lundi 29 juin 2015

Le Gouffre aux chimères (Ace in the hole de B. Wilder, 1952)




Excellent film de B. Wilder. On reproche volontiers à l’Amérique ses excès, son égoïsme, son dévoiement à l’argent, et on reproche aux médias leur avilissement, leurs manipulations, leur absence de scrupule, leur cynisme. Eh bien toutes ces critiques, l’Amérique se les adresse déjà en 1952.
Kirk Douglas trouve dans le journaliste Tatum l’un de ses meilleurs rôles : un journaliste ambitieux et sans scrupule - symbole de tous les excès des médias. L’expressivité de son jeu trouve là sa pleine mesure. Autour de lui ce sont tout à la fois les représentants de la population (le maire, le shérif) que les habitants eux-mêmes (les propriétaires du champ par exemple, qui font grimper les prix du parking au fur et à mesure) qui vont profiter de la situation, là aussi avec un intérêt dénué du moindre scrupule. La dureté de la fin (et le plan final éclatant) achève tout espoir.

Le premier titre proposé était Ace in the hole avant d'être rebaptisé aux USA The Big carnaval – ce qui rend bien compte de la dénonciation violente de B. Wilder.
Bien entendu cette charge féroce est tout à fait d’actualité ; et c’est là une marque de la qualité et de la justesse du film. Ce qui y est décrié continue de constituer le kit de base du fonctionnement des médias, et pas seulement aux USA.



dimanche 28 juin 2015

Edge of tomorrow (D. Liman, 2014)




Film de science-fiction assez quelconque, si ce n’est qu’il emmène assez loin le principe du film de gamers.
En effet, par un jeu scénaristique qui fait renaître le héros à une étape précise de l’histoire à chaque fois qu’il meurt, l’histoire se présente comme un jeu de plateau : le personnage apprend et progresse, il anticipe au fur et à mesure le positionnement des ennemis et leurs pièges ; ce qui lui permet de progresser dans le jeu (et donc dans l’histoire) de plus en plus. Quand il est coincé il meurt et recommence inlassablement, tout en s'initiant à tel ou tel armement et en parvenant à progresser plateau après plateau.
On est là dans un parallèle complet avec les personnages de jeux vidéo qui renaissent dans le jeu, mais à une étape antérieure et doivent recommencer de franchir les épreuves mais ils peuvent alors mieux anticiper ce qui les attend.
Les aliens occupent un territoire et l’armée du héros débarque pour les déloger : on est bien dans Call of Duty version aliens.

vendredi 26 juin 2015

Scarface (B. De Palma, 1983)




Cette revisite du film de Howard Hawks est devenue culte aujourd’hui, non pas tant pour ses qualités intrinsèques (bien que le film soit volontiers imprégné du brio de Brian De Palma) que par Tony Montana, le personnage incarné par Al Pacino, avec son accent forcé (1), son cabotinage incessant et, bien sûr, son improbable destin. C’est que le récit de cet immigré cubain, sans foi ni loi qui devient brièvement chef de la pègre, offre une version dégénérée du rêve américain. L’Amérique reaganienne est ainsi filmée avec une outrance délirante et névrosée.



De Palma déplace l’intrigue de Chicago à Miami, laisse de côté les mafieux italiens pour vadrouiller du côté des trafiquants cubains qui prospèrent dans les années 80. Avec ses couleurs criardes, ses chemises bariolées, sa musique disco, son ambiance kitsch et pleine de mauvais goût, Scarface prend le contre-pied des codes du polar dont il est issu et qu’une succession de films fondateurs – du Scarface de Hawks au Parrain de Coppola en passant par les polars de Mervyn LeRoy, William Wellman ou Raoul Walsh – avaient fixés. En ajoutant à cela une dimension baroque et excentrique – qui n’hésite pas à barioler les murs de sang – due à la patte de De Palma, Scarface installe une esthétique nouvelle qui va considérablement influencer le genre.



C’est ainsi que Scarface malgré son outrance et son aspect kitsch très démodé, est un des films incontournables des années 80.



