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samedi 21 décembre 2024

Les Salauds dorment en paix (Warui yatsu hodo yoku nemuru de A. Kurosawa, 1960)

 



Grand film d’Akira Kurosawa où sa perfection formelle explose à chaque plan et où sa maîtrise dramatique construit un film puissant.
Si le thème est assez classique (une dénonciation de la corruption par un personnage infiltré qui veut se venger), les jeux de lumière, les fulgurances de montage, les cadrages, les décors (de la froideur des murs des bureaux aux gravats de l’usine bombardée), la profondeur de champ (lorsque Nishi s’immisce, au fond du plan, entre les conservations entre Iwabuchi et Moriyama), tout est construit pour amener la situation jusqu’à son climax et pour emporter le spectateur dans les méandres vengeurs de Nishi. On retrouvera la même perfection formelle dans Entre le ciel et l’enfer.
Et Kurosawa, très intelligemment, sait montrer combien la corruption est puissante et épouse les particularités de la vie japonaise, avec sa culture du silence, les suicides provoqués, les hommes de main qui font les sales besognes et les coups de téléphone sobres et décisifs, qui montrent combien celui que l’on croyait tout en haut est en fait lui-même aux ordres de quelque politique qui reste hors d’atteinte.
On remarquera, dans le rôle central de Nishi, Toshiro Mifune, si souvent expressif et puissant, qui est ici d’une sobriété remarquable.



vendredi 19 mars 2021

Entre le ciel et l'enfer (Tengoku to jigoku de A. Kurosawa, 1963)

 

Très grand film d’Akira Kurosawa, qui, sous couvert d’un film policier noir parfaitement mené, propose un regard social terrible sur le Japon de son époque.
Dépassant allégrement l’intrigue policière (passionnante par ailleurs), Kurosawa allie avec génie le fond et la forme : il découpe son récit en plusieurs grands moments, auxquels sa mise en scène s’accorde à ce qu’il veut montrer.
Commençant en laissant le spectateur enfermé dans les grandes pièces de la maison luxueuse de Gondo, Kurosawa joue d’une géométrie parfaite, utilisant la puissance des corps des acteurs comme autant de pivots autour desquels il tourne. Les personnages, sans cesse, sont dos à dos, s’inclinent, se détournent, fixent le mur tout en s’adressant à un autre, sont séparés par autant de lignes droites qui viennent découper le plan. Déjà Kurosawa met en scène la tragédie qui se joue, entre Gondo, le riche, et le chauffeur, dont on a enlevé l’enfant par erreur. La mise en scène dit tout ce que les personnages ne disent pas directement : le rapport de domination entre le patron et l’employé ; l’humanisme évident de Gondo qui est parti de rien, qui est détesté pour cela et qui va finir ruiné. Kurosawa, qui manie avec une telle facilité les grands espaces et les mouvements exaltés, déploie un génie incroyable dans ces séquences où l’on reste confiné à quelques pièces.

Le film, ensuite, nous conduit dans la fabuleuse séquence de la remise de rançon, à bord du train en mouvement, sans une pause, et avec cette idée des caméras qui scrutent au dehors, formant des films dans le film, rajoutant au côté improvisé, trépidant et tout en mouvement de l’action dans cette séquence incroyable.
Le film, alors, se déploie dans toute la ville, où l’on suit l’enquête des policiers (organisés autour de Tatsuya Nakadai, qui partage l’affiche avec Toshiro Mifune pour la troisième fois de suite chez Kurosawa, après le diptyque Yojinbo-Sanduro). Et, au travers de l’enquête, qui nous fait croiser le meurtrier puis nous rapprocher de lui pas à pas, on découvre la ligne rouge du film, qui n’est présente d’abord qu’en filigrane puis que l’image vient exposer toujours davantage : le riche Gondo, dans sa villa qui domine la ville, face à la pauvreté, aux maisons délabrées, aux métiers pénibles.
Et Kurosawa, enfin, nous plonge dans les bas-fonds de la ville, changeant une nouvelle fois de style, traquant la pauvreté comme les policiers traquent le coupable, plongeant dans les bars dansants, où l’ivresse, le sexe et les drogues se mélangent, jusqu’à ce cloaque où le tueur (que l’on n’entendra jamais parler avant la scène finale) vient chercher une femme perdue,  achevant sa trajectoire – du haut jusqu’en bas ; du paradis à l’enfer – mais sans la lourdeur du film à thèse, sans le manichéisme partisan : Gondo est issu de ces bas-fonds, il s’est hissé en haut, le voilà projeté en bas à nouveau ; il devient populaire en sauvant le fils de son chauffeur (leurs enfants jouent ensemble, ce qui met à bas le regard de prétention que l’on prête à Gondo), ce qui le ruine… Mais, déjà, il est prêt à repartir et à fonder une nouvelle entreprise. Ce personnage – à qui Toshiro Mifune donne toute sa puissance de jeu – est remarquable de complexité et d’humanité rentrée (il faut voir comment il explique à sa femme – dont on comprend qu’elle n’a connu que la richesse et qui l’incite à payer immédiatement la rançon et donc à se ruiner – que la pauvreté est dure et que si lui la connaît elle ne le supporterait pas). Mais que l’on est loin, dans ces séquences dans les enfers de la ville et de la condition humaine, de l’harmonie luxueuse des débuts, avec la femme de Gondo en kimono traditionnel.

