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lundi 15 juin 2020

La Chute de l'Empire romain (The Fall of the Roman Empire de A. Mann, 1964)




Quelques années après l’énorme carton de Ben-Hur, les péplums sont encore capables de mobiliser de très grands moyens de la part des studios (1). A la tête de cette superproduction, Anthony Mann, génial réalisateur, entre autre, d’une série de westerns exceptionnels, a bien du mal à être convaincant. On sait qu’il fut remercié par Kirk Douglas sur le tournage de Spartacus quelques années plus tôt et on ne peut pas dire qu’il cerne ici complétement son sujet. On a bien du mal à retrouver la maîtrise absolue du réalisateur de L’Appât, Je suis un aventurier ou L’Homme de la plaine. Sa façon de filmer l’espace, d’épaissir ses personnages, de les mettre en résonance avec la Nature, de construire entre eux des liens complexes, de rythmer parfaitement son film, tout cela semble bien loin dans cette Chute de l’Empire romain assez pesante et bien peu originale.
Il faut dire aussi que le casting pose problème, tant Livius, le général romain au cœur du film, est campé par un Stephen Boyd bien pâlichon et sans talent. Christopher Plummer, dans le rôle de Commode, n’est guère plus convaincant (2), alors que Sophia Loren, en sœur de l’Empereur, n’apporte pas grand-chose. C’est d’autant plus dommage que la distribution est intéressante par ailleurs, avec plusieurs seconds rôles tenus par des acteurs autrement plus charismatiques (James Mason, Alec Guiness, Omar Sharif, Mel Ferrer ou encore Anthony Quayle).



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(1) : On notera que les décors sont parmi les plus grands jamais réalisés pour un film et que les remparts ou le forum ne sont pas des trucages filmés en transparence mais ont été construits grandeur nature, mobilisant des centaines d’ouvriers.

(2) : Dans son Gladiator, qui reprend la trame de La Chute de l’Empire romain, Ridley Scott saura éviter cet écueil en choisissant deux très bons acteurs (Russell Crowe et Joaquin Phoenix) pour tenir ces deux rôles clefs.


jeudi 25 janvier 2018

La Porte du diable (Devil's Doorway de A. Mann, 1950)




Avec La Porte du diable, Anthony Mann frappe très fort : il s'agit de l'un des premiers films à prendre le parti des Indiens et à dénoncer les injustices qu’ils ont subies. Jusqu’alors la vision hollywoodienne classique considérait à peine les Indiens, surtout montrés comme des sauvages hurlants et agressifs dévalant les collines au galop pour attaquer les diligences (1). En 1950, en même temps que La Flèche brisée de D. Daves (et après une première pierre posée par J. Ford dans Le Massacre de Fort Apache), La Porte du diable s’intéresse aux Indiens, les met en avant, s’attarde sur des personnages forts (Lance Poole ici, Cochise dans le film de Daves) et dénonce le comportement des Blancs à leur endroit.

La force du film est d’adopter le point de vue de l’Indien (et non de l’homme blanc, comme dans La Flèche brisée) et de montrer que l’injustice subie par les Indiens, si elle prend sa source dans le racisme anti-Indien, est relayée par la loi elle-même : c’est en s’appuyant sur les lois que les éleveurs entendent prendre possession des terres occupées depuis toujours par les Indiens Shoshone. Cette injustice des lois elles-mêmes s’exprime au travers des hésitations du sheriff, vieil ami du père de Lance Poole, mais qui doit faire respecter une loi qu’il ne cautionne pas. De la même façon la loi l’oblige à mettre un écriteau qui exclut de servir les Indiens dans le saloon.


Le choc est alors terrible pour Lance Poole (impeccable Robert Taylor, dans un registre inattendu) qui revenait auréolé de ses faits d’armes de la Guerre de Sécession avec de l’espoir au cœur : il est persuadé que ceux qui se sont battus contre l’esclavage sauront le considérer, lui qui a versé son sang pour leur cause. Mais le racisme anti-Indiens est beaucoup trop ancré, dans les esprits et jusqu’au cœur des textes de loi. En 1950, les Noirs américains devaient nourrir le même regard sur leur pays en revenant de la Seconde Guerre où ils sont allés combattre le terrible racisme nazi. Et, tout du moins dans les états du Sud, la société a continué d’être violemment ségrégationniste. Le ressentiment de Lance Poole face à l’injustice évoque donc une injustice similaire contemporaine du film.
Mann parvient à éviter tout manichéisme en montrant que Lance Poole, par une certaine fierté arrogante, ne cherche pas à apaiser la situation, de même que le sheriff, on l’a dit, est pris dans la tenaille dans un choix complexe. Il enrichit également le film d'une vision supplémentaire très progressiste en donnant à une femme le rôle de l’avocat de la cause perdue.