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(1) : La voix française de Al Pacino, pourtant épouvantablement forcée, a paradoxalement contribué au succès du film en France, du fait des répliques assénées avec cet accent caricatural, qui fait glisser le film vers le cartoon.

jeudi 25 juin 2015

Les théories du montage de S. M. Eisenstein



S. M. Eisenstein, en plus d'être le réalisateur de génie que l'on sait, a beaucoup analysé le cinéma (et il l’a fait, qui plus est, très précocement dans l’histoire du cinéma), en s’appuyant bien souvent sur ses propres œuvres pour mieux expliciter ses théories. En représentant majeur de l’école soviétique, il donne au montage une place fondamentale dans la création cinématographique.
Pour Eisenstein, un film est toujours un discours articulé, et un fragment est une unité de discours (bien plus qu’une unité de représentation). Et il utilise ces fragments sur le mode du conflit : c’est donc dans une logique d’opposition qu’il les agence, opposition qui peut revêtir de multiples formes (opposition graphique, lumineuse, spatiale, etc.). Le montage est donc, pour lui, le moment de la production de sens, au travers de l’exposition de conflits (la séquence célèbre de l’escalier d’Odessa, dans Le Cuirassé Potemkineoù se confrontent les soldats du tsar et la population, en est un exemple canonique).


Suivant ce principe de base, Eisenstein distingue alors quatre principales formes de montage ; montage qui, pour lui, on va le voir, est toujours affaire de mouvements. On pourra mesurer, dans les différentes approches qui vont suivre, l'abîme qui le sépare de la transparence hollywoodienne.

Il distingue tout d’abord le montage métrique. Il s’agit de tenir compte, ici, de la longueur de chaque fragment de film (en prenant en compte la longueur de pellicule) pour réaliser le montage. Eisenstein explique comment un effet de mouvement et donc de tension peut être obtenu en raccourcissant les morceaux de pellicule, tout en conservant les proportions originales de la formule (1/2, 1/3, 1/4, etc.). Ce montage procède donc d’un simple calcul et non d’une impression qui peut être éprouvée. Et le contenu propre à l’image est subordonné à la longueur des plans. Eisenstein prend pour exemple une séquence de La Ligne générale (l’épisode du fauchage).

Vient ensuite le montage rythmique où le contenu propre à chaque image doit être pris en considération pour déterminer la longueur de chaque morceau. De fait la longueur de chaque plan ne coïncide pas nécessairement avec une longueur déterminée mathématiquement comme dans le montage métrique. La séquence de l’escalier d’Odessa dans Le Cuirassé Potemkine est un exemple-type d’un tel montage : la tension est obtenue en transférant le rythme des bottes des soldats au rythme de la descente de l’escalier par le landau abandonné.

Le montage tonal va chercher à dépasser l’aspect rythmique : la conception de mouvement doit ici embrasser les vibrations de toute sorte qui peuvent se dégager d’une image. Le montage est alors basé sur la résonnance émotionnelle propre à chaque plan. Eisenstein prend l’exemple de la séquence du port d’Odessa, toujours dans Potemkine, où chaque image a une même résonnance, un même ton (ici des vibrations lumineuses dans le brouillard). L’unité de la séquence est donc celle des images (c’est une unité qui s’appuie donc sur le fond, et non plus sur la forme comme dans le montage précédent).

Le montage harmonique, enfin, est, pour Eisenstein, l’occasion de prendre toutes les potentialités de chaque plan (le fond et la forme). Il est un développement ultime du montage tonal, allant vers une exaltation de chaque plan à même de provoquer un ébranlement émotionnel chez le spectateur. Il s’agit alors de parvenir à englober l’aspect rythmique en plus de la tonalité. Ce montage reste un objectif théorique, en ce qu’il est une aspiration du réalisateur à parvenir, ainsi, à extraire une harmonie du plan tout en permettant une harmonie entre les plans.


Eisenstein voit une gradation dans ces quatre méthodes de montage, allant vers un aboutissement, chacune étant engendrée par la précédente (le montage rythmique, par exemple, nait du conflit entre la longueur d’un plan et son mouvement intérieur propre). Il aborde également un dernier montage, le montage intellectuel, qui établirait non plus une harmonie de nature émotionnelle, mais de nature intellectuelle. Il prévoit ainsi une forme neuve de cinéma, un cinéma intellectuel, qui saurait combiner ces différentes harmonies. Pour Eisenstein, ce cinéma établirait une synthèse entre l’art cinématographique lui-même (qui s’adresse à l’émotion) et l’esprit de militant qui l’anime (et qui s’adresse au processus intellectuel).

