jeudi 30 mars 2023

Les Yeux sans visage (G. Franju, 1960)

 



Véritable OVNI cinématographique, ce très beau film de Georges Franju – d’une beauté sombre et presque désespérante – envoûte le spectateur et, tout à la fois, le choque volontiers, notamment avec sa fameuse séquence d’opération chirurgicale. Il faut dire que, au milieu du film, Franju n’hésite pas : il montre en plein écran et quasiment en durée réelle le docteur qui opère sa patiente martyrisée pour lui enlever la peau du visage. Sans coup férir et sans s’en remettre à un hors-champ salutaire, il montre le maniement du bistouri et des pinces pour retirer du visage un masque de peau fine. Il avait déjà filmé, dans Le Sang des bêtes, le giclement de sang des carcasses à l'abattoir. Ici il enlève le sang mais rajoute l’application chirurgicale : froide, précise et monstrueuse.
Cette séquence choc – encore difficile à voir aujourd’hui – crée une tension très forte qui donne une dimension extraordinaire à l’horreur du médecin qui cherche à sauver sa fille. Alors que jusqu’ici le spectateur ne disposait que d’indices pour comprendre les tenants et aboutissants des manigances du docteur (faire croire que sa fille est morte, lui faire porter un masque, etc.), toute la folie de cet homme et toute l’horreur de ce qui se trame dans le sous-sol de son manoir apparaissent alors.

Pierre Brasseur, d’une implacable froideur sobre, campe un docteur Génessier taiseux qui contient ses douleurs (il est responsable de l’accident de sa fille) mais ne recule devant rien pour la soigner. Cette idée de faire se rejoindre la médecine et l’horreur n’est pas nouvelle mais elle est portée ici avec une noirceur incandescente remarquable.
Lorsque l’on comprend que l’opération a échoué et que le docteur doit recommencer sa terrible greffe, le souvenir de l’opération précédente hante le spectateur. Franju, on l’a compris, maîtrise totalement l’art cinématographique et il construit son film avec des images qui ne cessent de s’opposer : elles sont parfois douces et sombres ou bien violentes et surexposées, parfois glaçantes de réalisme ou étranges avec leur onirisme presque baroque. 



Edith Scob est étonnante et participe de l’étrangeté du film : avec son masque, elle déambule dans le château. Son physique étiré (sa taille gracile, ses proportions toutes en longueur, son cou) donne une poésie nonchalante à ses déplacements et ses traits de visage doux et sans une ride créent une confusion étrange, comme si, lorsque l’on voit son visage, elle portait encore un masque (ce qui est vrai en quelque sorte puisqu’elle porte la peau d’une autre).
Et la fin est remarquable, mêlant à la fois l’horreur (le docteur dévoré par les chiens) et la poésie la plus étrange (Christiane qui s’enfonce dans la nuit, blanche et légère, une colombe posée sur l’épaule).

Les Yeux sans visage
trouvera de nombreux échos dans les films d’horreur, où l’image d’une femme ligotée sur une table d’opération et menacée par un bistouri est devenue une vision classique de l’épouvante. Et il aura un magnifique hommage dans le très beau et très troublant La piel que habito de Almodovar.



lundi 27 mars 2023

La Nuit du 12 (D. Moll, 2022)

 



Polar très réussi et original avec une vraie sécheresse de style qui est très bien tenue tout au long du film. Les personnages sont une autre réussite, avec des seconds rôles très bien campés et au cœur de l'enquête, Yoan Vivès, le commissaire, flic minimaliste qui s’entête et fait ce qu’il peut. Bastien Bouillon campe très bien ce personnage taiseux qui ne laisse sortir aucune émotion (a contrario de son collègue beaucoup plus haut en couleur). Ce personnage évoque Pharaon de Winter, personnage central de L’humanité de Dumont, dont le mutisme et le détachement l’entraînait à absorber tout le mal du monde. Ici c’est une fausse indifférence qui frappe Yoan qui sera hanté, bientôt, par cette affaire qui n’avance pas.
On regrette que le film fasse, à plusieurs reprises la part belle au féminisme, notamment en laissant supposer que tous les hommes, finalement, sont potentiellement coupables du meurtre épouvantable à partir duquel l'enquête démarre. On reste un peu circonspect devant cette manière de tordre un scénario efficace pour le diriger vers des discours convenus et attachés à une époque.

