mercredi 31 août 2016

Django Unchained (Q. Tarantino, 2012)





En sampler génial qu’il est, Tarantino a mis dans un shaker Le Bon, la brute et le truand, Mandingo de R. Fleischer et le Django de Corbucci, a secoué le tout et il en est sorti Djando Unchained. De la thématique générale au style, le film offre ainsi un beau mélange, illuminé par la maestria de Tarantino et entaché, si l’on veut, par ses excès.
Le Bon, la brute et le truand se retrouve tout au long de la première partie (le parcours des deux chasseurs de prime) et, à partir de l’arrivée dans la plantation de Candie, c’est Mandingo de Fleischer qui sert de référence (ainsi que sa suite, Drum de S. Carver, qui insiste sur les combats entre esclaves-gladiateurs). Le personnage de Candie (terrible Leonardo DiCaprio) est directement inspiré du marquis de Veve de Mandingo de même que, bien sûr, les combats à mort entre esclaves.

Le marquis Bena de Veve, instigateur de combats entre esclaves
Leonardo DiCaprio est Candie,
grand amateur de luttes à morts entre esclaves


Le Django de Corbucci, s’il est nettement évoqué à plusieurs moments (avec notamment un petit rôle donné à Franco Nero), se retrouve surtout autour de la violence sanglante qui saupoudre tout le film. C’est que Tarantino a hérité de ce goût prononcé pour la violence crue, à grand renfort de sang qui gicle. Ici ce n’est pas avec une mitraillette que Django tue à tout va mais, question efficacité, c’est du pareil au même.

Les deux Django côte à côte :
le nouveau à gauche et Franco Nero, l'original, à droite
Le style de Tarantino explose dans ce film, avec toujours autant d’aisance et de délectation. La violence, très stylisée, devient bien lassante pour qui n'a pas ce gout pour les gerbes de sang (la double séquence finale fatigue particulièrement, même avec la distance et l'ironie de Tarantino). Cette violence est souvent introduite selon la même modalité, qui vient directement d’une séquence d’introduction du Bon, la brute et le truand de Leone (1). Chez Tarantino la violence n’arrive jamais immédiatement, mais elle vient après une longue introduction, souvent constituée de dialogues, qui emmène vers un point de rupture. La première séquence du film (où Schultz abat les deux vendeurs d’esclaves) est tout à fait typique. Tarantino rajoute ici, dans la partie à Candyland, une seconde violence, celle des esclavagistes, qui est une violence pulsionnelle, soudaine, sadique. C’est celle de Candie et de ses sinistres sbires. Celle-là surgit tout à coup, sans retenue, sans prévenir. Django, après la mort de Schultz, cédera à cette violence qui conclura le film.

Dans la filmographie de Tarantino, Django Unchained suit la ligne initiée par Inglourious Basterds, puisqu’il vient se coller à l’Histoire (ce qu’indique le carton du début, situant le film peu de temps avant la Guerre de Sécession) pour mieux la falsifier : il n’y a pas eu d’esclave noir héroïque qui se sera rebellé et émancipé et qui aura vengé et libéré ses frères.
Sa description du Sud esclavagiste ne fait pas dans la finesse (à l’inverse de Mandingo) avec des Blancs qui sont tous d’épouvantables raciste, pervers et violents. Il n’y a guère que Schultz pour être préservé question racisme (malgré son cynisme il n’a pas de haine contre les Noirs, même si moralement, pour le reste c’est un tueur). Django, puisqu’il vit une situation qui justifie la violence (il veut libérer sa femme) est moralement épargné (à l’inverse de ses ancêtres cinématographiques des westerns italiens). Le film prend donc position de façon très radicale mais très simpliste (Mandingo, là encore, est beaucoup riche). La seule hésitation vient de Stephen, le serviteur noir qui trahit ses frères noirs, et le seul inconfort vient de l’émancipation de Django, qui n’est possible en définitive que par Schultz.