La séquence finale, dans la prison, est extraordinaire et mériterait une exégèse à elle seule, avec un Gondo silencieux devant le meurtrier qui libère sa parole avant de hurler son désarroi et sa haine, avant que le rideau de fer ne tombe, scellant les deux Japons qui, nous dit Kurosawa avec amertume, ne se comprennent pas.

Entre le ciel et l’enfer, on l’a compris, est un film exceptionnel qui montre combien Kurosawa, entre le chanbara ou les grands espaces (des Sept samouraïs à Ran), est aussi capable de passer au crible de sa caméra géniale les villes avec leurs complexités et leurs bas-fonds (depuis Vivre jusqu’à Dodes’kaden) en passant par le polar depuis le très bon Chien enragé jusqu’à ce film majeur, qui reprend tant de motifs du cinéaste.
On retrouve l’influence du film aussi bien dans les méandres de l’enquête policière du Vase de sable de Yoshitaro Nomura que dans le regard social, tout en verticalité, que l’on retrouve dans le récent Parasite de Bong Joon Ho.



vendredi 26 février 2021

Sanjuro (Tsubaki Sanjūrō de A. Kurosawa, 1962)



Cette suite du Garde du corps n’en est pas vraiment une : si elle reprend le personnage de samouraï de Sanjuro, toujours campé avec force par Toshiro Mifune, le scénario, lui, repart sur de nouvelles bases. On retrouve aussi Tatsuya Nakadai, qui fait le rôle du grand méchant qu’il faut affronter.
Mais si le film se suit sans déplaisir, il est loin des sommets du genre. Il déroule en réalité plusieurs passages obligés dans cet affrontement de clans, avec de belles idées (les fleurs de camélias qui flottent dans la rivière d’une maison à l’autre).
On s’attardera, néanmoins, sur l’impact visuel du duel final, où les deux samouraïs s’affrontent et que Kurosawa, à rebours des codes habituels qui offrent un long combat en forme de climax, règle très rapidement. Mais ce duel est appuyé par une gerbe de sang aussi violente que soudaine, qui vient contraster avec les duels qui, jusqu’alors, avaient épargné la vision de la moindre goutte de sang. Et c’est à partir de cette image choc que les films de sabre japonais, chinois ou hongkongais – ceux de King Hu, Chang Cheh et autres Toshiya Fujita – rivaliseront de gerbes de sang qui jailliront à tout instant.


 

mercredi 24 février 2021

Le Garde du corps (Yōjinbō de A. Kurosawa, 1961)



