dimanche 31 décembre 2017

La Dernière fanfare (The Last Hurrah de J. Ford, 1958)




La Dernière fanfare fait partie de cette série de films qui annonce la fin de la carrière de John Ford, en ce sens qu’il met en scène un héros résolument tourné vers le passé.
Ici on suit la campagne électorale de Skeffington pour sa réélection en tant que maire. Ford reprend un thème habituel chez lui (le rapport du héros à sa communauté) et un univers qu’il connaît bien. Dans une histoire très politique (sujet que Ford aborde rarement aussi frontalement et le film évoque en ce sens la fin de Vers sa destinée), Ford introduit de nombreux éléments typiques de son univers : des moments pittoresques, des personnages hauts en couleurs, etc. Il utilise ici de nombreux seconds rôles qu’il connaît bien (Jeffrey Hunter, John Carradine, Donald Crisp) et organise le tout autour de Spencer Tracy, magnifique (comme toujours), qui est le relais de Ford à l’image.
C’est qu’il y a évidemment beaucoup de Ford dans Skeffington, aussi bien dans son origine (Skeffington est irlandais, il est issu d’une famille modeste), dans sa trajectoire (il est respecté par ses pairs et par la communauté), que dans son rapport au temps (Skeffington, comme Ford, est un homme tourné vers le passé, avec sa carrière derrière lui). Il tente une dernière réélection, alors qu’il devrait laisser la place. Ce personnage rappelle Nathan Brittles, dans La Charge héroïque, qui, tout au long du film, retarde le moment de partir en retraite.



Et la défaite-surprise de Skeffington signifie, fatalement, pour celui qui recevait chaque jour les doléances individuelles d’une cohorte de citoyens, le retrait de la communauté et donc, symboliquement, la mort. Le personnage était apparu jusqu'alors sympathique mais aussi habile manipulateur, n’hésitant pas à user de chantage pour parvenir à ses fins : sa beauté tient alors dans l'acceptation immédiate de son échec. Car si ses collaborateurs sont catastrophés, lui est apaisé, il part en comprenant ce qui s’achève. Et s’il est terrassé par une crise cardiaque – qui lui laissera néanmoins le temps de dire un au revoir apaisé au monde autour de lui – ce n’est pas tant par le choc et la surprise de la défaite que par l’inéluctable fin de vie que signifie la fin de son mandat.



vendredi 29 décembre 2017

Les Gens de la pluie (The Rain People de F. F. Coppola, 1969)




Avant d’être sacralisé par Le Parrain, Coppola faisait partie, au milieu de nombreux autres (de Martin Scorsese à William Friedkin en passant par George Lucas), de ces jeunes réalisateurs du Nouvel Hollywood qui tournaient en marge des grands studios, avec trois francs six sous et qui ont ainsi filmé une Amérique que les majors ne montraient pas.
Ici Coppola part sur la route, avec une petite équipe technique à travers les États-Unis (il traverse ainsi dix-huit états en dix-huit semaines).
Natalie (Shirley Knight), à peine enceinte, décide de prendre la route, un peu pour prendre du recul par rapport à son mari et surtout sans raison réelle. Elle rencontre un auto-stoppeur simple d’esprit (James Caan) et une amitié se noue, faite de contradiction, de douceur, de rejet.


Suivant les thèmes de la période, le film rejette les vies toutes tracées et confortables de l’American way of life et montre une Amérique paumée et délaissée, en marge de l’image des classes moyennes au chaud dans leurs pavillons.

Si Coppola improvise en partie le scénario, sa technique est déjà impeccable, avec des scènes très travaillées (la première nuit dans le motel avec Killer et Natalie) où il tamise les lumières, fait jaillir sa caméra, joue avec les flash-backs. La fin surprend, par sa sécheresse et son incomplétude.

mercredi 27 décembre 2017

Bad Lieutenant (A. Ferrara, 1992)