Eisenstein, concentré sur sa table de montage

mardi 23 juin 2015

Le Silence des agneaux (The Silence of the Lambs de J. Demme, 1991)




Très bon thriller de Jonathan Demme dans cette adaptation du roman de Thomas HarrisLe Silence des agneaux est aujourd'hui une référence du genre. La composition de Anthony Hopkins est légendaire (quand bien même son personnage d’Hannibal Lecter n’est pas le personnage principal) et confère au film une aura diabolique.
Hannibal Lecter, longtemps coincé au fond de sa cellule, parvient malgré tout à percer à jour Clarice Starling (très bonne Judie Foster) et, même, à apaiser ses douleurs (la mort de son père). Cette psychanalyse subie par Clarice lui permet, ensuite, d’affronter le terrible Buffalo Bill. Intelligemment le film s'enrichit en effet d'un second psychopathe, qui est l'opposé d’Hannibal Lecter (qui est tout en retenu, raffiné, calme, courtois et qui use de la parole pour comprendre et soigner Clarice) : Buffalo Bill est un marginal, recroquevillé dans son délire et dans son obsession, qui ne parle pas réellement mais crie ou geint. Cette opposition des deux personnages – qui ne se côtoieront jamais – est une bonne dynamique pour le film et renforce le personnage de Lecter.
J. Demme mène son suspense très efficacement (parfois un peu théâtralement, surtout vers la fin) et parvient à faire pénétrer son héroïne  et le spectateur  dans des atmosphères éprouvantes (la prison, le sous-sol de Buffalo Bill).

lundi 22 juin 2015

Taxi (G. Pirès, 1998)




Que ce film très bête ait eu un tel succès et qu'il ait pu engendrer plusieurs suites, cela laisse perplexe. On ne sait quel est le pire, entre Samy Naceri dans un rôle stupide et beauf ou Frederic Diefenthal en policier qui se fait sans cesse ridiculiser.
Mais, dites-moi, que doivent penser les producteurs des spectateurs d’un tel film ?



vendredi 19 juin 2015

Les Chaussons rouges (The Red Shoes de M. Powell, 1948)




Quelle merveille ! Il semble que, avec Les Chaussons rougesPowell parvient à s'affranchir de l’écran. Dans les premiers âges du cinéma, on sait que les acteurs évoluaient comme sur une scène de théâtre, sans profondeur de champ (un peu comme en peinture où le gothique fait évoluer de nombreux personnages sur une faible largeur de scène, sans qu’il y ait de perspective). Bien entendu la profondeur de champ a permis d’envoyer le regard vers l’infini, mais, ici, Powell semble entrer sur scène pour nous faire déambuler parmi les décors. Bien plus qu’avec la 3D (dont on ne dira jamais assez l’artificialité de l’image qu’elle propose) où c’est l’image qui vient vers nous, Powell nous propose d’aller au centre de l’image, de nous y incarner. Au mitan du film, les vingt minutes du ballet sont alors une immersion éblouissante : on entre dans cette séquence comme on entre dans une cathédrale et on se laisse porter. La chevelure rousse de Moira Shearer, le jeu des couleurs, le rouge des ballerines, les artifices à la Méliès, la féérie : tout concourt à l’émerveillement.
Et l’idée est là : comme avec un grand roman ou une symphonie, on doit pouvoir entrer dans un film comme on entre dans une cathédrale. Et alors on lâche les rênes et on se laisse porter.

Le personnage de Lermontov est aussi fascinant. On oscille à son sujet : en fait-il trop, en imposant à ses danseurs de vivre pour danser ? A-t-il raison de brider les amours naissants ? On pense à Rilke dans ses Lettres à un jeune poète :  « Mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire ? Il suffit, selon moi, de sentir que l'on pourrait vivre sans écrire pour qu'il soit interdit d'écrire. »
Powell discute d’une vision romantique de l’art : on ne vit que pour l’art lui-même. Et Lermontov est le despote tout puissant, qui tient la vie de sa danseuse entre ses mains et ne supporte pas les imperfections.
Nul doute qu’il n’accepterait pas de faire sienne cette réflexion de M. Duchamp à propos de l’art :

