mardi 31 mars 2020

Meurtre à l'italienne (Un maledetto imbroglio de P. Germi, 1959)



Remarquable film de Pietro Germi, qui, en partant d’une veine néoréaliste, l’adoucit considérablement pour l’adapter au film policier (1).
Dans un cadre très réaliste, Germi glisse bien quelques éléments de comédie qui annoncent le ton des films qu’il va faire ensuite (autour des personnages ou en profitant de quelques réflexions ou situations), mais l’humeur du film reste très sombre, avec des révélations progressives sur ce qui ce jouait autour de la victime.
Magnifiquement interprété (avec Germi lui-même qui est très convaincant en commissaire, son fidèle Saro Urzi ou encore Claudia Cardinale), le film se permet des digressions et des impasses, qui correspondent aux tâtonnements des policiers mais qui permettent d’épaissir le récit en l’enrichissant de personnages. Le commissaire lui-même, avec ses lunettes noires à l’américaine et son charisme nonchalant, pose un regard moral sur toutes les bassesses qui, comprend-on progressivement, couvaient dans l’appartement.
La mise en scène est de très haut vol, avec une maitrise des cadrages, des jeux de caméras, avec le vaste escalier de pierres de l’entrée, les ruelles qui se croisent et, pour couronner le tout, la magnifique musique de Rustichelli qui enveloppe  le film de toute son italianité.


Ce film très réussi marque la fin d’une première période dans la carrière de Germi – période très marquée encore par le néoréalisme – avant de se lancer dans les comédies, avec, immédiatement, les chef-d’œuvres que sont Divorce à l'italienne et Séduite et abandonnée.




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(1) : Le titre français cherche à se rapprocher, a posteriori, du titre Divorce à l'italienne qui a été un grand succès, mais qui n'a pas grand rapport. On préférera le titre original, plus proche du propos du film, qui signifie davantage « une maudite embrouille ».



samedi 28 mars 2020

Spider (D. Cronenberg, 2002)




Extraordinaire film de David Cronenberg qui tisse une toile complexe autour de son personnage, Dennis « Spider » Cleg (excellent Ralph Fiennes), et prend le spectateur dans un entrelacs d'images qui sont des souvenirs, des délires ou des cauchemars ; oscillant entre le quotidien de Dennis, son passé d'enfant et ses fantasmes.
Cronenberg cherche à sonder l'inconscient de son personnage : il s'agit de plonger dans son esprit malade, tenter de lever son amnésie et pour cela retrouver l'origine de cette terreur enfantine qui le bloque depuis si longtemps. Le film correspond en quelque sorte à la séance de thérapie, étalée sur plusieurs jours, mise au point par le directeur de l'asile pour soigner Cleg. Spider rejoint alors, dans sa thématique, des films aussi divers que La Maison du Docteur Edwards, Marnie, La Vallée de la peur ou encore Shutter Island. C'est d'un traumatisme passé dont il s'agit et qu'il faut percer à jour.
La compréhension fine suppose de démêler les images qui relèvent de la réalité de Cleg, celles qui sont issues de son enfance, et celles qui sont de l'ordre du fantasme. La confusion entre sa mère, la prostituée Yvonne ou sa logeuse Mme Wilkinson, confusion entretenue à l'image où tout s'entremêle, est un exemple de ces constructions, tout droit issues du cerveau malade de Cleg et qu'il faut interpréter (de même la vision du jardin et de la cabane, qui recèle le secret caché de l'enfant). La toile d'araignée est donc tout autant celle qui est tissée au creux du cerveau de Cleg que la dispersion des indices par Cronenberg qui amènent le spectateur vers la révélation finale.
Le « What have you done ? » prononcé par Mme Wilkinson peut signifier la prise de conscience de Cleg : il peut être ramené à l'asile. C'est Cleg enfant que l'on voit dans la voiture, la révélation l'ayant brusquement ramené vers son passé. Cette dernière image fait écho avec le final du Messager de J. Losey, où là aussi un traumatisme d'enfant (d'un autre ordre) bloque un adulte, le rend incapable d'amour et bloque sa relation à autrui. Cette construction complexe, à coups d'images mentales qui construise un labyrinthe complexe mêlant réalité et fantasmes, rappelle aussi Mulholland Drive (le film ayant clairement des accents lynchiens).