Ferrara filme la plongée d’un homme progressivement détruit, vidé et qui va au bout de son parcours, en portant une croix dont il sait très bien qu’elle va le briser. Le lieutenant erre dans New York, ville de tous les péchés, déjà filmée sous cet angle si souvent (on pense inévitablement, avec cet univers réaliste, empli de drogues et de violence, à Taxi Driver) et qui apparaît ici comme le creuset de tous les vices, où les hommes sont corrompus, dans un sens biblique. Loin de faire régner la loi en suivant les lois il bricole, s’arrange, revend la drogue sur laquelle il met la main, fait des paris sans fin. Harvey Keitel à la fois massif et perdu, colérique et fragile, donne une dimension iconique à ce personnage pourri et drogué qui vole vers sa rédemption.
La descente aux enfers du lieutenant est filmée par Ferrara avec une dimension mystique. Aux côté de la nonne – qui pardonne à ses agresseurs – il se sacrifiera pour des criminels, acquérant une dimension christique, relayée par plusieurs indices de mise en scène (cette dimension rejoint là aussi Scorsese).



Tout au fond du gouffre dans lequel il croupit, le lieutenant est touché par la grâce, par laquelle il sauvera non pas son corps, trop longtemps enseveli sous les péchés, mais, sans doute, son âme.



samedi 23 décembre 2017

Folies de femmes (Foolish Wives de E. von Stroheim, 1922)




Le film est à la démesure de Stroheim : un tournage monstre, sur une durée de près d’un an (au lieu d’une dizaine de semaines comme prévu), de gigantesques décors (la reconstitution grandeur nature, dans les studios d’Universal, de la place centrale de Monte Carlo) et des milliers de figurants. Folies de femmes, tel qu’il apparaît aujourd’hui, est largement mutilé – comme tant d’œuvres du réalisateur – et il est bien difficile de discuter du rythme, de l’équilibre du film ou même du scénario. Le film, d’une durée de plus de 8 heures, à coup de coupes successives, est visible aujourd’hui dans un format de 2 heures 20.


Le propos néanmoins garde toute sa force : le film met en scène toute la dépravation de la haute bourgeoisie, avec un baroquisme à la hauteur de la décadence qu’il montre. Le faux comte Karamzin, avec ses calculs froids et cyniques, est le révélateur (dans le sens chimique du terme) de l’hypocrisie sociale. Le regard cru et naturaliste de Stroheim dépeint toute la fausseté de cette société avec une force inouïe pour l’époque et avec une morbidité teintée d’autodérision qui sont un terrible miroir – à la fois grossissant, déformant et sans concession – jeté à la figure du spectateur.


mercredi 20 décembre 2017

The Murderer (Hwang-hae de H. Na, 2010)




On retrouve Na Hong-jin dans un polar noir très violent, qui reprend des motifs déjà vus dans The Chaser. Ici aussi les héros n'en sont pas, le film est ancré dans un réel sordide et le film est très violent. Le film exacerbe même beaucoup la violence, avec une ironie noire, en faisant prendre – et donner – à ses personnages mille et un coups, de haches ou de couteaux. La prédilection pour l'arme blanche permet à Na Hong-jin de bien s'amuser avec les bruits des lames qui s'enfoncent dans les corps et les gerbes de sang quand elles ressortent. Et tout ce petit monde s’entre-tue gaiement.



Fidèles à ses très bons acteurs, Na Hong-jin reprend Ha Jeong-woo et Kim Yoon-seok pour les deux rôles principaux. Ha Jeong-woo campe un personnage qui hésite bien peu et sombre bien vite dans la violence dont on comprend rapidement qu'il ne pourra guère s'extraire.


lundi 18 décembre 2017

samedi 16 décembre 2017

Nuages flottants (Ukigumo de M. Naruse, 1955)




Très beau et très sombre mélodrame de Mikio Naruse, qui ne ménage pas ses personnages, sans cesse à ployer sous les coups de butoir du destin. Si le malheur accable Yukiko et Tomioka, leur amour est un fil qui les relie et les attire sans cesse, irrémédiablement. Malgré la vie qui les sépare et rend leur amour impossible, malgré les sacrifices imposés pour parvenir à vivre ensemble (la misère, la prostitution, la réputation salie), ils se retrouvent, même trop tard.



