lundi 29 janvier 2018

Le Prince de New York (Prince of the City de S. Lumet, 1981)




Excellent film de Sidney Lumet, qui aborde avec beaucoup d’intelligence le problème de la justice, de l’honnêteté, de la trahison et de ses conséquences. Il s'agit peut-être du meilleur film de Lumet, l'un de ses plus aboutis en tout cas, avec un récit foisonnant et passionnant : il entrecroise de nombreux personnages et navigue entre les procureurs, les soirées entre amis, les rues pleines de junkies et les combines des mafieux.
Danny Cellio (très bon Treat Williams, dans un rôle difficile), flic à la brigade des stup, se met à balancer ses collègues auprès de la police des polices. Il se repent donc des arrangements, des bidouillages internes, des acoquinements avec la mafia locale ou avec des junkies qu’il faut amadouer pour qu’ils servent d’indic.



Et pour dénoncer le système, il porte des micros, piège ses collègues. Il fait donc œuvre de chevalier blanc et le procureur applaudit. Mais Lumet ne s’arrête pas là et complexifie son propos en décrivant les conséquences de ces actes : si Cellio se retrouve droit dans ses bottes, il trahit alors ses plus proches amis, ceux-là même à qui il avait juré de rester fidèle. La justice vient donc flirter avec la trahison. Et, parmi ses collègues qui voient le ciel leur tomber sur la tête, l’un d’eux, plus fragile, se suicide. Cellio n’est-il pas responsable de cette mort ? Il le vit ainsi et ses amis aussi.
C’est là tout l’intérêt du film que de porter cette question de la justice dans un quotidien et de la confronter avec la réalité. Puisque Cellio est un traître, il mérite certainement une part de mépris de la part de ses amis les plus proches. Et le système lui renvoie cette image puisqu’il est banni (non pas administrativement mais humainement) et il devient un archétype du traître. À avoir balancé ses collègues pour revenir dans le droit chemin de la justice, Cellio a tout perdu et il est humainement détruit.



Lumet, très intelligemment, ne se prononce pas réellement sur son personnage. Il choisit un acteur méconnu qui ne provoque pas immédiatement une sympathie de la part du spectateur (l’acteur avait été Al Pacino – souvent choisi par Lumet – le rapport au personnage en eût été changé), et on hésite très longtemps sur le comportement de Cellio. Le personnage a une part d'arrogance, il est colérique, sûr de lui par moment, fort avec les faibles et faible avec les forts. Et porter des micros pour piéger ses amis n’est-ce pas moralement condamnable ?
La réponse de Lumet, telle qu’elle est exprimée dans le film, est qu’on ne peut être totalement juste, qu’une belle police propre sur elle n’est qu’une idée déconnectée des réalités de terrain et qu’il faut admettre une part d’arrangement et de bidouillage. On le voit, la conception de la justice, beaucoup travaillée par le réalisateur film après film, a beaucoup évolué depuis Douze hommes en colère (où les choses étaient claires) et même depuis Serpico. Ici le principe de réalité prend le dessus et le procureur a certainement raison d’absoudre Cellio malgré les mille et un écarts faits à la loi. Et le paradoxe apparaît en pleine lumière : appliquer la loi demande aussi, certainement, d’accepter de devoir faire des entorses à la loi.

samedi 27 janvier 2018

Tous les matins du monde (A. Corneau, 1991)




