vendredi 30 août 2019

La Poupée (Die puppe de E. Lubitsch, 1919)




Étonnant film de Ernst Lubitsch, construit comme un conte romantico-fantastique, et empreint de liberté et de fantaisie.
Lubitsch s’amuse, il plante lui-même le décor dans un prologue étonnant et ne cesse, ensuite, de jouer avec ces décors, donnant des allures de théâtre, parfois, à son film.
Les personnages sont tous assez ridicules (et assez mal joués, il faut bien le dire), sauf la poupée elle-même, qui est, dans un joli paradoxe, vivante, pétillante et légère (avec l’actrice Ossi Oswalda, que Lubitsch a plusieurs fois utilisée dans cette période allemande).
Derrière une intrigue un peu farfelue (il y a même des courses poursuites que l'on retrouvera dans le Buster Keaton de Fiancées en folies), Lubitsch égratigne en passant la bourgeoisie et éreinte le clergé.
Et l'on trouve déjà, dans ce vieux film muet, bien des éléments que l’on retrouvera dans les comédies américaines du réalisateur, notamment cette fraîcheur, cette ironie constante ou ce jeu de faux-semblants.


mercredi 28 août 2019

Liebelei (M. Ophüls, 1933)




À défaut de déployer son style si fluide et tout en mouvement – style qu’il déploiera dans ces films d’après-guerre – Max Ophüls développe dans ce très bon Liebelei ses thèmes favoris. Le film mélange alors très habilement la frivolité et la gravité, l’honneur et la légèreté. Il se déroule dans un milieu d’aristocratie militaire qui entremêle des officiers guindés avec des femmes plus libérées et insouciantes.

Le film mène à un duel final, élément clef que l’on retrouvera dans les deux grands chefs d’œuvre d’Ophüls – Lettre d’une inconnue et Madame de… –, et qui produit une très grande tension dramatique.

lundi 26 août 2019

Happy Together (Cheun Gwong Tsa Sit de Wong kar-wai, 1997)





Plus que l’histoire des deux amants (qui se séparent, se retrouvent, se perdent, etc.), c’est bien sûr l’esthétique du film qui en fait son principal intérêt. Wong Kar-wai, on le sait, c’est d’abord un style et une manière de regarder le monde. Son travail de l’image et du cadre est permanent et il joue constamment d’accélérations, de ralentis, de moments de pause ou d’arrêt. Et l’on passe de ses habituelles voix-off à des disputes, de couleurs sépias à des noirs et blancs magnifiques, de flashes colorés à des éclats de couleurs passées. Tantôt la caméra se fige dans le coin d’une pièce, tantôt elle suit les personnages, les accompagnant doucement ou les laissant s’éloigner dans la profondeur du champ.
Sans tomber dans le maniérisme (qui semble confiné, dans sa filmographie, aux Cendres du temps), Wong Kar-wai joue, innove et surprend sans cesse. Certaines séquences et certains enchaînements sont d’une beauté fulgurante.


La promiscuité physique des amants homosexuels est remarquablement filmée, non pas tant au niveau sexuel (même si l’ouverture du film donne le ton d'une sensualité qui imprègne tout le film) mais davantage encore dans cette vie dans l’appartement minuscule ou lorsque Lai Yiu-fai s’occupe de Ho Po-wing blessé, dans ces cadres serrés, dans le jeu avec les espaces.

Et, au-delà de l’histoire de Lai et Ho, on retrouve dans Happy Together des motifs typiques de Wong Kar-wai, avec ce ton de solitude, de rendez-vous manqués, d’attente. On retrouvera d'ailleurs directement plusieurs séquences du film dans le curieux road-movie My Blueberry NightsHappy Together est lui aussi, à sa façon, un road-movie inachevé, qui tourne sur lui-même, ramenant le personnage principal à son point de départ et l’incitant peut-être à repartir.
Et le choix de laisser le film en suspens, dans une fin très ouverte, est aussi tout à fait habituel – et magnifique – chez le réalisateur.



vendredi 23 août 2019

Miquette et sa mère (H.- G. Clouzot, 1950)



Avec Miquette et sa mère, Clouzot s’essaye à la comédie. Le moins que l’on puisse dire est qu’il a bien fait de ne pas insister et de revenir ensuite vers son genre favori (le thriller noir ; Clouzot enchaînera après ce film avec Le Salaire de la peur et Les Diaboliques).
Les personnages – tous très caricaturaux et superficiels – sont embarqués dans une histoire assez farfelue. Jouvet cabotine (avec talent) et Bourvil est cantonné à son rôle de benêt. À la façon du théâtre – avec lequel il entretient des liens étroits – le film se permet de nombreuses adresses au spectateur (avec également un beau salut final) et de nombreux intertitres, amusants hommages au muet. Quelques séquences et quelques réparties sont drôles : elles font partie des extraits des pièces jouées par la petite troupe.


