mercredi 30 mai 2018

Plein soleil (R. Clément, 1960)




Grand film de René Clément qui brille par les faux-semblants qui le traversent. Le couple Tom Ripley-Philippe Greenleaf (Alain Delon et Maurice Ronet), au centre du film, joue parfaitement d’un mélange complexe d’attirance et de rejet, de fascination et de répulsion. L’intrigue qui se noue découle alors presque naturellement de cet équilibre étrange.
Le film est bien sûr marqué par la révélation d’Alain Delon, qui traverse le film comme un magnétique et énigmatique félin. Maurice Ronet lui donne parfaitement la réplique : il répond à Delon, avec ce quelque chose en moins qui est au cœur de la jalousie de son personnage envers Tom Ripley.
René Clément, autour de ses personnages, construit parfaitement son récit, filme la jeunesse des corps, fait adhérer le spectateur à Tom Ripley, lui qui assassine et trompe son monde, avant de conclure son film par une chute parfaite.


On retrouvera le duo Delon-Ronet dans La Piscine de J. Deray, film bien pâlichon qui reprend une intrigue elle aussi construite autour de ce dilemme d’attirance et de répulsion entre les deux personnages joués par les deux acteurs.

lundi 28 mai 2018

Détour (Detour de E. ULmer, 1945)




Excellent film noir, à la fois très classique dans son scénario – la fatalité s’abat sur un homme simple – et brillamment mis en scène.
Le scénario de Détour s’appuie sur une situation classique du cinéma américain (et qui correspond à une pulsion vitale de l’Amérique) : Al Roberts, petit pianiste un peu paumé et sans un sou, prend la route pour retrouver celle qu'il aime, cherchant à traverser le continent de part en part.
Ce sont les rencontres que fera Al qui scelleront son destin.  Le récit, sec et haletant, est parfaitement construit et amène des moments forts très marquants : la mort de Haskell, l’incroyable séquence du fil du téléphone ou la toute fin, organisée autour d’une image mentale, qui résume à elle seule le fatalisme du film noir.



Le film est construit sur un grand flash-back : c’est donc la version d’Al Roberts lui-même qui nous est proposée. Dès lors le spectateur peut choisir de le croire, ou, au contraire, de lire autrement l’histoire qu’il nous raconte…
On a là un parfait exemple de film de contrebandier, parfaitement mené et qui brille comme un diamant noir – et méconnu – dans le cinéma classique américain.

samedi 26 mai 2018

Les films qui dialoguent avec la télévision



Si les effets délétères des écrans ont déjà été abordés, il nous semble important de revenir sur l’effet précis de la télévision qui est en train de détruire le cinéma.
En diffusant des films, la télévision a pu, par le passé, faire découvrir le cinéma (on pense à La Dernière séance, articulée autour de la présentation bonhomme d’Eddy Mitchell, qui diffusait en prime time des classiques américains). Aujourd’hui ce n’est plus guère le cas : les jeux, les talk-shows et les innombrables séries ont rejeté le cinéma d’abord à des heures tardives (dans les années 70 Le Cinéma de minuit finissait vers minuit, puis, à partir des années 90, l’émission a commencé vers minuit…) avant, dans un second temps,  de le faire disparaître presque totalement. Au milieu de la vingtaine de chaînes qui forme le bouquet de base, on ne trouve guère que deux ou trois films par semaine (Arte diffuse une fois par semaine des films du patrimoine, mais la concurrence des autres chaines est rude).



Aujourd’hui, non seulement la télé ne diffuse plus guère de films du patrimoine, mais elle habitue le spectateur à un bien piètre spectacle. Les séries télé ou les téléfilms sont de purs produits commerciaux, qui n’ont d’autres buts que de fixer devant leur écran un maximum de spectateurs que l’on veut le plus fidèle possible. Le spectateur est donc habitué aux effets faciles des séries, aux personnages stéréotypés, aux intrigues simples et linéaires, à la répétition invariable des mêmes situations et aux fins claires nettes et précises. Le tout étant destiné à happer le spectateur le plus possible.
Tout cela formate le spectateur à un type de spectacle qui est bien loin du cinéma.