Très beau film d’Alain Corneau, dans un registre surprenant (on est bien loin du regard acide et désenchanté de Série noire). Hymne à la musique, au baroque, à l’intériorité du monde, le film déborde la simple rivalité entre le maître et son disciple et consacre l’expression par la musique au-dessus de tout. Le misanthrope Monsieur de Sainte-Colombe ne s’exprime que par sa viole de gambe, enfermé dans sa cabane au fond du jardin, où il converse avec sa femme morte, la revoit, fantomatique, passer devant lui et il dit sa peine, sans cesse, l’archer en main. Et l’épaisseur de sa vie tient aux cordes de sa viole. Corneau s’attarde sans hésitation sur ces longs moments où Jean-Pierre Marielle (qui tient là sans doute son plus beau rôle), penché sur sa viole, dit sa mélancolie infinie. Il ne coupe jamais un morceau, étire chaque séquence, et l’on comprend que le rôle principal n’est ni pour Marielle ni pour Depardieu, mais il est offert à la musique, impalpable et omniprésente. Le film, alors, touche par moment la grâce, au travers de longs plans séquences filmés, la caméra restant fixe ou se déplaçant très lentement.
Et, si la photographie est magnifique, on retient du film, au-delà des images qu’il contient, ce son grave, lent et sombre de la viole qui anime Monsieur de Sainte-Colombe.



Alain Corneau, ensuite, construit parfaitement son film, jouant sur des flash-backs, sur des personnages qui se construisent au fur et à mesure qu’ils vieillissent, sur des oppositions entre la cour de Versailles et la rudesse austère du monde de Sainte-Colombe.

Le sujet était ardu. Pourtant, filmé sans aucune concession, le réalisateur n'a transigé vers aucune facilité commerciale, contribuant même à populariser la musique baroque du XVIIème et la viole de gambe de Jordi Savall : on ne peut que se réjouir du grand succès en salle du film qui fit plus de deux millions d'entrées.


jeudi 25 janvier 2018

La Porte du diable (Devil's Doorway de A. Mann, 1950)




Avec La Porte du diable, Anthony Mann frappe très fort : il s'agit de l'un des premiers films à prendre le parti des Indiens et à dénoncer les injustices qu’ils ont subies. Jusqu’alors la vision hollywoodienne classique considérait à peine les Indiens, surtout montrés comme des sauvages hurlants et agressifs dévalant les collines au galop pour attaquer les diligences (1). En 1950, en même temps que La Flèche brisée de D. Daves (et après une première pierre posée par J. Ford dans Le Massacre de Fort Apache), La Porte du diable s’intéresse aux Indiens, les met en avant, s’attarde sur des personnages forts (Lance Poole ici, Cochise dans le film de Daves) et dénonce le comportement des Blancs à leur endroit.

La force du film est d’adopter le point de vue de l’Indien (et non de l’homme blanc, comme dans La Flèche brisée) et de montrer que l’injustice subie par les Indiens, si elle prend sa source dans le racisme anti-Indien, est relayée par la loi elle-même : c’est en s’appuyant sur les lois que les éleveurs entendent prendre possession des terres occupées depuis toujours par les Indiens Shoshone. Cette injustice des lois elles-mêmes s’exprime au travers des hésitations du sheriff, vieil ami du père de Lance Poole, mais qui doit faire respecter une loi qu’il ne cautionne pas. De la même façon la loi l’oblige à mettre un écriteau qui exclut de servir les Indiens dans le saloon.


Le choc est alors terrible pour Lance Poole (impeccable Robert Taylor, dans un registre inattendu) qui revenait auréolé de ses faits d’armes de la Guerre de Sécession avec de l’espoir au cœur : il est persuadé que ceux qui se sont battus contre l’esclavage sauront le considérer, lui qui a versé son sang pour leur cause. Mais le racisme anti-Indiens est beaucoup trop ancré, dans les esprits et jusqu’au cœur des textes de loi. En 1950, les Noirs américains devaient nourrir le même regard sur leur pays en revenant de la Seconde Guerre où ils sont allés combattre le terrible racisme nazi. Et, tout du moins dans les états du Sud, la société a continué d’être violemment ségrégationniste. Le ressentiment de Lance Poole face à l’injustice évoque donc une injustice similaire contemporaine du film.
Mann parvient à éviter tout manichéisme en montrant que Lance Poole, par une certaine fierté arrogante, ne cherche pas à apaiser la situation, de même que le sheriff, on l’a dit, est pris dans la tenaille dans un choix complexe. Il enrichit également le film d'une vision supplémentaire très progressiste en donnant à une femme le rôle de l’avocat de la cause perdue.