« Pendant l'acte de création, l'artiste va de l'intention à la réalisation en passant par une chaîne de réactions totalement subjectives. La lutte vers la réalisation est une série d'efforts, de douleurs, de satisfactions, de refus, de décisions qui ne peuvent ni ne doivent être pleinement conscients, du moins sur le plan esthétique. Le résultat de cette lutte est une différence entre l'intention et la réalisation, différence dont l'artiste n’est nullement conscient.
En fait, un chaînon manque à la chaîne des réactions qui accompagnent l'acte de création ; cette coupure représente l'impossibilité pour l'artiste d'exprimer complètement son intention. [...] Tout créateur a un projet, un cap, un programme, inévitablement transformé par l'œuvre en train de s'accomplir. [...] Cet accomplissement lui échappe en partie, pour des raisons qui font justement qu'il est un artiste et pas un simple traducteur ou exécutant de son propre projet. »



lundi 15 juin 2015

Django (S. Corbucci, 1966)




Western italien très célèbre en son temps et assez typique, mais sans grande signification. L'idée de Django qui traîne son cercueil (cercueil contenant sa mitrailleuse qui sème la mort) est très bien vu. Le personnage joué par Franco Nero est devenu mythique chez les aficionados.


On remarquera que le film, pourtant tourné comme la plupart des westerns italiens, en Espagne dans la région très sèche d’Almeria, est envahi de boue. Le film se fait ainsi l’écho des inondations dévastatrices qui ont touché l’Italie en 1966.
La résonance du film est due à sa violence terrible, très crue, sans limite. En 1966 Hollywood est encore ceinturé par son code de censure et le contraste est frappant entre la violence libérée et nihiliste de Corbucci et la retenue des productions américaines. Ce film (et d’autres films du même auteur ou de la même veine) ont largement influencé les réalisateurs américains. Cette influence est manifeste en particulier chez Sam Peckinpah avec sa Horde sauvage.


Mais, pour le reste, au-delà de cette violence nihiliste, le film ne s’éloigne guère du schéma classique violence/vengeance, typique du western italien. On sent bien qu’il s’agit ici de surfer sur un genre alors très populaire et boosté par Sergio Leone.
Le film donna lieu à de nombreuses suites. Tarantino adore (son Django Unchained lui rend plusieurs hommages à commencer par le nom du personnage principal et une apparition de Franco Nero), nous moins.

samedi 13 juin 2015

Predator (J. McTiernan, 1987)




Un des importants films d’action des années 80, dans un genre qui produisit sur la période bien des films épouvantables. Le mélange de genre guerre/science-fiction est original et l’avalanche de biceps est typique. Curieusement on retrouve la trame en deux temps d’Aventures en Birmanie (ou celle des Aventures du capitaine Wyatt, les deux films fonctionnant de la même manière) : un commando est envoyé pour une mission dangereuse dans la jungle (pour libérer des prisonniers), mission suivie d’une longue course-poursuite dans la forêt.
La première partie du film est assez quelconque, c’est surtout un concours de qui aura les plus gros biceps (avec Schwarzy dans la bande, on sait qui va gagner). On se croit dans un banal nanar des années 80. Mais la traque qui va suivre est bien plus intéressante et, même, à mesure que le groupe se réduit (parce que laminé petit à petit par le Predator), elle s’avère passionnante. La jungle qui était le terrain de jeu de ces mercenaires surentraînés devient progressivement un lieu incontrôlable et dangereux.
La dernière partie est étonnante : Dutch (Schwarzenegger) se retrouve seul pour affronter ce prédateur venu d’un autre monde. Ainsi toute la dernière séquence est sans parole, et elle voit Dutch se dépouiller de plus en plus pour retrouver toute l’animalité qui est en lui et qui lui sera nécessaire pour battre un adversaire bien plus fort que lui (plus fort que Schwarzy, il faut le faire). Épurée, résumant le film à un combat singulier dans une jungle qui est une arène piégeuse et boueuse, cette dernière séquence est une réussite et elle montre tout le talent de McTiernan.

Bien entendu Hollywood ne pouvait laisser un film réussi sans y venir voir plus près : furent donc enfantées diverses suites, mettant à l’honneur – et à toutes les sauces – le Predator. Il finira même, une quinzaine d’années plus tard, par affronter Alien, l’autre prédateur star.


mercredi 10 juin 2015

La Loi du marché (S. Brizé, 2015)



La loi du marché Affiche

Film assez quelconque mais représentatif d’un certain cinéma français.
Le scénario est assez linéaire et sans surprise : Thierry est au chômage, il ne parvient pas à joindre les deux bouts. Il retrouve finalement un emploi mais difficile à assumer : il est vigile, on lui demande d’épier ses collègues.

