans, petit à petit, se relient les uns aux autres et qu’une continuité se crée dans l’esprit du spectateur. Un peu comme pour une BD, où, d’une case à l’autre, l’imagination raccorde entre eux les mouvements des personnages. On le voit dans cet exemple, avec quatre cases qui se suivent, tirées des Sept boules de cristal, reliées entre elles par des raccords mouvements :
  
 
  

Cette mécanique n’est pas du tout automatique et, si elle le semble aujourd’hui, c’est qu’elle vient d’une grande habitude.

Et de là toute une grammaire se met en place pour relier entre eux des plans différents (ce sont les raccords) ou pour articuler entre elles des séquences différentes (ce sont les ponctuations).
Très vite les principaux raccords sont mis au point : raccord mouvement, raccord regard, champ/contre-champ, différents overlapping (continuité sonore d’un plan à l’autre), etc. Et la narration peut s’enhardir : arrivent des montages parallèles (Griffith en fait de célèbres dans Intolérance), des montages alternés, etc. Et, de même, les principales ponctuations se mettent en place : fondus au noir, fondus enchaînés, fermeture à l'iris, volets, etc.
On en arrive à une volonté de rendre l’histoire la plus lisible possible et, donc, à rendre les coupures entre les plans les moins visibles possibles. On parle alors de montage transparent pour désigner tous les films dans lesquels le montage se fait le plus discret possible. De l’âge classique d’Hollywood à l’ère actuelle des blockbusters, une immense majorité des films procède de ces montages, très appliqués et professionnels, destinés à raconter une histoire de façon lisible.
Bien entendu ce type de montage n’empêche pas des jeux narratifs parfois complexes (par exemple les flash-backs, qui procèdent d’une articulation originale des séquences entre elles, et non des plans entre eux).


         2. Le montage discursif

Mais, en même temps que ce montage narratif « discret » se met en place, les expérimentations ne cessent pas. Dès les années 20, le cinéma soviétique explore les possibilités infinies du montage. Eisenstein, notamment, théorise à tout va : il distingue de nombreux montages différents, bien loin des habitudes hollywoodiennes. Son but n’est pas de raconter « discrètement » mais, bien au contraire,  de mettre en évidence les antagonismes du monde (c’est pour cela que, reprenant la sémantique marxiste, on a pu parler à son sujet de « montage dialectique ») en exposant les conflits (la célèbre séquence de l’escalier d’Odessa dans Le Cuirassé Potemkine en est un exemple frappant). De même Vertov (par exemple dans L’Homme à la caméra) rassemble des fragments et organise des significations qui ne vont pas de soi : c’est la façon d’agencer les fragments qui devient un discours sur le monde. On a donc ici une esthétique du fragment.
Le gros plan est bien entendu un élément typique de cette esthétique. Gros plan qui isole un fragment du flux – suspendant le temps pour un instant – comme Eisenstein le conçoit, ou gros plan qui tend le ressort dramatique comme chez Hitchcock.
On comprend bien que, dans cette optique, la position relative des plans les uns par rapport aux autres crée le discours. C’est ce qu’exprime R. Bresson quand il dit qu’« il faut qu’une image se transforme au contact d’autres images, comme une couleur au contact d’autres couleurs. Un bleu n’est pas le même bleu à côté d’un vert, d’un jaune, d’un rouge ».

Chaque plan devenant un fragment d’un discours, l’image n’est plus seulement une imitation de la réalité, elle devient une désignation. Ces images sont alors utilisées comme des figures de rhétorique. Les images deviennent des métaphores ou encore des synecdoques. Dans Potemkine, le médecin jeté par-dessus bord est désigné uniquement par ses lorgnons, qui restent accrochés au bastingage. Ces mêmes lorgnons symbolisant la traîtrise du médecin qui avait examiné la viande avariée et l’avait déclaré bonne à être consommée.
Si, on le voit, l'acte discursif peut correspondre à la mise en place d'une nouvelle esthétique, il peut aussi s'appuyer sur les habitudes du montage transparent pour mieux rompre avec lui. C'est ce que fait beaucoup Godard, en cherchant à créer des ruptures narratives : il multiplie les faux-raccords, les heurts entre la bande visuelle et sonore, les cuts abrupts, etc.

On remarquera que le montage discursif a pris toute son ampleur dans le cinéma militant, plus encore dans le cinéma de propagande et, bien davantage encore, dans la publicité : il s’agit bien, ici, à divers degrés, de convaincre, de persuader, de donner une certaine version du monde.


