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mercredi 20 février 2019

Le Club des trois (The Unholy Three de T. Browning, 1925)




Incroyable film de Tod Browning, qui, comme souvent chez le réalisateur, tourne autour de plusieurs monstres (avec une ouverture presque conventionnelle pour lui avec des avaleurs de sabre, des naines, des siamoises, etc.) et déroule un scénario complètement délirant. Mais il s’agit de ce délire superbe des années 20 – qui serait complètement improbable aujourd’hui, maintenant que tout s'est aseptisé – où une idée est saisie et amenée jusqu’à son terme, sans retenue, sans peur de choquer ou de froisser.
Un trio composé d’un hercule, d’un nain et d’un ventriloque monte une arnaque consistant à vendre des perroquets en faisant croire qu’ils parlent (grâce au ventriloque). Le but de la combine est d'utiliser les plaintes des clients (puisque, bien sûr, une fois rendu chez l’acheteur, le perroquet ne parle plus) afin de s’introduire chez eux pour les voler. Le plateau ne serait pas complet sans indiquer que le ventriloque se déguise en grand-mère (Lon Chaney avec son goût du travestissement est génial) qui pousse un landau dont le bébé n’est autre que le nain grimé. Un scénario abracadabrantesque, donc, qui ose mettre au premier plan un ventriloque dans un film muet ! On imagine, aujourd’hui, la tête d’un producteur devant un tel scénario. Cela nous vaut quelques images géniales et drôles avec des phylactères environnants des perroquets pour illustrer la supercherie.



Bien sûr les choses ne se passent pas comme prévu, l’amour s’en mêle et il faudra jusqu’à un chimpanzé (!) pour terrasser l’hercule.

Et même si Le Club des trois n’a pas la ligne pure, monstrueuse et violemment tragique de L’Inconnu, ni la puissance dérangeante de Freaks, il reste fascinant, de par son incongruité et son délire improbable.

mercredi 7 novembre 2018

L'Inconnu (The Unknown de T. Browning, 1927)




Extraordinaire film de Tod Browning, indissociable de la performance incroyable de Lon Chaney. Cette performance est à la fois celle d’un athlète contorsionniste (il faut le voir boire tranquillement un verre en le tenant avec ses pieds) et celle d’un acteur exceptionnel : en un instant son visage passe de l’amour à la haine, de l’espoir le plus fou au désespoir. Le jeu de son visage, très expressif, apparaît étonnamment moderne.
Browning, avant même Freaks, se passionne déjà pour le cirque et pour la difformité. C’est que l’univers du cirque permet de jouer à la fois sur la frontière entre la réalité et l’apparence (avec la mise en scène des numéros de cirque) et sur la différence – ici très ténue – entre la normalité et la monstruosité. Et si on retrouve un trio amoureux classique (une femme et deux prétendants), les choses sortent vite de l’ordinaire : Malabar est un hercule, Alonzo n’a pas de bras et Nanon a une phobie des hommes qui la touchent sans cesse. Et le numéro de lanceur de couteaux que fait Alonzo avec Nanon prend des connotations sexuelles étonnantes dès les premières scènes (le numéro consistant à la déshabiller grâce à sa virtuosité au couteau).
Mais cette histoire qui peut sembler simple s'épaissit considérablement grâce au personnage d’Alonzo. D’une part Alonzo n’est pas celui qu’il dit être (sa difformité n’est pas celle que l’on croit) : dans ce monde de faux-semblant qu’est le cirque, le voilà qui dupe son monde. D’autre part, et c’est là que le personnage atteint des sommets tragiques, il allie sa duplicité criminelle avec une sincérité amoureuse totale qui le conduira jusqu’au don de soi le plus absolu. Ce paradoxe dans la personnalité d’Alonzo enrichit le romanesque du film et le conduit vers une fatalité tragique. L’erreur d’Alonzo, sans doute, est de vouloir résoudre ce paradoxe en faisant se rejoindre le mensonge et la réalité.  C’est en adoptant un corps monstrueux qu'il peut tourner le dos à son passé criminel. Le film, alors, entremêle la plus belle poésie et la plus grande cruauté et la beauté la plus douce avec la plus grande monstruosité, que ce soit celles de l’âme ou celles du corps.