Le désespoir des Indiens, leur déracinement, le vol de leur terre, la violence inique qu’ils subissent emplissent ce film sombre qui prépare le terrain aux westerns révisionnistes des années 70.



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(1) : Il faut cependant se garder de caricaturer : dans les tout premiers westerns que sont les Indian pictures (produits souvent par des sociétés françaises telles que Pathé ou Gaumont, et avant même que le mot western ne désigne ces films)les Indiens ont fait l’objet d’un regard particulier ;  ce fut le cas aussi très tôt à Hollywood, par exemple dès Le Cheval de fer de 1924, où Ford montre que si certains Indiens sont des sauvages menaçants, d’autres, au contraire, aident des ouvriers des chemins de fer.


mercredi 16 mars 2016

Cote 465 (Men in war de A. Mann, 1957)




Très bon film de guerre, âpre et sec.
On retrouve la patte de A. Mann, celle qu'il avait dans L'Appât par exemple. Ici le scénario est resserré autour de quelques hommes, perdus dans des collines envahies d'ennemis cachés.
Par rapport à ses grands westerns, A. Mann ne cherche pas à les sortir de leur condition de soldat (alors que dans ses westerns il aime confronter ses personnages avec la civilisation ou le développement de communautés...). Bien sûr il y a des traits communs : Le sergent Montana est névrotique, comme l'étaient souvent les héros joués par James Stewart, mais il n'y a pas le même individualisme (même ici en condition de guerre) : le sergent est tout dévoué à son colonel et le lieutenant Benson pense à ses hommes. Non, le film propose essentiellement un affrontement entre deux conceptions de la guerre.

Aldo Ray, dans son rôle de sergent dur et jusqu’au-boutiste est remarquable. D’ailleurs la substantifique moelle du film est résumée dans une réplique, lorsque le sergent tue des soldats coréens qui avaient mis des uniformes américains mais sans pouvoir être sûr qu’il s’agissait bien d’ennemis. Il a tiré parce qu’il le « savait », mais il n’en savait rien justement. Le lieutenant, comprenant la cruauté du sergent qui n’a pas hésité à tirer quand bien même il ne pouvait être sûr, lui dit : « Que Dieu nous protège si, pour gagner cette guerre, il faut des gars comme vous ». On a là un regard sur la guerre d’une grande acuité.
En effet, dès lors qu’une guerre est engagée il faut la gagner et que faut-il pour gagner une guerre ? Des guerriers sans pitié nous dit le film, quand bien même cela nous révulse. Et, à contrecœur, le lieutenant est bien obligé, à plusieurs reprises, de reconnaître l’efficacité du sergent.
Malgré son scénario très simple, ce film influencera de nombreux autres films de guerre. Le rôle d’Aldo Ray en annonce un autre similaire dans Les Nus et les morts (mais dans cet autre film la réflexion sur la guerre est encore enrichie). Et l’opposition entre soldats inspirera de nombreux films, depuis Platoon jusqu'à La Ligne rouge (même si ce film a une ligne lyrique complètement absente ici).

Aldo Ray Robert Ryan Cote 465
Aldo Ray et Robert Ryan

samedi 20 février 2016

La Charge des tuniques bleues (The Last frontier de A. Mann, 1955)



La Charge des tuniques bleues Anthony Mann Victore Mature Affiche Poster

Ce western fait suite aux chefs-d’œuvre d’A. Mann avec J. Stewart ou R. Taylor dans le rôle principal. Difficile succession : si le film est bon, il est en-dessous de ses prédécesseurs.
Pourtant on trouve la rigueur d’A. Mann, sa profondeur de champ, ses mouvements de caméra efficaces, l’aspect crépusculaire qu’il met dans plusieurs séquences.
Pourtant le personnage de Jed Cooper est intéressant. Il oscille entre sa vie de trappeur et la civilisation (symbolisée par la loi et l'ordre du fort). On sent que Mann traite ici d'une époque charnière dans l'histoire des États-Unis : alors que, par ailleurs, se déroule la guerre de sécession (évoquée en filigrane), c'est le début de la fin de l'Ouest sauvage dont il est réellement question.
Peut-être que le personnage du colonel est trop caricatural et A. Mann avait su éviter toutes caricatures (du moins pour les rôles principaux) dans ses précédents westerns.
Peut-être que la romance est trop forcée, trop illusoire et, si elle donne lieu à une très bonne séquence (quand Cooper abandonne le colonel au fond de son trou), elle n'est pas fluide comme le reste de l'intrigue.
Peut-être aussi que Victor Mature cabotine un peu trop, et apporte à son personnage une touche trop décontractée, insouciante, parfois en porte-à-faux avec les drames qui se jouent.