jeudi 26 mars 2020

Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc (B. Dumont, 2017)

 

Cette adaptation de l’enfance de Jeanne d’Arc (à partir de textes de Péguy) par Bruno Dumont promettait de prendre un personnage historique et de le traiter dans un univers filmique très caractérisé. Mais Dumont, s’il garde des éléments de son style (les plages de dunes – dont il ne s’écarte pas –, des comédiens non professionnels), choisit un genre (la comédie musicale) qu’il agrémente de musiques techno-pop à la mode et d’un style de chant tout aussi à la mode. Une manière, sans doute, de mettre le texte à l’honneur et, en jouant sur l’anachronisme et l’incongruité assumés, d’éviter l’écueil de la gravité convenue, qui était peut-être à craindre concernant Jeanne d’Arc.
Alors on peut adhérer au projet, on peut apprécier les goûts de Dumont, on peut être touché par cette façon de faire, peut-être, sans doute. Mais on peut aussi rester tout à fait hermétique à ces chansons et à ces danses contemporaines, pénibles, malvenues et éprouvantes à écouter.




mardi 24 mars 2020

Les Compagnons de la marguerite (J.- P. Mocky, 1967)




Amusante mais inégale comédie de Jean-Pierre Mocky : la première partie est très réussie, mais, ensuite, le film tombe dans l’extravagance et le loufoque un peu bêta. Les personnages un peu gaffeurs deviennent stupides (ce qui est toujours mauvais signe), les acteurs commencent à cabotiner et le film, qui partait sur des bases de crédibilité drôle (avec la très bonne bonne idée scénaristique du restaurateur de manuscrit qui devient faussaire),  sombre peu à peu dans la lourdeur.
C’est bien dommage, Mocky disposait d’un scénario original, qui égratignait joliment et avec légèreté la vie maritale, et d’une brochette d’acteurs savoureux : Claude Rich, Francis Blanche, Michael Lonsdale ou encore Michel Serrault (Ah ! Serrault se plaignant de sa femme ! : « elle me met une canette de bière sous le nez et je n’ai pas le droit d’y toucher tant que je n’ai pas raconté ma journée. Vous n’imaginez pas la rombière ! »).



samedi 21 mars 2020

Nelly et Monsieur Arnaud (C. Sautet, 1995)




Sans être un grand film de Claude Sautet, Nelly et Monsieur Arnaud a une forme de douceur un peu diffuse, naissant de la relation pudique et progressivement de plus en plus forte entre les deux personnages. C’est en fait une histoire d’amitié entre un (vieil) homme et une (jeune et jolie) femme, ce à quoi le cinéma ne nous a jamais habitués.
Dans ce qui est son dernier film, Sautet met beaucoup de lui-même dans le personnage de Arnaud (avec une interprétation très juste, comme il se doit, de Michel Serrault). Empli d’angoisse, en proie au doute, avec une œuvre à finir qui le fait hésiter, cherchant tantôt à fuir et tantôt à se réfugier dans la solitude, appelant maladroitement à l’aide, ce personnage de vieil homme un peu perdu est réussi.




mercredi 18 mars 2020

La Vie de château (J.- P. Rappeneau, 1966)




Premier film de Jean-Paul Rappeneau, La Vie de château déçoit : il faut dire que le film semble hésiter longtemps entre le drame et la comédie avant de sombrer peu à peu dans la comédie lourde, mais sans l’assumer réellement.
Il y avait quelques bonnes idées (notamment celle d’un châtelain indifférent – et lâche – qui s’affirme progressivement) mais elles sont balayées par le ton de plus en plus potache que prennent d’autres personnages (l’officier allemand, le colonel résistant), jusqu’à devenir ridicules.
On a aussi l’impression de voir un peu gâchée une distribution étonnante pour un premier film (avec Catherine Deneuve, Pierre Brasseur ou encore Philippe Noiret à l’affiche).

lundi 16 mars 2020

Cathy Come Home (K. Loach, 1966)