Le désespoir des Indiens, leur déracinement, le vol de leur terre, la violence inique qu’ils subissent emplissent ce film sombre qui prépare le terrain aux westerns révisionnistes des années 70.



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(1) : Il faut cependant se garder de caricaturer : dans les tout premiers westerns que sont les Indian pictures (produits souvent par des sociétés françaises telles que Pathé ou Gaumont, et avant même que le mot western ne désigne ces films)les Indiens ont fait l’objet d’un regard particulier ;  ce fut le cas aussi très tôt à Hollywood, par exemple dès Le Cheval de fer de 1924, où Ford montre que si certains Indiens sont des sauvages menaçants, d’autres, au contraire, aident des ouvriers des chemins de fer.


lundi 22 janvier 2018

Madame Bovary (J. Renoir, 1933)




Film mineur de Jean Renoir, où l’on retrouve assez peu son génie : il n’y a là ni chatoiement de l’image (comme dans Partie de campagne), ni personnages intensément fouillés (comme dans La Bête humaine), ni dissection fine des rapports humains (comme dans La Règle du jeu). Il reste une critique sociale, celle de Flaubert, mais qui est un peu biaisée : on a cette impression que Emma Bovary est victime de la société et de son égoïsme. Or Emma est d’abord victime de ses propres illusions.

Si Pierre Renoir campe parfaitement Charles Bovary, Valentine Tessier est une Emma que l’on oublie bien vite. Elle a été imposée par la production et, au-delà de son jeu moyen, elle est bien âgée pour le rôle. L’interprétation, de même que la mise en scène, construisent une certaine théâtralité qui semble bien empruntée et corsetée.




samedi 20 janvier 2018

Du stéréotype dans les films



La grande question de savoir ce qu’est un bon film se heurte assez vite, hormis pour les cas incontestables (lorsque les films sont incontestablement excellents ou très mauvais), aux sensibilités de chacun.
On peut pourtant suggérer une ligne de fracture qui est pour beaucoup dans la différence entre bons films et mauvais films.

En effet, dans certains œuvres, les personnages apparaissent très stéréotypés et, à aucun moment, ils ne sortent de ce stéréotype ou ne viennent le contredire. Par exemple, au début des Choristes de C. Barratier, Clément Mathieu (Gérard Jugnot) apparaît comme un bon bougre gentil, ce qu'il restera tout au long du film ; de même pour Rachin (François Berléand), qui sera invariablement, pendant tout le film, un directeur tyrannique et impitoyable.

À l’inverse, dans d’autres films, les personnages (ou tout du moins le personnage principal) se complexifient au cours du récit, soit en se révélant au spectateur, soit en se révélant à eux-mêmes. Par exemple dans Mud, le jeune Ellis perd progressivement ses idéaux et, à cette évolution, répond celle de Mud lui-même qui évolue considérablement lui aussi, jusqu’à une véritable renaissance. Le héros peut aussi évoluer en mal, c’est-à-dire décevoir ou se retourner contre d’autres personnages. C’est le cas de Tom Dunson, personnage complexe et pivot de La Rivière rouge. (1)

Ainsi, bien des films, qui ont pourtant une certaine ambition – notamment en ce qu’ils se veulent un reflet de la société ou parce qu’ils entendent délivrer un « message » –, passent complètement à côté de leur sujet à cause de ces personnages superficiels et qui semblent imperméables à tout et sans complexité.
Tous les protagonistes du Capital de Costa-Gavras sont ainsi des caricatures, brossées sans aucune finesse. Il n’est pas un seul personnage qui sortira de la case qui lui est assignée à la première minute du récit. Il n’y en a pas un qui évoluera ou réagira de manière surprenante ou complexe. Le militantisme affiché par le film perd alors toute substance et ne convainc que ceux qui sont déjà convaincus par les thèses de l’auteur.
Il manque clairement une dimension à ces personnages qui restent insensibles aux expériences qu’ils rencontrent. Ils sonnent faux et, même dans les films qui cherchent à rattacher leur récit à une réalité, n’apparaissent pas du tout crédibles.