Django, dans une belle évocation du Grand silence
Si l’on se réjouit qu’un western ait un tel succès, on regrette qu’il soit un descendant en droite ligne des westerns italiens (stylistiquement bien sûr, mais aussi dans son récit centré sur une vengeance). Encore une fois la richesse thématique du cinéma américain (malgré les références appuyées à Mandingo) semble oubliée. Le western se trouve une nouvelle fois enfermé dans une forme dont il a bien du mal à s’extraire et qui le font complètement méconnaître du public non cinéphile.



________________________________

(1) : Reprenons ce que nous disions à ce propos : 
« La seconde séquence du film (lorsque la brute Lee Van Cleef rend visite au fermier qu’il finira par abattre) contient tous les ingrédients du cinéma, à venir, de Quentin Tarantino : le rythme est lent, le réalisateur prend son temps, s’attache à des détails triviaux (une discussion tout en mangeant de la soupe), avec une tension sous-jacente qui monte (on sait qu’il va se passer quelque chose). L’explosion de violence est soudaine et radicale. Tarantino refera très précisément cette séquence (au début d’Inglourious Basterds) mais c’est, de façon plus générale, tout son cinéma qui est irrigué par cette manière de faire. C’est d’ailleurs à la fois une qualité de Tarantino (il est passionné par une esthétique précise) et un défaut, puisqu’il fait à la manière d’un maniériste. C’est donc un style, ontologiquement, assez caricatural. Reste que sa vista lui permet de faire « à la manière de Leone » de façon brillante, enlevée, facilement jouissive, fluide et en déclinant dans de très nombreuses variantes ce schéma de base. »

lundi 29 août 2016

La Planète des singes : les origines (Rise of the Planet of the Apes de R. Wyatt, 2011)




Film assez quelconque, et c’est dommage car le scénario est plutôt intéressant et aurait mérité un meilleur traitement. Disons qu’il tient debout, comme lointaine préquelle au roman de P. Boulle. Il y avait là de quoi faire un bon film de science-fiction, qui joue à mélanger l’humain et l’animal.
Mais le film pâtit d’une réalisation lambda qui répond simplement aux codes américains actuels : une image numérique plate et lisse, des effets de caméras vus cent fois, des acteurs insipides, une bande originale grossière, des effets inutilement appuyés. On a là un bel exemple de fabrication sur commande, propre et professionnelle, mais sans saveur.
On notera un plan évoquant Les Oiseaux de Hitchcock, où des chimpanzés remplacent les corbeaux.


Quant à la suite (La Planète des singes : l'affrontement), elle est épouvantable : elle reprend la même réalisation convenue mais avec un scénario stupide et sans surprise.

jeudi 25 août 2016

Tueurs de dames (The Ladykillers de A. Mackendrick, 1955)




Très bonne comédie noire anglaise, typique de par son humour décalé, et qui aborde avec légèreté des péripéties habituellement réservées au polar ou au film noir (une bande de malfaiteurs loue une chambre chez une vieille dame pour préparer et exécuter un audacieux hold-up). A. Mackendrick a signé plusieurs de ces comédies très british, avant de devenir plus sérieux en allant tourner à Hollywood.
Les personnages sont truculents, en particulier le professeur Marcus, cerveau de la bande, interprété avec génie par Alec Guinness, décidément très fort dans le registre comique. C’est amusant de voir cet acteur être devenu si célèbre avec son rôle du colonel Nicholson dans Le Pont de la rivière Kwaï (personnage sérieux et intègre s’il en est) alors qu’il est d’abord un comédien joueur et multifacette, qui explose dans ces comédies anglaises à l’humour décapant.

