mardi 31 mai 2022

Biquefarre (G. Rouquier, 1983)





Dans cette suite de Farrebique, tournée quelques trente-huit ans plus tard, Georges Rouquier reprend les lieux et les personnages et contemple les choses : on voit alors, sous nos yeux, ce qui était la campagne d’avant se transformer, se moderniser et les fermes familiales devenir de véritables entreprises, mécanisées et industrielles. C’est la mutation des campagnes que Rouquier saisi sous nos yeux.
Le film distille une étrange atmosphère venant sans doute de ce que le film, sous des dehors de documentaire, ne suit pas la ligne du cinéma direct de Perrault, mais bien plutôt celle de Jean Rouch quand il fait jouer des acteurs. Dans Biquefarre, les acteurs, non professionnels, jouent leurs propres rôles, dans des dialogues qui pourraient être les leurs, mais tout cela, pour autant n’est pas un document pris sur le vif. Cette petite différence fait toute la différence et participe du ressenti étrange et puissant du film.

 


samedi 28 mai 2022

Everest (B. Kormákur, 2015)

 



Récit d’une conquête sportive qui tourne mal, Everest reste hollywoodien et très conventionnel. Ici le titre est un peu trompeur : ce n’est pas la montagne qui intéresse le réalisateur puisque l’Everest n’existe que pour ce qu’il est un enjeu sportif.
Et l’on reste bien loin des explorateurs Herzog ou Hillary, il n’est ici question que de sportifs légers, un peu provocateurs, un peu collectionneurs d’exploits, beaucoup trop bravaches. Et rien ne viendra épaissir ces personnages qui resteront, d’un bout à l’autre, tels qu’ils étaient présentés au début.
Affronter la montagne ne les transforme pas, l’ascension n’est pas une expérience de vie qui les tempère ou les transcende, qui leur fait toucher du doigt leur petitesse ou leur courage. Et l’on sera bien en peine de chercher des sensations d’immensité, de vertige, de sublime ou d’écrasement. Non, la montagne, ici, n’est qu’une altitude à atteindre. C’est bien peu de choses et, cinématographiquement, le film ne va pas bien loin.
Les uns en réchappent, d’autres meurent, sans rien d’autre qu’une mise en image sans génie d’une histoire réelle. Avec une application à demi-didactique et à demi-dramatisée, le film montre tant bien que mal les difficultés rencontrées : on comprend qu’il y a le manque d’oxygène, le manque d’humilité de certains, l’orage qui s’abat trop vite, l’altitude et le froid, en somme, qui engloutissent les hommes.

Mais on mesure, ici comme dans d’autres films sur le même thème, combien le cinéma s’est assez peu saisi de la montagne, l’investissant pour de simples films d’action ou des récits purement sportifs mais sans jamais regarder la montagne autrement que comme un tas de cailloux.
La mer, par exemple, est tantôt une puissance divine destructrice et providentielle (L’Ouragan), tantôt le réceptacle d’un exotisme poétique (L’Aventure vient de la mer), tantôt le lieu d’un rêve éveillé (Et vogue le navire) ; le désert sait être un itinéraire prophétique qui s’achève en chemin de croix (Lawrence d’Arabie) ou une immensité vide qui met à nue l’âme des hommes (Les Rapaces) tandis que la forêt purifie par son animisme puissant (Dersou Ouzala) ou engloutit jusqu’à la folie (Aguirre). Mais, en ce qui concerne la montagne, quand elle est au cœur du film (1), le cinéma a bien du mal à montrer autre chose qu’un relief – une forme dans le paysage – ou une altitude.



