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jeudi 29 mai 2025

Snake Eyes (Dangerous Game de A. Ferrara, 1993)

 




Mise en abyme complexe, Dangerous Game évoque le tournage d’un film par le réalisateur Eddie Israel (impeccable Harvey Keitel, à la fois habité et fébrile, comme il sait si bien le jouer) dont le sujet est la rupture complexe d’un couple. Madonna est très bien aussi dans le rôle de cette actrice paumée qui fait ce qu’elle peut, coincée entre les foudres de son partenaire et le réalisateur.
La situation, les acteurs, le tournage puis le tournage dans le tournage s’entremêlent et tendent un miroir à Ferrara avec Eddie qui est son alter-ego. Ferrara montre ainsi combien sa réalisation est imbriquée dans sa vie. Il ne voit pas son métier comme un technicien ou un artisan mais bien comme un artiste, rejoignant là une position très peu américaine (où le réalisateur n’est qu’un maillon d’une chaîne) mais bien plus européenne (la politique des auteurs chère à la Nouvelle Vague). Un film, nous dit Ferrara, est la création d’un créateur.
Mais Ferrara montre aussi combien les acteurs eux-mêmes confondent ce qu’ils sont avec leurs personnages, en une fusion où le cinéma et la vie, finalement, ne font qu’un. « Le cinéma est plus important que la vie » disait Truffaut dans La Nuit américaine, chez Ferrara l’un et l’autre se confondent. Et la fin très habile achève de convaincre le spectateur que si le tournage s’arrête, la folie qui se développait sur le plateau, elle, ne s’arrête pas.


mercredi 29 avril 2020

Nos funérailles (The Funeral de A. Ferrara, 1996)




Il n’est certes pas facile de faire un film de mafia dans les années quatre-vingt-dix, d’autant plus un film qui se déroule dans les années trente (alors que les années trente sont une période souvent traitées dans les films des années soixante-dix) et, surtout, avec Coppola ou Scorsese dans le rétroviseur (1).
Le film, de prime abord, semble bien conventionnel, avec un frère d’une « famille » tué et les deux autres frères qui vont chercher à se venger. Mais ce n’est pas là ce qui intéresse le plus Abel Ferrara. Ce qu’il cherche à capter, c’est le destin qui enferme ses personnages, les coince, les oblige. Le film d’ailleurs, par sa lumière et sa construction autant que par cette implacabilité du destin qu’il met en avant, flirte avec le film noir.



C’est d’abord formellement que Ferrara emprisonne ses personnages : il s’approche sans cesse au plus près de la fratrie, n’ouvrant jamais le cadre, le resserrant, écrasant, refusant aux deux frères autre chose que les tourments de la contemplation du cadavre du troisième. Il n’y a pas de dehors pour les personnages, pas d’extérieur : ils sont enfermés dans un destin.
C’est par le montage, ensuite, que Ferrara enserre la famille dans une destinée. Il entremêle les moments, revient en arrière, met en image un souvenir, puis montre simplement une séquence du passé, revient au présent, saute à nouveau un moment en arrière, puis repart des années plus tôt, etc. La mise en scène de la mort du meurtrier de Johnny, suivie de celle de Johnny puis du plan où Ray remet la douille de sa première victime dans la poche du cadavre de Johnny exprime, en un raccourci, par un montage magnifique, toute l’histoire de la famille : la violence intrinsèque, la mort, la vengeance.
C’est par cette collusion des images, ces réunions de temporalités différentes et par la narration éclatée qui en découle que Ferrara traduit – bien plus que par l’histoire elle-même, somme toute assez banale – les liens inextricables qui unissent et condamnent les trois frères.



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(1) : L’affiche du film, d’ailleurs, évoque autant Le Parrain que Les Affranchis.


mercredi 20 novembre 2019

L'Ange de la vengeance (Ms .45 de A. Ferrara, 1981)





Film violent et volontiers outrancier d’Abel Ferrara, qui prend des allures étonnamment moderne (par-delà son outrance), avec ce récit construit autour de Thana qui, violée deux fois coup sur coup, se venge, ensuite, des hommes qui l’approchent. On a là une version féministe, « rape and revenge », d’Un justicier dans la ville de M. Winneroù Charles Bronson parcourait la ville et éliminait tous ceux qui l’agressaient. Ici c’est chaque homme qui devient un prédateur sexuel en puissance et qui, finalement, sous les coups vengeurs de Thana, va payer pour tous les autres.
La dénonciation de la concupiscence masculine est bien entendu forcée, de même que la fragilité de la jeune femme muette, qui trouve avec un revolver le moyen radical de se faire entendre.
Si la séquence finale – où Thana, déguisée en nonne, dégaine à tout va – est une sorte de raccourci des images provocantes et violentes qu’affectionne Ferrara, le film reste très en-dessous de son très bon Bad Lieutenant.



jeudi 15 février 2018

Body Snatchers, l'invasion continue (Body Snatchers de A. Ferrara, 1993)