L'affable professeur Marcus sonne à la porte
A noter la présence du débutant Peter Sellers, qui, question comédie, se trouve donc à très bonne école.
On préférera peut-être, malgré tout, Noblesse oblige, grand chef-d'oeuvre du genre, au scénario plus inventif et à l'humour noir encore plus efficace.

mardi 23 août 2016

La Gueule ouverte (M. Pialat, 1974)




Film dur et éprouvant dans lequel Pialat filme la mort comme peu de réalisateurs ont osé le faire : il pose sa caméra et recueille l’agonie de la mère, longue et douloureuse, avec, à ses côtés, mais ne sachant que faire, le mari et le fils, impuissants. On pense à Cris et chuchotements, où Bergman filmait, là aussi, l’impuissance des proches. La mort y apparaît sans fard, sans espoir, comme une agonie. Voilà, pour chacun de nous, comment la vie se terminera, semble nous dire Pialat.
De même que pour son film précèdent (Nous ne vieillirons pas ensemble), Pialat injecte une forte dose autobiographique dans son film, avec Philippe Léotard, le fils, qui joue l’alter ego du réalisateur.
Le style de Pialat éclate : de très longs plans séquences, une sécheresse de ton, un jeu de caméra minimal, une volonté de réalisme des acteurs et des situations, un scénario très simple. Ce sont alors des blocs de « vie de tous les jours » qui sont accolés les uns aux autres et dans lesquels sont fichées comme  des coins la maladie, l’agonie, la détresse de la mère. Les personnages tournent autour, se raccrochent à leurs quotidiens, continuent leur toute petite vie (boire des verres de rouge et draguer à tout va pour le père ; coucher à droite et à gauche et fumer ses cigarettes pour le fils) en attendant que tout cela soit fini.

La faiblesse du film – comme dans beaucoup de films de Pialat d’ailleurs – est peut-être à trouver dans son scénario qui se veut très simple – Pialat veut sèchement montrer la mort et la regarder en face – mais qui manque malgré tout de richesse. Cela étant, l’extraordinaire acuité du réalisateur fait mouche : en trois longs métrages, il règle son compte à l’enfance (L’Enfance nue), au couple (Nous ne vieillirons pas ensemble) et, donc, à la mort.

dimanche 21 août 2016

Take Shelter (J. Nichols, 2011)




Bon film de J. Nichols, qui traite de la cellule familiale de l’américain moyen avec beaucoup d’habileté et de douceur.
Le film apparaît comme un Americana remis au goût du jour : il s’agit de la peur d’un père de famille de ne pas parvenir à protéger sa famille face aux menaces qu’il ressent (on sent la fragilité dans son emploi ou à la banque, avec sa petite fille sourde à soigner et sa femme qui ne travaille pas). Son frère le lui rappelle, alors même qu’il met en danger économiquement son équilibre familial en investissant dans un abri anti-tempête : « une seconde d'inattention dans ce système économique et tu es mort ». Et l’angoisse de Curtis (angoisse aussi d’être comme sa mère, psychotique dès ses 30 ans) se manifeste sous forme d’une tempête qui l’obsède et qui revient.
La construction de Nichols est rigoureuse et rend compte de cette angoisse qui monte progressivement : pas à pas, les hallucinations de Curtis progressent, d’éclairs en pluies grasses et jaunes, d’envols d’oiseaux en grondements que lui seul perçoit. Et les cauchemars l’assaillent : sa fille s’y fait agresser, son chien se jette sur lui, sa femme, même, y devient une menace.

La fin est sans doute une hallucination : il perçoit un orage terrible qui s'approche, mais, cette fois, sa fille et sa femme le perçoivent elles aussi. Curtis, malgré sa crainte et sa maladie naissante, n'est plus seul pour les affronter.

jeudi 18 août 2016

Un été 42 (Summer of '42 de R. Mulligan, 1971)




Film très réussi de Robert Mulligan sur le sujet difficile à traiter des premiers émois des adolescents. Le film est empreint d’humour, de nostalgie et de sensualité. Il parvient à trouver un équilibre entre l’aspect comique d’adolescents avides de se déniaiser (amusante scène des trois amis listant les étapes successives pour arriver à ses fins avec une fille) et les premiers sentiments amoureux, beaucoup plus sérieux et qui porteront très loin le jeune Hernie, amoureux de Dorothy, femme mariée plus âgée que lui.
Jennifer O’Neill est très jolie et le jeune Gary Grimes joue très bien : on parvient à lire tour à tour chez son personnage la fierté, la nervosité, la sidération, la fébrilité ou encore la tristesse sourde, résumant ainsi les émotions des adolescents.
La dernière séquence est remarquable, Jennifer O’Neill dégageant une tension, une fébrilité et une détresse chez son personnage de Dorothy. Couplée à la musique célébrissime du film, Mulligan parvient à créer, sans une parole, avec beaucoup de pudeur et de sensualité, une scène d’amour pleine d’émotion.

