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mardi 22 avril 2025

Juré n°2 (Juror #2 de C. Eastwood, 2024)

 



Remarquable film de Clint Eastwood qui montre qu’à quatre-vingt-quatorze ans sa capacité à saisir les choses reste intacte.
Comme à son habitude, c’est sans esbrouffe, l’air de rien, dans un style sobre et très classique, qu’il montre et comprend les choses. Et, à mesure que l’énormité de la situation tombe sur le juré n°2, le spectateur se retrouve coincé comme lui, comme un simple citoyen, coupable mais sans possibilité de le dire. Eastwood montre alors parfaitement les hésitations de son personnage, qui cherche à disculper l’accusé (et pour cause, puisqu'il le sait innocent) puis craint, dans ce cas, de voir les recherches reprendre et arriver jusqu’à lui. La fin – qui reste longtemps incertaine – est remarquable : en une belle ellipse, le film énoncera un premier jugement – bien loin d’apaiser la situation – avant que la procureur (remarquable interprétation de Toni Collette) ne suive, à regret, ce à quoi sa fonction la contraint…

 

lundi 22 mai 2023

Lettres d'Iwo Jima (Letters from Iwo Jima de C. Eastwood, 2006)





Film décevant en ce qu’il prenait pour idée force d’être le contre-champ du magnifique Mémoires de nos pères et il n’en est que le pâle reflet. Il ne dialogue jamais avec son film miroir, on ne voit pas les mêmes séquences se jouer et être vécues des deux côtés du front. C’est la même grande Histoire (le débarquement et l’attaque sur le mont Suribachi), mais ce ne sont pas les mêmes petites histoires qui s’entremêlent.
C’est dommage, Clint Eastwood tenait là l’occasion d’une fresque immense et riche (peut-être un peu à la façon de La Condition de l’Homme), fort de son honnêteté à raconter le versant japonais. Mais Lettres d’Iwo Jima n’est guère plus qu’un complément qui vient rééquilibrer le propos américano-centré de Mémoires de nos pères.

 


vendredi 5 mai 2023

Mémoires de nos pères (Flags of Our Fathers de C. Eastwood, 2006)





Magnifique film de Clint Eastwood, qui dépasse largement le film de guerre classique pour se livrer à une réflexion complexe et riche sur l’héroïsme, la guerre, la manière de la percevoir et de la vivre.
Comme souvent, Eastwood mélange différents moments (un temps présent et deux temps du passé, lors des combats) et il entremêle les évènements et les souvenirs qui reviennent comme autant de couches de peinture qui se superposent et donnent une épaisseur aux personnages et, par là même, au récit.

Le film prend pour argument la célèbre photo des marines au sommet du mont Suribachi lors de la prise de l’île d’Iwo Jima, photo à l’histoire étonnante – et qui ne peut que fasciner Eastwood – puisque le photographe Rosenthal (célébré pour ce cliché) capte en réalité le second planté de drapeau, celui sans risque et sans prestige. Dès lors, même ceux qui sont sur la photo ne sont pas forcément si héroïques.

Eastwood se balade entre différents époques, comme il aime à le faire, pour tisser les liens entre passé et présent et réfléchir, avec virtuosité, à ce qu’est un héros et à la réalité de cet héroïsme. Et il met ainsi en évidence progressivement, l’écart, même sincère, entre la substance et l’image : René Gagnon reconnaît qu’il a beau être sur la photo, il n’a pas tiré un coup de feu ni pris de risque. A contrario, John Bradley, beaucoup plus héroïque, a été désigné comme étant sur la photo alors qu’il n’y était pas. Mais il faisait en revanche partie des marines qui ont planté le premier drapeau, dans des conditions beaucoup plus risquées.
On le voit, les choses ne sont pas simples et la réalité elle-même est trompeuse.

Les séquences de guerre proprement dites, avec le débarquement sur l’île et les combats féroces qui s’engagent, sont éblouissantes et renvoient à la célèbre séquence du débarquement de Il faut sauver le soldat Ryan mais de façon plus complexe : la séquence est morcelée et montrée en plusieurs fois. C’est qu’il ne s’agit pas pour Eastwood, comme l’avait fait Spielberg dans son film, de construire une séquence sur laquelle s’appuiera tout le film, mais de suivre à la fois la manière dont la grande Histoire se fait (celle qui mène à la légende des marines plantant le drapeau) et la manière dont les soldats vivent l’évènement qui leur reviendra sans cesse en mémoire.


