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samedi 12 septembre 2020

Brazil (T. Gilliam, 1985)



Film ébouriffant de Terry Gilliam qui fait feu de tout bois. Il propose une dystrophie à la fois amusante et très noire, mélangeant comme dans un shaker Orwell et Kafka, parvenant à conjuguer une inventivité de tous les instants avec des images très métaphoriques ou aliénantes qui rendent compte parfaitement des traits saillants de la société moderne (depuis les bouillies infâmes des restaurants gastronomiques jusqu’aux écrans qui envahissent et déforment tout (alors même que les ordinateurs, en 1985, ne se sont pas encore répandus dans les bureaux), en passant par la chirurgie esthétique délirante). Bien entendu les rapports humains sont aliénants au possible et l’univers semble engoncé dans une architecture écrasante et suffocante, avec l’idée géniale de rendre organique cette forêt de tuyaux et de conduits en tous genres qui se cachent derrière chaque mur et débordent sans cesse, ahanant et pulsant comme un monstre endormi, sûr de sa force, contre lequel tout combat est perdu d’avance.
L’esthétique de Gilliam, entre abstraction et expressionnisme, met en mouvement une cité qui évoque Metropolis, joue de cadrages insolites, d’exubérances et d’anamorphoses, remplit le cadre de décors abstraits, froids et colossaux, incruste des slogans sortis tout droit de 1984, entremêle des personnages effrayants ou dépravés, assimile l’homme à un insecte et écrase tout ce petit monde par les coups de buttoir d’un Léviathan bureaucratique abrutissant et violent, dont on sent battre sans cesse le pouls.
La fin est remarquable : sauf à vouloir donner une vision positive complètement dissonante après tant de noirceur, le conventionnel happy-end hollywoodien n’était pas possible. Le doux rêveur qu’est Sam Lowry ne pouvait pas sortir indemne de ces méandres terribles et suffocants ; il ne pouvait même pas s’en sortir du tout. Tout comme l’Icare qu’il est dans son rêve, il se brûle les ailes à courir après la femme de ses rêves qu’il rencontre, matérialisée, dans le réel son rêve. Las, cette société n’admet pas que les rêves puissent avoir quoi que ce soit qui se raccroche au réel.

Même si Gilliam reprendra des éléments issus tout droit de cette esthétique (dans L’Armée des 12 singes notamment), il ne proposera plus un tel univers entièrement clôt sur lui-même et uniquement peuplé de ses visions cauchemardesques.


samedi 28 octobre 2017

L'Armée des douze singes (12 Monkeys de T. Gilliam, 1995)




Très bon film de Terry Gilliam, réalisé à partir de La Jetée de Chris Marker. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un remake, l’œuvre de Marker étant pour le moins expérimentale et particulière.
Gilliam s’applique d’abord à reconstituer une version personnelle de l’univers pour le moins glauque et inquiétant évoqué dans La Jetée : on reconnaît la patte du réalisateur et son goût pour les ambiances organiques, gluantes, faites de tubulures, de battements et de pulsations étranges (on pense à Brazil). Il s’appuie ensuite sur plusieurs allers-retours temporels, qui s’éclaircissent progressivement pour le spectateur, à mesure que le récit se densifie et s’interpénètre. De façon très différente et beaucoup plus simple que chez Marker, le héros est envoyé dans un temps passé qui n’est pas une construction autour de ses propres souvenirs mais un voyage dans le temps « classique ». L’idée d’un virus ravageur est un enrichissement par rapport au film de Marker (qui s’appuyait sur un conflit nucléaire pour évoquer une humanité décimée), puisqu’il introduit le ressort du film (à savoir : rechercher les origines de ce virus qui s’est répandu). Chez Marker le film reste centré sur les émotions du personnage, sur ses sentiments naissants à propos de la femme de ses souvenirs. Chez Gilliam, James Cole n’oublie pas sa mission (même s’il cherchera à ne pas retourner dans son présent et à rester aux côtés de Kathryn). Le film tient donc tout autant du thriller que du drame. La réussite du film tient sans doute à ce double aspect et à cet équilibre entre les deux.


La fin, avec toute une séquence au ralenti, est très convaincante et elle réussit la gageure de faire retomber sur ses pieds un scénario articulé autour des voyages dans le temps. Le ralenti étant bien souvent une tarte à la crème fatigante des films actuels, il est d’autant plus agréable de voir une séquence entière menée au ralenti de façon pertinente et justifiée.
Comme chez Marker, mais de façon plus directe encore, la référence à Vertigo est explicite (le film est même cité), avec notamment une réflexion qui dépasse celle du cadre du scénario lorsque Cole explique : « Le film est toujours le même, il ne change pas, mais à chaque vision il semble différent parce qu'on est différent, on le voit différemment ».


On notera le second rôle de Brad Pitt qui, bien que star mondiale, n’hésite pas à interpréter un rôle très en retrait par rapport à Bruce Willis, véritable et efficace star du film. On continuera d'ailleurs de retrouver Brad Pitt, et c’est tout à son honneur, dans des rôles parfois très secondaires, qui semblent petits pour sa stature internationale, dans Snatch ou The Big Short par exemple.