Mais la télévision – en tous les cas en France – va plus loin : elle n’hésite pas à exporter ses produits jusque dans les cinémas. En effet de nombreuses stars du grand écran, en France, sont d’abord des stars de la télé (Jean Dujardin, Danny Boon, Omar Sy, Kad Merad, Djamel Debouzze, Franck Dubosc, etc.). C’est leur succès à la télévision qui les a conduits vers le grand écran.
Sans discuter ici de leur qualité d’acteurs (si jusque-là Jean Dujardin s'est montré piètre acteur, Kad Merad interprète parfaitement un rôle tragique dans Je vais bien ne t’en fais pas de P. Lioret), on comprend ce que le producteur a derrière la tête : si on lui donne à consommer le même produit, le spectateur viendra le voir au cinéma. Et c’est ainsi que des films sont réalisés en écho avec la télé : ce sont des créations télévisuelles – à mi-chemin entre le téléfilm et le film à sketchs – projetées sur grand écran. Et le public, bien loin de se confronter au cinéma, se déplace pour voir les mêmes produits que ce qu’il connait déjà à la télé. Il y retrouve la même esthétique formatée et les mêmes recettes destinées à lui plaire.


C’est ainsi qu’aux castings de stars qui émaillaient certains films, a succédé le casting « people », empli de vedettes du show biz, dont certaines n’ont rien à voir avec le grand écran (mais qui ont tout à voir avec la télé). Le cas d’Astérix aux Jeux olympiques de F. Forestier et T. Langmann (6,8 millions d’entrées en 2008…) est tout à fait représentatif. Son casting donne le vertige puisqu’on y trouve, derrière des premiers rôles tenus par des acteurs incontestables (Depardieu, Delon, Poelvoorde, etc.), une ribambelle de célébrités qui n’ont à peu près rien à faire dans un film (Zinedine Zidane, Tony Parker, Michael Schumacher, Amélie Mauresmo, Adriana Karembeu…). Et, dans des séquences invraisemblables, on voit Zidane, grimé en égyptien, jongler avec un ballon et l’envoyer à Tony Parker qui se met à dribbler…
Au-delà des caméos, ce film, très directement, s’adresse au téléspectateur. Les allusions sont compréhensibles par qui est habitué au petit écran et une complicité s’instaure avec ce spectateur dont on sait qu’il connaît bien ces personnalités du show-biz. On a donc ici un exemple (parmi tant d’autres) de film où il est demandé au spectateur de venir voir sur grand écran ceux qu’il vénère sur le petit écran. Ce film, donc, ne dialogue pas avec le cinéma mais il dialogue avec la télévision. C’est en cela qu'Astérix aux Jeux olympiques – et tant d’autres films avec lui – n’a rien à voir avec du cinéma.

Et ce sont de tels films qui cartonnent au box-office et viennent s’immiscer dans les classements des films les plus vus, au milieu des blockbusters américains et des films d’animation.
C’est ainsi que la télévision, non contente de détruire peu à peu le cerveau, formate le spectateur à des films qui n’en sont pas et confine de plus en plus le cinéma à un espace inconnu du plus grand nombre.

jeudi 24 mai 2018

Je suis un évadé (I Am a Fugitive from a Chain Gang de M. LeRoy, 1932)




Très grand film de Mervyn LeRoy, qui, en 90 minutes denses et sèches, raconte dix ans terribles de la vie d’un homme. Le destin s’acharne sur James Allen qui est au mauvais endroit au mauvais moment et se retrouve au bagne, victime d’une injustice flagrante. On pense à Jean Valjean mais le personnage, sous les coups de butoir de l’Amérique, a une trajectoire opposée. Le bagne se révèle en effet pire que l’enfer. Le film, alors, est un réquisitoire violent contre les conditions de détention dans les années 30 (puisque si le film se déroule en 1919, la violence sociale est celle de l’Amérique de la Grande Dépression).