A coup de flash-backs et de scènes intimes, Naruse ancre ses personnages dans une réalité (avec une approche quasiment néoréaliste), loin à la fois du formalisme d’Ozu ou des motifs empreints de tradition de Mizoguchi : ici, face à la réalité, il faut agir et se débattre.
Si Naruse ne bénéficie pas de la réputation des plus grands réalisateurs japonais, Nuages flottants est un très grand mélodrame.




jeudi 14 décembre 2017

Dunkerque (Dunkirk de C. Nolan, 2017)




Très intéressant film de Christopher Nolan, qui surprend par l’approche qu’il choisit dans ce film de guerre relatant le sauvetage miraculeux de l’armée britannique, coincée à Dunkerque en septembre 1940.
C’est qu’il s’agit d’un véritable miracle, fait de guerre dont même les états-majors n’osaient rêver : l’objectif était de sauver 30 ou 40 000 hommes, c’est plus de 300 000 qui seront rapatriés.
Nolan rend compte de ce miracle en montrant combien la compréhension de ce qui s’est passé a pu échapper aux différents protagonistes, qu’il s’agisse des simples soldats coincés sur les plages ou des Anglais venant les aider, soldats aviateurs ou simples citoyens en bateau, ou encore des têtes pensantes de l’amirauté (représentées ici par le commandant Bolton, qui n’est pas un personnage historique). Nolan construit son film autour de trois groupes de trois personnages, qui sont autant de réactions au cœur de la guerre : la volonté de survie du soldat en perdition, le courage du soldat qui va au combat, la force morale des citoyens qui viennent à la rescousse, parce que tel est leur devoir.



Ces soldats qui cherchent à s’échapper, ces aviateurs qui viennent combattre et ces simples citoyens anglais, réquisitionnés en désespoir de cause, constituent autant de trajectoires que Nolan découpe et entrecroise. Il joue – comme il aime le faire (on l’a vu par exemple dans Memento ou Inception) – avec une construction emboîtée complexe et qui ne prend forme que progressivement. Le personnage joué par Cillian Murphy, un des acteurs fétiches de Nolan, est sur ce point révélateur : on le voit longtemps prostré dans un bateau, tremblant de peur, détruit par la guerre et on ne découvre que beaucoup plus tard qu’il était encore, la nuit d’avant, un officier calme, expérimenté, décisif, dirigeant une chaloupe remplie de naufragés. De même les aviateurs survolent un bateau que l’on ne verra partir de la plage que beaucoup plus tard et l’un des aviateurs, en perdition, ne sera secouru que bien après. Ces destins entrecroisés, tragiques – dans chaque groupe d’hommes la mort prend sa part – dessinent une toile géométrique (avec les files des soldats qui attendent, les traînées des avions, le filet des torpilles, etc.) et abstraite tant, de cet entremêlât, ne nait pas de direction commune et manifeste.
C’est là sans doute la substance de ce miracle, advenu on ne sait comment, dépassant les prévisions les plus optimistes, contre le cours de la guerre, contre l’évidence et la logique.

Le film souffre cependant d'un problème d'échelle : on comprend mal, à voir les quelques bateaux venant d'Angleterre, à voir les trois Spitfire qui viennent au combat (quand il y eut des milliers de raids pour couvrir les plages) et à voir les quelques files de soldats qui attendent sur la plage, que plusieurs centaines de milliers d'hommes ont été sauvés dans cette opération. Alors certes Nolan joue de l'abstraction et prend de biais le problème en jouant avec des symboles, mais, tout de même, à l'image, le rendu interpelle.
On regrette aussi une certaine froideur de l’image, qui naît de la perfection numérique : à croire que la chaleur qui enveloppait le cinéma a aujourd’hui disparu, enterrée par le rendu exceptionnel du moindre grain de poussière ou de la moindre imperfection d’un costume. Peut-être que, pour un film du passé, sur cette période filmée sur le vif et déjà racontée dans mille autres films, ce rendu ultra-réaliste ne convient pas et donne un je-ne-sais quoi d’artificiel et distant. Et cette perfection réaliste de la photo fait attendre, du point de vue du spectateur, une perfection dans la reconstitution, ce qui, malheureusement n'est pas le cas (ni ici ni dans aucun film, même les plus attachés à être réalistes). Signalons, par exemple, concernant les attaques en avion, la jauge de l'avion de Farrier inexplicablement détruite (par une balle ? Pourtant son cockpit n'a pas de trace d'impact) ; ou encore l’altitude, beaucoup trop faible, à laquelle les Spitfire traversent la Manche, ou la dernière attaque sur un Stuka avec un avion quasiment en vol plané, etc.