vendredi 16 octobre 2015

L'Appât (The Naked Spur de A. Mann, 1953)



L'Appât The Naked Spur Anthony Mann James Stewart Affiche Poster

Troisième film d’Anthony Mann avec James Stewart, L’Appât fait partie des tout meilleurs westerns, parmi les milliers qui ont été réalisés. Il est un exemple parfait de l’aboutissement du genre.
En effet, dans L'Appât, à rebours des principaux codes du genre, on aura bien du mal à distinguer le Bien du Mal, on aura bien du mal, même, à distinguer un héros. Bien loin de toute morale, les actions des personnages sont en effet déterminées uniquement par la cupidité. Dès lors l’idée même de héros est détruite. A. Mann est coutumier du fait : chez lui le personnage principal n’acquiert le statut de héros qu’au travers de ses actions dans le film.
Ici le spectateur commence par s’attacher au personnage de Kemp, campé par J. Stewart, par réflexe de présentation (il est celui qui ouvre le film) et parce que J. Stewart est la star que l’on sait. Mais très vite il apparaît que Ben, l’homme traqué (impeccable Robert Ryan) et ceux qui le pourchassent sont interchangeables. D’ailleurs Ben et Kemp se connaissent bien : ils sont les mêmes et ils le savent. Le spectateur est alors coincé, entre sa sympathie pour Stewart et son antipathie vis-à-vis du personnage qui n’est qu’un chasseur de primes cupide, au passé douteux.


J. Stewart en chasseur de primes
Le film est réduit autour de quelques personnages, le rythme est nerveux, la violence éclate brusquement (les Indiens sont abattus sauvagement), les tensions montent et se croisent entre les personnages. Kemp doute, il est meurtri, il vacille, mais rien n'y fait, il poursuit son idée de livrer coûte que coûte Ben.
Et finalement la rédemption arrive mais au dernier moment, quand le spectateur n’y croit plus, quand il sait que Kemp ira jusqu’au bout et qu’il livrera Ben pour une rançon. Mais la rédemption n’est que partielle : bien que finalement enterré, le corps de Ben pèsera toujours de tout son poids dans l’âme de Kemp.

L'Appât The Naked Spur Anthony Mann James Stewart

Le style de A. Mann est éblouissant : il fait se répondre l’individualisme cupide des personnages avec la Nature sauvage, escarpée et dangereuse. Ce western âpre et sec porte le genre vers une redéfinition de ses codes et vers un approfondissement des personnages jamais atteint encore.

mardi 9 décembre 2014

L'Homme de la plaine (The Man From Laramie de A. Mann, 1955)




Encore un western éblouissant d’Anthony Mann. C’est le dernier d’une série de 6 westerns exceptionnels, auquel succédera un autre western moins abouti (La Charge des tuniques bleues). De nouveau A. Mann emmène le genre dans des narrations complexes, portées par des personnages ambigus, névrosés, bien loin des héros canoniques que le genre a pu créer.
Le scénario, si on compare avec le western précédent (The Far country) se resserre : ce n’est plus une réflexion sur la mise en place d’une communauté et la  place de l’individu au sein de cette communauté dont il est question, mais, plus simplement, un rapport complexe entre les personnages, mêlant filiation et vengeance.
Là encore, comme dans ses précédents westerns, le traitement des méchants s'éloigne de toute simplification abusive : Alec est un vieux patriarche qui hésite, souffre en secret, tergiverse. On est loin des caricatures sur les grands propriétaires terriens qui régnaient sur des régions entières. Ce n’est qu'à la toute fin du film que Vic se révèle mauvais et il n'y a que Dave qui soit un méchant sans finesse : il est finalement tué par son propre complice.
Le film est organisé autour d’une relation filiale complexe, avec au centre le vieux Alec Waggoman. Autour de lui s'affrontent ses 3 fils, en quelque sorte : son fils réel, Dave, qui le déçoit terriblement mais qu'il protège obstinément (c'est ainsi que son aveuglement vis à vis des actes de son fils se manifeste par son aveuglement réel au cours du récit) ; Vic Hansbro, qui apparaît comme son fils de substitution et dont les méfaits sont une conséquence de l'aveuglement d'Alec ; et enfin Lockart qui apparaît comme le fils idéal, celui qu'Alec aurait souhaité avoir.