On a rarement vu un film laisser une impression si dure et si sombre derrière lui, avec une image finale terrible, qui montre que dans ce Hollywood du pré-code, les films savaient se passer de happy-end. Ici, au contraire, cette image finale lapidaire achève la violence du réquisitoire.
On notera que le film n’est pas qu’un réquisitoire – ce n’est pas simplement un film « engagé » qui critique le bagne – et qu’il prend soin d’épaissir son personnage principal, de s’attarder sur lui, de creuser la transformation qui s’opère en lui. De même, il ne critique pas seulement les conditions qui règnent au bagne, mais il montre aussi, et avec quelle violence, combien les forces vives de la Nation – puisque Allen se révèle capable, puis brillant, incarnant parfaitement cette abnégation qui profite à tous – peuvent être balayées par l’Etat qui ne leur montre aucune indulgence et les enfonce sans cesse. Ce réquisitoire contre l’Amérique des années trente, à la fois violent et limpide, emmène le film bien au-delà d’une simple dénonciation.
L’interprétation de Paul Muni est exceptionnelle : sa manière de faire vivre son personnage et son expressivité montrent un jeu très moderne qui marque terriblement le spectateur.



On retrouve nettement l’inspiration de Je suis un évadé dans Héros à vendre, qui reprend le même rythme haletant pour dénoncer, là aussi, une Amérique qui a bien du mal à laisser une chance à ses héros les plus humbles qui sont aussi, peut-être, les plus valeureux.


mardi 22 mai 2018

Les Belles années de Miss Brodie (The Prime of Miss Jean Brodie de R. Neame, 1969)





Très intéressant film de Ronald Neame qui, sous des dehors très classiques, devient finalement beaucoup plus pertinent qu’il n’y paraît. Le film explore en effet la relation professeur/élève au travers d’une dérive de cette relation et aborde même, peut-être, la dérive de la société elle-même.
L’ambition de Miss Brodie – qui se prend de plein fouet le rigorisme de l’institution où elle enseigne – est de sortir ses « girls » d’un carcan éducatif, de les intéresser à autre chose qu’au crochet et de leur faire découvrir les Arts, les Lettres ou ce qui est Beau. Mais, et c’est là une richesse du film, elle en vient à admirer Mussolini ou Franco, qui sont présentés comme des grands hommes de par leur ambition ou de par leur aspiration à dépasser la quotidienneté des choses. Les élèves, sous le charme, forment alors un ensemble de groupies qui viennent cautionner Miss Brodie dans sa manière de construire une relation fusionnelle. On observe alors la même dérive de ses élèves que la sienne vis-à-vis de Mussolini : l’engouement devient une admiration.


Et c’est par allusion que la dérive de Miss Brodie est abordée : séduite par l’ambition esthétisante de Mussolini ou de Franco, elle en devient militante. Elle devient ainsi une allégorie de la société, qui est séduite par certains aspects du fascisme et qui glisse doucement vers lui. Mais Ronald Neame a le bon goût de ne pas en rajouter avec un personnage qui viendrait faire une morale ou qui serait la figure de l’antifascisme et de la bien-pensance. La condamnation du personnage de Miss Brodie par Sandy, empreinte de jalousie, et qui lui reproche son aveuglement, suffit.

Dans un premier temps, l’institution condamne la liberté de ton de Miss Brodie et son rapport à ses élèves (elle fait des cours dehors, emmène ses girls en week-end, fait en cours des éloges du Beau, etc.), puis sa moralité (courtisée par les collègues mais refusant de s’engager), puis, de façon plus globale, tout devient condamnable car une dérive a eu lieu – les belles années sont passées – et, de Mary à Sandy, l’influence de Miss Brodie, dévouée, passionnée, devient inacceptable.
Maggie Smith est exceptionnelle dans ce rôle. Si, dans un premier temps, son jeu semble outré, il atteint une remarquable expressivité, qui lui permet de faire passer mille émotions et notamment des éclairs de regrets – un regard, une expression du visage – sur ces belles années qui sont passées (les courtisans se sont lassés d’attendre : l’un se marie avec une autre enseignante, l’autre se rabat sur Sandy) et qui ne sont plus.


