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dimanche 11 mars 2018

Belle de jour (L. Buñuel, 1967)




Incroyable film de Luis Buñuel qui parvient à remarquablement explorer la psyché d’une femme et à jouer, à l’image, à la fois du mélange des réalités – avec la partie cachée de la vie de Séverine – et du mélange, beaucoup plus complexe, entre ses désirs assouvis et ses fantasmes.
Le film démarre, très intelligemment, par une séquence de fantasmes, à la fois pervers et violents. Sur fond de grelots, dans un landau tiré par deux chevaux, Séverine et son mari Pierre s’aiment tendrement. La scène bucolique change brusquement de ton : Séverine finit fouettée et abusée par les cochers sous l’œil de son mari. Buñuel, ensuite, convoquera régulièrement le fantasme, en marquant de moins en moins la limite avec la réalité. D’abord en faisant réapparaître le landau et les costumes des cochers, jusqu’à, en toute fin de film, simplement faire retentir les grelots.



Fidèle à ses habitudes, Buñuel explore donc les mille fantasmes de son personnage, ne se donnant aucune limite. Aucune limite non pas à l’image, qui reste étonnamment chaste, mais dans la signification ou dans le symbole. En se prostituant, Séverine explore les sexualités et les déviances les plus provocatrices. Le film les évoque par de multiples allusions, par ailleurs tout à fait claires. On retrouve cette habileté de Buñuel qui dit les fantasmes sans les dire, qui les montre sans les montrer.
Catherine Deneuve est parfaite en bourgeoise frigide qui prend du plaisir en plongeant dans ses fantasmes ou en se vautrant dans les concupiscences animales de l’appartement de Madame Anaïs, lieu de perdition et de rencontres en tous genres.



La fin, terrible, est, là encore, presque éludée par Buñuel. Il n’évoque qu’à peine (le temps d’une image) la fin réelle et dérive aussitôt vers le fantasme : Pierre se relève de son fauteuil roulant et propose de prendre un verre, tandis qu'on entend le tintement des grelots.


dimanche 25 février 2018

Le Charme discret de la bourgeoisie (L. Buñuel, 1972)




Excellent film de Luis Buñuel, qui, sous des dehors classiques, dévoile progressivement un monde absurde, pulsionnel, bouillonnant d’obsessions et de délires.
Tout l’art de Buñuel est de partir d’une situation classique – présentée avec une rigueur tout aussi classique – et de la faire basculer progressivement dans un absurde grandissant. Les premières séquences, à ce titre, sont exemplaires, puisque ce qui semble n’être qu’un banal dîner bourgeois glisse sans crier gare vers des situations qui oscillent entre le cauchemar et le surréalisme.



Et Buñuel joue avec une répétition de ces entraves qui, sans cesse, empêchent nos bourgeois de prendre leur simple dîner. On dirait un disque rayé qui recommence : la situation reprend sur de nouvelles bases – à nouveau conventionnelles – et elle dévie de nouveau, dans une autre direction. On voit bien, au travers de cet enjeu narratif futile (mais ô combien révélateur), combien Buñuel est facétieux et absurde. Le vernis de la bienséance craque évidemment de toute part et les enchaînements incongrus se succèdent, tout à fait typiques de l’auteur dans ces films de sa dernière période française. Certaines séquences sont jubilatoires.



Malgré le titre et malgré toute la fausseté de ces bourgeois qui sont des trafiquants de drogue, le film ne tire pas tant sur la classe bourgeoise que sur la société dans son entier, qui apparaît comme un vaste théâtre où se joue, sans cesse, un étrange manège de conventions qui ne masque qu’à peine les obsessions diverses et variées qui pulsent sous la surface des choses.

mercredi 8 mars 2017

La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz (Ensayo de un crimen de L. Buñuel, 1955)




Très bon film de Luis Buñuel, empli de fétichisme, de pulsion, de foi et de cette fascination démoniaque typique du réalisateur.
Le film reprend en écho la première séquence, clef, où le jeune héros découvre avec effroi et fascination l’association entre ses premiers émois (les jambes découvertes de sa gouvernante affalée) et le sang versé.



Cette association persuade Archibald d’être démoniaque et Buñuel, toujours très à l’aise pour passer par l’image pour exprimer les pulsions des personnages, s’ingénie à jouer avec les symboles qui font naître ses pulsions morbides : les jambes de Patricia, le visage de Lavinia entouré de flammes ou la pureté supposée de Carlotta, elle seule capable, pense-t-il, de le guérir de ses pulsions criminelles.