Si Nolan, grand spécialiste de films d’action a pu pécher par le passé en cherchant à philosopher au-dessus de son niveau (dans Interstellar notamment), il n'en reste pas moins qu'il trouve ici une expression de la guerre à la fois très intéressante et virtuose, qui dépasse la simple scène d’action, qui se dispense de longs dialogues et qui exprime parfaitement son point de vue sur cet événement précis – à la fois singulier et décisif – de la seconde guerre mondiale.


mardi 12 décembre 2017

Le Sacrifice (Offret de A. Tarkovski, 1986)




Le dernier film d’Andrei Tarkosvki est l’un des plus austères du réalisateur (qui compte pourtant bon nombre de films austères !). C’est que Le Sacrifice, en plus d’un rythme naturellement lent et économe en actions, est très bavard. Et il s’agit de longs monologues ou de dialogues où l’on parle surtout philosophie.
On trouvera moins de richesse formelle que dans d’autres films du réalisateur (même si, techniquement, tout est proche de la perfection), notamment parce que, le film étant bavard, l’expression de la caméra semble passer au second plan. Là où le cinéaste s’exprimait jusqu’alors par l’image, il semble ici s’exprimer aussi par des paroles. Le propos de Tarkovski y devient on ne peut plus théorique et perd sans doute en puissance : les paroles, chez le cinéaste russe, sont moins profondes que ses images. Cela dit le formalisme tarkovskien est à l’œuvre : le film s’ouvre sur un plan séquence très long qui, s’il n’est pas éblouissant, reste très technique et il se ferme sur un autre plan-séquence – l’incendie de la maison – qui, lui, est réellement éblouissant. Dans ce plan, toute la puissance visuelle de Tarkovski, construite autour des rapports de l'Homme aux quatre éléments, explose à l'écran. 



Ce dernier film, réalisé en Suède et avec une équipe proche de celle de Bergman, est, bien entendu, riche en symbole. Alexander, le personnage central, apparaît à bien des égards comme un double de Tarkovski (c’est un intellectuel reclus sur une île, en marge de la société et Tarkovski, alors, est en exil) et il ne cesse de douter et de s’interroger. Il ira ainsi presque jusqu’au suicide. Et sa fureur contre le monde moderne est celle de Tarkovski. Ce rejet de la civilisation est exprimé dans cet isolement, dans ce retour à la matière (l’eau, l’air, la terre et le feu s’y entremêlent), et dans l’enfant provisoirement muet (dont l’innocence ne peut s’exprimer, mais à qui seront réservés les derniers mots). Le mysticisme cher au réalisateur permet d'échapper à l'apocalypse promise au monde : plus ici que dans d’autres films, où elle n’était qu’une interprétation parmi d’autres, la croyance en Dieu (ou dans des forces mystérieuses) peut seule sauver le monde. Dieu sauve alors le monde et Alexander tient sa promesse : celle de cesser toute glose qui, finalement, empêche de vivre. L’extraordinaire séquence de l’incendie de la maison vient amener jusqu’à son terme cet élan de mysticisme.



On notera que le dernier plan du film (un mouvement de caméra ascendant sur l’arbre planté en début de film), qui est aussi le dernier plan du cinéaste, répond, par une magie étrange, à son tout premier, dans L’Enfance d’Ivan, où la caméra descendait le long d’un tronc d’arbre.

dimanche 10 décembre 2017

Agora (A. Amenábar, 2009)