On retrouve les grandes lignes de ce film dans Le Cercle des poètes disparus, qui reprend la même thématique mais en se centrant davantage sur les étudiants que sur le professeur Keating.
La différence principale entre ces deux approches de l’enseignement est que Keating et Brodie ont des objectifs opposés : Miss Brodie veut être admirée de ses élèves, elle leur donne une direction et leur assigne un objectif. A l’inverse Keating veut les libérer pour qu’ils deviennent eux-mêmes.
Et Keating est une version beaucoup moins exubérante que Miss Brodie puisque c’est tout Miss Brodie qui est rejeté, là où il n’y a que l’enseignement de Keating qui est condamné.

samedi 19 mai 2018

Hôtel des Amériques (A. Téchiné, 1981)




Très beau film d’André Téchiné (sans doute son chef-d’œuvre), qui décrit une relation passionnée et complexe entre deux personnages. Il réunit deux acteurs exceptionnels au jeu à peu près opposé et la sauce prend parfaitement : ces deux personnalités d’acteurs provoquent un déphasage permanent entre les deux personnages.
Gilles, trentenaire un peu paumé qui ne demande qu’à se fixer, est un écorché vif, toujours sur le fil du rasoir, suivant ainsi le jeu habituel de Patrick Dewaere. Mais un Patrick Dewaere plus contenu que d’habitude : on est loin de la folie déjantée de Série noire, on sent l’agitation et la fragilité du personnage plus qu’on ne la voit.


Hélène, de son côté, bénéfice du jeu « absent » de Catherine Deneuve : l’actrice parvient à incarner un personnage étranger à elle-même, qui est ailleurs, inatteignable. Elle vit dans son passé, articulé autour de la belle demeure – qui tombe en lambeaux – de la Salamandre, incapable de se détacher de ce deuil et de vivre à nouveau (jolie idée de faire une anesthésiste de ce personnage éteint et anesthésié).
Ces deux personnages, de milieux sociaux si opposés, au passé complexe, traînant des solitudes différentes, tentent de se mettre en phase, n’y parviennent pas, se rassemblent, se brouillent, se retrouvent, se séparent à nouveau. La fin ouverte laisse cependant entendre qu’ils vont continuer ainsi de tenter de coïncider l’un et l’autre, en un yo-yo permanent.

Le film illustre parfaitement les complexités du cœur, de la vie, des rapports homme-femme, avec ses contradictions, ses emportements, ses revirements inexplicables, ses moments qui, comme des fulgurances, remettent tout en question. Porté par ses deux interprètes, Hôtel des Amériques est une magnifique réussite.

vendredi 18 mai 2018

Une fracture grandissante dans le cinéma (2)



Nous parlions dans un article précédent de l'absence de films qui puissent faire le lien entre les cinéphiles et les « consommateurs d’images », c’est-à-dire de films qui soient à la fois autre chose qu’un simple produit de consommation et qui aient malgré tout un certain succès en salle.

Pourtant il fut un temps où le public se déplaçait en masse vers des films remarquables, parfois difficiles, qui n’étaient pas pensés pour plaire mais qui partaient d’une esthétique ou d’une idée bien différente.
A parcourir les box-offices des années passées (et on s’en tient toujours, dans les exemples qui vont suivre, à des films entrés dans le top 10 d’une année), on trouve, parmi tant d’autres :
- A la fin des années 40 : Hitchcock, Preminger ou Vidor qui côtoient Dréville et Christian-Jaque (tous à plus de 3 millions d’entrées) ;
- A la fin des années 50 : Mon Oncle (4,5 millions d’entrées…), Les 400 coups, Certains l’aiment chaud, La Mort aux trousses ;
- A la fin des années 60 : 2001 (3,2 millions d’entrées…), Le Bal des vampires, Le Vieil homme et l’enfant, Il était une fois dans l’Ouest ;
- A la fin des années 70 : Apocalypse Now, Alien, Rencontres du troisième type, Manhattan ;
- A la fin des années 80 on trouve encore Bertolucci, Kubrick, De Palma, Louis Malle, de bons Spielberg…

On constate ensuite que le cinéma est progressivement éjecté du haut du box-office (1). Bien entendu il y a toujours eu à la fois des blockbusters, des comédies populaires et des films pour enfants, mais leur nombre augmente et noie dans la masse progressivement le cinéma. C’est ainsi que les films qui sortent des canons industriels font de moins en moins d’entrées. Tim Burton, Pedro Almodovar, James Gray, Paul Tomas Anderson et tant d’autres sont bien loin des performances de leurs aînés. On trouve bien sûr quelques exceptions (3,4 millions d'entrées pour Gran Torino par exemple) mais la tendance est très nette ces dernières années.