Le film ne propose que la fin du long parcours entrepris par Lockhart pour venger la mort de son frère. Mais l’histoire, présentée au départ comme une simple vengeance à accomplir, gagne en complexité au fur et à mesure des évènements rencontrés par Lockhart : il est sensible à Barbara, elle-même fiancée de Vic ; il est agressé par Dave ; il est touché par la fragilité et la droiture du vieil Alec. Dès lors l’histoire déborde du scénario d'une simple vengeance pour creuser les liens entre les personnages et s’achever dans un parricide symbolique. Finalement Will épargnera Vic et ce sont les Indiens qui accompliront, tel le destin, sa vengeance.


dimanche 9 novembre 2014

Je suis un aventurier (The Far Country de A. Mann, 1954)



 Je suis un aventurier Anthony Mann Poster Affiche

Exceptionnel western, un des plus aboutis, des plus exotiques, des plus parfaits. Anthony Mann reprend James Stewart comme interprète principal, s’entoure de solides seconds rôles et déroule un récit foisonnant, riche, complexe, qui emmène très loin les réflexions sur les valeurs américaines.
Un des intérêts du film est que le personnage principal, Jeff Webster, n’a à peu près aucune des qualités des héros conventionnels du western : il est certes courageux, mais il est furieusement individualiste (et même égocentrique), il se désintéresse complètement de la communauté et on sent un lourd passé derrière lui. Et c’est l’évolution de ce personnage qui est fascinant dans ce film, au fur et à mesure de son itinéraire. Son parcours le conduit à croiser un vieil homme, Ben, avec lequel, malgré sa misanthropie, il se lie d’amitié, mais aussi plusieurs femmes qui iront jusqu’à se sacrifier pour lui et jusqu'au marshal Gannon qui incarne, à sa façon et à son avantage, la loi. C’est ainsi que Mann, malgré la figure têtue et égoïste de Jeff, fait vivre une communauté sous nos yeux, truculente et picaresque, riche de mille détails, de mille « gueules » du cinéma ; communauté qui, forcément, entraînera Jeff à interagir avec elle.

Jack Elam, John McIntire et James Stewart
La splendeur plastique du western est fidèle à A. Mann qui nous entraîne aux confins des régions civilisées, à travers des fleuves, des glaciers, des étendues grises où règnent les loups.
J. Lourcelles, dans son Dictionnaire du cinéma, en fait un commentaire long et remarquable. Il explique comment, dans le film, se mêlent plusieurs histoires :
« Une histoire individuelle, celle du héros, incarné par James Stewart dont le passé lourd de secrets, le rapport à la violence, la solitude, et une sorte de sauvagerie volontaire prolongent une méditation sur ces thèmes, menée de longue main par l’auteur. Une histoire collective où une bande de chercheurs d’or et de citoyens ordinaires veulent fonder une vraie ville, appuyée sur des valeurs universelles et sur des institutions séculaires. La rencontre, l’entrelacement, la fusion de ces deux histoires en suscitent une troisième, qui est l’essentiel du film. Au cours d’un itinéraire rectiligne et passionnant, Jeff Webster (James Stewart) découvre chez lui un sens des responsabilités, une solidarité avec certains de ses semblables, notions que jusqu’à présent il avait fuies. Il fait cette découverte avec surprise, presque à regret, à la fin du récit avec un début d’acquiescement. […] A travers ce personnage, Anthony Mann exprime la nécessité d’unir pragmatisme et morale. Et c’est paradoxalement parce qu’il était un pragmatisme imparfait que Jeff a compris la nécessité absolue de la morale. Après tout, s’il ne s’était pas embarrassé du vieux Ben, s’il n’avait aucun ami, son plan aurait réussi. Autre originalité : c’est le thème de la vengeance (où réapparait l’habituelle obstination des héros d’Anthony Mann) qui introduit ici le thème de la solidarité. »

Il est fascinant de constater à quel point le western, genre pourtant en apparence très conventionnel, bourré de codes, qui a parfois des relents enfantins (« les cowboys contre les Indiens »), est devenu capable de s’enrichir jusqu’à proposer des réflexions vastes et poussées sur la société ou les individus et la place respective de l’un ou l’autre, tout en se mariant à un récit d’aventures exceptionnel et foisonnant. Peu de films sont aussi complexes, et amènent autant de réflexions.