Si Yōjinbō est important aujourd’hui, c’est moins en raison de ses qualités propres (il s’agit d’un honnête film de chanbara, mais Kurosawa a fait tellement mieux et on est loin des sommets du genre) que par la descendance qu’il aura. C’est que le film sera la point de départ de Pour une poignée de dollars de Sergio Leone, qui aura la renommée et l’impact cinématographique que l’on sait.
Au-delà du scénario lui-même que reprendra trait pour trait, du moins dans les premières séquences, le film de Leone (deux clans s’affrontent dans un village lorsqu'arrive un samouraï opportuniste), c’est le ton très moderne qui surprend aujourd’hui. Loin de tout héroïsme, le film montre un incroyable cynisme du personnage qui se vend – littéralement – au plus offrant. Il n’y a pas de bons, pas de héros, tout n’est que corruption et cynisme. Sergio Leone – et, avec lui, tout le western italien – puis tout le cinéma du Nouvel Hollywood reprendront cette idée que le monde n’est pas noir ou blanc mais terriblement gris, sans ligne de discernement facile à voir. Il y a d’ailleurs une belle ironie à voir Sanjuro être confondu dans ses manipulations incessantes juste après avoir eu, pour une fois, une belle action (en libérant la mère retenue en otage).
Mais Sanjuro est trop fort pour ses adversaires et ce personnage, emmené par un Toshiro Mifune très à l’aise, reviendra dans Sanjuro, pour une suite qui n’en est pas une.


mardi 1 novembre 2016

Le Château de l'araignée (Kumo no Sujo de A. Kurosawa, 1957)




Très bon film de Kurosawa que cette adaptation de Macbeth, où la pièce est transposée dans le Japon médiéval. Cette transposition de Kurosawa est dénuée de l’épique qui dominera Ran (adaptation du Roi Lear), trente ans plus tard. Ici, s’il reprend la trame principale (la prophétie des sorcières, l’influence maléfique de l’épouse, la fin), Kurosawa tend à enfermer ses personnages : les brumes de la forêt où les cavaliers tournent en rond sont une métaphore de l’esprit de Washizu, embrouillé par les passions ; et le vide des pièces, où Washizu complote, reflète son vide intérieur, que saura tourner à son profit son épouse.


Aidé par son acteur fétiche Toshiro Mifune, dont le jeu expressif fait merveille ici, Kurosawa mêle des séquences splendides dans la forêt, des apparitions oniriques et inquiétantes de spectres et filme des morts surjouées, notamment dans la séquence finale, où Washizu finit criblé des flèches de ses propres soldats.


jeudi 25 février 2016

Dersou Ouzala (A. Kurosawa, 1975)



Dersou Ouzala Affiche Poster

A l'heure où les petites soupes niaises et sucrées du prêt-à-penser écolo envahissent les médias, il faut se souvenir de Dersou Ouzala. Se souvenir à la fois du film, éblouissant éloge de cette communion entre la Nature, l'Homme et l'Univers ; mais se souvenir aussi du personnage lui-même, de la fraternité et de l'humanisme qui naissent à son contact, alors qu'il représente, quasiment par essence, l'altérité.
Et c'est de cette rencontre avec l'ailleurs que naît l'universalisme du film, qui parle à tous, qui touche chaque spectateur (rejoignant en cela le mystère de tant de films japonais de Mizoguchi ou Ozu : comment, alors qu'on nous parle d'un pays si lointain ou de périodes si anciennes, cela peut-il nous sembler si familier ?).

Cela dit, pour ceux qui ne sont pas encore revenus d'une version verte et toute gentille de la Nature gaïatisée, il faut peut-être revoir avant le terrible Délivrance de J. Boorman, où la sauvagerie de la Nature saute aux yeux - ce qui raccommode quelque peu avec la civilisation - avant de se tourner enfin vers l'unanimise et l'universalisme de Dersou.


Dersou Ouzala Akira Kurosawa

mercredi 14 mai 2014

Les Sept Samouraïs (Shichinin no samurai de A. Kurosawa, 1954)




Très célèbre film de Akira Kurosawa (et rendu encore plus célèbre au travers de son adaptation hollywoodienne) qui correspond, après la guerre, à une renaissance du chambara. Mais celui-ci, avant d’être un film d’action efficace et épique, propose un portrait social de villageois et d’individus, les samouraïs.
Ces samouraïs qui viennent en aide aux villageois, ne sont pas montrés outrageusement héroïques (bien qu’ils le soient) par Kurosawa, qui n’en rajoute pas sur les scènes d’action. Sur les trois heures de film, seule la dernière est consacrée à l’attaque par les bandits. Mais à la parcimonie des combats répond ou bien leur beauté esthétique ou bien leur frénésie, Kurosawa menant sa caméra avec virtuosité.