         3. Le montage de correspondances

Dans les années 20 les soviétiques développent leurs théories du montage, et, en France une véritable avant-garde expérimente : avec Abel Gance et son montage accéléré (dans La Roue) ou son montage de surfaces (dans son Napoléon, où certaines images sont constituées de multiples superpositions) ou encore le montage sensible des impressionnistes (chez L’Herbier, Epstein ou encore Vigo). On est loin ici d’une simple narration ou d’une volonté de discours : si le montage façonne une nouvelle manière de voir, il donne aux images un relief beaucoup plus poétique.

En effet les échos entre plans sont davantage du ressort d’une musique visuelle, qui évoque des rimes. Qu’on pense aux multiples miroirs et brillances de Madame de… ou à cette façon unique et mystérieuse qu’à Ozu de sculpter le temps (Deleuze parlant à son propos des « natures mortes » qui émaillent ses films) ou encore aux motifs qui traversent les films de Tarkovski. C’est ce que signifient les correspondances : ce sont les échos formels mis en valeur par le montage. V. Amiel l’explique très bien : « il ne s’agit ni de l’agencement décoratif d’éléments esthétiques, ni d’indices nécessaires à la conduite du récit. Ce sont des fragments de temps et d’action qui, tirant leur valeur et leur poids du rapport entretenu avec d’autres, permettent au film de dépasser la somme de ses contenus. […] Bref, le montage des correspondances, parce qu’il permet d’envisager d’autres liens que ceux de la succession ou de la consécution, et parce qu’il desserre les mécanismes intellectuels pour laisser la sensibilité occuper les intervalles, offre aux spectateurs une autre dimension de la représentation. Une véritable poétique, élaborée dans la matière même du film : son flux temporel ».


vendredi 25 novembre 2016

Les Contrebandiers de Moonfleet (Moonfleet de F. Lang, 1955)




Merveilleux film d’aventures de Fritz Lang, Moonfleet, avec son trésor caché, ses cartes, ses pirates, ses trahisons, ses visites dans les puits ou les catacombes, dispense un charme puissant. Et, en plus de tout cela, il est la quête d’un garçon perdu dans cet univers masculin vers celui qui pourrait être son père. Cette dimension supplémentaire fait du film bien plus qu’une suite d’aventures rocambolesques ou picaresques. Lang, d’ailleurs, termine sur une touche très dure, bien loin d’un habituel happy-end, en laissant l’enfant dans une attente que le spectateur sait vaine.

La séquence par laquelle débute le film évoque à la fois Les Grandes espérances et L’Homme qui rit et, ensuite, on virevolte de souvenirs en souvenirs, de L’Ancre de miséricorde aux romans de cape et d’épées. Stewart Granger est un Jeremy Fox de légende et le petit John Whiteley une tête blonde à travers laquelle chaque enfant (qui est en chacun des spectateurs, cela va sans dire) s’identifiera mille fois.
On tient là un fabuleux récit d’initiation et de transmission, avec le petit John à la dure école de la cruauté de Jeremy Fox et de son univers.


mercredi 23 novembre 2016

L'Aurore (Sunrise de F. W. Murnau, 1927)





Film très célèbre, L’Aurore est un éblouissant chef-d’œuvre. Murnau, fort du succès de ses films précédents, est convié à travailler en Amérique.
A travers un thème universel (un homme attiré par une femme fatale délaisse sa famille), on a là un conflit très commun (la passion passagère – sexuelle – contre l’amour profond pour sa femme et ses enfants). Murnau traite ce thème au travers d’une dualité géographique et métaphorique : la campagne pure et vertueuse et la tentation diabolique de la ville.
Murnau joue avec ce double conflit au travers d’un traitement expressionniste : l’opposition ombre/lumière est une mise en image de la dualité Bien/Mal (en cela le film reste plus allemand qu’américain). Le jour protège et l’ombre est dangereuse. L’extraordinaire plan-séquence où Ansass parcourt les marais pour retrouver la fille de la ville, sous la clarté blafarde de la lune, a ainsi une formidable dimension fantastique. Ansass ne pourra retrouver sa femme que s’il domine et la ville et la nuit. C’est le sens de la séquence où le couple se retrouve dans la ville et la parcourt : la ville est ainsi vaincue (notamment après un passage à l’Eglise : le couple en ressort uni). La tempête, même, sera vaincue, malgré les peurs d’Ansass.


Murnau fait évoluer l’expressionnisme : aux cadrages et aux angles durs de Caligari ou Lang, Murnau oppose des contours flous, des ambiances de brouillards.  Les éléments se mélangent, lorsque, dans la nuit, sous la lune, les amants s’étreignent.