Drame très dur de Ken Loach, sans doute l’un de ses films les plus violents socialement, dans une filmographie qui n’en manque pas. Le ton du film autant que la façon de filmer, très proche des personnages et avec un hyper-réalisme parfois sidérant, peignent la misère avec une efficacité terrible.
Loach tient déjà ce qui sera l’axe central de sa filmographie : à travers la recherche d’un film choc, il dénonce la misère sociale, reliée directement à la situation économique (à peu près tous ses films étant des variations sur ce thème). Ici le chômage et le manque de logements créent des situations épouvantables, allant jusqu’à une violence de l’état qui, en fin de film, prend ses enfants à Cathy.
On peut facilement trouver que le traitement du film est par trop misérabiliste ou que Ken Loach insiste sur un cas particulier qui n’est pas représentatif. Mais même si Ken Loach en rajoute dans la détresse en scrutant cette descente aux enfers d'un couple qui se débat comme il peut, la puissance naturaliste du film reste très efficace.




vendredi 13 mars 2020

Le Bonheur (A. Varda, 1965)




On sent, dans Le Bonheur, la volonté d’Agnès Varda de secouer le bel ordre social avec quelques années d’avance sur la révolution de mai 68 : son film, sous des dehors doucereux et sucrés, apparaît comme une provocation délibérée puisqu’il ne condamne pas l’infidélité conjugale et, même, la montre comme une normalité et une évidence simple.

Varda part d’une évocation du bonheur conjugal sur un ton qui est presque celui d’un conte : on plonge dans des clichés, mais des clichés que Varda va rapidement tordre puisque ce sera sur le même ton ensoleillé et naïf que la liaison de François sera filmée. Et, d’ailleurs, quand bien même le film ne se veut pas réaliste, on regrette l'humeur niaise et béate qui ne quitte jamais François. En parlant à son épouse de sa maîtresse et en tentant d’expliquer ses sentiments tout à fait benoîtement, ce pauvre François, du haut de sa niaiserie sucrée, ignore tout à fait les affects possibles (et évidents) qu’il ne manquera pas de provoquer chez sa femme. La critique sociale cède alors le pas au conte moral, mais cette fausse douceur sucrée est bien peu convaincante.
Si, sur le fond, Varda évoque Renoir (avec un extrait du Déjeuner sur l’herbe, et des séquences à la campagne qui renvoient à une Partie de campagne), la forme, à la didactique pesante, évoque bien plus Resnais ou Godard. On a droit à des plans de coupes métaphoriques, à des aplats de couleurs, à des mots saisis sur des panneaux publicitaires ou des enseignes, qui soulignent lourdement la trame narrative. Le montage, alors, de même que les choix marqués de réalisation, viennent plomber la légèreté recherchée du film.
Varda a néanmoins raison d’aller au bout de son idée : le film va très loin dans cette approche qui commence avec des amours qui s'additionnent, puis, la mort survenant, qui se soustraient, ce qui, nous dit Varda, permet de retomber sur ses pieds.




jeudi 12 mars 2020

Le Plein de super (A. Cavalier, 1975)


 

Alain Cavalier, après des films solides mais assez conventionnels (L’Insoumis), change sa caméra d’épaule et s’éloigne vers les chemins plus libres du cinéma moderne.
Il livre ainsi un film qui respire la liberté entre copains, avec cette rencontre entre quatre hommes qui, le temps d’une virée de quarante-huit heures construite au hasard des rencontres, va peu à peu les souder et créer des liens que l’on sent puissants. Plus que les histoires des uns et des autres, plus que l’imbroglio du départ et l’évolution des rapports entre eux quatre, c’est cet état d’esprit que saisit parfaitement Alain Cavalier et que l’on ressent à l’écran, avec des séquences que l’on sent en partie improvisées, et des acteurs qui, de plus en plus, s’amusent et jouent entre eux. Le titre, au travers ses différentes significations, montre bien le punch de cet étonnant road-movie et sa joie de vivre qui, peu à peu, dépasse les vies difficiles des uns ou des autres (chômage, garde d’enfant refusée, etc.).
Quand on sait que, après plusieurs autres films construits et filmés avec la même liberté, Alain Cavalier bifurquera à nouveau vers des émotions très différentes (avec Thérèse en particulier), on admire cette capacité à changer du tout au tout, du drame à la légèreté ou de la légèreté au sublime.