Eastwood, en revanche, déçoit beaucoup avec le film miroir qu’il tourne en même temps et qui sort dans la foulée – Lettres d’Iwo Jima – : bien loin d’être un contre-champ japonais à la vision américaine, il rate un peu son but et ne dialogue guère avec Mémoires de nos pères.

 




lundi 24 avril 2023

Créance de sang (Blood Work de C. Eastwood, 2002)





Polar très (trop) conventionnel de Clint Eastwood. Le film cherche à tisser des liens étroits entre le meurtrier, la victime et le flic, mais, malgré de bonnes idées et de bonnes séquences, l’ensemble n’est guère convaincant. Non seulement ces relations entre personnages semblent trop forcées mais ni l’ambiance, ni le rythme, ni une humeur particulière – autant d’éléments que, dans d’autres films Eastwood utilise à merveille – ne capte particulièrement.
Créance de sang
reste un petit film d’Eastwood : Mystic River, son film suivant qui joue lui aussi de liens complexes d’amitiés entre meurtriers, flics et victimes, lui est très supérieur.



mercredi 12 avril 2023

Sully (C. Eastwood, 2016)

 



Avec Sully, Clint Eastwood continue de travailler la figure du héros, ici le héros humble, image de celui qui ne fait que son devoir et se défend de tout héroïsme. On comprend que l’exemple de ce pilote qui est parvenu à un amerrissage d’urgence – au mépris de toutes les procédures et en suivant son instinct de pilote expérimenté – l’ait inspiré. Il est le prototype de ce héros désigné par des circonstances, loin du policier ou du soldat dont la vocation est de sauver les uns ou les autres. On sait qu’Eastwood aime ce genre de personnage (que l’on retrouve dans Le Cas Richard Jewell ou dans Le 15h17 pour Paris) qui lui permet de discuter ce qu’est un héros. En conclusion, comme souvent, Eastwood s’en remet à des images d’archives, dont la signification est claire : est un héros celui qui est désigné comme tel.
La construction du film suit les habitudes d’Eastwood, qui aime mélanger les nappes du temps entre le présent (la commission d’enquête), le passé récent (l’accident qui vient d’avoir lieu) ou des souvenirs plus anciens (Sully qui se remémore son passé de pilote de chasse). On ne dira jamais assez combien le montage des séquences, chez Eastwood, lui permet d’équilibrer ses films et de leur donner une harmonie étonnante qui trouve peu d’équivalents chez d’autres réalisateurs.

Tom Hanks est très bien dans un rôle qui n’est pas difficile mais dont la tranquille sobriété est nécessaire.

 

lundi 23 mai 2022

La Mule (The Mule de C. Eastwood, 2018)

 



L’ami Eastwood continue de vieillir mais il continue, ce faisant, de proposer des films à un rythme élevé. Bien sûr il y a des déceptions mais La Mule est réussi : le trajet de Earl Stone – un vieil homme qui se propose de transporter de la drogue pour un cartel mexicain – permet à Eastwood de se mettre en scène et, à travers son personnage, de proposer une métaphore de la vie, sur ce qui a de l’importance ou non, sur ce qui a été raté ou ce que l’on n’a pas fait et ce que l’on peut encore rattraper ou non (ici le film est centré sur la question du temps passé ou non auprès de ses proches).
Eastwood, filmant toujours davantage son visage sec, décrépi et tanné par les années, met en scène sa vieillesse et le temps perdu. Ce sont ses regrets qui emplissent peu à peu l’écran. Il faut dire qu’il sait bien que l’âge avance et nombre de ses films, autant qu’ils sont un regard sur l’Amérique, ses héros ou sa violence, sont aussi le bilan d’une vie.