Hernie sous le charme de Dorothy

mardi 16 août 2016

Apocalypse Now (F.- F. Coppola, 1979)




Extraordinaire film de guerre de Coppola qui, dans un opéra démesuré et gigantesque, entraîne jusqu’au plus profond de la jungle, cœur de la folie des hommes. Le film est comme un long trip hallucinogène, semi-cauchemardesque, semi-délirant. Depuis la célèbre séquence d’ouverture (Martin Sheen imbibé d’alcool et moite de sueur dans sa chambre, la musique des Doors, les pales des hélicoptères, les explosions de napalm) jusqu’au final magistral avec la noirceur folle de Brando, Coppola traverse de part en part la guerre.
Le capitaine Willard (Martin Sheen) est une clef du film. Il constitue un personnage principal très passif (ce qui est presque antinomique dans les films de guerre), témoin en retrait et renfermé sur lui-même. Il poursuit sa quête en remontant simplement le cours du fleuve, comme une route toute tracée, et il parvient au colonel Kurtz (Marlon Brando), énigmatique et complexe, qui se livrera à lui. Le rapprochement entre les deux hommes (rapprochement opéré tout au long du film par Willard étudiant le dossier de Kurtz), constitue sans doute le cœur du film. Et le bateau, qui se sera enfoncé toujours avant dans la jungle, parviendra, au cœur du cœur de la jungle et de la guerre jusqu’à Kurtz, à demi-fou, à demi-dieu, régnant sur une tribu, hors du temps, hors de la guerre elle-même. Le génie de Coppola explose ici, dans ce film qui transcende son genre (celui des films de guerre) et l’emporte dans une autre dimension, celle de la folie humaine. On rejoint ici Aguirre, la colère de Dieu : on contemple la folie, on la touche du  doigt même.

Le capitaine Willard arrivant au cœur du cœur de la jungle
Comme souvent chez Coppola, la direction d’acteurs est exceptionnelle : Martin Sheen, dont la voix off rythme lentement le récit, Robert Duvall, dont le personnage du colonel Kilgore rejoint la lignée de ceux qui n’existent que par la guerre (et que l’on retrouve dans Cote 465, Les Nus et les morts ou, plus tard, Capitaine Conan) et évidemment M. Brando, dans une composition noire, délirante et fascinante.


Le détonnant colonel Kilgore
Le colonel Kurtz, demi-dieu niché au cœur de la jungle
La démesure de Coppola se ressent tout au long du film, au travers de la bande originale (de l’opéra de Wagner au rock psychédélique des Doors), des personnages tonitruants (le colonel Kilgore qui ne jure que par le surf et l’odeur du napalm), de moments baroques (la rencontre des français le long du fleuve, le spectacle proposé aux GI).
Coppola s’offre même une mise en abyme remarquable (au-delà des conditions de tournage parfois dantesque – décors détruits, infarctus de M. Sheen) : il interprète lui-même le reporter de guerre enjoignant aux soldats de ne pas regarder la caméra et de bien jouer leur rôle de soldat.


Et il ne faut pas oublier que le génie de Coppola est aussi dans son éclectisme éblouissant : celui d’avoir réalisé des films aussi brillants et différents que Le Parrain, Conversation secrète, Dracula ou Apocalypse Now.

vendredi 12 août 2016

Série noire (A. Corneau, 1979)