Il faut noter, malgré tout, que si Miquette et sa mère est largement oubliable, il a une importance dans l’histoire du cinéma puisque c’est sur son tournage que Clouzot rencontra sa future femme Vera, qui sera actrice dans ses trois films suivants.


mercredi 21 août 2019

Klute (A. J. Pakula, 1971)




Dans cette décennie 70 où Hollywood revisite son cinéma, Klute apparaît un peu comme une version seventies des films noirs des années quarante.
Alan Pakula se désintéresse quelque peu de l’intrigue qui devient vite secondaire et se fixe sur ses personnages, qu’il enferme progressivement dans une atmosphère pesante, paranoïaque et confuse. Les cadrages travaillés et oppressants et l’image très sombre appuient cet enfermement.
Le film décrit un univers mental, autour de l’étrange personnage de Klute (très bon Donald Sutherland), un peu absent, taiseux, et qui se raccroche à la seule personne à même de l’aider dans son enquête, Bree, la prostituée (Jane Fonda, à l’époque sans doute très moderne, mais dont le personnage apparaît très daté aujourd’hui). Et Bree, que Pakula filme longuement en train de se confier à sa psychanalyste et qui veut sans cesse tout maitriser dans son rapport aux hommes, s’en remet finalement à ce Klute qui l’absorbe peu à peu et avec lequel elle parvient à s’abandonner.


Le film tourne autour de thèmes à la mode (ici la libération sexuelle) et s’enfonce, à partir de ce sujet trouble, jusque dans la noirceur des âmes.
Et – second thème qui se développe peu à peu et prend progressivement toute la place – la vie privée (et notamment sexuelle) est épiée et, enregistrée jusque dans ses moindres détails, elle devient un moyen de contrôle et, donc, de pouvoir. Pakula n’hésite pas à rester de longs moments à écouter les bandes sonores qui défilent. Cette surveillance quasi paranoïaque annonce d'ailleurs Conversation secrète.
C’est ainsi qu’à partir d’un thème social, Pakula dérive vers une connotation plus politique, sujet qui occupera largement ses prochains films (notamment À cause d’un assassinat et Les Hommes du président).



lundi 19 août 2019

Monsieur Vincent (M. Cloche, 1947)




Le film de Maurice Cloche, de facture assez classique, est traversé par l'interprétation exceptionnelle de Pierre Fresnay. Il compose un Vincent de Paul extraordinaire de dévouement et de volonté. Le visage de l’acteur, son phrasé si typique, sa démarche humble mais déterminée, tout concourt à peindre un personnage hors du commun, mu par une relation intime à Dieu. Le film est aussi porté par de très bons dialogues, avec notamment une tirade finale qui clôt magnifiquement – et sobrement – le film.



On peut rapprocher Monsieur Vincent du Chant de Bernadette de Henry King (mais qui se disperse au milieu de différents personnages et ne bénéficie pas de la même qualité d’interprétation) ou du très beau Thérèse de Alain Cavalier qui va beaucoup plus loin en épurant complètement son film pour signifier la grâce qui habitait Thérèse (et qui bénéficie là aussi d’une actrice lumineuse).


samedi 17 août 2019

Chasse à l'homme (Hard Target de J. Woo, 1993)

 



Il n’était guère besoin pour John Woo de traverser le Pacifique et de débarquer à Hollywood pour réaliser un film pareil. Le réalisateur bifurque largement de sa ligne violente, maniériste et esthétisante du Syndicat du crime ou de The Killer. Cela dit, dans ses derniers films hongkongais, il avait déjà bifurqué depuis quelques temps...
Jean-Claude Van Damme est très pénible en surjouant constamment le registre du « bad boy fort en karaté et bon cœur derrière une apparence placide » et les autres personnages n’ont pas plus d’intérêt : ils ont été vus et revus cent fois et ils sont tous des caricatures sans âme. Le scénario est quant à lui tout à fait stupide.
Si le film cherche l’originalité (en filmant à La Nouvelle-Orléans ou encore en choisissant un étrange dépôt rempli de marionnettes et de chars de carnavals pour la scène finale), ce lourd pensum bête et méchant – qui est un lointain avatar, abâtardi par mille défauts, des Chasses du comte Zaroff – annonce la carrière américaine de John Woo, qui sera bien décevante.