Les pulsions enfouies remontent en surface et il n’est qu’un ensemble de circonstances qui l’empêchent de passer à l’acte et qui, dans un sens, font le travail à sa place. Le film est traversé de l'intelligence ironique de Buñuel
Archibald sera absous par le commissaire (la pensée n'est pas criminelle !) et il faut remarquer que c’est l'un des rares films de Buñuel où le héros guérit et semble à même d'être heureux.

dimanche 22 février 2015

El (L. Bunuel, 1952)




Extraordinaire film de Buñuel (peut-être son meilleur), qui, avec maestria, explore les confins de la paranoïa.
Le film commence comme un mélodrame conventionnel (le riche Francesco parvient à séduire Gloria, qui était pourtant fiancée, et ils se marient). Mais, très vite, la relation entre Francesco et Gloria devient complètement délirante, à cause d’une jalousie totalement paranoïaque et morbide de Francesco qui transforme la vie de Gloria en cauchemar. Dès la nuit de noces, Francesco doute («  Dis-moi, à qui penses-tu en ce moment ? », demande-t-il à sa femme) et la vie de Gloria va devenir un enfer.


Une image qui annonce des scènes célèbres de Vertigo
Bunuel explique très bien son idée quand il prend cet exemple à propos de la paranoïa : « supposons que la femme d'un paranoïaque joue une mélodie au piano. Son mari sera persuadé que c’est un signal qu'elle envoie à son amant, caché dans la rue ». Il va alors s'appliquer, tout au long du film, à montrer comment le désir de Francesco se transforme au fur et à mesure en délire, jusqu’à une tentative de faire subir à Gloria des sévices sadiques épouvantables.

Que va faire Francesco à sa femme ? ose à peine se demander le spectateur ?
Buñuel est très à l’aise, et ajoute des touches d’humour noir (par exemple lorsque, craignant qu’on l’épie, Francesco glisse une aiguille par le trou de la serrure) ou de fétichisme (fétichisme des pieds, présenté ici comme une déviation du rituel religieux de la première scène, et que l’on retrouve dans d’autres films du réalisateur). La montée de la tension est très bien rendue : « mais jusqu’où ira-t-il ? » se demande le spectateur perplexe, avant de refuser de croire ce qu'il voit (il supplicie sa femme façon Sade !?).
Buñuel, tout en maîtrise, achève son film sur une image finale à la fois simple et géniale.


mercredi 18 décembre 2013

La Voie lactée (L. Buñuel, 1969)




Film étrange, tout à fait représentatif de la bizarrerie et de l’originalité de son auteur, La Voie lactée est comme un précis de théologie mâtiné de surréalisme. Buñuel profite d’une narration débridée et libre, avec des va et vient entre le passé et le présent, avec des cuts brusques ou encore avec des jeux de champ-contre-champ insolites, pour suivre ses deux personnages principaux dans leur cheminement vers Compostelle, mais en interrompant leur pèlerinage à tout va, en laissant la place à tel ou tel épisode passé, tel ou tel personnage symbolique.



C’est que tout est symbole dans ce film, où chaque séquence, pour insolite ou surprenante qu’elle puisse être, vient illustrer une position théologique. Un carton vient d’ailleurs rappeler, avant le générique final, que les idées brassées dans le film viennent toutes, ou bien des Écritures, ou bien de telle ou telle position hérétique mais historique. Si Buñuel, dans sa narration, innove sans cesse, en revanche, sur le point théologique, il sélectionne des thèmes, mais il n’invente rien.



Buñuel, cela dit, se borne à illustrer des positions théologiques, mais chaque personnage semble étranger aux paroles qu’il porte. On n’est pas chez Bresson, dans son Journal d’un curé de campagne, où le curé est l’expression d’un ressenti intime et profond.
L’ensemble donne un film étrange mais à peu près unique.

mercredi 24 juillet 2013

Un chien andalou (L. Buñuel, 1929)




Très célèbre court métrage surréaliste, Un chien andalou apparaît comme un résumé très court du délire insolite, morbide, fantasmé et volontiers subversif de Buñuel tel qu’il apparaît dans d’autres films et qui est ici comme concentré en quelques minutes. Le film procède par associations d’images (plus encore que par associations d’idées). On retrouve dans le film la froideur délirante des tableaux de Dali, quand il peint ses rêves.
Opposé à toute narration, le film est ainsi une succession d’images (certaines très célèbres, comme le rasoir coupant l’œil) qui forme l’un des plus beaux manifestes du surréalisme au cinéma.


mardi 29 janvier 2013

Cet obscur objet du désir (L. Buñuel, 1977)





Ce dernier film de Luis Buñuel est tout à fait dans la lignée de sa période française : sous des dehors classique, il brille à la fois par son inventivité et par son irrévérence permanente, ici en explorant les dessous on ne peut plus sadomasochistes d’un couple.
Si le film commence avec cette application typique et classique de Buñuel, très vite des éléments incongrus apparaissent et commencent à faire dévier le récit. Ici l’explosion d’une bombe par des terroristes (explosion accueillie avec une distance étrange, comme si ce n’était qu’une contrariété, comme un embouteillage un peu contraignant), là un nain qui prend place dans le wagon. Et c’est ainsi que Buñuel lance le cœur de son sujet : le récit par Mathieu (Fernando Rey, fidèle du réalisateur, comme toujours parfait) de sa relation troublée avec Conchita.