 

mardi 10 mars 2020

Coincoin et les Z'inhumains (B. Dumont, 2018)




Cette suite de l’excellente mini-série P’tit Quinquin s’amuse à reprendre, quatre ans plus tard, le même format (quatre épisodes d'environ trois quarts d'heure, que l'on peut voir comme un long film), les mêmes lieux et les mêmes personnages. Elle change cependant le thème : ce n’est plus un meurtrier en série qui sévit, mais ce sont d’étranges manifestations extraterrestres qui se produisent, d’abord de façon curieuse (une matière visqueuse qui tombe du ciel) puis en alliant beaucoup plus franchement la science-fiction au loufoque (avec les clones qui apparaissent). Le film, alors, de façon étrange, lorgne carrément du côté de L’Invasion des profanateurs de sépultures, qui se trouve revisité, de façon comique et délirante, bien loin de son ton d'origine (ce film – de même que ses différents remakes – pose un regard terriblement noir et désenchanté sur le monde). Mais le cinéma a besoin de remakes réguliers des Body Snatchers (ou disons que chaque époque se doit d'actualiser les leçons du film) : Coincoin en est une resucée française incongrue et étonnante.

Dumont, cependant, ne retrouve pas toujours l’équilibre qu’il avait atteint dans P’tit Quiquin : ce mélange difficile du loufoque et du grotesque, mais mâtiné de poésie, de douceur et d’étrangeté, bascule par moment d’un côté ou de l’autre : tantôt il va trop loin dans le grotesque, tantôt il force certains personnages, tantôt il exagère certaines situations.
Mais on retrouve avec plaisir l’improbable duo de flics, qui s’en donne à cœur joie, avec les multiples  « c’est quoi c’bordel Carpentier ? » du commandant auxquels répondent les cabrioles du lieutenant avec sa voiture. Et, distillant la même variété de motifs que dans P’tit Quinquin, Dumont distille un ton un peu triste, en particulier autour de Coincoin (Quinquin devenu grand adolescent) et de ses amours désenchantées et touchantes.



Le film prend aussi une coloration nettement politique, d’une part avec le problème des migrants qui est clairement abordé (on visite un bidonville empli de migrants en compagnie des deux compères ; Coincoin fait partie d’un groupe identitaire d’extrême-droite) et au travers de ces groupes d’étrangers (migrants coincés dans la Nord) qui passent et repassent, contemplant avec un mélange de stupeur et de curiosité la vie de ces Français qui s’agitent. Et la mise en abyme du problème est très nette avec ce problème d’aliens qui envahissent le territoire : la réaction face à ces z’inhumains est la même, décuplée, que celle face aux étrangers que Van der Weyden, qui n’aime rien tant que dégainer son arme à tout bout de champ, fait déguerpir en tirant en l’air…



samedi 7 mars 2020

Le Phare du bout du monde (The Light at the Edge of the World de K. Billington, 1971)




Alors qu’on pouvait s’attendre à un film d’aventures assez conventionnel, Le Phare du bout du monde surprend par sa violence impitoyable et tragique.
Malgré des maladresses qui affaiblissent le film, de nombreuses séquences sont très réussies. À commencer par l’entrée en matière des pirates et le déversement de violence sadique sur les deux infortunés compagnons de Denton qui installent un malaise sur le film. Les pirates sont des jusqu’au-boutistes, sans foi ni loi, beaucoup trop sauvages pour les conventions et les habitudes hollywoodiennes. Et, un peu plus tard, la façon dont les naufragés seront impitoyablement assassinés viendra en rajouter une couche.
Si l’ami Kirk Douglas s’en sort, il est bien le seul : Montefiore est torturé (dans une séquence qui rappelle la terrible scène de La Canonnière du Yang-Tsé de R. Wise), Arabella est sauvagement violée, et, finalement, chaque personnage, d’une façon ou d’une autre, finit tailladé, abattu, brûlé, transpercé, écrasé, etc. Même le petit singe est déchiqueté sans coup férir.
Au milieu de tant de violences, certaines séquences sont sèches et brutes (Kirk Douglas accroché à la falaise), d’autres presque baroques (lorsqu’il visite avec son compagnon d’infortune le bateau échoué), d’autres cherchent à ficher des images dans les yeux des spectateurs (Douglas encore, cette fois sur fond de mer déchaînée). Il est bien dommage que le film s’embarrasse de moments plus insipides ou gâchés, comme si le réalisateur ne parvenait pas complètement à sortir des sentiers battus du conventionnel, alors qu’il le fait remarquablement sur d’autres aspects. Mais l’ensemble laisse une impression étrange : celle d’un film d’aventures un peu décalé et bravache, qui secoue les conventions mais sans aller au bout de son idée.