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(1) : Curieusement, c’est quand elle n’est pas le cœur du film que la montagne n’est plus seulement un relief, mais elle est peut être, par exemple, un refuge (Les Horizons perdus), une frontière (L’Homme qui voulut être roi), le domaine des Dieux (Voyage au bout de l'enfer) ou le lieu mystique du dernier voyage (La Ballade de Narayama). C’est là que sa puissance – à la fois tellurique et divine – s’exprime le mieux.



jeudi 26 mai 2022

Jean Renoir : le cinéma doit s'approcher de la vérité des hommes

 

Une remarque de Jean Renoir, merveilleux faiseur d’images qui scrute tant et plus ses personnages :

«  L’art du cinéma consiste à s’approcher de la vérité des hommes, et non pas à raconter des histoires de plus en plus surprenantes. »

 


mercredi 25 mai 2022

Charles mort ou vif (A. Tanner, 1970)

 



Alain Tanner, pour son premier long métrage, prend d’emblée la ligne directrice qui sera souvent la sienne : il capte la trajectoire d’un personnage qui n’est pas réellement un marginal mais qui fait un pas de côté par rapport à la société.
Il s’intéresse ici, avec originalité, à un vieil homme, au soir de sa vie active, poussé par son fils qui veut reprendre le flambeau de l’usine. Et rien ne se passe comme nous le dit souvent le cinéma (et, peut-être, la vie réelle) puisque le père quitte ses responsabilités, fuit sa famille et laisse le monde tourner sans lui.

Tanner capte un peu l’humeur révolutionnaire de l’époque et son personnage fuit tout ce qui compose le monde normatif, appliqué et programmé pour devenir un autre lui-même, en marge, apaisé et déssillé.

Le film a cette beauté profonde d’un personnage qui se révèle, change du tout au tout et se met à vivre. Suivant Rimbaud, Charles Dé n’est, tout à coup, plus guidé par les haleurs et il peut s’en aller danser sur les flots, à sa façon, à son rythme, et rêver la nuit verte aux neiges éblouies.



lundi 23 mai 2022

La Mule (The Mule de C. Eastwood, 2018)

 



L’ami Eastwood continue de vieillir mais il continue, ce faisant, de proposer des films à un rythme élevé. Bien sûr il y a des déceptions mais La Mule est réussi : le trajet de Earl Stone – un vieil homme qui se propose de transporter de la drogue pour un cartel mexicain – permet à Eastwood de se mettre en scène et, à travers son personnage, de proposer une métaphore de la vie, sur ce qui a de l’importance ou non, sur ce qui a été raté ou ce que l’on n’a pas fait et ce que l’on peut encore rattraper ou non (ici le film est centré sur la question du temps passé ou non auprès de ses proches).
Eastwood, filmant toujours davantage son visage sec, décrépi et tanné par les années, met en scène sa vieillesse et le temps perdu. Ce sont ses regrets qui emplissent peu à peu l’écran. Il faut dire qu’il sait bien que l’âge avance et nombre de ses films, autant qu’ils sont un regard sur l’Amérique, ses héros ou sa violence, sont aussi le bilan d’une vie.


 

vendredi 20 mai 2022

Les Cicatrices de Dracula (Scars of Dracula de R. W. Baker, 1970)

 



La Hammer continue de creuser le filon et parvient à convaincre Christopher Lee d’enfiler à nouveau le costume de Dracula. Mais la présence du charismatique acteur est bien le seul intérêt que l’on peut trouver au film.

C'est qu'il n’y a pas seulement le budget minimaliste qui plombe le film (même si certains effets spéciaux se passent de commentaires) : le scénario, le rythme du film, les acteurs (hormis Christopher Lee), tout concourt à faire de cet énième épisode une série Z tout à fait oubliable et à réserver aux fans de nanars. Roy Ward Baker, bien loin de ses meilleures réalisations (La Piste fatale notamment), construit ici un film industriel bas de gamme sans saveur.
Mais les producteurs, qui n'ont peur de rien, continueront de profiter du mythe et de l'acteur pour poursuivre cette série Z le temps de trois films qui sont, en quelque sorte, de pire en pire...