Le Capital de Costa-Gavras

C’est ainsi que, dans beaucoup de films, c’est le trajet du héros qui fascine. Certains personnages sont ainsi devenus des exemples typiques (et passionnants) d’un enrichissement qui va croissant au fur et à mesure de l’avancée du récit :

- Dans Les Raisons de la colère, Tom Joad sort de prison (il ignore tout des tenants et aboutissants de la période de crise qui frappe les siens) et le film montre l’éveil d’une conscience politique et un investissement progressif dans les syndicats.
- Ethan Edwards, dans La Prisonnière du désert, prend conscience progressivement qu’il est un homme du passé et que ses haines sont d’un autre temps.
- Dans Le Parrain, Michael Corleone prend en main les rênes de la famille, derrière un premier frère trop sanguin et un second falot. Lui qui voulait se tenir à l’écart de sa famille comprend qu’il n’a pas d’autres choix et il accomplit précisément ce qu’il voulait éviter.
- Dans Une place au soleil, George Eastman est coincé dans une situation qui lui échappe et dont il ne sait comment se dépêtrer. Chaque avancée dans le récit est comme un poids supplémentaire sur ses épaules.
- Le Dernier face à face de S. Sollima est considérablement enrichi par les deux personnages qui se révèlent ne pas être du tout ce qu’ils semblaient être. S’il n’y avait ce parcours croisé des deux protagonistes, le film n’aurait à peu près rien à dire.


Les Raisins de la colère de J. Ford

On sera donc sensible à ces personnages à la trajectoire courbe et hasardeuse et non rectiligne et comme prédéterminée. Dans mille et un films de série B – mais aussi, on l’a dit, dans bien des films qui prétendent amener une réflexion – il n’y a rien à attendre d’autre que le déroulement du récit, qui apparaît comme une suite d’étapes sans effet sur des personnages monolithiques.

Disons, si l’on veut être moins catégorique dans cette distinction entre bons et mauvais films, que cette évolution des personnages est peut-être ce qu’il manque à un certain nombre de films pour être bien meilleurs.



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(1) : Il faut bien sûr exclure de cette dichotomie les films de série (par exemple les films de James Bond ou avec Indiana Jones) qui, précisément, supportent mal que le héros puisse changer, de même que les comédies, purement divertissantes.
On notera également que de nombreux personnages de films modernes (entendant par là des films qui procèdent de l’image-temps), n’évoluent pas du tout. Mais on est ici dans un cas particulier puisque le film lui-même, souvent, n’est qu’une errance, sans véritable leitmotiv, et il n’arrive rien de particulier au personnage (c’est d’ailleurs bien là, souvent, ce que veut montrer le réalisateur). Le temps passe, le personnage ne sait pas trop où il va, il n’a pas de but véritable.


jeudi 18 janvier 2018

120 battements par minute (R. Campillo, 2017)