Malheureusement cette représentation appliquée de la société française (qui se veut très réaliste) n’échappe pas aux clichés et aux idées convenues. Le film, en fait, ne montre pas la réalité mais met en images l'idéologie dominante sur la réalité : les patrons sont des salauds, la société est violente, elle propose des choix moralement intenables (le vigile qui traque les employés), elle n'est qu'humiliation. Dans le film, la quasi totalité des rapports humains  en dehors du cercle familial  est traitée sous un rapport d’humiliation : soit on humilie, soit on est humilié.
Et comme cette description de la société rejoint l'idée médiatique mean stream actuelle (le succès du film montre combien ce discours est consensuel), le film est décrit comme réaliste ou comme bon exemple de ce qui se passe dans la « vraie vie ». On est pourtant simplement dans une représentation de l’ordre des choses, dans du normatif, bien loin de tout réalisme. En effet, le cas pris en exemple (une caissière se fait licencier parce qu'elle a ramassé quelques coupons de réduction) est, non pas une situation commune et habituelle, mais une situation très rare et exceptionnelle que Brizé fait passer pour banale. Or ce n'est pas le cas : cette situation existe, mais, heureusement, elle ne résume pas du tout le rapport patron-employé ni ne représente le problème du chômage. Il y a là une arnaque intellectuelle autant qu'émotionnelle. Donc, sous un dehors prétendument réaliste, Brizet tient un discours partisan. Le titre du film le montre bien.

Par ailleurs, dans La Loi du marché, les choses semblent complètement figées. Le film part de situations (dont on vient de dire que, loin d'être réalistes, elles collent en réalité à des conceptions qu'a le scénariste de la société) et on nous montre les problèmes qui surgissent de ces situations. Voici les situations, voici les problèmes qu’elles engendrent. Bien. Rien à dire de particulier, donc. L'exposition de la situation tient lieu de discours. C'est là une façon de faire fréquente mais très pauvre. Il faut se souvenir, par exemple, de la comédie italienne, pour comprendre que simplement montrer (une fausse réalité qui plus est) c’est bien peu de choses. Dans ces films italiens, lorsque des portraits très durs sont brossés au fil des sketchs ou que des miroirs grossissants sont placés sous les yeux des spectateurs, il y a là une volonté non seulement de montrer, mais, bien plus, de faire bouger les choses, de déranger et de brusquer. Quand on voit comment Comencini, dans L’Argent de la vieille, renvoie dos à dos les riches et leur cynisme et les pauvres et leur avidité ; ou quand Risi, dans Au nom du peuple italien, renvoie dos à dos le juge et l'entrepreneur véreux : on comprend qu’il y a peut-être mieux à faire que simplement chercher à représenter la réalité.

Vincent Lindon est très bien, mais le choix de l'acteur pose problème. En effet le film met en scène des petites gens, des prolétaires qui ont du mal à finir leurs fin de mois. Et, au milieu d'acteurs inconnus ou non professionnels, choisir une star n’est pas simple. Lindon s'affuble d'ailleurs d'une moustache, peut-être pour faire plus prolétaire, pour qu'on voit moins la star et plus le personnage. Mais, quelque soit la qualité de son jeu, on ne voit pas Thierry et ses 20 mois de chômage, on voit Vincent Lindon qui joue très bien Thierry. On sait les avantages promotionnels de la présence d'un acteur célèbre, mais la résonance d'une star devrait empêcher, de fait, leur présence dans ce type de rôle (c’est un problème qui se rencontre souvent, même dans des films d'un tout autre genre, par exemple dans plusieurs interprétations des Misérables). A noter que Vincent Lindon semble d’ailleurs se spécialiser progressivement dans ce type de rôle, qu’il conçoit comme un engagement de sa part ou comme des prises de position (voir par exemple Welcome de P. Lioret).