 

jeudi 15 avril 2021

L'Epreuve de force (The Gauntlet de C. Eastwood, 1977)





Après plusieurs films remarquables ou intéressants (Josey Wales ou même Breezy), Clint Eastwood réalise ici un film très quelconque. On y trouve la dichotomie flic intègre versus mafia corrompue, qui a ici ses ramifications jusqu’au plus haut niveau. Très vite on comprend où veut en venir le film, avec Schokley qui parvient, tant bien que mal et après bien des exploits, à amener son témoin devant le juge.
Sans doute conscient que cette surenchère d'action lui va assez mal, Eastwood abandonnera rapidement cette façon d'aborder la violence, même si elle restera l'un de ses thèmes principaux. Ce film fait ainsi partie du tout venant peu intéressant de l’ami Eastwood dont on sait très bien à quel point il est capable, par ailleurs, de réaliser des chefs-d’œuvre.


jeudi 1 avril 2021

Breezy (C. Eastwood, 1973)



L’ami Clint Eastwood, entre deux films très masculins dans leurs thèmes et leurs traitements (Breezy s’intercale entre L’Homme des hautes plaines et La Sanction), propose cette Americana simple et calme, où un quinquagénaire désabusé rencontre une jeune hippie délurée qui l’émeut et le secoue.
Si le film, lors de sa sortie, détonne au milieu de sa filmographie, il prend un autre sens quand on sait combien Eastwood, finalement, multipliera des rôles à contre-emploi, loin des héros machos ou violents qui ont fait sa gloire : il mettra en scène bien souvent des personnages un peu nostalgiques, calmes, tournés vers une intimité psychologique.
On retrouve ainsi, dans Breezy, un premier jet de la relation amoureuse version Eastwood, un embryon de la profondeur émue de Sur la route de Madison, un parfum de la nostalgie d’Honky Tonk Man ou de Gran Torino, une évolution introspective du personnage, tiraillé entre aigreur, liberté et nostalgie : autant d’indices que le temps passe et fait des ravages.
Breezy, alors, constitue un premier pas de côté dans une filmographie à ses débuts et encore très monobloc, mais qui deviendra, progressivement, très riche et traversée de films extraordinaires en développant, précisément, cet à-côté qui affleure ici pour la première fois.

Eastwood, encore trop jeune, a la bonne idée de s’en remettre à William Holden, qui porte avec lui des rôles légendaires qui accentuent immédiatement son humeur nostalgique : le personnage, d’abord blasé (« à marée basse »), est ensuite ému, puis il n’y croit plus, puis y croit à nouveau, montrant combien la jeune Breezy, sous ses airs délurés, déclenche une introspection radicale chez ce célibataire endurci et entre deux âges.

 


lundi 30 avril 2018

Million Dollar Baby (C. Eastwood, 2004)




Clint Eastwood, à la fois très classique et touche à tout, file ici vers un genre qu'il n'a pas encore exploré (celui du film de boxe, très riche au cinéma), même si l'univers de la boxe reste un prétexte : la substance du film est cette relation entre le vieux Frankie (Eastwood, la peau tannée, parfait), qui a à peu près tout raté dans sa vie, et la jeune Maggie (Hilary Swank), volontaire et brillante, qui l'amadoue petit à petit. A cette relation qui se construit peu à peu, répond la progression de Maggie d'une part et la vie déliquescente de Frankie d'autre part, en particulier dans son conflit avec sa fille, partie et bien décidée à ne rien pardonner. On apprendra d'ailleurs très tard dans le film combien Frankie tente, sans succès, de reprendre contact.



C'est cette rencontre, cette relation entre deux personnages si différents, qui est au cœur du film. Et l'âge de Frankie, son vécu, lui donne un recul face au ring et face à la vie (recul que n'a justement pas Maggie qui mord dans ses espoirs à pleines dents) qui teinte le film d'une grande mélancolie et d'une grande nostalgie, avant même le dénouement tragique.
Le film, sans doute – et on peut le considérer comme une maladresse de la part d'Eastwood qui est souvent d'une incroyable justesse –, appuie trop la "larmoyance" finale. Un réalisateur tel que lui aurait pu simplement suggérer sans être aussi explicite et aller aussi loin (non pas dans le déroulé du scénario mais dans l'explicitation des sentiments).