Or ces films intermédiaires, c’est-à-dire ceux qui font se côtoyer les deux populations de spectateurs, existent toujours (on pense aux films de Michael Mann, Wes Anderson, Bong Joon-ho, etc.). Sans être construits uniquement pour cartonner au box-office, ils ne sont pas pour autant austères, complexes ou repoussants.


Collatéral de M. Mann

S’ils ne font pas recette, c’est donc que ce sont les spectateurs qui ont changé : le spectateur consommateur d’images a tout à fait tourné le dos au cinéma. Son goût et sa curiosité se sont érodés, au fur et à mesure des séries télé, de l’esthétique envahissante des clips ou des publicités et devant la bouillie prémâchée des comédies lourdes ou des blockbusters.
On voit là, sans aucun doute, un contrecoup de la culture télé mainstream, qui impose des canons visuels et n’habitue le spectateur qu’à une passivité qui lui ferme tout à fait les yeux (nous avons pu dire, déjà, combien cette passivité était aux antipodes de toute découverte cinématographique).

Et cela semble inexorable. Il n’est qu’à voir le box-office de l’année en cours qui se constitue sous nos yeux : Les Tuche 3 est d’une courte tête devant La Ch’tite famille, alors que, juste derrière, Avengers : Infinity War vient de dépasser Black Panther
La messe semble dite : les seuls films qui ont du succès, désormais, sont les purs produits de consommation.





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(1) : Il faudrait prendre en compte, pour affiner cette réflexion, l'évolution des circuits de distribution. Le développement de très gros multiplexes qui offrent tous la même programmation favorise évidemment la visibilité de certains films au détriment d'autres qui deviennent réservés à quelques cinémas de grandes villes. Néanmoins, même avec une très large diffusion, il n'est pas certain que The Grand Budapest Hotel, There Will Be Blood ou Memories of Murder, pour citer quelques films remarquables dans des genres très différents, auraient eu un succès fracassant.


mercredi 16 mai 2018

La 317e section (P. Schoendoerffer, 1965)




Très bon film de guerre de Pierre Schoendoerffer qui s’attarde – chose rare – sur des perdants et qui suit leur retraite. C’est que l’épisode relaté est très précis : il s’agit de fuir et de perdre le moins d’hommes en route. On est ici à l’opposé des films de guerre conventionnels où c’est la conquête d’un territoire, d’une position ou encore une destruction décisive qui constitue le fil rouge du film. Rien de tout cela ici où ce sont des hommes fatigués qui fuient devant l’ennemi. Rien de glorieux, rien d’héroïque, les hommes font ce qu’ils peuvent, ils sont pragmatiques, hésitants, abandonnent peu à peu leurs idéaux, et s’accrochent à des souvenirs ou à des ressentis (en particulier sur l’Indochine elle-même que plusieurs combattants aiment malgré tout).



Schoendoerffer filme au milieu des hommes, délaissant le combat lui-même (il y a peu de scènes d’action proprement dites) et intégrant le spectateur à la fuite. Il nous fait participer au plus près de ce que fut cet épisode (très autobiographique) où les morts sont piégés et les blessés emportés quand c’est possible : il y a un fatalisme de la dureté de la guerre qui est montré crûment, sans enrobage et sans discours.

lundi 14 mai 2018

Chasse au gang (Crime Wave de A. De Toth, 1954)