Mais on retrouve dans L’Aurore à la fois cette composition de l’image très picturale et les mouvements d’appareil complexes et parfaits qui constituent le style brillant de Murnau.


mardi 22 novembre 2016

Le Quai des brumes (M. Carné, 1938)




Film remarquable, envoûtant et très sombre, où Marcel Carné, depuis ses studios, parvient à emporter le spectateur bien loin de son fauteuil, dans ces brumes incessantes du Havre, mélangeant parfaitement le réalisme social (le soldat déserteur, le monde populaire, la pauvreté, le bar de Panama) et la poésie (la relation construite pas à pas entre Jean et Nelly est très belle, de même les personnages qui se croisent chez Panama).
Les acteurs sont fabuleux. Gabin est fascinant : il parvient, en un éclat brisé de son regard, à renvoyer à son passé insondable de militaire, au malheur, à sa vie finie. Michèle Morgan – dix-sept ans – promène son regard cristallin, qui reste lumineux malgré tout ce qu’elle a subi ; Michel Simon compose un Zabel épouvantable et visqueux et Pierre Brasseur un avorton lâche et détestable.
Au-delà de la célébrité du film et de sa fameuse réplique, on tient là un chef-d’œuvre de la période, avec la poésie noire et lyrique du duo Carné-Prévert.



samedi 19 novembre 2016

Pulsions (Dressed to Kill de B. De Palma, 1980)




Si l’histoire en elle-même est assez simple et si la narration s’offre parfois de singuliers raccourcis, là n’est pas l’intérêt de Pulsions (1), qui reste l’un des meilleurs films de Brian De Palma.
De Palma y développe une mise en scène à la fois voluptueuse et savante, construisant de nombreuses séquences comme autant de morceaux de bravoure (la séquence dans le musée, le meurtre dans l’ascenseur) et il parvient à distiller un parfum onirique et pulsionnel au film.
Bien sûr – on connaît De Palma – Hitchcock n’est pas loin (si Vertigo est largement évoqué au musée, c’est davantage Psychose qui est repris ici) mais l’inspiration n’est ici qu’un point de départ et De Palma explore ses thèmes du double et du fantasme avec virtuosité. Cette virtuosité n’est plus seulement un déballage technique un peu prétentieux ou une simple passion formelle : elle contribue à créer un univers singulier et à y enfermer les personnages sans que l’on discerne vraiment si cette étrangeté vient du monde lui-même ou de leur perception du monde.
De Palma joue d’incertitudes, de tensions, trompant volontiers le spectateur (dès la scène d’ouverture et jusqu’à la séquence finale) mais aussi ses personnages en multipliant les jeux de miroirs, les mouvements de caméra, les confusions entre les pulsions et la réalité, les ressemblances et les dissonances.





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(1) : Si le titre français trahit largement le titre original – Dressed to Kill –, il est tout à fait fidèle au film lui-même.

vendredi 18 novembre 2016

Une fonction du cinéma selon A. Bazin



Un aphorisme célèbre et fondamental de André Bazin :

« Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs ».

Ce mot sera repris par J. L. Godard en ouverture du Mépris. Et il ajoute : « Le Mépris est l’histoire de ce monde ».




mercredi 16 novembre 2016

Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird de R. Mulligan, 1962)




Très beau film de Robert Mulligan (dont on déplorera le titre français, bien loin du titre original), qui met en scène – et ce n’est jamais facile – une histoire entièrement vécue au travers des yeux d’un enfant. Fort du grand succès du roman d’Harper Lee Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, Mulligan l’adapte en s’appuyant sur des comédiens parfaits. Si Gregory Peck y trouve son meilleur rôle, Mary Badham est exceptionnelle en Scout, la fille rêveuse et aventurière.


Au-delà du regard social sur l’Amérique des années 30, avec son racisme largement dénoncé (le récit se déroule en Alabama), le cœur du film est le regard d’une enfant sur son père et, plus précisément, la fierté de l’enfant pour son père. On retrouve ici une thématique difficile et traitée notamment dans Le Voleur de bicyclette. On a aussi, dans cette exploration d’une relation filiale, une ascendance certaine avec La Nuit du chasseur.
En effet Scout, bien qu’elle respecte son père Atticus, découvre, au fur et à mesure, ses valeurs et son intégrité. Et c’est dans la confrontation de son père avec d’autres adultes qu’elle prend conscience de sa valeur. D’abord quand, devant la prison, il ose affronter les hommes venus lyncher le noir Tom Robinson (Scout intervient et désamorce la situation, mais Atticus s’était dressé pour faire barrage à la foule). Ensuite, bien sûr, lors du procès, quand, malgré la défaite, tous les Noirs se lèvent au passage d’Atticus. Cette relation parent-enfant est exprimée de façon très touchante, en particulier par le point de vue adopté (celui de l’enfant).