Si le film s'inscrit dans la belle lignée des films de boxe (qui constitue sans doute le seul sport que le cinéma s'est réellement approprié), Million Dollar Baby donne à voir peu de combats (un peu comme dans Fat City : l'essentiel est ce qui se trame hors du ring, ce qui fait monter sur le ring ou ce qui laisse en dehors du ring). C'est d'ailleurs la salle d'entraînement plus que le ring qui constitue le cœur du film (elle est le lieu à la fois de la déchéance de Frankie puis de sa rencontre avec Maggie). Et il s'agit aussi d'un des seuls films de boxe où le cœur du film n'est pas le boxeur (celui-ci, classiquement, jouant sa vie – sociale – sur le ring) mais l’entraîneur. Et Frankie, s'il a tout autant à perdre, n'a que peu à gagner. La victoire de sa protégée ne sauvant rien du désastre de sa vie. Que dire, alors de la fin tragique ? Que reste-t-il, alors, à Frankie ? Quoi d'autre qu'un nouveau désastre et un nouveau vide, plus ample encore, si c'est possible, dans sa vie ?

samedi 27 mai 2017

Gran Torino (C. Eastwood, 2008)




Très bon film de Clint Eastwood, qui délivre un discours humaniste classique mais de façon très habile. En effet Eastwood n’hésite pas à mettre en scène un personnage principal épouvantablement misanthrope, aigri, violent et raciste. Refermé sur lui-même, dans la solitude de son veuvage et dans son passé de soldat qui le hante, Walt Kowalski reste à grommeler sur son perron d’où il maudit le monde, à commencer par ses voisins Hmong, ces « têtes de citron » venus jusque chez lui.
Même si, bien entendu, Eastwood n’en reste pas là en faisant évoluer son personnage, on voit mal, en France, un producteur accepter de financer un film basé sur un tel héros. On pense à plusieurs scènes où la violence raciste du personnage éclate, sans recours à l’humour ou à d’autres artifices qui viendraient adoucir le propos. Et pourtant c’est sur cette base de anti-héros nette et assumée que l’histoire trouvera sa force. Une force transmissive, puisque Walt Kowalski finira par considérer Thao comme son fils, alors qu’il rejette ses enfants et petits-enfants, produits dégénérés de l’Amérique.
La communauté Hmong sortira Walt de son enfermement et Walt participera de leur intégration : c’est bien Thao, le fils d’immigré, qui hérite de la Gran Torino, symbole puissant de l’Amérique. La haine violente de Walt Kowalski est donc renversée brillamment par Eastwood qui l’utilise en un éloge de l’Altérité, au travers des bénéfices de la confrontation entre ces deux mondes qui s’ignoraient. Il faut tout le talent et l’habileté d’Eastwood pour y parvenir. Et le film propose une réflexion intéressante entre ceux qui font la violence (Walt, les gangs) et ceux qui la subissent, notamment les Hmong, que ce soit au Viêt Nam ou en Amérique.


Le film, réalisé et interprété par un Eastwood de presque 80 ans, est aussi un grand regard du réalisateur en arrière. Son personnage, évidemment, pourrait être l’inspecteur Harry à 80 ans, avec la même misanthropie, le même racisme, le même repliement sur soi (de même que, dans Impitoyable, William Munny pourrait être un avatar vieillissant de l’Homme sans nom ou de Blondin, qui peuplaient les westerns de Sergio Leone). On imagine sans mal Dirty Harry crachant sur cette Amérique dégénérée et sortant son fusil pour qui viendrait marcher sur sa pelouse. C’est ainsi que, sans le dire, en un bel hommage, il offre à Dirty Harry une fin magnifique.

dimanche 5 juillet 2015

Impitoyable (Unforgiven de C. Eastwood, 1992)




Magnifique western de Clint Eastwood qui parvient à relier le cinéma qui l’habite – celui de John Ford – avec le cinéma dont il est issu – celui de Sergio Leone.
Ce personnage d’ancien tueur devenu fermier et qui reprend du service pour de l’argent est l’occasion pour Eastwood d’une nouvelle réflexion sur la violence et sur la façon dont l’histoire crée des légendes.