Très bon film noir français qui est transcendé par le jeu extraordinaire de Patrick Dewaere qui est confondant de naturel. On a rarement autant de mal à dissocier l’acteur de son personnage, tant ce jeu échevelé, tout feu tout flammes, sans cesse borderline et incisif, détonne à l’écran.
Frank Poupart, sa vie dérisoire et qui lui échappe, les petites combines de Staplin, la tante qui donne sa fille en paiement, les meurtres crapuleux : Alain Corneau trace un portrait au vitriol d’une société française délabrée et minable à la fin des années 70.
Le scénario, très sombre, emporte les personnages et les emmène jusqu’au bout de leur logique destructrice : « Maintenant on ne craint plus rien » dit Poupart à Mona. Effectivement, quand le film se termine tout est achevé, il ne leur reste rien.


jeudi 11 août 2016

La Chute du faucon noir (Black Hawk Down de R. Scott, 2001)




Bon film de guerre, peu original, mais solide et impressionnant. Le film semble n’être qu’une longue scène d'action, gonflée à la longueur d’un film, là où les productions du genre montrent souvent plusieurs séquences, entrecoupées de temps morts, de l'attente d’un assaut ou d'une reprise du souffle (aussi bien pour le rythme du récit que pour les personnages éprouvés par un combat). Ici la séquence d'action est pratiquement étendue à l'échelle d'un film : quand le combat commence on n'en sort plus. On se croirait dans un jeu vidéo ( de type Call of Duty) qui, et c’est normal, résume la guerre à une action ininterrompue.

Le film a eu un impact important : par un hasard de calendrier, il est sorti quelques mois après le 11 septembre 2001. Le film devient alors une représentation du sentiment patriotique américain : les soldats sont pris dans un conflit complexe où l’ennemi est diffus et omniprésent et chacun des soldats devient un héros.
Dès lors, le film, s’il présente une intervention militaire qui a échoué, ne donne pas d’explication à la situation très confuse et complexe qui règne à Mogadiscio. Le spectateur reste complètement dans le flou en ce qui concerne les tenants et aboutissants du conflit. Dans cette ville en fusion, l’ennemi est diffus, mal représenté : tout le monde est dangereux, tout le monde prend les armes, l’ennemi n’est pas personnifié par un visage précis. C’est une déferlante d’hommes qui se ruent vers les militaires. Cette représentation répond donc à sa façon aux circonstances du 11 septembre où l’Amérique a été, pareillement, attaquée par un ennemi diffus et difficile à discerner.

S'il est original sur ces deux points et s'il est assez happant (il n'y a pas de temps morts), il s’agit d’un film de guerre classique, avec des moyens importants : les scènes de combats sont plus vraies que nature et l'efficacité professionnelle de R. Scott fait le reste.

lundi 8 août 2016

Le Jour se lève (M. Carné, 1939)




Très grand film du cinéma français, réalisé par un Marcel Carné qui maîtrise les studios de main de maître (notamment au travers de cette fameuse chambre où Gabin s’enferme comme un forcené). Le film est techniquement parfait et Carné innove en utilisant des flash-backs. Cela lui permet de commencer par l'aspect tragique du drame (le coup de feu) puis de remonter aux sources de cette histoire somme toute très classique (l’ouvrier amoureux de la fleuriste et bientôt jaloux). Carné rebondit sans cesse avec facilité pour dérouler impeccablement son histoire.
Carné teinte son fameux réalisme d’une certaine poésie (on sent l’influence de Prévert même si elle n’explose pas encore comme dans Les Enfants du Paradis) et il parvient – de par ses allers retours entre passé et présent – à faire glisser sans cesse ses personnages du bonheur intense de l’amour à la douleur la plus poignante (exceptionnelle composition de Gabin, que l’on voit tour à tour transi d’amour ou désespéré). Ce rôle de Gabin, interprétant François, l’ouvrier jaloux ("Mais tu vas la taire ta gueule !"), est resté très célèbre. De même, Jules Berry et Arletty sont parfaits.
Si le film est, au niveau formel, tout à fait parfait, on n’y trouve toutefois pas la même beauté poétique que dans Les Enfants du paradis, ni le génie bouillonnant de Renoir (celui de La Règle du jeu par exemple).


samedi 6 août 2016

Drive (N. Winding Refn, 2011)




Bon thriller, qui démarre avec une excellente séquence, avant de baisser d'un ton et d'être moins novateur. Mais l'ensemble est remarquable et on apprécie, dans les temps actuels où bien des films cherchent à immerger dans une action ininterrompue et trépidante, un rythme plus lent, plus calme, qui attend les personnages.
La séquence initiale est une reprise du début du Driver de W. Hill. On retrouve le même scénario (une course-poursuite "lente" après un braquage) et le même mutisme chez le personnage principal.