 




vendredi 24 mars 2023

Vincent (T. Burton, 1982)

 



Ce court-métrage d’animation apparaît aujourd’hui, après plus de quarante années de recul, comme une synthèse incroyable de tout l’univers qu’exprimera Tim Burton. Y sont déjà présents ses motifs, ses thèmes, ses angoisses, ses références (de Vincent Price à Edgard Allan Poe). On a l’impression de tenir, dans une folle prémonition, tout Tim Burton en moins de six minutes.
Mais ce court-métrage interpelle : c’est un peu comme si le Burton de 1982 était déjà empli de tout ce qui fera son cinéma et que rien de nouveau n’était entré dans son crâne pour le hanter depuis tout ce temps.




 

mercredi 22 mars 2023

La Chute de la maison Usher (House of Usher de R. Corman, 1960)

 



Film fantastique très réussi de Roger Corman, qui illustre avec brio la nouvelle d’Edgard Allan Poe.

Corman – avec un budget légèrement plus élevé qu’à l’habitude – construit un film qui envoûte par son atmosphère, ses effets réduits, ses jeux de couleurs et son décor gothique. Et le spectateur reste coincé dans le huis clos de la maison Usher, maison qui se meurt, tout comme se meurt la lignée maudite des Usher, comme si la généalogie et les pierres se confondaient dans leurs destins. C'est la maison elle-même, ici, qui tient lieu de monstre.
Corman, reprenant la tradition littéraire fantastique, suggère, évoque, sème le trouble, sans jamais trancher ni jamais s’écarter de cette ligne de crête étroite, entre irrationnel et fantasme. Et ce choix du réalisateur – et c’est là davantage une simple remarque qu’une critique – tourne le dos à l’onirisme noir d’Epstein quand il avait déjà, dans les années 20, adapté la nouvelle de Poe. C’est bien Poe qui guide Corman, et non Epstein.


Vincent Price, avec son incroyable prestance, sa voix et son phrasé, campe un Roderick Usher à la fois magnifique, accablé et tourmenté. Les autres personnages, à ses côtés, font assez pâle figure.

 

 

lundi 20 mars 2023

Âmes perdues (Anima persa de D. Risi, 1977)

 



Malgré ce qui semblait être de solides atouts (Dino Risi derrière la caméra, Vittorio Gassman et Catherine Deneuve à l’affiche, Venise en toile de fond), Âmes perdues déçoit, avec son intrigue peu convaincante, son personnage principal falot (le jeune neveu Tino) et un rythme peu prenant.
Il est fait bien des mystères dans ce film, avec la volonté d’une ambiance fantastique qui suggère plus qu’elle ne montre, mais tout cela est monté en épingle de façon très artificielle et le nœud de l’intrigue, finalement, se révèle assez abracadabrantesque.
Il reste la belle partition de Gassman, en particulier dans la première partie (avant que son personnage ne sombre dans le Grand Guignol) et, surtout, Venise, joliment filmée, non pas dans ses atours habituels et rayonnants, mais en en faisant le tour par l’extérieur, ou le long de canaux gris ou encore en passant le long de ruelles calmes.