 

mercredi 18 mai 2022

Le Chant du loup (A. Baudry, 2019)

 



Parmi les films de guerre, le sous-genre du film de sous-marins livre beaucoup de réalisations assez quelconques dont peu sortent du lot (on recommande le très bon Das Boot). Le Chant du loup est un peu perdu dans cette masse : il n’est pas réellement prenant, sans être inintéressant non plus, mais il souffre de ses personnages trop superficiels, parfois mal interprétés (Matthieu Kassovitz est bien peu convaincant en amiral tendu et énervé). Bien sûr la plongée dans les entrailles d’un SNLE français a des moments fascinants mais c’est une fascination pour la machine, les protocoles, les chaines de commandement plus que pour l’image elle-même.

Et Le Chant du loup, comme trop de films de guerre, ne s’extrait pas des combats et il n’est rien de plus qu’une course contre la montre. Il pâtit de l’absence d’ennemi et, finalement, le danger, alors qu’il est maximal, reste très abstrait.

Il y avait pourtant quelque chose à creuser, justement, dans cette contradiction que représente cette menace, terrible mais qui n’existe que sous forme d’une trajectoire en pointillés, et dans ces ennemis insaisissables à l’autre bout du monde mais terriblement mortels. Cette lutte, elle aussi abstraite, se joue à coup d’acoustique, d’écho, d’analyse de sons. On est bien loin des soldats coincés dans le bourbier des tranchées sur lesquelles se déverse un orage de bombes. Il y a là une version moderne, froide, numérique de la guerre (que l’on retrouve avec le pilote de drones qui reste loin de la zone des combats) et que le cinéma ne saisit pas encore.
Mais Antonin Baudry privilégie le côté tendu d’une action-réaction où tout doit se décider en quelques minutes et de façon décisive. Il cherche à capter ce poids qui s’amasse sur les épaules de celui qui doit trancher (le son qu'il entend, est-ce l’écho d’un sous-marin ennemi ou un simple artefact ? Cet autre son est-il celui du tir d’un missile nucléaire ? Etc.). C’est là, il faut dire, un autre aspect de ces guerres cachées : le déclenchement des armes les plus monstrueuses, en dernier ressort, dépend de l’analyse d’un ou deux experts (sur lesquels se repose gaillardement le politique). Mais Baudry, plutôt que d’y voir un homme qui ploie, écrasé comme un fusible fragile qui menace de fondre à chaque instant, y voit le héros professionnel qui sauve tout. C’est un peu frustrant : cela montre combien Le Chant du loup ne peut dépasser le simple film de genre appliqué.

 

samedi 14 mai 2022

Comment parler d'un film ? Quel regard porter sur un film ?

 



Si tout le monde a quelque chose à dire (et parfois tellement à dire !) sur un film, la plupart du temps tout ce qui peut être dit se mélange et, bien souvent, les conversations tournent à vide car les uns et les autres ne parlent pas des mêmes choses. Or, c’est bien connu, on ne peut comparer que ce qui est comparable.

En effet, si l’on dit d’un film qu’il nous a émus et que l’interlocuteur répond que ce qu’il a apprécié dans ce même film est qu’il est brillamment réalisé quand un troisième explique que, en revanche, il ne l’a pas aimé à cause du message porté par le film, force est de reconnaître que tout cela n’a rien à voir.
En fait, si l’on veut organiser un peu la critique et la discussion, il faut s’entendre sur ce que l’on dit d’un film et le regard qu’on lui porte.

On peut ainsi distinguer la description : c’est-à-dire s’en tenir à ce qui apparaît à l’écran. Si l’on prend l’exemple fameux de L’Escalier d’Odessa dans Le Cuirassé Potemkine, il s’agit de décrire la foule rejetée dans les escaliers par les soldats qui avancent au pas, puis tel personnage qui reçoit une balle quand tel autre est écrasé, alors qu’un landau abandonné descend en cahotant les marches, etc.

L’analyse de la séquence s’attardera sur les procédés techniques utilisés et leur fonction : le travelling qui accompagne la rectitude écrasante des soldats, les gros plans qui affichent en plein cadre la douleur d’une vieille femme et, bien sûr, le fameux montage d’Eisenstein qui relie entre eux tous ces éléments et leur donne une terrible force dramatique.