Ryan O'Neal, chauffeur mutique et détaché dans The Driver
Ryan Gosling dans Drive, avec le même mutisme


Mais ici N. Winding Refn change complètement l'atmosphère, en filmant avec plus de chaleur, plus de velouté (la bande originale, notamment, y est pour beaucoup).
Malheureusement Ryan Gosling – un peu comme Ryan O’Neal d’ailleurs   manque terriblement de charisme. Il faut dire tout le monde n’a pas le magnétisme de Alain Delon ou Steve McQueen (Bullitt est très présent), qui peuvent se permettre des jeux extrêmement minimalistes.

On sent dans le film une double influence : celle de M. Mann d'abord (au travers d’un film comme Collatéral en particulier), avec une volonté de filmer la ville, la nuit, le lent mouvement des personnages, de chercher une distance un peu feutrée ; et celle de M. Scorsese (Taxi Driver) ensuite, dans les errements du personnage (dans la manière de marcher de Ryan Gosling même) et surtout dans les soudaines explosions de violence, comme des déchaînements trop longtemps contenus (la violence est par trop exagérée d'ailleurs, on regrette un peu cette concession aux modes actuelles). On retrouve là une idée qui était déjà présente à un point encore beaucoup plus extrême dans Le Guerrier silencieux, film précédent de N. Winding Refn, qui alliait des moments lents, silencieux et sans musique, avec des déchaînements de violence barbare et atroce.

jeudi 4 août 2016

Hell Driver (Drive Angry de P. Lussier, 2011)




Film très quelconque, à mi-chemin entre Vampires de Carpenter, pour son aspect western diabolique, et un film comme Ghost Rider, pour son héros – dans les deux cas interprété par Nicolas Cage – échappé de l’enfer et qui conclut un pacte avec le Diable. L’image est très BD, la bande originale est un mélange de hard rock et de rugissements de moteurs. C’est une espèce de western moderne à gros coups d’explosions de sang, de montages trépidants et de ralentis conventionnels.
Nicolas Cage est un acteur surprenant : il peut être excellent et irradier une folie délirante, avec ses yeux exorbités et hallucinés, ce qu’ont très bien saisi de grands réalisateurs (par exemple B. De Palma dans Snake Eyes, ou M. Scorsese dans A tombeaux ouverts, ou encore W. Herzog dans Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle Orléans), mais, pour le reste, il cachetonne bassement dans ce genre de rôles, insipides et répétitifs.

L’histoire, quant à elle, est tout à fait stupide et sans aucun intérêt. On peine à croire que des producteurs puissent se satisfaire d’un tel scénario, sauf à considérer le spectateur comme étant tout aussi stupide.



mardi 2 août 2016

La Jetée (C. Marker, 1962)




Photo-roman (selon les propres termes qui apparaissent en début de film ; même si le terme roman semble un peu présomptueux, pour le coup, il s’agit peut-être davantage d’une nouvelle) intéressant de Chris Marker, qui parvient à immerger dans son univers, et à évoquer les choses en les montrant assez peu. Ainsi son Paris détruit, son humanité rampante, ses expériences scientifiques effrayantes et traumatisantes sont évoquées en quelques photos, à la fois étranges et fascinantes.


L’histoire, ensuite, pour étrange qu’elle puisse être, se façonne autour de cet écho réussi entre la voix du narrateur et les évocations à coup de photos. Le thème est assez universel : la destruction, la mort, les va-et-vient dans le temps, les souvenirs épars et les fantasmes associés. Dès lors on y trouve assez naturellement des évocations à Vertigo (le tronc d’arbres sur lesquelles des dates sont inscrites, le chignon de la femme). Marker parlera même de son film comme d’une revisite du chef-d’œuvre d’Hitchcock. Mais l’image finale est intéressante, il parvient à boucler la boucle si l’on peut dire.