On ne peut que regretter, alors, la lente agonie que subira le genre, à partir des années 60, genre à la fois vidé de sa substance (par le western italien) puis progressivement enterré (par les westerns du Nouvel Hollywood, qui abordent de plein fouet les non-dits de l'histoire de l'Amérique) avant de ne vivoter qu'au travers d'une production maigrichonne. Il ne se fait plus guère de grands westerns, le genre est devenu presque réservé à une élite de cinéphiles (encore que le retour de Tarantino dans le genre lui soit bénéfique) et un film comme Impitoyable apparaît alors pour ce qu’il est : une exception à cette triste règle.

Je suis un aventurier Anthony Mann James Stewart

vendredi 29 mars 2013

Winchester '73 (A. Mann, 1950)




Ce grand western ouvre magnifiquement la série de films d’Anthony Mann avec James Stewart. Il ne s’agit rien de moins que de cinq collaborations en cinq ans, pour autant de chefs d’œuvre.
Suivront donc, pour mémoire, après Winchester '73, Les Affameurs en 1952, puis L’Appât en 1953, Je suis un aventurier en 1954 et L’Homme de la plaine en 1955. On reste fasciné par cette densité et par la qualité de la série (les films sont tous exceptionnels). Réalisé avec une équipe semblable (notamment Borden Chase au scénario), les films sont servis à chaque fois par James Stewart, toujours entouré de seconds rôles excellents, parmi les plus fameux du cinéma (en particulier Arthur Kennedy, Donald Crisp, Walter Brennan, Jack Elam, Robert Ryan, Dan Duryea, etc.).
Et cette série de films trouve une homogénéité fascinante : Anthony Mann travaille et retravaille son personnage, de sorte, que, à chaque fois, son personnage principal semble être le même, mais enrichi d’une expérience supplémentaire, ou d’une désillusion de plus, ou d’une fatigue accumulée, de sorte que si le personnage porte toujours une colère ou se construit autour de certitudes, celles-ci s’effritent chaque fois davantage, ses réactions s’affinent et deviennent de plus en plus complexes. Les films dialoguent donc entre eux sans cesse et forment un tout dont on se plaît à parcourir les entrelacs.



Ici, Lin McAdam a une idée vissée dans la tête : celle d’assouvir une vengeance. On notera combien, d’emblée, le ressort scénaristique restreint est bien peu glorieux : la vengeance, dans le western est longtemps étrangère au héros. Dans le western classique, on tue pour se défendre, parce qu’on n’a pas le choix, mais pas pour se venger. Ou alors, si l’on veut se venger, on se range du côté de la loi (Wyatt Earp dans La Poursuite infernale). Sinon on est davantage un outlaw qu’un héros (Ringo dans Stagecoach).
Avec en toile de fond cette idée force de vengeance (portée de façon pulsionnelle par James Stewart, au jeu incroyablement riche qui parvient à donner une épaisseur incomparable à ses personnages), le film suit en fil rouge le fameux fusil (une winchester exceptionnelle) qui passe tragiquement de main en main. La trajectoire de l’arme forme une boucle que l’on suit pas à pas et qui nous emmène  finalement entre les mains de Lin qui s’en était fait déposséder en début de film. Ce faisant, l’histoire du film rejoint la grande Histoire puisqu’elle évoque successivement Wyatt Earp à Tombstone, les guerres indiennes et le général Custer ou encore la Guerre de Sécession.



Mann joue parfaitement d’une narration resserrée et sèche (le film n’a pas une once de gras) et sait rendre le film passionnant. Ces mouvements de caméra, sa maitrise du cadre sont parfaits. Le dénouement du film, sur ce plan, est absolument exceptionnel, avec un duel final dans les rochers entre Lin et Dutch qui est filmé avec virtuosité.
Malgré toutes ces qualités qui font de Winchester '73 un western admirable, les personnages n’ont toutefois pas la profondeur psychologique qu’ils auront par la suite. Lin va réellement au bout de sa vengeance (ce n’est plus le cas dans d’autres films de la série) et, même si, on l’a dit, la soif de vengeance lui a ôté une partie de ses attributs de héros, le récit reste assez manichéen. Là aussi une des forces de la série sera d’indifférencier de plus en plus le héros et le bad guy, jusqu’à rendre moralement indiscernables poursuivant et poursuivi.