Bon polar de André De Toth qui met en avant deux éléments essentiels au genre. D’une part le film exprime parfaitement combien il est impossible pour un truand de s’extraire du milieu et de redevenir un simple citoyen. Le pauvre Steve Larcey,  qui cherche à refaire sa vie et ne demande qu’à raccrocher, est sans cesse contraint à replonger, à la fois du fait de ses anciens compagnons d’infortune, mais aussi du fait des flics qui lui font bien savoir qu’il sera toujours, pour eux, un truand, sans cesse suspecté, surveillé et qu’il est comme marqué à jamais.
Cette thématique (que l’on trouve dans de nombreux autres polars, par exemple dans Le Carrefour de la mort de Hathaway) est renforcée par un autre aspect remarquable qui se trouve dans la figure du flic, interprété par Sterling Hayden. C’est que Sterling Hayden joue avec la même dégaine le flic (comme ici) ou le voyou (comme dans Asphalt Jungle de J. Huston ou comme il le fera dans L’Ultime razzia de S. Kubrick) : force brute, fausse décontraction – il mâchouille nerveusement un cure-dent –, phrasé court et lapidaire. Sims est un flic mais il est en tout point semblable aux truands qu’il pourchasse. Il a la même violence et le même jugement manichéen sur ceux qu’il croise, il ne s’embarrasse pas d’une finesse de jugement et il est indifférent à autrui. Il n’est que le revirement final qui fasse osciller Sims parmi les flics.



De Toth, au travers de ces différentes figures, construit alors un film dans une veine réaliste (aux cotés de films comme Le Carrefour de la mortLes Forbans de la nuit de J. Dassin ou Menace dans la nuit de J. Berry), loin des enluminures hollywoodiennes, s’attachant à des détails triviaux, des intérieurs dénudés et une façon sèche de montrer les petits truands de la rue et le quotidien des flics.

samedi 12 mai 2018

Le Cheval de fer (The Iron Horse de J. Ford, 1924)




Dans ce film spectaculaire et ambitieux, John Ford cherche rien moins que de raconter l’immense épopée de la construction de la première ligne de chemin de fer destinée à relier l’Est et l’Ouest des Etats-Unis.
Dans le film, le récit entremêle des éléments purement romanesques avec des éléments historiques : la petite histoire côtoie la grande sans arrêt. Ford insère ainsi des points de repères historiques qu’il met en images, depuis la signature décisive par Lincoln, qui donne l’impulsion décisive au projet, jusqu’au dernier clou – en or – posé sur les rails au moment où les deux compagnies – l’une partie de l’Est et l’autre de l’Ouest – se sont rejointes.



Le chemin de fer est ici une métaphore de la civilisation qui se répand au travers de l’immensité de la Nature. Dans la confrontation à l’espace qu’il faut franchir et transformer, la pose des rails est un symbole puissant : la civilisation progresse, pas à pas, rail par rail, grâce aux ouvriers issus de toutes les communautés qui s’unissent dans l’ouvrage. Des Irlandais, des Chinois, des Italiens, des Polonais : la communion des efforts de chacun permet de réaliser l’œuvre. Ford met donc au cœur de son récit une thématique sur laquelle il reviendra souvent.

Si le chemin de fer est ici le symbole du progrès et la liaison Est-Ouest un rêve qui se réalise, dans d’autres films (le Jesse James de H. King par exemple ou encore Bertha Boxcar de M. Scorsese), il sera le symbole du capitalisme des gros financiers qui spolient les petites propriétaires. Et Ford, attaché à la construction de la Nation, n’aborde pas les conséquences du chemin de fer sur les Indiens et leurs territoires (guerres indiennes, massacres de bisons), thèmes qui ne seront visités par le réalisateur que plus tardivement.


mercredi 9 mai 2018

Une fracture grandissante dans le cinéma



Un coup d’œil sur le box-office 2017 est riche d’enseignements :

Titre
Box-office
(nb d'entrées)
(R. Johnson, U.S.A.)
7 197 448
2. Moi, moche et méchant 3
(K. Balda et P. Coffin, U.S.A.)
5 637 548
3. Raid dingue 
(D. Boon, France)
4 571 327
4. Coco 
(L. Unkrich, U.S.A.)
4 496 694
(L. Besson, France)
4 040 253
6. Baby Boss
 (T. McGrath, U.S.A.)
3 956 359
7. Fast and Furious 8 
(F. Gary Gray, U.S.A.)
3 838 447
8. Pirates des Caraïbes : La Vengeance de Salazar 
(J. Rønning et E. Sandberg, U.S.A.)
3 676 016
9. Alibi.com 
(P. Lacheneau, France)
3 581 581
10. La Belle et la Bête 
(B. Condon, U.S.A.)
3 568 384

On constate qu’aux dix premières places, il y a 7 films américains et 3 français (et la proportion atteint 16 américains pour 4 français sur les 20 premières places…).
Sur les 7 films américains, 4 sont des longs métrages d’animation destinés aux enfants et les 3 autres sont des blockbusters qui sont la énième suite d’une série.
Sur les 3 films français, l’un singe de son mieux les blockbusters américains (Valérian de L. Besson), quand les 2 autres sont des comédies lourdes et abêtissantes.