L’interprétation de la séquence, de son côté, incite à resituer le film dans le contexte de sa création : il s’agit d’une œuvre de propagande, commandée par les bolcheviques et qui sert une cause politique en montrant l’armée du tsar qui martyrise le peuple. À ce titre le film fut longtemps interdit en Europe.
Cette approche conduit le spectateur à s’interroger : le film montre-t-il (dans ce sens la séquence de Potemkine met simplement en scène une troupe qui s’interpose face à une révolte) ou prescrit-il (Potemkine est alors une œuvre de dimension politique) ?
Ces différents niveaux de lecture, selon les films, peuvent être idéologiques, politiques, religieux, etc.

Enfin l’évaluation du film consiste à dire, finalement, si le film a procuré une émotion, s’il a plu ou ému, s’il a fait rire ou pleurer, s’il a évoqué quelque chose d’intime, provoqué une résonance particulière ou si, au contraire, il a ennuyé et n’a pas su capter l’attention ni provoquer d’émotion.



On remarquera que la description et l'analyse, fondamentalement, procèdent d'un regard objectif, quand l'interprétation et l'évaluation viennent d'un regard subjectif sur l’œuvre.

Certains films sont facilement réduits à une seule de ces dimensions, empêchant en réalité d’aborder d’autres éléments. On sait par exemple que
300 de Z. Snyder est bien souvent réduit à sa prétendue dimension fascisante et, aujourd’hui, l’on retient des films d’Eisenstein, le temps passant, non plus leur dimension politique mais bien leur extraordinaire brio technique.

Donc, tantôt c’est l’interprétation qui donne le la de la critique, tantôt l’analyse. Dès lors on comprend bien que ce n'est qu'en gardant à l’esprit ces différents regards et en disant nettement les choses que l'on rend possible une discussion qui n'est pas un dialogue de sourds.


jeudi 12 mai 2022

Boule de feu (Ball of fire de H. Hawks, 1941)

 



Comédie mineure de Howard Hawks qui a bien du mal à emporter le spectateur. Il faut dire que l’on a beau être dans une comédie, il faut sacrément croire au cinéma pour voir en Gary Cooper un linguiste chevronné le nez dans ses dictionnaires et tout à fait niais dans les rapports humains. Dès lors l’argument du film tombe à plat et voir les huit professeurs binoclards s’extasier devant les jambes de la belle peine à faire sourire.
Les éléments du genre (le mariage forcé, les hommes de main, le timing serré, etc.) parviennent à tenir le film mais le tout semble bien forcé. Et puis il y a Barbara Stanwyck qui surjoue continuellement et fatigue, surtout en regard du jeu sobre de Gary Cooper.



lundi 9 mai 2022

Alien vs. Predator (P. W. S. Anderson, 2004)





Si les titres de films sont parfois trompeurs, il en est qui annoncent le menu clairement. Ici il s’agit de confronter deux extra-terrestres qui sont chacun au cœur d'une série de films bien connus. L’un est une bébête très méchante, l’autre est un chasseur très fort (et très méchant lui aussi). L’industrie hollywoodienne, toujours à la recherche de filons bankables, sent le coup et lance son armada pour l’exploiter. Dès lors on ne saurait être déçu ou surpris par le film : il s’agit de scénariser tant bien que mal la rencontre des deux affreux, avec une poignée d’humains au milieu.
Ensuite il n’y a qu’à filmer des combats, des courses-poursuites, des giclements de sang, le tout mâtiné d’un pseudo-suspense.

On attendait donc peu de Alien vs. Predator et le film, il faut bien le dire, donne ce peu (mais pas plus). S’il n’est guère brillant, le film n’est pas non plus stupide ou navrant, il fait le job comme l’on dit. Un peu comme un hamburger de fast-food : on en attend peu et il le donne.


Notons que la suite – Alien vs Predator: Requiem – est, elle, d’une bêtise tout à fait affligeante et navrante. Elle est, pour le coup, comme un hamburger absolument indigeste et qui vient sonner le glas – espérons-le – de ce filon qu’il eût peut-être mieux valu ne pas exploiter.