On sait que le western, qui fut le genre le plus important du cinéma (notamment en raison de son rôle dans la mise en récit de l'histoire de la nation), n’a guère survécu au Nouvel Hollywood. Avec S. Peckinpah, R. Altman ou A. Penn, les principaux codes du western ont été revisités, puis le genre s’est vu quasiment enterré, sans trop savoir ensuite comment se renouveler et comment faire sien ces anti-héros sans but véritable, perdus dans des sociétés délabrées, thème cher aux années 70. Le filon italien s’épuisera au fur et à mesure, même s’il reste populaire. Le succès, au début des années 90, de Danse avec les loups de K. Costner, western révisionniste dans la lignée de Little Big Manfut une surprise. Succès qui ne relance pas le genre pour autant : peu de productions, et, surtout, peu d’inventivité, peu de renouvellement.
Et, au milieu de ce paysage moribond, Impitoyable (1) parvient à faire la jonction entre le passé et le présent et à offrir au genre un dernier jalon extraordinaire.

Impitoyable dialogue avec le western italien au travers du personnage de William Munny. Interprété par Eastwood, ce personnage de tueur repenti évoque l’homme sans nom ou Blondin, le personnage emblématique de la trilogie du dollar de Sergio Leone. Ce n’est pas seulement le même acteur, c’est en fait le même personnage, que l’on retrouve, vingt-cinq ans plus tard. Il a rangé ses colts, s’est acheté une conduite, en rencontrant une femme qui l’a extirpé de son monde sans foi ni loi, et il est devenu fermier.
Ce premier aspect du film, qui jette un fond fascinant entre ces films (puisqu’on verra que le passé rattrapera ce tueur), relie aussi deux visions du monde constamment explorées par le western. En effet, dans la grande question de savoir ce qu’est être américain – motif constamment traité par le genre –, on sait que deux pôles s’opposent : ou bien le héros est présenté comme sans attache, en aventurier (ou hors-la-loi, pionnier, etc.) qui file d’aventures en aventures, ou bien, au contraire, le héros est un homme qui cherche à se fixer, en construisant sa maison, cultivant un arpent de terre, fondant une famille, etc. Eastwood semble nous dire que les choses ne sont pas figées : l’homme sans attache (et sans état d'âme) peut se fixer (avoir une femme, des enfants, des amis). Mais il lui est difficile d’échapper à son destin et son passé risque toujours de le rattraper : le démon se réveille en fin de film. Pourtant l'épilogue reste optimiste : après ce dernier réveil, William Munny est devenu un père exemplaire pour ses enfants. Et, en commerçant dans les étoffes, il tourne le dos au vieux monde de l’Ouest, où les colts règnent.

Mais Eastwood revisite aussi le western classique – celui de Ford (2) ou de Hawks – : il reprend des personnages ou des lieux symboliques du western et en propose une version sombre et dégénérée.
C’est ainsi que le sheriff Little Bill (très bon Gene Hackman) est une version dégénérée du sheriff classique (vu par exemple dans Rio Bravo). Si Little Bill semble convenable en début de film, bien que trop laxiste, il apparaît de plus en plus impitoyable au fur et à mesure de l’avancée du récit. Jamais un sheriff campé par John Wayne n’aurait fouetté à mort un suspect.


Gene Hackman campe Little Bill

John Wayne dans Rio Bravo de H. Hawks
C’est une revisite terrible d’un personnage emblématique, typiquement joué par John Wayne (3) : Little Bill, ancien gunfighter, cherche lui aussi à se poser (il se construit tant bien que mal une maison) mais son passé très violent le rattrape et son attitude déclenchera contre lui une malédiction épouvantable. On pense aussi à Karl Malden, jouant le sheriff de La Vengeance aux deux visages, qui fouette son ancien partenaire.
Dans la même veine, le film revisite le saloon (qui n’est plus qu’un endroit de débauche sombre et glauque) ou encore le personnage du cow-boy lui-même (avec les difficultés de Munny à viser convenablement ou à monter à cheval, ou encore Ned et Munny qui sont traités comme deux vieillards qui ronchonnent). Les codes classiques sont donc largement revisités, un peu comme Robert Altman a pu le faire (notamment dans John McCabe) mais avec ici une dimension sombre et funèbre.
Le regard d’Eastwood sur la communauté est donc terriblement dur et noir, très loin de l’image traditionnellement donnée par les westerns classiques (4). Cette noirceur vaut condamnation : après une première séquence dans la nuit, le film passe progressivement du beau temps au déluge boueux jusqu’à l’éclatement de l’orage qui marque le retour de William Munny, non plus seulement en tueur, mais en démon venant châtier Little Bill et maudissant la ville. En fin de film, quand Munny sort du saloon, il est un punisseur invulnérable qui annonce la malédiction qui viendra s’abattre sur quiconque, de nouveaux, touchera aux prostituées.