La Loi du marché est donc un film assez typique (malheureusement) de cette mode très française : montrer la société, en se disant que, se faisant, on la dénonce. C’est un cinéma de représentation, où l'exposition de la situation tient lieu de discours. Ici la représentation d’une partition sociale : les gens rament pour joindre les deux bouts. Mais, malgré quelques séquences réussies (la séquence d’ouverture, la vente avortée du bungalow, bien que traitées, comme il se doit, sur le mode de l'humiliation), le film ne parvient pas à faire oublier que chercher simplement à montrer les chosescomme le fait Brizé, ne mène pas bien loin.

mardi 9 juin 2015

Mad Max : Fury Road (G. Miller, 2015)




Film très réussi et, en même temps, vraie déception liée à une fin complètement ratée.
C’est quand même dommage : George Miller retrouve l’état d’esprit de son Mad Max (celui du deuxième opus en particulier), on sent sa jubilation à déchainer à nouveau des hordes barbares les unes contre les autres sur des routes sans fin, à les faire cavaler dans un monde apocalyptique, tout en réduisant le script à quelques lignes pour mieux lâcher la bride à ses warriors.
Le film est incroyablement spectaculaire, c’est pratiquement une unique scène d’action étendue à la longueur d’un film (un peu l’équivalent, sur ce principe, de La Chute du faucon noir dans un autre genre), et la mise en scène fait se déverser sur l’écran un feu d’artifice permanent. On voit que les maquilleurs, les designers et les cascadeurs se sont fait plaisir.
Tom Hardy est très bien en Max solitaire, mutique, qui sait qu’il faut se battre pour survivre, sans cesse et contre tout le monde. Les méchants sont très méchants (Immortan Joe est une très bonne reprise du Seigneur Humungus), les véhicules extravagants et les effets très réussis (la plongée dans la tempête). On sent la saleté et la graisse imprégner le film.
Tout est parfait (passons sous silence les inutiles mamies motards), les méchants sont zigouillés, balafrés, déchiquetés, et il ne reste alors plus qu’à régler l’emballage final, histoire de finaliser un peu l’entreprise. C’est alors que Miller a un coup de mou et que les producteurs parviennent à s’imposer. Hollywood reprend le dessus (le mauvais Hollywood pour le coup, parce que sinon seul le bon Hollywood peut faire un film pareil) : les dix dernières minutes sont en contradiction avec l’esprit de tout ce que le film a montré jusqu’à présent. Pour un peu Max embrasserait Furiosa. Que n’ont-ils gardé quelques barils de TNT pour faire subir à la Citadelle des Wars Boys le sort qui l’attendait !
Alors il faut faire abstraction de ces dernières minutes et ne pas bouder son plaisir.



dimanche 7 juin 2015

L'Invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt de F. Lang, 1956)




Excellent film de F. Lang, son dernier tourné en Amérique. Le film est formellement très épuré : la période américaine de Lang est de plus en plus sobre au fur et à mesure de ses films. Mais, bien qu’épuré, il tient le spectateur en haleine par une succession de rebondissements et de coups de théâtre.
L'intelligence du film est qu’un des retournements majeurs est légèrement anticipé par le spectateur qui se dit alors qu'il n'a pas été surpris et qu'il a bien senti le coup venir. Mais en réalité, tout cela n'est que manipulation de la part de Lang, qui réserve d'autres coups de théâtre beaucoup plus importants. En particulier le renversement final oblige non seulement à repenser toutes les étapes du film à l'aune de cette vérité qui vient d'être révélée pour comprendre la réalité de l’histoire, mais il doit aussi reconsidérer les sentiments des personnages, ceux qu'ils ont réellement ressentis (en particulier lorsque Tom Garrett (admirable Dana Andrews) apprend l’accident mortel de Spencer). Et c'est là que le coup de théâtre final prend une dimension supplémentaire, par cette nouvelle compréhension des émotions et des relations entre les personnages.
Si le spectateur a été berné, ce n’est pas à cause de l’image : Lang montre les choses, ne cache rien au spectateur (par exemple il ne cherche pas à laisser un détail déterminant hors-champ). C’est la signification de l’image sur laquelle le spectateur se trompe. En effet, une fois le film terminé, le spectateur doit, sans rien changer aux images qu’il a pu voir, les comprendre autrement. C'est ainsi qu’une deuxième vision du film l’enrichit : elle permet de revoir le film – revoir les mêmes images – mais avec leur sens véritable. Les faux indices – pris un temps par la police comme étant des vrais – servaient en réalité à cacher les vrais indices.