lundi 14 novembre 2016

La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot Contessa de J. L. Mankiewicz, 1954)




Très grand film de Joseph L. Mankiewicz, qui explore plus encore que dans d’autres films sa narration à plusieurs voix, à grands coups de flash-backs et de flash-back dans le flash-back. Le film débute ainsi sur l’enterrement de Maria, avec Harry Dawes (Bogart), en imper sous la pluie, qui commence le récit de cette histoire de Cendrillon moderne. Et ce ne sont pas moins de quatre narrateurs (dont Maria elle-même) qui prendront successivement la parole pour raconter ce qui est d’emblée montré comme une tragédie.
Mankiewicz brosse le portrait de trois sociétés – le monde du cinéma, la haute société argentée et une aristocratie moribonde – tout à la fois différentes et semblables dans leur désespoir. Et Maria passe ainsi de l’une à l’autre toujours en quête. Avec l’évocation d’Hollywood la mise en abyme est patente (et Bogart est alors un double du réalisateur/scénariste).
Mankiewicz fait parler ses personnages jusqu’à plus soif, abordant mille thèmes, mais dessinant un destin inéluctable et tragique à la belle Maria, qui, pourtant, après bien des désillusions,  croyait avoir trouvé son prince charmant, comme une petite fille exaucée.



Bien entouré par de très bons seconds rôles, Bogart continue de construire son mythe, avec cet élan cassé, cette pose un peu voûtée et cette voix si particulière et désabusée. Mais les regards se tournent davantage encore vers Ava Gardner, une nouvelle fois cœur battant du film (de même que dans Pandora ou La Croisée des destins) et qui donne une féerie envoûtante au film. On comprend que Mankiewicz, sentant combien elle irradie l’image, la filme toujours plus belle et plus tragique.



dimanche 13 novembre 2016

On connaît la chanson (A. Resnais, 1997)




Sur une idée amusante qui remet au goût du jour la comédie musicale, Alain Resnais offre un film trop convenu mais pas déplaisant. Reprenant un film choral autour de rapports conjugaux complexes et variés, cette façon de faire entonner des chansons du répertoire populaire français en écho aux émois ou à la dépression des personnages donne une touche originale réussie.
Pour le reste, malgré une galerie variée de personnages qui brosse un portrait doux-amer de la société française (enfin : d’une certaine société française), le film reste beaucoup trop convenu et le scénario, si l'on enlève cette touche musicale redondante, trop peu épais.

jeudi 10 novembre 2016

Les Moissons du ciel (Days of Heaven de T. Malick, 1978)




Très beau film de Terrence Malick, d'une beauté envoûtante et d'un lyrisme absolu. Depuis l'arrière-plan du film (les moissons en cette fin de XIXème siècle, alors que la mécanisation envahit peu à peu les champs) en passant par la photo éblouissante (cette lumière de fin de jour qui envahit l'écran), jusqu'à cette histoire d'amour contrariée entre Abby, l’ouvrière, et le jeune propriétaire terrien.
Malick sent les champs, les filme en gros plan, pour y déceler les insectes qui s’agrippent aux épis, et les montre ravagés par un incendie. Richard Gere – dans un rôle bien éloigné de ceux qui l'emmèneront au fait de la gloire – campe un personnage complexe et contradictoire, à la fois protecteur pour sa sœur mais qui l'utilise à ses dépens.


C'est, peut-être, dès ce second film, que Malick parvient à toucher du doigt l'équilibre fragile et sublime entre le lyrisme qu'il recherche sans cesse et la liberté narrative, sans que l'un n'engloutisse ou ne dissolve l'autre.


lundi 7 novembre 2016

Dracula (Bram Stoker's Dracula de F. F. Coppola, 1992)




Film empli du brio de Coppola qui joue avec génie d'un ton baroque et étrange pour proposer une version toute personnelle de l'histoire du comte Dracula (Gary Oldman trouve à cette occasion son meilleur rôle). Que l'on est loin, ici, une nouvelle fois, des univers cinématographiques qu'il a pu construire précédemment !
La séquence d'ouverture est remarquable et le film reste, tout du long, un peu fou, très excessif, spectaculaire, exubérant, stimulant, baroque. Toute la liberté et la démesure de Coppola s’expriment et on le sent lui-même bien plus intéressé par ses constructions d’images et ses jeux de caméra que par la narration. En passant il s’offre même la facétie d'illustrer la naissance du cinématographe.