Intéressant et touchant film sur l’association Act Up-Paris, dans sa lutte pour faire reconnaître l’épidémie de SIDA au début des années 90 et pour pousser les laboratoires à accélérer leurs recherches de solutions médicales.
Le film parvient à passer progressivement d’un univers à un autre : il insiste d’abord sur le militantisme de l’association, par le biais d’assemblées (des réunions hebdomadaires entre militants que la maladie réunit) et de coups médiatiques, avant de glisser vers un ton plus intimiste, avec la relation entre Nathan et Sean, dont l'état s'aggrave. Nathan, dans sa façon d’être là aux côtés de son ami mourant, se pose comme un ange gardien, qui accompagne mais que la maladie épargne.
La première partie du film fait écho à Harvey Milk de G. Van Sant, avec cette façon qu’a le réalisateur de nous plonger au cœur d'une association et d'une communauté qui lutte pour ses droits (puisque la maladie se conjugue ici avec l’homosexualité : la lutte pour la reconnaissance du SIDA allant de pair, du point de vue d’Act-Up, avec la reconnaissance de droits pour les homosexuels). La seconde partie, quant à elle, évoque davantage Dallas Buyers Club de J.- M. Vallée, toujours sur ce thème de la lutte contre le SIDA, mais abordé sous un plan plus radical et médical.

120 battements par minute mélange donc adroitement l’atmosphère de militantisme sauvage et agressif (mais non violent) de l’association avec une humeur beaucoup plus tragique. Et le film bénéficie de l’excellente interprétation des trois rôles masculins principaux. Nahuel Pérez Biscayart, en particulier, emmène très loin son personnage de Sean qui est progressivement détruit par la maladie en même temps qu'il rencontre Nathan. On pourra reprocher le ton final très tire-larmes, alors que le film ne le laissait pas présager.


Act Up-Paris s’est réjoui à juste titre de son succès à Cannes (Grand Prix du Festival) en y voyant une caisse de résonance permettant de parler à nouveau du SIDA. Mais le film, situé dans le passé, peut laisser croire que ces années SIDA sont révolues et que la maladie appartient au passé, ce qui peut être regrettable pour un film militant.


mardi 16 janvier 2018

L'Enfer des zombies (Zombi 2 de L. Fulci, 1979)




Produit typique d’une exploitation de filon : le film se nomme Zombi 2 afin de profiter du succès du Zombie de G. Romero. Il s’agit donc avant tout pour Lucio Fulci de profiter de l’engouement énorme pour les films de zombies, suite à l’éclosion du genre après la déflagration de La Nuit des morts-vivants.
Fulci joue logiquement avec les principaux codes mis en place : les zombies sont des morts qui se relèvent, avancent en titubant et ne veulent rien d’autre que mordre et déchiqueter les vivants. Conscient de ce que viennent chercher les amateurs du genre, Fulci n'hésite pas à en rajouter (même si, aujourd’hui, la monstration va beaucoup plus loin), montrant ici des membres déchiquetés, là un œil crevé, ici encore une scène de cannibalisme avec des zombies qui dégustent tranquillement. On serait bien en peine, en revanche, de trouver une métaphore ou une signification à ces zombies, alors que, chez Romero, ils ont toujours une fonction symbolique (en représentant, par exemple, les minorités ou bien le consommateur compulsif).
Si Fulci renonce à la photographie et à l’ambiance si particulière de La Nuit des morts-vivants (éléments qui créaient cet aspect réaliste d’épouvante), il rajoute des éléments cinématographiquement liés aux zombies : il est beaucoup question, pour expliquer ces morts qui reviennent à la vie, de culte vaudou, reprenant ainsi la lignée des Morts-vivants de V. Halperin ou de Vaudou de J. Tourneur. Et la bande-son apporte les indispensables jeux de tambour typiques.
Le scénario, pour le reste, est assez quelconque, malgré une accroche intéressante (un voilier abandonné qui dérive au large de New-York et qui pourrait évoquer Dracula arrivant en Angleterre) et l’idée finale, excellente.



dimanche 14 janvier 2018

L'Innocent (L'innocente de L. Visconti, 1976)




Dernier film de Visconti, L'Innocent est un drame intimiste, même s’il ne se résume pas à un huis clos dans un appartement comme dans Violence et passion. Mais Visconti, toujours diminué depuis le tournage de Ludwig, se retranche dans des tournages plus humbles et moins monumentaux.
Mais la puissance visuelle de Visconti reste intacte : le film est visuellement éblouissant, à la mesure de la décadence morale de la société qu’il peint.