La fabrication de faux indices... pour masquer les vrais
Le grand thème langien de la culpabilité – qui traverse beaucoup de ses films, depuis M Le maudit jusqu’à J’ai le droit de vivre – est ici poussé très loin. En effet, chez Lang, l’Homme doit toujours se battre pour prouver son innocence, puisque, pour lui, tout homme est coupable. Cette idée force de l’œuvre de Lang s’exprime puissamment avec Tom Garrett, que le spectateur voit successivement comme un innocent pris pour un coupable, puis comme un coupable qui veut se faire passer pour innocent.

samedi 6 juin 2015

Planète interdite (Forbidden Planet de F.M. Wilcox, 1957)



Planète interdite Fred Wilcox Affiche Poster

Planète interdite est un des films de science-fiction importants des années 50.
Les films de science-fiction de cette période sont bien sûr difficiles à regarder au premier degré aujourd’hui. Les effets spéciaux sont ce qu’ils sont et il est difficile d’oublier l’ambiance studio avec les décors peints. De même pour le célèbre robot Robby ou les armes des aventuriers qui apparaissent comme d'amusants jouets en plastique. C'est que 2001 et La Guerre des étoiles sont passés par là. Mais pour qui accepte ces premières tentatives d'exploration spatiale au cinéma, cela confère un charme certain au film.
C’est un peu dommage qu’il y ait une romance pataude dans l’histoire parce que, par ailleurs, le film est très habile. Le lien entre le Docteur Morbius et les Krells – son intelligence augmentée, l’héritage spectaculaire qu’il leur laisse ainsi que les monstres fantasmagoriques qui attaquent l’expédition – tout cela reste très intéressant aujourd’hui, alors même que le genre a été exploré dans mille directions. D. Cronenberg (Chromosme 3) ou P. Verhoven (Total Recall) y puiseront une inspiration certaine.

Planète interdite Fred Wilcox Affiche Poster

jeudi 4 juin 2015

Shining (The Shining de S. Kubrick, 1980)




Brillant film fantastique (qui flirte avec le film d’horreur), Shining bénéficie de la maîtrise totale de Kubrick qui, comme toujours, poursuit ses recherches techniques et n’hésite pas à innover comme dans la plupart de ses films (avec l’utilisation de la steadycam par exemple).
On retrouve, ici sous une forme glaçante, la froideur kubrickienne : cinéaste cérébral, Kubrick dessine une multitude de labyrinthes qui emprisonnent les personnages. L’étrangeté du lieu est révélée par les visions de Jack ou Danny, et c’est là qu’est l’art de Kubrick : on s’aperçoit peu à peu que quelque chose ne va pas, que les visions des personnages sont peut-être réelles ou que certaines images ne sont que des visions. Ou peut-être encore est-ce surnaturel ? Et c’est par l’image qu’il fait passer cette dissonance qui fait monter la tension et entraîne progressivement le film vers le fantastique.



Shining propose un emboîtement de différents labyrinthes, avec le labyrinthe végétal qui perdra le père et sauvera l’enfant, le labyrinthe de l’hôtel (les cuisines sont présentées comme telles, avec l’enchaînement des pièces) et enfin le labyrinthe cérébral dans lequel s’enferme progressivement Jack qui s’isole de sa famille.



Ces labyrinthes, en plus de nombreux autres signes, donnent une dimension terrible de Minotaure à Jack, qui annonce sa folie finale. Il n’est que les intuitions de Danny – le shining – pour lui permettre de ressentir des événements du passé qui sont autant de clefs pour le présent et l’avenir et pour échapper au père rival devenu fou. Shining est ainsi une vision percutante de la famille américaine où les rapport père-mère-enfant deviennent aliénés et délirants.



mardi 2 juin 2015

M. Duchamp à propos de l'acte de création



Marcel Duchamp à propos de l’acte de création :

« Pendant l'acte de création, l'artiste va de l'intention à la réalisation en passant par une chaîne de réactions totalement subjectives. La lutte vers la réalisation est une série d'efforts, de douleurs, de satisfactions, de refus, de décisions qui ne peuvent ni ne doivent être pleinement conscients, du moins sur le plan esthétique. Le résultat de cette lutte est une différence entre l'intention et la réalisation, différence dont l'artiste n’est nullement conscient.
En fait, un chaînon manque à la chaîne des réactions qui accompagnent l'acte de création ; cette coupure représente l'impossibilité pour l'artiste d'exprimer complètement son intention. [...] Tout créateur a un projet, un cap, un programme, inévitablement transformé par l'œuvre en train de s'accomplir. [...] Cet accomplissement lui échappe en partie, pour des raisons qui font justement qu'il est un artiste et pas un simple traducteur ou exécutant de son propre projet. »