vendredi 16 août 2019

Wild Boys of the Road (W. Wellman, 1932)




Très bon film de William Wellman, nerveux et sec, construit avec énergie et qui nous emmène sur les routes de l’Amérique des années 30, bringuebalant sa cohorte de paumés rejetés sur les routes.
Wild Boys of the Road constitue un road-movie sans but et sans guère d’espoir, où une communauté de jeunes hobos est confrontée au délaissement, à la pauvreté et à la violence des autorités. Le film, emmené par un trio de personnages (duquel émerge le très bon Frankie Darro), est parfois très sombre (l’accident de Tommy, le viol de Sally). Et l’on reste surpris par la fin pleine d’espoir (mais qui est assez typique de la Warner) et qui constitue un happy-end somme toute assez artificiel.


On trouve une descendance à ce film jusque dans les années 70, quand Aldrich (dans L’Empereur du Nord) ou encore Scorsese (avec Bertha Boxcar) retravailleront ces motifs typiques de la Grande Dépression au cinéma.


lundi 12 août 2019

Remous (E. T. Gréville, 1934)




Étonnant et très beau film de Edmond T. Gréville, qui, dans un style très personnel, surprend d’abord par le thème abordé : Remous est en effet entièrement centré sur l'impuissance sexuelle d'un mari après un accident et sur la tentation physique de sa femme. Le film, alors, fixe droit dans les yeux l’opposition entre Henry, le mari qui sent sa femme Jeanne lui échapper, et le désir puissant qui anime Jeanne, partagée entre cette pulsion et son amour pour Henry. L’idée du barrage que construit l’ingénieur paralytique et qui doit interrompre le flot de l’eau est d’ailleurs tout à fait symbolique de ce qui se joue.
Le style de Gréville est dans les jeux d’images qu’il emploie – bien plus que le recours aux dialogues – pour exprimer les pensées ou l’inconscient de ses personnages. Si l'insert à plusieurs reprises de remous est très conventionnel et assez peu efficace, en revanche Gréville brille dans d’autres séquences où il parvient à exprimer les sentiments des personnages, que ce soit par des gros plans intenses ou bien par des collages et des juxtapositions d’images, qui sont parfois presque surréalistes et étonnamment modernes et variés. On pense aussi à la magnifique séquence muette lorsque Henry va voir Robert Vanier, l'amant, et que, découvrant les deux verres utilisés et le divan défait, il repart sans un mot.


La fin est magnifiquement tragique puisque le suicide du mari ne saurait rapprocher la femme de l'amant : bien au contraire, elle ne peut que rester seule – elle est désormais liée à jamais à son mari – et quitte son amant, là encore sans une parole.

vendredi 9 août 2019

L'Eventail de Lady Windermere (Lady Windermere's Fan de E. Lubitsch, 1925)




Ce beau film muet constitue un magnifique exemple du talent de Ernst Lubitsch, avant qu'il n'emmène son univers vers le ton de comédie fine et précieuse qui sera sa signature. Ici Lubitsch prend ses personnage et leur univers au sérieux et construit un très beau personnage (Lady Erlynne), magnifique de solitude et de sacrifice.
Tout le film est centré autour de la connaissance parfaite par le spectateur des enjeux et de la réalité de ce qui se trame, tandis que les différents protagonistes, eux, croient seulement savoir mais ne savent pas tout : s’arrêtant à quelques détails (Lord Darlington voyant une lettre est persuadé que Lord Windermere trompe sa femme avec Lady Erlynne) ou s’arrêtant aux choses visibles (Lady Windermere qui se méprend sur la personne qui courtise Lady Erlynne et qui en déduit que c’est son mari). Il n’y a que le spectateur qui comprend et qui voit les personnages se méprendre, s’enfoncer dans leurs erreurs, prêter oreille aux ragots.
Chacun est pourtant tout à fait sincère et n’a nulle légèreté. Lubitsch l'exprime magnifiquement, par exemple dans ce très beau plan où Lord Darlington, après avoir avoué son amour pour Lady Windermere, s’éloigne d’elle – il sait son amour impossible – en même temps que la caméra dézoome et isole les deux personnages dans la gigantesque pièce.