Eastwood aborde profondément la question du héros et de la légende qui lui tourne autour. Avec le personnage de l’écrivain biographe, il montre combien la construction d’une légende va de pair avec la rédaction d’une histoire et que cette histoire n’hésite pas à affabuler et à déformer la réalité. Eastwood reprend donc ce grand thème fordien (commencé avec Le Massacre de Fort Apache et poursuivi par L’Homme qui tua Liberty Valance) (5) qui est une réflexion autour de l’écart inévitable, mais que l’on ne cherche pas à combler, entre la réalité – volontiers délaissée – et la légende. Dans Impitoyable, toute la dimension légendaire – « mythique » – de ces gunfighters est balayée : ces individus étaient des monstres sans morale et sans honneur, nous dit Eastwood, constamment saouls, incapables même parfois de se souvenir de ce qui avait pu leur arriver la veille.

Impitoyable évoque aussi Le dernier des géants de Don Siegel, où John Wayne (lui-même malade) interprète un gunfighter vieillissant, se sachant mourant, qui n’aspire qu’à partir tranquillement, ce que l’Ouest lui refuse. On retrouve une même idée dans ces deux films : celle d’un personnage dont le passé appartient à une double légende. En effet, dans les deux cas, le personnage appartient à la légende, non seulement dans le récit, mais aussi dans la mémoire du spectateur. C’est que John Wayne et Clint Eastwood évoquent, pour le spectateur, des rôles inoubliables. Dans ces deux cas, le film dialogue donc à la fois avec le cinéma et avec la mémoire du spectateur.

En un incroyable syncrétisme, Eastwood parvient donc à relier toutes ces différentes branches du western : le western classique, celui qui revisite le genre des années 70 et, bien entendu, le western italien. On a là le meilleur western réalisé depuis plus de 30 ans. En fait, depuis les derniers chefs-d’œuvre de John Ford ou Howard Hawks, on n’a pas fait mieux.





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(1) : On se demande pourquoi le titre original, Unforgiven (c’est-à-dire Impardonnable), n’a pas été simplement traduit.
(2) : Eastwood cite d’ailleurs La Charge héroïque de Ford, en ouvrant et fermant son film sur un très beau plan où l’on voit la tombe de la femme de Munny qui rappelle un plan célèbre et magnifique de John Wayne venant parler sur la tombe de sa femme.

Le plan d'ouverture (et le plan final) de Impitoyable

John Wayne dans La Charge héroïque de J. Ford
(3) : Un jeu de mot amusant et qui revient plusieurs fois scelle ce parallèle entre Little Bill et John Chance (le sheriff de Rio Bravo) : quand Little Bill confond « Duck » et « Duke », appellation qui évoque directement « The Duke », c’est-à-dire John Wayne himself.
(4) : Même si le regard de certains westerns est très dur : Le Train sifflera trois fois de F. Zinneman ou Quatre étranges cavaliers de A. Dwan sont des charges violentes contre la société.
(5) : Eastwood poursuivra également sa réflexion en se tournant vers les héros actuels dans American Sniper.

samedi 14 mars 2015

American Sniper (C. Eastwood, 2015)



American Sniper Clint Eastwood Poster Affiche

Bon film de guerre d’Eastwood, au style toujours classique et efficace (en particulier les séquences de guerre en Irak où il est très à l’aise). Très clairement – et contrairement à ce que comprennent beaucoup de critiques – ce film n’exalte pas la guerre. Eastwood ne discute jamais de l’objectif de la guerre ou de son bien-fondé (dès lors il ne cherche pas à la justifier) : il y a un conflit et des hommes sont envoyés au front.