 



samedi 18 mars 2023

Priscilla, folle du désert (The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert de S. Elliott, 1994)





Même s’il ne réserve finalement guère de surprises, Priscilla, folle du désert – film fauché de Stephan Elliot qui va au bout de son idée de western en talons aiguilles – a un punch et une vitalité qui emportent le spectateur. Il faut dire que la personnalité des trois acteurs principaux (Terence Stamp, Guy Pearce et Hugo Weaving) est pour beaucoup dans ce road-movie réussi. Les personnages offrent un beau mélange de détachement, de foi en ce qu’ils sont et, dans le même temps, leurs doutes, emplissent le film.
Priscilla, alors, prend les problématiques fortes du film (l’homophobie, le SIDA
très présent dans les années 80 –, le changement de sexe, etc.) avec humour, dynamisme, auto-parodie et, même, une euphorie pas du tout évidente. Les sujets graves sont emballés dans un fell-good movie emballant.
La rencontre avec les aborigènes, dans le désert, est l'occasion d'une belle séquence. Cette réunion, autour d’un feu, de différents opprimés – réunion lourde de sens en Australie – et qui ont des cultures si éloignées donne lieu à une célébration pleine de joie et d’entrain. Et le désert australien, jusqu’alors associé aux délires mécaniques de Mad Max, prend une dimension très différente (très américaine pour le coup), entre la minéralité et le flashy des costumes de carnaval.

 


jeudi 16 mars 2023

Bienvenue à Gattaca (Gattaca de A. Niccol, 1997)

 



Belle réussite que ce film d’anticipation mâtiné de thriller. Andrew Niccol, comme le veut le genre, pousse le curseur de la sélection génétique un cran plus loin qu’il ne l’est, en montrant les dérives possibles – et sans doute inévitables – de telles avancées.

L’ambiance du film est particulièrement réussie, avec des décors à la fois simples et évocateurs. On est loin de la déferlante d’effets spéciaux et des décors surchargés. Ici le monde est à la fois futuriste, moderne et décalé mais, en plus, il donne une vision d’un monde futuriste tel qu’il était représenté dans les années 40 ou 50, l’ensemble donnant une atmosphère froide, bureaucratique et orwellienne.
Le film propose ainsi une version efficace d’un thème classique de la science-fiction (un individu qui se révolte face à un système) en jouant de cette vision futuriste de la société, dans le sens où les aléas de la vie sont gommés, au prix d’une impossible émancipation sociale, chacun étant prisonnier de son destin génétique.
Cela dit, si le sujet est intéressant et la démonstration bien menée, la dénonciation d’une société eugénique est assez simple. On pouvait peut-être attendre de Niccol, qui est un très bon scénariste (on lui doit la pépite Truman Show), un regard plus abouti.

 



mardi 14 mars 2023

Le Cinquième élément (L. Besson, 1997)

 



Grosse production française, Le Cinquième élément a tout du blockbuster américain : un casting de stars (Bruce Willis en tête), une volonté de space opera, des effets spéciaux en veux-tu en voilà, un rythme soutenu de bagarres et de bons mots à tout-va. Jamais sans doute un film français n’a autant ressemblé à un film américain : voilà Luc Besson comblé.
Pour le reste, on retrouve toutes les caractéristiques du produit industriel de fast-food appliqué au cinéma. Tout est sacrifié au divertissement et il n’y a, semble-t-il, aucune autre ambition que d’accompagner en le flattant le plaisir du spectateur qui déguste son pop-corn.

 



lundi 13 mars 2023

La Secte sans nom (Los sin nombre de J. Balagueró, 1999)

 



Ce premier film de Jaume Balagueró est très ambitieux mais peu convaincant. Les effets sont souvent surjoués (son, montage, ambiance parfois inutilement pesante) et le film pâtit, il faut bien dire, du jeu d’acteur très mauvais de Karra Elejalde qui tient le rôle de l’ancien flic Massera. On est surpris que le réalisateur ait laissé un si mauvais interprète dans un rôle si important au milieu d'un film par ailleurs très pro et bien mené.
L’image finale, qui donne un petit coup de fouet à un scénario qui en avait bien besoin (mais qui est loin de sauver le film !) est remarquable.