Et l'éventail du titre revêt successivement – et très rapidement – plusieurs fonctions : c'est un cadeau, qui devient ensuite une arme, puis un indice de culpabilité et, enfin, un signe de sacrifice. Ce traitement magnifique signe la virtuosité du réalisateur qui, en quelques scènes, en quelques plans, joue avec l'éventail et le place au cœur du jeu social.
La toute fin, bien sûr, se permet un quiproquo délicieux sans lequel Lubitsch ne serait pas tout à fait Lubitsch.



mardi 6 août 2019

Cargaison dangereuse (The Wreck of the Mary Deare de M. Anderson, 1959)




Si le film commence de façon assez originale (à bord d'un cargo en perdition qui menace de s'échouer), il retombe ensuite dans des schémas connus (le capitaine que tout semble accuser, un second à la solde des assureurs qui ont monté un sale coup, un procès mal embarqué, etc.). La réalisation, elle, ne prend guère de risques et reste très conventionnelle.
Mais Cargaison dangereuse vaut surtout pour la présence conjointe de Gary Cooper (dans son avant-dernier film) et de Charlton Heston, que l'on prend plaisir à voir. Gary Cooper, notamment, campe parfaitement le capitaine abandonné par son équipage et dont le spectateur doute dans un premier temps de l'intégrité. C'est que la présence de deux stars sème un doute chez le spectateur : si le personnage joué par Charlton Heston est incontestablement du bon côté, qu'en est-il du capitaine Gary Cooper ? Y a-t-il deux bons ou un bon et un méchant ? L'arrivée dans le champ du second (Richard Harris), détestable, lève le doute : voilà donc le méchant et le spectateur peut être rassuré, Gary Cooper est lui aussi du bon côté. La suite du film, alors, et malgré le charisme de Gary Cooper, réserve peu de surprises.


samedi 3 août 2019

Le Déjeuner sur l'herbe (J. Renoir, 1959)




Avec cette comédie légère et aux personnages inintéressants (tous caricaturaux, monolithiques, certains tout à fait bébêtes), Jean Renoir semble bien loin de ses films d'avant-guerre. Non pas tant par le ton du film – puisqu'il y a souvent eu de la comédie chez Renoir, même dans ses drames les plus sombres – mais par cet aspect outrancier qui réduit considérablement l'épaisseur du film.
Paul Meurisse, par exemple, par ailleurs si grand acteur, parvient à grand peine à faire tenir debout son personnage, sans cesse excessif et fatigant, aussi bien dans ses pensées que dans ses manières, et qui va évoluer (si l'on veut) de façon attendue et sans grande finesse. Et assumer l'excès d'un personnage ne le rend pas plus léger pour autant.
La comédie file alors rapidement vers la farce, mais on sent combien les choses sont laborieuses et l'on n'est guère passionné par les aventures de ce professeur engoncé dans ses principes, qui s'éprend d'une petite paysanne fraîche et vive.
Renoir reste donc ici dans la veine comique  celle d'Eléna et les hommes, son film précédent   et qui, quand elle est assumée pleinement au lieu d'être mêlée à d'autres tons et à d'autres propos, ne lui réussit guère.

jeudi 1 août 2019

James Bond 007 contre Dr No (Dr. No de T. Young, 1962)




Le premier volet de la série est peut-être le plus réussi. Il propose en tous les cas le cocktail qui fera le succès du personnage : une décontraction stylée et pleine de charme, des smokings, des jolies filles, de l’exotisme, de l’action, un méchant avec sa base secrète haute technologie et ses projets ignominieux. Il ne manque que les séquences prégénériques, davantage de gadgets et une Aston Martin pour que tous les codes de la série soient installés.
Sean Connery a complètement saisi la substance du personnage et construit son mythe sous nos yeux.



Bien sûr l’ambiance est un peu kitsch (Sean Connery qui chante sur la plage auprès d’Ursula Andress) mais on comprend que, amorcée par un tel film, la sauce ait pu prendre et que, film après film, James Bond, malgré un certain nombre d’épisodes bien décevants, soit devenu le mythe cinématographique qu’il est devenu.