Une fois encore on voit qu’en ces dernières années du muet le cinéma atteint les sommets, imprègne le cerveau d’images, excite l’imaginaire et la réflexion, avec peu de paroles, sans emphase, en convoquant les émotions humaines ou en s’appuyant sur des expressions universelles, comme ici le visage tordu de douleur de Lon Chaney.

vendredi 22 avril 2016

La Monstrueuse parade (Freaks de T. Browning, 1932)




Film choc, Freaks est, aujourd’hui encore – et c'est tout à fait exceptionnel pour un film de 1932 –, difficile à regarder (même pour des adolescents, par exemple, rompus aux images abominables et malsaines des films les plus gores et les plus outranciers).
T. Browning, après le grand succès de son Dracula, se voit demander par la MGM (qui veut renchérir pour concurrencer le très bon Frankenstein de J. Whale qui connaît lui aussi un grand succès) la réalisation d'un film encore plus monstrueux. Les majors hollywoodiennes ont l’habitude de ce fonctionnement : quand un filon fonctionne il est exploité jusqu’au bout. Ici la mode est aux films de monstres. Browning accepte et prend les producteurs au mot : il va faire le film de monstres ultime. Il cherche alors dans différentes troupes de cirque des Etats-Unis des « monstres de foire » et les regroupe pour son film.
Le film est du coup très dur à voir pour la simple raison qu'il n'y a aucun trucage : les acteurs ont réellement une apparence monstrueuse. Si voir Gollum, sinistre créature du Seigneur des anneaux n’émeut pas particulièrement, c’est bien parce qu’on sait que ce personnage est une habile création numérique. En revanche, de l'homme-tronc aux femmes à tête d'épingles, la foire aux monstres de Freaks est presque insoutenable.

Gollum dans Le Seigneur des anneaux
Un des "monstres" de Freaks
On a là une très importante réflexion sur le cinéma : si, parfois, le cinéma cherche à coller avec la réalité (la difficulté pour le réalisateur est alors de parvenir à saisir le réel sur la pellicule), d’autres fois il n’est pas question – il n’est pas supportable –, pour le spectateur, que les images montrent effectivement une réalité : cela doit rester « pour de faux ».
Browning, conscient de ce qu'il montre, pousse son idée jusqu'au bout et présente les acteurs dans leur propre rôle : il montre la vie de tous les jours d’une troupe de cirque. Et, alors que, scénaristiquement, ils ne font rien que de très banal, c'est là, précisément, qu'ils apparaissent monstrueux : dans la simple et banale vie de tous les jours.
Les ennuis commencent pour le spectateur – si l’on peut dire – précisément parce que les acteurs jouent leurs propres rôles. Dès lors en quoi sont-ils monstrueux ? Ils le sont uniquement parce que les spectateurs – qui ont parfois bien du mal à ne pas détourner les yeux – les désignent comme tels.
Et cette mise en abyme va très loin : lors du tournage il fallut séparer les acteurs –  c'est-à-dire toutes ces personnes venues de différentes troupes de cirque et que Browning a rassemblées – et les techniciens : ils ne voulaient plus manger aux côté des acteurs, trop monstrueux et insupportables à côtoyer. Mais qui prétend pouvoir manger tranquillement, à la cantine et l'air de rien, face à un homme-tronc, face à des siamois, face à un homme-squelette ?
De façon terrible, la belle Cléopâtre qui se moque, insulte et rejette les monstres est un miroir (à peine) grossissant de ce que les acteurs ont subi lors du tournage (même s’il faut relativiser : il y a eu aussi, sur le tournage, des querelles d'ego ; plusieurs de ces « monstres » étaient des stars dans leur cirque et voulaient tirer la couverture à eux !).
Pourtant, en fin de film, dans des séquences éblouissantes et inoubliables, Browning sauve le spectateur : les monstres agissent, finalement, comme des monstres. Tout retombe bien en ordre : les monstres sont bien monstrueux, le spectateur est rassuré, il a eu raison de les identifier comme monstres.
Mais il est bien évident que ce film, aujourd'hui encore trop direct dans son jeu de miroir réalité/fiction, était irregardable en 1932. Qu'il ait précipité la carrière de Browning ne peut guère surprendre.
L’influence de Freaks est très importante, beaucoup de réalisateurs y font référence, depuis Lynch, évidemment, dans son Elephant man, jusqu'à Toy Story de J. Lasseter où le cowboy Woody se retrouve coincé dans une chambre emplie de jouets monstrueux. La mise en scène de cette séquence reprend la tension de l'attaque des monstres à la fin de Freaks.

Un des jouets monstrueux de Toy Story