En un mot il y a bien peu de cinéma dans ce box-office. Il n’y a aucun film, ici, pour le cinéphile, mais uniquement des films qui sont des produits de consommation, destinés à rassasier le spectateur.
Et, conséquence directe : il n’y a pas de film qui s’adresse à la fois au cinéphile et à ce spectateur consommateur d’images. Le cinéphile est rejeté hors les murs, dans son petit cercle qui se referme de plus en plus sur lui-même, tandis que le spectateur consommateur voit disparaître peu à peu ses chances de rencontrer un motif cinématographique qui le surprenne, de ressentir une émotion ou de découvrir une humeur différente de sa culture télé-clip mainstream.
Dès lors la discussion devient impossible : deux mondes se créent parmi ceux qui regardent des films, deux populations de spectateurs qui, lorsqu’ils parlent de cinéma, ne parlent plus du tout de la même chose et n'ont plus rien à se dire. Il manque, dans le cinéma d’aujourd’hui, des films intermédiaires, qui fassent se côtoyer ces deux populations de spectateurs.


lundi 7 mai 2018

Le Crime était presque parfait (Dial M for Murder de A. Hitchcock, 1954)




Splendide exercice de style de Hitchcock, dont l’argument consiste d’abord à construire un meurtre parfait puis à détricoter l’ensemble.
A partir d’une ligne simple – Tony Wendice (Ray Milland, très bien), cynique et sans guère d’affect, lorgne sur le bel héritage de sa femme Margot (magnifique Grace Kelly, archétype de l’héroïne hitchcockienne) – Hitchcock met en scène avec application la préparation du meurtre : Tony construit un mobile (un cambriolage qui tourne mal) et un alibi (il est dans un club public au moment du crime) et trouve un assassin pour faire le sale boulot. Son soin maniaque est fascinant et participe du plaisir intellectuel du film.




Le premier rebondissement vient avec Margot qui parvient à échapper au piège. Mais le mari, que l’on aurait pu croire ébranlé, ne fléchit pas pour autant – second rebondissement – et il parvient à construire une nouvelle stratégie qui accable sa femme. Si Margot s'est extirpée du piège, une seconde intrigue succède à la première. Et il faudra toute la sagacité de l’enquêteur pour parvenir à trouver le minuscule grain de sable – la fameuse clef cachée – et enrayer la belle mécanique froide et implacable du mari.


Le plaisir du film est bien entendu dans la façon qu’a Hitchcock de nous amener au résultat que l’on connaît d’emblée puisque l’on sait bien que le rugueux et froid Milland va être châtié et que la belle Grace Kelly ne va pas sauvagement se faire assassiner (1). Tout est si bien huilé et le mari est si intelligent et retors que l’on se demande comment Margot pourra s’en sortir.

L’ironie de Hitchcock se glisse dans des détails savoureux : le mari a toutes les peines du monde à empêcher sa femme de sortir quand il part à son club alors que tout est arrangé pour que le meurtre soit commis. C’est que Margot est bien loin de l’image de la femme au foyer qui attend sagement son mari (elle a d’ailleurs un amant). Le mari, alors, lui propose de classer des articles de journaux et lui glisse même entre les mains une jolie paire de ciseaux pointus : paire de ciseaux qui sera l’arme avec laquelle elle aura raison de celui qui voulait la tuer.
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(1) : C’est précisément avec ce type de certitude du public que jouera Hitchcock dans Psychose.


samedi 5 mai 2018

Black Panther (R. Coogler, 2018)