Péplum assez décevant d’Alejandro Amenabar, qui réalise un film assez conventionnel.
La reconstitution archéologique est le point fort du film. Profitant des possibilités sans fin du numérique, Amenabar fait vivre sous nos yeux une Alexandrie antique tout à fait crédible. Mais, cinématographiquement, la lumière est typiquement numérique, avec cet éclat si particulier et cette fausse poussière qui vole au ralenti.
La mise en scène est très banale, avec des caméras qui dominent la place sur laquelle s’avancent les hordes hurlantes, en même temps qu’une voix chante lentement. On a vu cela cent fois.
Assez curieusement, le film, sous des dehors antiques, est en fait un vrai reflet des tendances actuelles, sur au moins deux points. D’une part le film tire à boulets rouges sur les chrétiens. Même si ils ne sont pris que comme exemples de tyrans et ne sont pas directement visés par Amenabar, il n'en reste pas moins qu'à les habiller de noir ou à représenter l'un d'eux comme un fanatique patibulaire, il ne fait pas dans le détail. C’est assez peu habituel pour les péplums, où les chrétiens constituent souvent les groupes persécutés. Hollywood, il est vrai empêchait d’autres interprétations, mais là, le film étant européen, ce sont les chrétiens qui lapident et assassinent sans coup férir. On est tout à fait dans le ton actuel anti-chrétien de l’Europe.
D’autre part le film met en scène une femme, philosophe et astronome, qui enseigne sur l’agora. En se focalisant sur ce cas unique (et donc célèbre), on a là un reflet du féminisme de la société actuelle. Non pas que cela soit un regret, mais on peut y voir une marque d’allégeance supplémentaire aux modes actuelles : l'allégeance  est donc aussi bien visuelle (le monde numérique) que dans les thèmes abordés.



Mais cela n’empêche pas les personnages d’être fades et trop caricaturaux. On anticipe le déroulement de toute l’histoire très vite, notamment la position intenable d’Hypatie qui est toute dévouée au savoir et se proclame athée (ce qu’elle n’était pas en réalité, mais cela eut sans doute rendu le scénario trop complexe) alors qu’Alexandrie vit des heures de conversion chrétienne difficile. Si Hypathie est tournée vers le savoir (et elle résiste aux hommes qui la courtisent, sans toutefois être indifférente), cet équilibre entre savoir et religion semble difficile à exprimer dans le film.
Et, scientifiquement, les interrogations sur les mouvements célestes laissent songeur. On se doute bien que Hypatie, héroïne comme elle est, ne va pas en rester aux orbites circulaires et qu'elle va bien finir par trouver l’idée d’orbites elliptiques, idée qui ne viendra pourtant, par Kepler, que quelque mille ans plus tard.




vendredi 8 décembre 2017

Ghost Dog : La Voie du samouraï (Ghost Dog: The Way of the Samurai de J. Jarmusch, 1999)




Très bon film de Jim Jarmusch qui, continue, film après film, de surprendre. Il se promène ici dans le film de genre, entre le polar et le film de mafia, avec ces chefs qui commanditent des crimes et « gèrent » la ville. Son goût pour les personnages marginaux s’incarne à l’écran dans ce personnage de tueur à gage qui, s’il fait écho à mille autres exemples fournis par le cinéma américain, est surtout une reprise directe de Jef Costello dans Le Samouraï de Melville. Forrest Witaker, masse impavide, construit ainsi un personnage original et attachant en lui apportant une touche de spirituel et un mélange souple et étonnant de lenteur et de vélocité.



Au delà du titre du film lui-même, le film reprend de nombreuses caractéristiques directement issues du film de Melville : Ghost Dog lit le livre cité chez Melville, les deux tueurs affectionnent les oiseaux (ici un canari, là des pigeons), oiseaux qui préviennent de l’arrivée d’autres tueurs, etc. Et, bien plus que de simples clins d’œil, c’est la trajectoire même de Ghost Dog qui rejoint celle de Costello, depuis la solitude initiale, les contrats exécutés et jusqu’à la fin où il se laisse tuer. Mais Jarmusch retravaille le motif : il donne à son personnage une certaine poésie lente qui emplit le film, il filme avec calme, étouffant la violence – pourtant omniprésente – dans une atmosphère mélancolique et planante et travaille par petites touches d’humour ou de douceur.



