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vendredi 28 décembre 2018

The Truman Show (P. Weir, 1998)




Film remarquable et surprenant de Peter Weir (1) qui commence comme un soap opera un peu niais, évoquant une quelconque série télé, avant de se fissurer progressivement et de faire éclater en lambeaux le monde qu’il présentait.
C’est que Truman, tout à sa petite vie tranquille, fait en réalité l’objet d’un show à son insu, avec les Dieux de la télé qui l’érigent en star. Non seulement il est filmé, mais c’est toute sa vie et tout son monde qui sont des illusions (2).
The Truman Show, alors, l’air de rien, aborde brillamment des questions fondamentales sur la vie en société.

Le film propose d'abord, rapidement, une double dénonciation. D’une part celle, un peu facile, des médias, de la télé-réalité et du jusqu’au-boutisme de la recherche d'audimat. D’autre part celle d’un monde façonné de toutes pièces par des élites (représentées ici par les producteurs de l’émission et autre directeurs de programmes) qui construisent un monde faux pour de pauvres décérébrés consuméristes. Le but étant, au choix, de les maintenir sous contrôle ou d’en faire de gentils petits consommateurs bien dociles. On a là une critique assez simple de la société de consommation.



Mais le film, au fur et à mesure que Truman prend conscience de ce qui se joue, aborde d’autres questions, autrement plus fines.
La petite ville de Seahaven, en n’étant pas la réalité mais simplement une illusion de la réalité, est une belle image de l’allégorie de la caverne de Platon : la ville – comme la caverne – maintient Truman dans l’illusion et, ce faisant, dans l’ignorance. Sa volonté de s’échapper de la ville correspond alors à l’homme qui quitte la caverne, s’échappe de l’ombre et cherche la lumière.
Il n’y a, dans la petite ville, que des acteurs autour de Truman (3), chacun portant un masque sauf Truman qui, lui, est sincère (d’ailleurs Christof le lui dit au moment où il lui parle : « tout n’est pas illusion, puisque tu es réel »). Dès lors Truman est un homme dans la caverne, perdu parmi les ombres. C’est là qu’est la discordance, d’ailleurs, lorsque Truman se rend compte qu’il est le seul sincère. La petite ville devient aussitôt étouffante, avec l’artifice de l’illusion qui lui saute au visage à chaque pas. Le film nous questionne alors : ne sommes-nous tous hors de la réalité, dans une société qui nous emprisonne, nous empêche d’être éclairés ? Ou, pour le dire autrement : au sein de la société, comment enlever son masque ?

La fin du film (4) mène à une dernière question tout aussi cruciale : Truman ignore ce qu’il trouvera en sortant du monde dans lequel il vit depuis toujours. Et le film ne nous dit rien de sa vie future (sera-t-il plus heureux qu’au début du film, quand il vivait dans l’illusion ?). Autrement dit le film évoque une dernière interrogation : est-on prêt à payer le prix de la perte d’illusion ? Est-on prêt à perdre le bonheur pour la vérité ? Préfère-t-on le bonheur ou la vérité ?
L’hypothèse du film est bien entendu que l’illusion du bonheur ne suffit pas : il faut, pour être heureux, que l’on soit convaincu qu’il s’agisse d’une vérité. On ne sait pas si Truman sera heureux dans le monde dans lequel il s’engouffre, mais qu’importe, puisqu’il ne vivra plus dans une illusion. Ni la vérité, ni la liberté ne garantissent rien.



Truman est salué par les spectateurs : sa quête est vue comme noble et courageuse, son action héroïque. Le film, alors, en nous identifiant à Truman, trace une route à suivre : il nous montre que nous sommes réels – même dans une société d’illusion – et il nous invite à lutter pour enlever notre masque et nous libérer, comme le fait Truman. Cette libération n’amenant pas forcément au bonheur, mais à la fin des illusions.

Si, par sa dénonciation d’une americana un peu niaise et propre sur elle, le film évoque Edward aux mains d’argent, on retrouve dans Matrix le même questionnement décisif à propos du prix de la perte des illusions. C'est la question symbolisée par la fameuse pilule rouge que Morpheus soumet à Neo.



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(1) : Peter Weir dont il faut souligner la grande variété des films. On trouvera peu de points communs, aussi bien en terme de sujet que de style, entre The Truman Show et Pique-nique à Hanging Rock par exemple, lui-même très différent du Cercle des poètes disparus.
(2) : On peut trouver des prémices à ce scénario dans l'épisode de La Quatrième dimension « Un monde différent », qui évoque le mélange entre la réalité et la scène, avec un acteur qui continue de l’être hors de la scène, ou peut-être est-ce le contraire.
(3) : On retrouve l’idée de Shakespeare (dans As You Like It) : « Le monde entier est une scène, hommes et femmes n’y sont que des acteurs, chacun fait ses entrées, chacun fait ses sorties, et un homme, dans le cours de sa vie, joue plusieurs rôles ».
(4) : Le moment où Truman s’échappe et que la tempête se déchaîne évoque le livre de Job. La dimension divine de Christof devient alors particulièrement nette.

jeudi 1 juin 2017

Le Cercle des poètes disparus (Dead Poets Society de P. Weir, 1989)




Très intéressant film de Peter Weir, au sentimentalisme sans doute trop marqué mais néanmoins remarquable sur plusieurs aspects.
On retient évidemment le rôle charismatique du professeur Keating (Robin Williams gagne ici ses galons de star), qui grimpe sur les tables, susurre le célèbre « carpe diem » à ses élèves et leur parle de poésie (1). On retient également les différents lycéens qui constituent autant de personnages sur lesquels se projeter. De façon très habile, de nombreux spectateurs vivront le film au travers de tel ou tel adolescent, chacun des membres du petit groupe ayant un profil bien à lui (Todd est timide et complexé, Neil passionné, Knox amoureux, Charlie transgressif, etc.). Le film, en parvenant à brosser une galerie d’adolescents et, surtout, à montrer l’influence diverse de Keating sur chacun d’eux, est une réussite.
On regrettera l’excès de sentimentalisme, que ce soit dans la mise en scène des amours naïves de Knox ou dans la dernière partie du film.