L’énorme machine Marvel continue de faire feu de tout bois en déclinant sans cesse de nouveaux super-héros, à la recherche de gains faciles. Si cet opus rafle la mise (avec de gigantesques recettes mondiales), il est pourtant d’une bêtise affligeante, avec tous les poncifs regroupés en un film : un scénario sans une seule surprise, des personnages caricaturaux au possible (avec un énième duel fratricide entre un gentil et un méchant), des touches d’humour pénibles et vaines que l’on sait désormais inévitables dans les blockbusters, des dialogues niais, des pseudos-rebondissements qui ne surprennent personne (le gentil, en réalité, n’était pas mort…), des scènes d’action déjà vues cent fois et qui ne mènent à rien, etc.
La connotation afro-américaine reste complètement impensée, avec une évocation très hollywoodienne de l’Afrique (la musique évoque, par moment, Le Roi lion…) et, en ne mêlant guère les blancs à cette histoire, le film prend bien garde de ne pas aborder l’épineux problème des relations Blancs/Noirs aux Etats-Unis.
Black Panther est un pur produit commercial de son époque : bouillie d’images sans imagination, enrobée d’une musique destinée à happer plus encore, si c’est possible, le public adolescent (et post-adolescent).
Si les producteurs touchent le jackpot, on n’ignore pas ce qu’ils pensent du public visé :




vendredi 4 mai 2018

La Terre (Zemlia de A. Dovjenko, 1930)




S’il apparaît comme un film de propagande soviétique typique de la période (s’agissant de montrer que la mécanisation va permettre aux paysans de s’émanciper des méchants koulaks), La Terre montre une vraie poésie et un très beau sens plastique. Dovjenko scrute les visages, les imposant en de longs plans qui les magnifient et qui montrent les réflexions des paysans, face à l’arrivée du tracteur. La fierté burinée des visages et la noblesse de ces hommes simples sont remarquablement saisies. Ces visages singuliers sont opposés à la foule indistincte.


Dans le même temps, Dovjenko parvient à saisir une puissance cosmique, celle des champs, celle du soleil montant le matin, filmant comme d’autres peignent des natures mortes, avec ces pommiers et leurs branches qui ondulent dans le vent. L’enterrement du fils gagne ainsi une grande dimension lyrique (qui dépasse le message révolutionnaire du film). Par-delà la propagande obligatoire, Dovjenko parvient ainsi à donner une humeur poétique à ces champs et à ces saisons qui s’avancent.

On retrouve l’influence de cet important film russe jusqu’à Tarkovski (qui reprend par exemple le motif des pommes dans L’Enfance d’Ivan).

mercredi 2 mai 2018

Voyage à travers le cinéma français (B. Tavernier, 2016)





Intéressant tour d’horizon du cinéma français – tour d’horizon rapide et qui ne se veut pas exhaustif – dans lequel Tavernier parle des films qui l’ont marqué enfant ou adolescent, avant de raconter les réalisateurs qu’il a pu côtoyer, ceux qui l’ont soutenu ou ceux qu’il admire particulièrement. Il passe ainsi en revue un certain nombre de réalisateurs (Renoir, Becker, Carné, Vigo, Melville, etc.) et de films majeurs, en s’arrêtant aux années 70 (avec Claude Sautet).
On apprécie ainsi ses premiers coups de cœur : par exemple Dernier Atout de Jacques Becker ou les films avec Eddie Constantine (Cet homme est dangereux de J. Sacha), ce qui confirme le mot de Martin Scorsese disant qu’on ne devient pas amoureux du cinéma devant Citizen Kane mais, enfant, devant des films de second rang.
Mais, si Tavernier est intéressant, c’est surtout au travers d’anecdotes qu’il raconte à propos de tel ou tel film ou de tel ou tel réalisateur (par exemple l’enregistrement de l’engueulade entre Belmondo et Melville). C’est qu’assez vite il n’intervient plus en tant que spectateur mais en tant qu’ami d’un réalisateur ou en tant qu’assistant, connaissant personnellement untel ou untel, rendant hommage à ceux qui ont pu l’introduire dans le milieu, l’aider ou le former.
On regrette alors que si le commentaire de Tavernier s’oriente  – et c’est bien normal – vers un commentaire fait d’anecdotes, il prenne un ton plus autobiographique où les réelles découvertes (comme les films de Edmond Gréville) sont plutôt rares.