jeudi 5 mars 2020

P'tit Quinquin (B. Dumont, 2014)




Excellente série de Bruno Dumont, qui, tout autant que quatre épisodes de cinquante minutes qui se suivent, peut aussi se voir comme un long film d'à peu près trois heures trente. L’aspect « série » n’intervient finalement que dans la répétition des meurtres ou dans la répétition de certains motifs, à commencer par la survenue – toujours drôle, décalée et savoureuse – du duo de policiers qui patrouille dans la campagne.
S’éloignant des canons des séries policières, la résolution de l’énigme et la recherche du meurtrier passe rapidement au second plan et ne sera pas résolue (l’enquête reste d’ailleurs à peu près au point mort tout au long du film). De la même façon, les motifs, le rythme, les cadrages ou la richesse de l’image (par exemple la femme morte retrouvée prise dans les filets sur la plage telle une sirène ou encore les lents panoramiques sur les paysages) s’éloignent des habitudes des séries télévisées qui ne sont, le plus souvent, rien d’autre que le simple déroulé d’un scénario.
Et ce sont, bien entendu, les personnages qui intéressent le réalisateur. Il en peint en effet une étonnante galerie, avec bien sûr, en étendard, son improbable duo de flics, qui évoque bien davantage Laurel et Hardy que Starsky et Hutsch, n’en déplaise au commandant qui dégaine sans cesse ou à Carpentier qui ne jure que par ses dérapages en voiture ou sa propension à rouler sur deux roues. Les deux acteurs (Bernard Pruvost et Philippe Jore, non professionnels comme l'ensemble de la distribution, sont exceptionnels). Avec leurs tirades pseudo-existentielles et leur façon, à grands coups de mimiques improbables, de contempler le monde, il y avait bien longtemps qu’on n’avait pas vu un tel duo comique dans le cinéma français.


Dumont revitalise ainsi génialement le genre comique : loin des facéties lourdes et grossières de la majorité des comédies actuelles, il construit un équilibre avec ce qu’il faut de tragicomique, d’absurde, de burlesque, de grotesque, d’incongru. Pour autant – et c’est bien là la différence majeure avec tant de comédies stupides –, jamais Dumont n’est méchant avec ses personnages : Van der Weyden n’est pas un idiot stupide mais bien plus un clown, auquel Dumont donne une humanité magnifique.
Et, autour de ces flics qui passent d’un cadavre à l’autre, Dumont filme avec tendresse Quinquin, ses amis, ses amours d’enfant et les déambulations de la petite bande à bicyclette, à travers le paysage, croisant sans cesse la route des policiers.

Et, au cœur du film, véritable centre de gravité (rejoignant ainsi le motif central permanent de Dumont) : le paysage, avec ses dunes, ses plages, ses champs boueux, la ligne d’horizon plate qui s’étire à l’infini. Paysage vers lequel le film se tourne constamment, comme pour se remettre de ces meurtres et de ces facéties des policiers, comme pour mettre à distance l’histoire et revenir à la Nature englobante. Il sort ainsi du film une poésie étrange, qui se diffuse au milieu des morts, des labours et des plages. On retrouve alors le même univers que dans L’humanité, mais ici sur un ton radicalement différent.

On regrette l’aparté sur le jeune Mohamed, qui, vexé et poussé à bout par des brimades, tire à tout-va avant de se suicider. Cette irruption d’un discours politique – assez inutile, très caricaturale et en porte-à-faux du reste du film – est sans doute assez regrettable. Dans la suite de la série – Coincoin et les Z’inhumains – l’évocation de la situation migratoire sera abordée de façon plus diffuse et, par là même, de façon plus convaincante.