Et Visconti scrute une déchéance : celle de Tullio Hermil (excellent Giancarlo Giannini), homme seul, délirant, vide et sans épaisseur.
Si le monde en décadence rappelle plusieurs films précédents du réalisateur, ce personnage central est bien loin du Prince Salina (Le Guépard) ou du Professeur (Violence et passion) qui sentent, chacun à leur façon, que leur heure est venue et qu'ils sont des hommes du passé. Ici Tullio Hermil, mauvais et effroyablement égoïste, ne comprend pas que le monde lui échappe et il se détruit progressivement, entraînant sa femme et cet enfant innocent dans sa chute.




vendredi 12 janvier 2018

La Rue sans joie (Die Freudlose Gasse de G. W Pabst, 1925)




Très beau film de Pabst, qui montre avec force les ravages de la grande pauvreté : il nous emmène dans le quotidien d’une rue de Vienne, où de nombreux personnages se croisent, chacun se rapportant à une situation donnée, toujours dramatique, et ce sont autant de destins qui se mêlent et rejaillissent les uns sur les autres. On a là, peut-être, une première idée d’un film choral, à la mode depuis Robert Altman.
Le film est tourné en studio et Pabst multiplie les scènes de nuit, ce qui renforce l’aspect oppressant et terriblement noir de la rue.



Pabst, avec un naturalisme à la Stroheim, montre combien, dans des conditions de vie déplorables, des profiteurs n’hésitent pas à faire leurs affaires, parfois sordides, comme le boucher qui, contre de la viande, propose aux femmes de coucher avec lui. Son regard social part des plus pauvres et va jusqu’aux commerçants et aux bourgeois, le tout sur fond d’inflation galopante et de grande pauvreté.
Et si l’argent qui corrompt et avilie les âmes est bien le fil rouge narratif (il est toujours question d’argent in fine, d’argent qui manque ou d’argent qui est amassé), une violence sexuelle, laissée hors-champ mais très fortement suggérée, envahit le film.


mercredi 10 janvier 2018

Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi (Star Wars: Episode VIII – The Last Jedi de R. Johnson, 2018)




Si ce huitième opus de la série propose bien – et c’est la moindre des choses – quelques scènes spectaculaires (mais aussi de vraies longueurs...), il est malgré tout extrêmement décevant. Ce n’est pas tant le rejet de l’univers de La Guerre des étoiles qui interpelle (rejet manifeste et étonnamment violent qui énerve tant les fans de la première heure) que le scénario proprement délirant et cousu d’incohérences.
Si la série a toujours été marquée par des scénarios parfois chaotiques ou traversés de faiblesses, on voit bien qu’ici les producteurs ne s'embarrassent plus : un film à 200 millions de dollars peut, en toute simplicité, reposer sur un scénario qui n’est rien d’autre qu’un fatras échevelé et dissonant.