Le cinéaste distille un fond idéaliste manifeste puisque, derrière le prétexte de la protection de villageois par des samouraïs, il n’hésite pas à insérer des éléments anticonformistes (et sans doute peu probables historiquement), notamment au travers de Kikuchiyo, samouraï bien peu orthodoxe.

On remarquera, esthétiquement, les premiers ralentis qui viennent ponctuer des scènes d’action magnifiques. Quand on sait que ce mode de représentation est aujourd’hui dans les standards des films d’action, on comprend la considérable influence esthétique du film (grâce à des réalisateurs qui serviront de relais, en particulier S. Peckinpah). De même, l'introduction dans le récit des samouraïs (en particulier le chef Shimada) se fait par des scènes d’action détachées de l’histoire principale et qui permettent immédiatement de définir chacun d'eux. Cette manière d'introduire les personnages deviendra un passage obligé de très nombreux films d’action et fera l’objet de bien des ouvertures de films.


samedi 27 juillet 2013

Barberousse (Akahige de A. Kurosawa, 1965)




Très grand film de Kurosawa, articulé autour du personnage hors-norme de Barberousse, à la fois dévoué, compassionnel mais aussi samouraï, et qui se bat (aux sens propre et figuré) pour que sa clinique survive et se développe.
Kurosawa plonge au cœur de la misère et il utilise le jeune Yasumoto, fraîchement diplômé et ambitieux, pour mener le spectateur qui sera – comme Yasumoto lui-même – amené à vivre et à ressentir ce qui se déroule dans cet hôpital pour pauvres. Et Kurosawa, habilement, enrichit son film de multiples personnages en déroulant plusieurs histoires annexes, qui donne une densité formidable au récit.
C’est davantage dans ses films intimistes que dans ses vastes fresques que Kurosawa scrute au plus près l’âme des personnages et les liens qui unissent les hommes, quand ils sont, comme ici, au bord de la misère ou de la mort. Dans Barberousse le salut est trouvé dans le dévouement à l’autre, dans le sacerdoce d’une vie consacrée à soulager la douleur d’autrui.



On notera que Kurosawa, n’acceptant pas la façon dont Toshiro Mifune joua le personnage, interrompit avec l’acteur, après ce film, sa légendaire collaboration, forte de 17 films et de nombreux chefs-d’œuvre.

samedi 8 juin 2013

Ran (A. Kurosawa, 1985)




Splendide film de Akira Kurosawa, qui délivre une fresque historique épique et terriblement tragique. Alors qu’il vient de réaliser le magistral Dersou Ouzala, film intimiste et à la dimension de l’individu, il délivre coup sur coup deux fresques immenses  Kagemusha et Ran  , où des armées en mouvements s’entre-déchirent, où des bordées de flèches sont tirées contre des châteaux assiégés, des oriflammes sont brandies et des machinations ourdies. Et Kurosawa passe d’un style à l’autre avec une même maîtrise.
Cette adaptation du Roi Lear brille à la fois par son style épique, théâtral et la puissance de certaines scènes flamboyantes et stylisées.
Autour du vieillard Ichimonji qui pense préserver son royaume – jusqu’alors géré avec une main de fer – en passant la main à ses fils, on assiste, tout au contraire, à un déferlement de jalousie, de haine et de violence entre ces fils qui s’entre-déchirent. Si Ichimonji devient progressivement fou, ce n’est pas seulement de voir son royaume détruit dans une guerre fratricide, c’est aussi parce que son royaume, construit et tenu par la violence, ne peut qu’engendrer de la violence. Cette terrible prise de conscience lui fait perdre la raison.
Le style flamboyant de Kurosawa donne ici sa pleine mesure, avec des scènes de guerre qui sont autant de tableaux, sublimement construits et colorés, tantôt mouvants et ondulants dans la plaine, tantôt sanglants et déchirés par la violence.


On retrouve néanmoins le regard qui était celui de Kurosawa dans Dersou Ouzala, à la fois dans la maîtrise sereine de la mise en scène (qui contraste avec la violence qui se déchaîne) et dans l’incapacité des personnages à prendre un quelconque recul, à dépasser leur condition. Là où Dersou Ouzala entraînait le capitaine dans les méandres poétiques de l’approche animiste, les personnages sont ici diamétralement opposés, en étant ancrés dans un pragmatisme violent et destructeur qui apparaît dès lors tout à fait vain.