Dès les premières séquences, Eastwood est clair sur un point : gagner la guerre nécessite un engagement total, sans limite, inhumain. Il l’illustre par la métaphore du chien de berger : défendre les siens (c’est-à-dire faire le chien de berger), si on suit l’idée jusqu’au bout (ce que fait Kyle), cela signifie tuer des femmes et des enfants s’il le faut. Excellente séquence que ce baptême du feu qui est l’occasion de pousser le curseur le plus loin possible d’emblée. Cela rejoint une idée importante à propos de la guerre mais qui est bannie de notre époque pacifiste (idée déjà abordée dans des films tels que Les Nus et les mortsCote 465 ou Capitaine Conan) : il faut des durs insensibles pour gagner une guerre. Ici ce sera un sniper qui ne tremble pas.


Ensuite, dans les séquences suivantes, Eastwood annonce le fond de l’affaire : en faisant baptiser son sniper Chris Kyle du surnom de « La Légende » – vu ses « exploits » à répétition –, il fait référence directement à L’Homme qui tua Liberty Valance de Ford (et Eastwood connait bien ses classiques, en particulier les westerns de Ford) dont la célèbre morale est un écho à ce que va vivre Kyle : « Quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende ». La réalité – cachée derrière le héros américain – ce sera donc la névrose de Kyle, qui va devoir vivre avec les morts, les bruits des balles qui sifflent ou les cris des hommes blessés. L’inébranlable tireur – la Légende – a une figure humaine, moins sûre d’elle-même que ce que nous dit la belle histoire des héros.
Eastwood aide pourtant Kyle en assimilant l’ennemi à la sauvagerie la plus extrême : les soldats irakiens sont incarnés par un massacreur épouvantable – le Boucher – qui tue avec une perceuse, y compris les civils. Si les méchants sont très méchants, Kyle peut appuyer sur la gâchette avec encore moins d’hésitations et avoir moins de remords ensuite.
Le film, en même temps, peut se lire comme un western moderne : le désert irakien remplace le désert ouest américain, la guerre en Irak remplace les guerres indiennes, et l’irakien est vu comme le cinéma américain présentait les Indiens : ce sont des sauvages qui attaquent. La perceuse a remplacé le scalp.

Mais rien n’y fait : si des soldats durs et sans conscience sont nécessaires pour gagner une guerre, chacun d’eux, sorti du contexte où il se bat pour sauver ses frères d’armes, se retrouve face à sa conscience. Et se marteler à soi-même qu’on a fait son devoir, cela ne suffit pas. Car Kyle n’a pas le choix et il botte en touche avec sa conscience : s'il a tué tous ces gens – y compris des femmes et des enfants – c'était pour sauver des frères d’armes. Cette antienne est sa seule protection face à l’horreur de ce qu’il a fait.

Mais si Eastwood s’intéresse en fait réellement à ce qu’il y a derrière la lunette du sniper, c’est-à-dire l’intérieur bouillonnant de la tête de son infaillible soldat, sa démonstration manque de puissance et les séquences familiales sont beaucoup trop conventionnelles. Ces séquences n'ont pas l'impact qu'elles auraient pu avoir, ne serait-ce qu'en montrant leur opposition avec la vie au front. On est loin d'un traitement comme celui de M. Cimino dans Voyage au bout de l’enfer (film cité par Eastwood), dont le propos principal était de montrer l’impact de la guerre sur la société. Mais il faut dire que, chez Eastwood, Chris Kyle est seul face à sa névrose quand, dans le Voyage, c'est la société dans son intégrité même qui est impactée par la guerre. American Sniper relate ces guerres lointaines où sont envoyés relativement peu d’hommes (Irak, Afghanistan) et qui ont un impact sur l’individu plus que sur l’ensemble de la société comme c’était le cas pour la guerre du Vietnam.