Une scène retient particulièrement l’attention puisqu’elle montre à la fois combien le film manque d’imagination visuelle et aussi à quel point le film plonge dans un délire scénaristique.
Poursuivie par les vaisseaux ennemis, acculée et sans solution, la chef rebelle, restée seule à bord, lance son vaisseau à pleine vitesse contre le navire amiral ennemi.
On découvre alors, à l’occasion de la collision entre le vaisseau ennemi et le vaisseau rebelle, lancé à la vitesse de la lumière, une scène joliment filmée : au moment de la collision l’écran devient blanc, puis plusieurs images fixes se succèdent, sans musique. Pendant cinq à dix secondes, Rian Johnson innove et filme autrement. Ces dix secondes réussies révèlent, en creux, combien le reste du film est conventionnel et sans imagination.
Bien évidemment un épisode de Star Wars est un produit formaté et donc il n’est pas question pour la production de prendre le moindre risque. Néanmoins cette séquence montre, pour qui veut le voir, combien on peut filmer autrement, en sortant des canons esthétiques habituels. Ici pendant dix secondes sur un film de deux heures trente, le film se risque hors des sentiers battus.
Mais cette séquence révèle aussi la faillite scénaristique du film qui plonge en pleine incohérence. Il est évident que l’énergie cinétique d’un vaisseau lancé à la vitesse de la lumière est colossale et fait de lui une arme terrible. Mais alors, pourquoi, dans tous les épisodes précédents, cette technique d’attaque n’a-t-elle jamais été utilisée ? Voilà de quoi détruire l’Étoile Noire (dans le premier épisode de la série) ou un générateur vital (comme dans Le Retour du Jedi) ou n’importe quelle base de l’Empire sans difficulté. Et en faisant piloter le vaisseau par un droïde quelconque on évite même le sacrifice humain. Ce moyen d’attaque, pour des raisons de cohérence, n’était donc pas possible dans la saga Star Wars. Qu’importe la cohérence, donc.
C'est que les scénaristes semblent ignorer qu’il existe, dans l’univers de la Guerre des étoiles, un ensemble de conventions qui ne peuvent être brisées. Par exemple on ne verra jamais surgir un vaisseau qui traverserait l’espace sans un bruit : cela serait certainement juste scientifiquement mais la série perdrait toute sa cohérence puisque les vaisseaux y font toujours du bruit. Faut-il s'attendre à ce qu'on nous explique doctement, dans l’épisode suivant, qu’on ne peut dépasser la vitesse de la lumière, quand bien même le Faucon Millenium le fait en toute simplicité ?
Ce point est symptomatique (puisqu'à briser une cohérence on risque de voir s'écrouler tout l'univers de la saga) mais il est bien loin d’être le seul : le scénario n’est en fait qu’une succession d’incohérences. À tel point, d’ailleurs, que, même sans chercher à guetter les erreurs, leur multiplication brise la magie, nous font « sortir » du film pour se dire que le scénario, pour indulgent qu’on veuille bien être, est malgré tout lamentable.

Mais la plupart des commentateurs – depuis les fans (arc-boutés sur leur univers et semblant ne rien voir en dehors) jusqu’aux journalistes – ne font pas grand cas de ces questions, ce qui montre bien que Disney a raison de ne pas s’embarrasser de ce genre de petits détails et que le spectateur n’attend rien d’autre qu’un « grand spectacle » assorti de quelques mouvements de sabres-lasers : dans le joli package construit savamment pour rafler la mise – depuis les entrées en salle jusqu’aux multiples produits dérivés – un scénario grossier et bringuebalant suffit amplement.

Pour le reste, cette suite est fidèle à ce que nous avait montré l'opus précédent : si l'épisode VII était une reprise des grandes lignes du film d'origine, celui-ci est une reprise de L'Empire contre-attaque. Comme quoi, en matière de scénario les producteurs ne doutent de rien. On y retrouve les mêmes personnages étonnamment lisses et sans intérêts. Et le film, ce qui est un comble pour un blockbuster de space opera, ne nous épargne pas quelques longueurs fatigantes...


lundi 8 janvier 2018

Capitaine Blood (Captain Blood de M. Curtiz, 1935)




Réjouissant film de Michael Curtiz, où l’action bondit et rebondit sans cesse, portée par un rythme haletant et incarnée par Errol Flynn. Magnifique Errol Flynn, dont c’est le premier grand rôle, qui vient mettre sur le personnage sa patte si caractéristique, faite de vitalité, de fougue, et en même temps d’une forme de sérénité sûre d’elle-même.
On sait que, sur ces bases, Curtiz et Flynn continueront de travailler ensemble sur d’autres films qui seront autant de chefs-d’œuvre (Les Aventures de Robin des bois, L’Aigle des mers, etc.).