Et comme ce couple est complexe, Buñuel a une idée de génie : à l’image ce seront deux actrices qui vont interpréter le même personnage. L’une, Angela Molina, sera la Conchita chaude, brûlante et sensuelle ; l’autre, Carole Bouquet, sera la Conchita froide et calculatrice. Mathieu, alors, va raconter par le menu sa soumission sans limite à Conchita, qui va l’humilier, le frustrer, le rabaisser, esclave qu’il est de sa quête de jouissance, jouissance qui lui est refusée.

Angela Molina est une Conchita sensuelle et brûlante

Carole Bouquet est une Conchita froide et calculatrice
Mais Buñuel enrichit considérablement le propos de deux manières : d’une part les interlocuteurs de Mathieu, dans son wagon, sont une mère de famille, un magistrat et un psychologue. Et, tous approuvent (ou du moins ne désapprouvent pas ni ne stigmatisent) la relation sadomasochiste. La société, représentée par les occupants du wagon, semble alors accepter cette relation perverse.
Le second aspect relie davantage encore la société entière à la relation sadique entre jouissance et douleur : le film est émaillé d’actes terroristes (explosion, fusillades, hommes armés, etc.) face auxquels la société semble bien apathique et résignée, presque détachée. Si ces actes ont une résonance contemporaine en évoquant les années de plomb, il est probable que, venant de Buñuel, il faille y voir un peu plus que la simple évocation d’un contexte historique. En fait c’est comme si le corps social ne luttait pas contre cette douleur subie et qu’elle en prenait juste acte. C’est un peu comme si tout le monde, dans la société, avait une part de sadomasochisme. Idée buñuelienne s’il en est…


lundi 1 octobre 2012

L'Âge d'or (L. Buñuel, 1930)





Film surréaliste fameux de Luis Buñuel, qui sur une trame simple mais nette (l’amour passionnel contrarié d’un couple) est le prétexte pour Buñuel d’une violente critique de la société mais aussi d’un assemblage de rêves, de situations invraisemblables, de gags ou de clins d’œil. On trouve ainsi ce conflit entre la société et la pulsion du désir (avec les éclaboussures de lave en métaphore de ces pulsions ardentes), conflit qui sera un élément fondamental de Buñuel dans sa période post-surréaliste, jusqu’à ses derniers films. Le film, hymne à cet amour fou, dénonce donc violemment (et de façon provocante et subversive) la bonne morale bourgeoise aussi bien que l’Église.


Dans L’Âge d’or, un peu comme dans Un chien andalou, Buñuel saute souvent d’une idée à l’autre, de façon irrationnelle, ne raccrochant les scènes qu’au travers d’un détail quelconque et tout à fait secondaire (c’est une structure qu’il reprendra, en la développant dans Le Fantôme de la liberté). Et il fourmille d’inventivité, par exemple la séquence initiale, du documentaire animalier sur les scorpions, ou la séquence de la vache installée sur le lit de la femme : on entend longtemps, en fond sonore, le tintement de la cloche qui est une connexion sonore entre l’homme et la femme, pourtant dans des situations éloignées et différentes.


Le film sera détesté et rejeté par une majorité des critiques (à commencer bien entendu par la bourgeoisie, directement visée par Buñuel) mais sera adoré par les surréalistes (André Breton en tête).

jeudi 27 septembre 2012

Le Fantôme de la liberté (L. Buñuel, 1974)





Buñuel applique au cinéma les cadavres exquis chers aux surréalistes : cela donne un film étrange, terriblement buñuelien, où différents épisodes s’enchaînent, avec à chaque fois un dénominateur commun minimal. Un acteur secondaire dans un épisode prend le relais et devient le centre de l'épisode suivant. L'ensemble est étrange, échevelé et avance sans cesse.


Bien entendu, Buñuel ne s'arrête pas à cette forme originale, mais il insuffle dans le film son regard coutumier, à la fois décalé, comique et mordant. Avec une inventivité incessante, il peint les travers sociaux, inversant les us et coutumes pour les tourner en ridicule, renversant la vie quotidienne en une farce absurde. Les obsessions diverses – et habituelles – de Buñuel se font jour.
On notera l'incroyable modernité de certaines séquences, comme celles où le personnage tire au hasard, depuis une fenêtre, sur des passants. Personnage qui, une fois condamné à mort au tribunal, en ressort aussitôt, félicité de toute part. Et Buñuel finit sur une image de la bêtise, rapprochant la comédie humaine d'un bestiaire, sur ce gros plan de l'autruche, avec ses gros yeux et sa petite tête.

Quant à l'illusoire liberté, dont il montre l'absurdité dès la première séquence, Buñuel déclare à son propos : « Je vois la liberté comme un fantôme que nous essayons d'attraper, et nous étreignons une forme brumeuse qui ne nous laisse qu'un peu d'humidité dans les mains ».