Autre remake du film de Don Siegel – après celui de P. Kaufman en 1978 –, le film d’Abel Ferrara, s’il est intéressant, est nettement moins réussi que ses deux prédécesseurs.
Le film reprend la trame principale des Body Snatchers de 1956 mais en introduisant différents éléments, pas toujours bien vus ou très utiles.
Le film ne se déroule plus dans une petite ville lambda des Etats-Unis (comme chez Don Siegel) ni dans une grande ville (comme chez Kaufman), mais dans une base américaine. Cette modification permet d’apporter un élément intéressant en ce que le comportement des militaires, très stéréotypé, rend encore plus difficile le discernement de la frontière entre humains et répliques. En revanche elle illustre très mal le cœur de l’étrangeté de ce qui se déroule (le fameux « ma mère n’est plus ma mère » ; « mon voisin n’est plus mon voisin »). Et, en suivant les pas d’une famille nouvellement arrivée dans la base, Ferrara renonce à l'une des grandes forces du film de Kaufman, qui était le regard sur un groupe d’amis confrontés à l’invasion. La séquence dans l’école (où tous les enfants – sauf un – font le même dessin), est en revanche très bien vue. Il rappelle des séquences du Village des damnés de W. Rilla.
En revanche l’aspect « sleep no more » est très éclipsé. Et la fin semble bien plus conventionnelle (malgré la révélation que le jeune Andy n’est plus humain) et bien moins forte et pessimiste que chez Kaufman.



Si le film peut surprendre ceux qui ne connaissent pas les versions précédentes, il laissera clairement sur leur faim ceux qui venaient découvrir une version réellement revigorante.
Il n’en reste pas moins que Ferrara a tout à fait raison lorsqu’il explique, dans une interview, que ce film devrait être refait tous les ans, tant son scénario – le terrible « sleep no more » – s’accorde à la disparition de la substance de l’humanité (les émotions et les rapports humains), disparition qui semble bien souvent guetter les sociétés occidentales.


mercredi 27 décembre 2017

Bad Lieutenant (A. Ferrara, 1992)




Ferrara filme la plongée d’un homme progressivement détruit, vidé et qui va au bout de son parcours, en portant une croix dont il sait très bien qu’elle va le briser. Le lieutenant erre dans New York, ville de tous les péchés, déjà filmée sous cet angle si souvent (on pense inévitablement, avec cet univers réaliste, empli de drogues et de violence, à Taxi Driver) et qui apparaît ici comme le creuset de tous les vices, où les hommes sont corrompus, dans un sens biblique. Loin de faire régner la loi en suivant les lois il bricole, s’arrange, revend la drogue sur laquelle il met la main, fait des paris sans fin. Harvey Keitel à la fois massif et perdu, colérique et fragile, donne une dimension iconique à ce personnage pourri et drogué qui vole vers sa rédemption.
La descente aux enfers du lieutenant est filmée par Ferrara avec une dimension mystique. Aux côté de la nonne – qui pardonne à ses agresseurs – il se sacrifiera pour des criminels, acquérant une dimension christique, relayée par plusieurs indices de mise en scène (cette dimension rejoint là aussi Scorsese).



Tout au fond du gouffre dans lequel il croupit, le lieutenant est touché par la grâce, par laquelle il sauvera non pas son corps, trop longtemps enseveli sous les péchés, mais, sans doute, son âme.



lundi 1 août 2016

Welcome to New York (A. Ferrara, 2014)




Alors que le film reprend les grandes lignes de l’affaire DSK (présentation du personnage orgiaque, agression à l’hôtel, arrestation, passage en prison, libération sous caution dans une maison de New York, explications avec sa femme), l'histoire, au départ convenue et manquant de surprise, prend une direction étonnante, surtout du fait de l’interprétation qu’en fait Gérard Depardieu.
Le film dépeint en effet un personnage de plus en plus différent de l’image que l’on a de DSK (image peu flatteuse s’il en est) et de ce que laisse supposer le début du film. Progressivement, on aperçoit un Devereaux (patronyme du personnage haut placé et potentiel futur président de la France qui voit tout s’écrouler après son agression d’une femme de ménage à New York) complètement dépassé par sa maladie (c’est ainsi qu’il décrit sa propension à sauter sur toutes les femmes qu’il croise) et qui n’existe pas en lui-même : c’est sa femme qui a de grandes ambitions pour lui (il est sa chose, il sert son beau projet). C’est elle qui a l’argent, les relations, l’ambition. Elle manipule et œuvre en coulisse et lui se laisse porter.
C’est ainsi que Depardieu construit un Devereaux qui ne se bat pas. Non pas sur le plan judiciaire (il veut éviter la prison) mais sur le plan de son avenir professionnel (peu lui importe que la course à la présidence lui soit interdite) et de ce qu’il est et risque de devenir (un monstre paria). Depardieu apparaît très à l’aise avec son corps obèse (il se montre tout à fait nu dans la séquence de la prison), il souffle quand il faut se lever et geint quand il faut se baisser pour enfiler ses chaussettes. Et il parvient à sortir Devereaux de la caricature (entre des rapports sexuels rapides et à grands renforts de grognements, il vit une étonnante relation, douce et tendre, avec une jeune juriste), et on comprend que Devereaux, détesté par les uns, manipulé par sa femme, soumis à sa "maladie", ne souhaite pas être sauvé. Devereaux rejette le monde, alors que peut bien lui faire que le monde le rejette ? On sort alors du simple biopic sur DSK en allant vers un personnage beaucoup plus romanesque et qui doit beaucoup à Ferrara et Depardieu.

A noter le très bon regard final de Depardieu, qui, à la fois, condamne complètement son personnage et interpelle le spectateur, quant à son désir d’avoir voulu voir le film.