Et, autour de son personnage pivot, Jarmusch développe tout un réseau de personnages, reprenant les figures les plus habituelles (les chefs de mafia plus ou moins minables) ou les plus originales (le vendeur de glaces qui ne parle que français).




mercredi 6 décembre 2017

Panic sur Florida Beach (Matinee de J. Dante, 1993)




Amusant film de Joe Dante, qui rend hommage aux films de monstres des années 50. Très intelligemment le film est situé en 1962, en pleine crise de Cuba, ce qui permet à Dante de jouer entre la psychose collective de la peur d’un embrasement nucléaire et la peur des jeunes spectateurs qui vont au cinéma voir des films où des fourmis géantes attaquent la ville. On notera d’ailleurs le gap qui existe dans le scénario : les films que vont voir les enfants sont complètement passés de mode dans les années 60.
Mais on sent une nostalgie des séances de l’après-midi, celles dont se régalait Joe Dante enfant (et auxquelles le titre original fait allusion). Le personnage de Woolsey (excellent John Goodman) est inspiré du producteur William Castle qui avait, comme Woolsey, imaginé tout un tas de stratagèmes pour immerger le spectateur dans le film. Avec beaucoup d’humour, Dante propose son propre film de monstres – Mant (film dans le film, dont Joe Dante a fait une version complète de 16 minutes) – construit en clin d’œil avec les films de la période : on pense à La Mouche noire, aux Monstres attaquent la ville (tourné en dérision avec la réplique sur le sucre), etc.
La fin de la projection est une réussite avec Woolsey qui, pour évacuer en urgence la salle, fait croire que l’apocalypse nucléaire a eu lieu, et il crée donc une panique : il interrompt son film de monstres et il fait peur pour de vrai en projetant une image du champignon atomique. Le jeu d’emboîtement des peurs est très réussi. Le public ne joue plus à se faire peur mais a réellement peur et il fuit la salle. On pense à Orson Welles et à la panique qu’il a provoquée en adaptant La Guerre des mondes à la radio en 1938.
La fin du film résonne étrangement dans un beau plan final : Gene et Carol sont sur la plage, la crise des missiles se termine, on voit dans le ciel les avions et les hélicoptères mobilisés pendant la crise rentrer à leur base. The Lion Sleeps Tonight résonne tout doucement. Mais le film se termine sur un dernier hélicoptère qui se rapproche. On comprend alors que le lion n’est qu’endormi et que ce gros plan d’hélicoptère appelle à son réveil prochain : si le conflit nucléaire a bien été évité, la guerre du Vietnam – popularisée à l’écran par ce vrombissement d’hélicoptère typique – couve déjà à l’horizon.


lundi 4 décembre 2017

Valérian et la Cité des mille planètes (L. Besson, 2017)




Concernant Valérian, une question simple se pose : peut-on reprocher à Besson de faire du Besson ? Il singe donc tout à fait tranquillement les blockbusters hollywoodiens en vogue, refaisant un space opera (après Le Cinquième élément) en suivant pas à pas le cahier des charges du genre. Il s’en donne les moyens avec 180 millions d’euros ce qui le situe dans la norme actuelle des films du genre (150 millions pour Spiderman, 200 millions pour Les Gardiens de la galaxie : Vol. 2, sortis la même année).
L’ennui vient de ce qu’il n’y a aucune inventivité, contrairement à ce qu’on pourrait penser. On est exactement dans un univers qui oscille entre Avatar et Rogue One. Il y a une inventivité de graphistes, de décorateurs, de designers (encore qu'il s'agisse plus d'un recyclage que d'une inventivité), mais pas de cinéaste. L’image est froide et brillante comme il se doit, les prises de vue, le rythme, l’esthétique, tout est à l’avenant. Un exemple entre mille : les Perles sont des personnages en tout point semblables aux Na’vis d'Avatar, une apparence proche, une même harmonie avec la Nature, une même volonté des militaires de les détruire. Ce sont des avatars d’Avatar en quelque sorte. Rien de neuf sous le soleil donc.
Le scénario est d’une faiblesse étonnante, on anticipe évidemment chaque étape de l’histoire : les gentils qui s’en sortiront, les méchants définitivement méchants, les trahisons. On saupoudre le tout de quelques dialogues faits pour être drôles (éléments de base pour cuisiner un bon blockbuster prêt à être consommé bien tranquillement en famille) ; on ne prend pas le temps d'épaissir quelque personnage que ce soit (en dehors de l’action ils sont juste là pour faire de bons mots). Le tout est enrobé d’une musique bien électronique et moderne, histoire de séduire la jeunesse, musique qui permet de coller au plus près à cette esthétique de télé type MTV dont raffole Luc Besson.