samedi 6 janvier 2018

Blade Runner 2049 (D. Villeneuve, 2017)




Très bonne suite du film de 1982, Blade Runner 2049 part de ce qui était déjà le plus réussi dans le premier opus (l’atmosphère soigneusement construite par Ridley Scott) pour le magnifier : c’est ainsi que le film est un opéra visuel et sonore, qui happe le spectateur. Le film ne propose que peu d’action (tout comme son prédécesseur) et s’attache à montrer lentement, de façon parfois virtuose, des lieux, des atmosphères, des moments.
On sent bien que Villeneuve se désintéresse du scénario. Pourtant, à la différence du premier film, l’officier K s’interroge sur sa nature, se demandant qui il est réellement (et se fourvoyant). C’est là, au niveau de l’intérêt scénaristique, tout à fait ce qu’il manque au premier film.

Au-delà du Blade Runner de Ridley Scott duquel il s’inspire largement et légitimement (pour l’atmosphère asiatique et pluvieuse des villes, l’architecture, l’ambiance géométrique et jaune de l’intérieur des buildings, etc.), Villeneuve enrichit son film en convoquant de très nombreuses images issues des films de science-fiction. On retrouve ainsi des hologrammes qui évoquent Minority report de Spielberg, une cage d’escalier rappelant Soleil vert de R. Fleischer, un soleil rouge semblable à celui qui clôt THX 1138 de G. Lucas, ou un certain aspect caverneux et monstrueux de la bande son tout droit issu de La Guerre des mondes de Spielberg. On retrouve aussi une certaine lenteur attentive, avec une façon de filmer proche de la matière, rappelant Tarkovski dans Stalker ou Solaris.



jeudi 4 janvier 2018

Les Envahisseurs de la planète rouge (Invaders from Mars de W. C. Menzies, 1953)




Intéressant film de science-fiction mais qui a beaucoup vieilli. Par rapport à d’autres films des années 50, celui-ci a même particulièrement vieilli, non pas du fait de son scénario, mais parce que le réalisateur a bien du mal à cacher le faible budget du film. Au-delà des problèmes de trucages ou de costumes (peut-être eût-il été préférable, pour représenter des mutants, de faire un quelconque monstre en caoutchouc – comme dans Les Survivants de l’infini par exemple – plutôt que des personnages en pyjama vert...), ce sont les inserts des chars partant au combat puis canardant à tout va qui ont du mal à passer. On sent bien à quel point la mise en scène a du mal à quitter le petit bout de plage tout en faisant croire que des chars venus par trains entiers ont cerné la zone.



L’idée de base, pourtant, est tout à fait géniale, puisque des martiens fraîchement débarqués de leur soucoupe volante insèrent des petits processeurs dans le cerveau des humains qu’ils ont capturés pour en prendre le contrôle. Cette idée, que l’on retrouvera sous différentes formes dans bien des films (par exemple dans Un crime dans la tête où le lavage de cerveau remplace l’électronique), est très riche scénaristiquement et aurait mérité d’aller plus loin que la simple prise de contrôle du commissariat du coin. Ici la critique anti-rouge va bon train puisqu’il s’agit pour les martiens de détruire les fusées mises au point dans l’usine d’à côté.
Mais si la première partie du film est très réussie (notamment parce qu’elle nous fait adopter le point de vue du jeune David qui a vu une soucoupe volante atterrir puis qui comprend que ses parents sont « différents »), la dernière partie est plombée par de longues explications et, on l’a dit, par son aspect cheap et sans surprise.



mardi 2 janvier 2018

Pour Bresson, l'art est une transformation



Un point fondamental du cinéma – plus précisément du montage – d’après Robert Bresson :

« Il faut qu'une image se transforme au contact d'autres images comme une couleur au contact d'autres couleurs. Un bleu n'est pas le même bleu à côté d'un vert, d'un jaune, d'un rouge. Pas d'art sans transformation. »