Mais l’essentiel du film (et des discussions qui ont trait à son sujet) porte sur le message que Keating fait passer à ses élèves.
En effet le public de Keating est bien jeune pour être capable, réellement, de comprendre profondément le sens de son message. Keating s’adresse à des esprits non encore formés, qui ne savent pas de quoi il retourne, et qui sont, dès lors, extrêmement influençables (Keating devenant d’ailleurs une sorte de gourou : le film montre l’ascendant que peut prendre un professeur qui n’y prend pas garde sur ses élèves).
Keating, ne doutant de rien, ambitionne rien moins que d’en faire des esprits libres. Or on ne peut guère concevoir d’esprit libre (2) – et la chose, encore, est-elle extrêmement hypothétique – que beaucoup plus tard, peut-être à partir de 25-30 ans, lorsque la tête construite se sera confrontée aux premières expériences de vie d’adulte. C’est de cette confrontation que peuvent naître des constructions intellectuelles personnelles. Il s’agira alors d’oser penser par soi-même (le sapere aude de Kant) pour arriver à construire sa propre pensée et, par-là, sa propre identité.
C’est là, sans doute, le message voulu par Keating (et par P. Weir), mais il s’adresse à des individus beaucoup trop jeunes, qui ne sont pas capables de ce recul intellectuel. Le collègue qui discute avec Keating et ironise sur l’âge des élèves est dans le vrai. D’autant plus que les lycéens sont ici au cœur d’études difficiles et très contraignantes. Carpe diem pour des adolescents ? Il n’est pas certain que la limite entre profiter et gaspiller soit bien cernée. Et il n’est pas certain non plus que des adolescents, si on leur laisse le choix, acceptent volontiers de différer de quelques années leur passion pour se concentrer sur des études astreignantes et se plonger dans d’austères livres de littérature ou de chimie. Le trait paraît alors bien trop grossi.
L’alternative évoquée par le film semble être soit de diriger, à marche forcée, un adolescent vers un destin prédéfini, soit de le laisser aller vers ses aspirations du moment : on peut aussi imaginer un entre-deux. On retrouve ici, exprimée de façon tragique, la confusion chez beaucoup d’adolescents entre la passion d’enfance (passion qui peut se poursuivre à l’âge adulte) et le métier que l’on fera plus tard. L’un et l’autre peuvent tout à fait être dissociés. Mais ni Neil, ni son père ne l’entendent ainsi.

Cela dit il faut aussi s’interroger sur le sens profond du film de Weir. On sait qu’un film se déroulant dans un milieu bien déterminé et dans une situation bien précise (ici des adolescents dans une école privée élitiste) est toujours une métaphore de la société en général. Et c’est seulement si l’on prend le film tel qu’il se présente, c’est-à-dire non pas comme une métaphore de la société mais bien comme une réflexion sur l’éducation, que la portée du message devient beaucoup plus discutable.
Mais, pris dans le sens métaphorique, le message porté par le film (avoir un esprit libre) est tout à fait pertinent et salvateur. On comprend alors le trait forcé (le père rigoriste, le fils brillant qui veut tout plaquer pour faire du théâtre). C’est ainsi qu’il faut voir le film comme une métaphore de la société davantage que comme une prise de position sur l’éducation.
Dans ce sens, on remarquera de nombreuses similitudes avec Vol au-dessus d’un nid de coucou. Même main de fer qui tient un groupe humain, même personnification de l’intransigeance (ici l’infirmière Ratched, là le père de Neil), même dissonance d’un personnage (McMurphy pour l’un, Keating pour l’autre), même impact de ce personnage sur les autres personnages, jusqu’à l’explosion du système (le suicide de Billy, le suicide de Neil), même réaction, ensuite, de l’institution (lobotomie de McMurphy, exclusion de Keating), même caution finale, malgré tout, pour McMurphy (Chef Bromden qui s’évade) et pour Keating (les élèves qui grimpent sur leurs tables).



On relèvera enfin la grande variété des films de Peter Weir – qualité rare – qui a réalisé des films aussi différents que Pique-nique à Hanging Rock, The Truman Show ou Le Cercle des poètes disparus.



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(1) : On retiendra, entre autres citations, les très belles phrases de H. D. Thoreau, qui servent de leitmotiv au Cercle : « Je partis dans les bois car je voulais vivre sans me hâter, vivre intensément et sucer toute la moelle secrète de la vie. Je voulais chasser tout ce qui dénaturait la vie, pour ne pas, au soir de la vieillesse, découvrir que je n'avais pas vécu ».

(2) : Rappelons le sens que Nietzsche donne à celui d’esprit libre (dans « Humain, trop humain ») : 
« On appelle esprit libre celui qui pense autrement qu'on ne s'y attend de sa part en raison de son origine, de son milieu, de son état et de sa fonction, ou en raison des opinions régnantes de son temps. Il est l'exception, les esprits asservis sont la règle. Ce que ceux-ci lui reprochent, c'est que ses libres principes, ou bien ont leur source dans le désir de surprendre ou bien permettent de conclure à des actes libres, c'est-à-dire de ceux qui sont inconciliables avec la morale asservie. »