vendredi 1 décembre 2017

Héros à vendre (Heroes for sale de W. Wellman, 1933)




Très grand film de William Wellman, qui montre qu’un format assez court (à peine 1 heure 10) permet néanmoins de raconter une histoire ample et qui s’étale sur de nombreuses années et en différents lieux, pour peu qu’on sache raconter une histoire. On a rarement vu un film avec une telle densité. Là où un réalisateur moderne aurait produit 3 heures avec un tel scénario, Wellman montre qu’il n’est nul besoin d’engraisser un film.
Héros à vendre est découpé en plusieurs tableaux (la guerre, la banque, la pension, l’usine, etc.) et Tom Holmes (admirable Richard Barthelmess) passe son temps à se faire littéralement éjecter de chaque tableau, les uns après les autres. Alors qu’il réussit pourtant à chaque fois, avec humilité et bonne volonté, sans cesse il se fait rejeter, repousser, il subit les événements et doit repartir de zéro. Le film est très dur pour l’Amérique : ce personnage magnifique n’est pas reconnu et, bien pire, il se fait persécuter (notamment par les deux flics qui chassent les communistes).


Le film, tourné en 1934 est dans cette petite période du pré-code où Hollywood  constitue son propre code de censure mais ne l’applique pas encore. Le film aborde plein de thèmes qui seront interdits ; on a même l’impression de voir un catalogue de tout ce qui sera censuré à Hollywood dans les trente années qui suivront Ces différents thèmes sont abordés avec une franchise incroyable : la peur et la lâcheté au combat ; un héros morphinomane, en manque et qui va se ravitailler auprès de son dealer ; le traitement des vétérans de la guerre ; les communistes clairement désignés (le simple mot mot « red » sera interdit) ; le baiser à la tante alors que sa femme est morte ; les flics présentés comme des mafieux persécuteurs ; la façon dont le film parle de l’Amérique (« l’Amérique est finie » ; « les rubans et les médailles ne valent rien »), etc. On est très loin de la morale que construira par la suite un Hollywood censuré par le code Hays avec lequel les cinéastes devront rivaliser d’inventions, de circonvolutions et de figures de style pour ne serait-ce qu’évoquer l'un de ces thèmes.


Mais l’altruisme de Tom Holmes – qui préconise, dans ses valeurs, le héros à la Capra (simple, humble, digne et intègre)  est récompensé : c’est bien son portrait qui orne le commerce familial et son fils veut lui ressembler (« mon père ce héros »). On peut admirer longtemps un film qui dit tant et si bien, avec une telle concision.


mardi 28 novembre 2017

De la citation et du dialogue dans les films



Le célèbre plan final de La Prisonnière du désert de Ford

Les réalisateurs de films sont toujours des passionnés de cinéma (et beaucoup, en outre, ont fait des études de cinéma). Dès lors, ils ont tous été et sont encore influencés par des films qu’ils ont pu voir, qui les ont marqués ou passionnés. On comprend donc qu’il n’y a pas de films « purs », c’est-à-dire que tous les films portent en eux une influence venant d’autres films. Cette influence est plus ou moins nette et plus ou moins marquée volontairement par le réalisateur.
Bien entendu un film ne laissera pas forcément transparaître toutes les influences ou toutes les préférences d’un réalisateur. On sait que Tobe Hooper, très cinéphile, adore Chantons sous la pluie, mais on serait bien en peine d’en trouver la trace dans Massacre à la tronçonneuse !

Le cas des remakes est particulier en ce sens que, plus qu’une influence, il s’agit d’une reprise, parfois presque plan par plan (par exemple Psycho de Van Sant). Le plus souvent le film s’éloigne de l’original et propose une transposition qui prend plus ou moins de liberté avec l’original (on pense à Obsession de De Palma, qui est une reprise de Vertigo ou Hardcore de Schrader qui revisite, en le transposant aux années 70, La Prisonnière du désert). Parfois le film ne garde de l’original qu’un thème central, comme le fait Santa Sangre de Jodorowsky à partir, là aussi, de Psychose.