samedi 5 novembre 2016

Le Cabinet du docteur Caligari (Das Cabinet des Dr. Caligari de R. Wiene, 1920)




Important film expressionniste, Le Cabinet du docteur Caligari est, aujourd’hui, encore, fascinant : à ses décors typiques et spectaculaires, réalisés à grands coups de toiles peintes qui permettent les déformations les plus audacieuses de l’architecture, répond la folie de Cesare, dont le récit prend le pas sur toute forme de réalité. Bientôt le film est imprégné d’une étrangeté qui l’emmène dans un Ailleurs. Ailleurs justifié par le récit principal, qui est celui d’un fou. L’entremêlement de la forme et du fond, qui expriment tous les deux la folie, est remarquable.



Le film devient alors la visite de l’intérieur du cerveau de ce fou, d’où l’univers cauchemardesque et détaché de tout réalisme. On retrouve l’influence du film en ce qu’il est une des grandes dates de l’expressionnisme allemand, et l’on sent son empreinte jusqu’à Hollywood où, par exemple, il irrigue certaines scènes fameuses de La Nuit du chasseur.

vendredi 4 novembre 2016

La piel que habito (P. Almodovar, 2011)




Remarquable film de Pedro Almodovar qui parvient, avec brio, à passer d'un thème à l'autre et, même, d'un genre à l'autre. Cette réussite met en avant ses qualités de conteur proprement exceptionnelles. En effet il parvient ici à mélanger tour à tour, le film fantastique, le film de vengeance, le film de séquestration, le mélodrame, pour se clore en film noir. Ce mélange passe facilement pour le spectateur qui s'attache d'abord à Robert, avant de comprendre ce qui s'est réellement passé et de s'attacher à Véra/Vicente. Cette facilité pour le spectateur de suivre les méandres de l'histoire proposée et de passer, ainsi, d'un personnage à l'autre est stupéfiante.
Sans qu'il y ait de référence explicite à des films (ce qui est le cas habituellement chez Almodovar), on pense évidemment aux Yeux sans visage de Franju où un père essaye, là aussi, de reconstruire un visage, de même qu'à Vertigo puisque Robert façonne Vincent à l'image de sa femme décédée.
Mais ici plusieurs thèmes viennent s'entremêler. On retrouve la question classique chez Almodovar de l'inversion des sexes, mais teintée de noirceur avec la double vengeance qui s'y exprime (celle de Robert sur Vincent, puis celle de Vincent/Véra sur Robert). A cette double vengeance, révélée assez tard, Almodovar n'hésite pas à multiplier l'épaisseur de son récit, non pas en multipliant les emboîtements comme dans d’autres de ses films (Tout sur ma mère par exemple) mais en raccordant plusieurs pistes, plusieurs ambiances (une première, froide et technologique, puis d'autres, plus chaudes). L'irruption du lubrique et violent Tigro (dans une séquence qui évoque Kika) déclenche ensuite tout ce qui était condensé, en suspens et que le spectateur ignore encore : les relations filiales, la vengeance de Robert, les deuils impossibles, etc.
Formellement, Almodovar est fidèle à lui-même : il garde son style brillant, plastiquement très riche, visuellement abouti et sûr de lui.


mardi 1 novembre 2016

Le Château de l'araignée (Kumo no Sujo de A. Kurosawa, 1957)




Très bon film de Kurosawa que cette adaptation de Macbeth, où la pièce est transposée dans le Japon médiéval. Cette transposition de Kurosawa est dénuée de l’épique qui dominera Ran (adaptation du Roi Lear), trente ans plus tard. Ici, s’il reprend la trame principale (la prophétie des sorcières, l’influence maléfique de l’épouse, la fin), Kurosawa tend à enfermer ses personnages : les brumes de la forêt où les cavaliers tournent en rond sont une métaphore de l’esprit de Washizu, embrouillé par les passions ; et le vide des pièces, où Washizu complote, reflète son vide intérieur, que saura tourner à son profit son épouse.


Aidé par son acteur fétiche Toshiro Mifune, dont le jeu expressif fait merveille ici, Kurosawa mêle des séquences splendides dans la forêt, des apparitions oniriques et inquiétantes de spectres et filme des morts surjouées, notamment dans la séquence finale, où Washizu finit criblé des flèches de ses propres soldats.