Terry Gilliam réalisera L’Armée des 12 singes à partir de La Jetée et les points de convergence et de différences entre les deux films (au-delà de la forme bien entendu) sont très intéressants. Dans La Jetée, l’idée de voyages temporels vers un passé qui est construit à partir des souvenirs de la victime comme point de départ pour, ensuite, lui faire faire des voyages dans le futur semble pour le moins spécieuse. La cause du désastre est repensée chez Gilliam et il faut bien dire que cela introduit davantage de sens dans l’histoire. C’est ainsi que le film de Marker est centré beaucoup plus sur le mélange des souvenirs et de l’amour pensé et impossible plutôt que de réussir la mission des scientifiques. Chez Gilliam les deux histoires (la mission et la rencontre amoureuse) sont traitées de front. Et on y voit aussi comment Gilliam cherche à recréer par des décors et des costumes complexes ce que Marker évoque en quelques photos. Gilliam simplifie également les allers-retours dans le temps (les voyages vers le futur sont enlevés) et il repense la fin, pour que la boucle se boucle encore plus parfaitement, ce qui est toujours complexe quand il s’agit de voyages dans le temps (Marker va un peu vite en besogne).
Alain Resnais rejouera aussi avec ce thème dans Je t’aime, je t’aime, mais de façon beaucoup plus élaborée que Marker et, sans doute, plus aboutie.

lundi 1 août 2016

Welcome to New York (A. Ferrara, 2014)




Alors que le film reprend les grandes lignes de l’affaire DSK (présentation du personnage orgiaque, agression à l’hôtel, arrestation, passage en prison, libération sous caution dans une maison de New York, explications avec sa femme), l'histoire, au départ convenue et manquant de surprise, prend une direction étonnante, surtout du fait de l’interprétation qu’en fait Gérard Depardieu.
Le film dépeint en effet un personnage de plus en plus différent de l’image que l’on a de DSK (image peu flatteuse s’il en est) et de ce que laisse supposer le début du film. Progressivement, on aperçoit un Devereaux (patronyme du personnage haut placé et potentiel futur président de la France qui voit tout s’écrouler après son agression d’une femme de ménage à New York) complètement dépassé par sa maladie (c’est ainsi qu’il décrit sa propension à sauter sur toutes les femmes qu’il croise) et qui n’existe pas en lui-même : c’est sa femme qui a de grandes ambitions pour lui (il est sa chose, il sert son beau projet). C’est elle qui a l’argent, les relations, l’ambition. Elle manipule et œuvre en coulisse et lui se laisse porter.
C’est ainsi que Depardieu construit un Devereaux qui ne se bat pas. Non pas sur le plan judiciaire (il veut éviter la prison) mais sur le plan de son avenir professionnel (peu lui importe que la course à la présidence lui soit interdite) et de ce qu’il est et risque de devenir (un monstre paria). Depardieu apparaît très à l’aise avec son corps obèse (il se montre tout à fait nu dans la séquence de la prison), il souffle quand il faut se lever et geint quand il faut se baisser pour enfiler ses chaussettes. Et il parvient à sortir Devereaux de la caricature (entre des rapports sexuels rapides et à grands renforts de grognements, il vit une étonnante relation, douce et tendre, avec une jeune juriste), et on comprend que Devereaux, détesté par les uns, manipulé par sa femme, soumis à sa "maladie", ne souhaite pas être sauvé. Devereaux rejette le monde, alors que peut bien lui faire que le monde le rejette ? On sort alors du simple biopic sur DSK en allant vers un personnage beaucoup plus romanesque et qui doit beaucoup à Ferrara et Depardieu.

A noter le très bon regard final de Depardieu, qui, à la fois, condamne complètement son personnage et interpelle le spectateur, quant à son désir d’avoir voulu voir le film.