La dernière séquence est le moment qui permet à Eastwood de conclure sa réflexion, dans son dialogue avec John Ford. Il reprend en effet la réflexion de Liberty Valance, articulée autour de quelques questions clefs : qu’est-ce qu’un héros ? l’Histoire a-t-elle besoin de héros, fussent-ils fabriqués de toutes pièces ? Eastwood, en choisissant de montrer des images de télévision, réellement tournées lors des funérailles de Chris Kyle, indique bien que, quoi que l'on pense de Kyle (est-ce qu’il est un héros, ou un simple soldat, ou même un soldat particulièrement lâche parce qu’il tue ses ennemis à distance en restant caché ?), il montre bien que, de doute façon, Chris Kyle est une légende. Il fait aujourd’hui partie de la légende des soldats américains, quelle que soit sa légitimité, quel que soit le personnage derrière l’image, son cercueil est salué par les Américains.

On notera la belle citation de La Prisonnière du désert :



samedi 20 décembre 2014

Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County de C. Eastwood, 1995)




Exceptionnel mélodrame de C. Eastwood, très à l’aise loin des genres où on l’attend. Il explore un ton nouveau pour lui, mais il continue d’appliquer son classicisme, et avec quel talent !
Pourtant le script est très conventionnel. On est proche de Brève rencontre, dans une version plus moderne (encore que l’action principale – la rencontre – se déroule dans les années 60). On pense beaucoup à Sirk bien sûr, le grand maître des mélodrames hollywoodiens, à Tout ce que le ciel permet.
Meryl Streep est très simple, très juste, très touchante dans son désarroi, dans cet amour qui lui tombe dessus et dont elle ne sait que faire. Mais on sait ses qualités d’actrice. Clint Eastwood, en revanche, surprend : dans un rôle très sobre, il est parfait lui aussi, pour interpréter un baroudeur proche des images que l’on s’en fait (celui qui bourlingue et traverse le monde avec son appareil photo, sans attaches), mais il parvient à affiner cette image, à la modifier, jusqu’à la dernière scène où son personnage apparaît : l’image initiale qu’il représentait est alors définitivement balayée.


Bien sûr le film est centré sur la tristesse de Francesca qui reste avec son mari et ses enfants. Et Eastwood semble ne pas s’attarder sur ce que devient Robert Kincaid : il s’y arrête le temps d’une scène quand, sous la pluie, il voit Francesca passer en voiture, hésiter peut-être, mais ne pas descendre. Pourtant on comprend que Robert avait trouvé – mais qu’il n’a pas eu – ce qui lui manquait en ce monde et que, désormais, il ne sera plus un globe-trotter concentré sur ses photos, mais un homme seul à tout jamais. Cette façon de renvoyer les deux partenaires dos à dos est déchirante.
La scène clef – le premier mouvement physique de l’un vers l’autre – est d’une justesse confondante, quand Francesca, debout, au téléphone, remet machinalement le col de Robert assis à côté d’elle, comme un geste anodin de tous les jours …


vendredi 7 juin 2013

Josey Wales hors-la-loi (The Outlaw Josey Wales de C. Eastwood, 1976)




Très bon film de Clint Eastwood, qui tord le cou à l’idée selon laquelle il est devenu un grand réalisateur sur le tard (Josey Wales date de 1972) et qui parvient à dynamiser un genre alors en plein expectative.
Eastwood aborde le thème fordien par excellence, celui de la constitution d’une communauté. Au sortir de la guerre de Sécession, l’unité de la Nation était à construire et la férocité violente des combats ne s’efface pas si facilement. Eastwood part d’un personnage sudiste, dont les siens ont été massacrés par des Nordistes. Et il aborde avec efficacité et intelligence la question de l’intégration dans l’Union des soldats vaincus, et, avec eux, de ce melting-pot d’origine variée qui peine à s’agglomérer en un tout. En ajoutant à cela la question des Indiens, Eastwood fait le tour de la question de la coexistence dans une même nation de communautés diverses.
Formellement Eastwood commence à installer son propre style, loin de son premier mentor italien et plus proche des classiques américains, sans manichéisme, avec une attention à toute sorte de personnages et de situations. On voit déjà combien Eastwood commence à discuter avec Ford, dialogue qu’il poursuivra tout au long de sa carrière.