Mais, mis à part le cas des remakes, les liens entre films peuvent se manifester de différentes façons. On peut donc voir dans un film :

- des citations directes d’un autre film : dans Gremlins de Joe Dante, les personnages regardent La Vie est belle à la télé ; dans L’Armée des 12 singes, le héros va voir Vertigo au cinéma ; dans Prima della rivoluzione, de Bertolucci, Fabrizio conseille à Agostino d'aller voir La Rivière Rouge, dans Yoyo de Etaix, on peut voir des affiches de La Strada, etc.


La Vie est belle, vu à la télé dans Gremlins

- la reprise d’une scène, d’une réplique, d’une position de caméra, d’un thème bien précis, d’un décor, d’un lieu, d’un vêtement, etc. : le pantalon jaune rayé de noir que porte Uma Thurman dans Kill Bill est le même que celui de Bruce Lee porté dans Opération dragon ; le R2D2 de Star Wars vient tout droit de Silent Running ; la fumerie d’opium dans laquelle se réfugie Noodles dans Il était une fois en Amérique évoque celle où finit Miss Miller dans John McCabe ; la séquence qui lance Tout sur ma mère est une reprise de celle d'Opening Night, etc.

L’influence peut parfois être évidemment plus profonde que ces quelques éléments qui viennent agrémenter un film.

- Il peut s’agir d’une reprise du style d’un réalisateur : la stylisation parfois extrême de Tarantino doit beaucoup à celle de Sergio Leone ; la mise en scène tarte à la crème des scènes d’action contemporaines (éclaboussure de sang, ralentis) doit tout à Sam Peckinpah.


La Horde sauvage de Peckinpah
- L’influence de certains films est incontournable, selon le genre ou les scènes tournées. La thématique de La Prisonnière du désert (disparition/quête/retour du personnage recherché qui n’est plus le même) a une influence considérable sur le cinéma américain. Il est aujourd’hui difficile pour un western de mettre en scène des personnages qui attendent le train sans penser immédiatement au Train sifflera trois fois ou à Il était une fois dans l’Ouest ; difficile aussi pour un tueur de mettre son chapeau et d’enfiler ses gants sans évoquer Le Samouraï de Melville, etc. Il en est de même pour les acteurs : par exemple James Cagney est très présent dans le jeu de Joe Pesci dans Casino ou Les Affranchis, etc.

- Certains films ou certains courants du cinéma ont eu une influence considérable qu’il est de fait difficile d’éviter. Sans remonter jusqu’à Griffith qui a commencé à installer les règles de narration et de montage, on peut citer l’influence du cinéma expressionniste allemand sur le cinéma américain (à tel point qu’il y a eu beaucoup plus de films américains expressionnistes que de films allemands) ou encore celle de la Nouvelle vague sur le Nouvel Hollywood (Alain Resnais par exemple).


Un plan expressionniste dans La Nuit du chasseur de Laughton
Mais le lien le plus riche a lieu lorsqu’un film dialogue avec un autre. C’est-à-dire qu’il en reprend le questionnement et qu’il l’enrichit de ses propres réponses.

- Quand Montgomery Clift, coincé sur sa barque au milieu du lac dans Une place au soleil hésite à frapper et noyer sa femme, on pense évidemment à L’Aurore de Murnau. Mais, bien plus que la simple reprise de la scène, c’est la même hésitation terrible qui l’assaille, la même énormité de ce qu’il va commettre qui déferle sur lui. C’est, dès lors, la même impossibilité pour lui de commettre l’acte.


Aurore de Murnau

La même séquence, reprise dans Une place au soleil

- Dans Voyage au bout de l’enfer, Cimino reprend des thèmes chers à John Ford : il réfléchit à la communauté, à ce qui la soude, à ce qui la brise. Le film reprend des motifs de Qu’elle était verte ma vallée et s’il cite le film clairement (l’aciérie du début doit beaucoup à la vallée industrielle de Ford ; il reprend un jeu précis lors d’une scène de fête) ce sont les thèmes du film eux-mêmes qui sont re-traités par Cimino.

- Dans American sniper, Eastwood reprend un autre thème fordien : celui du traitement du héros, qui est dans la réalité toujours loin de ce qu’en rapporte la légende. Il reprend donc les développements de Ford de L’Homme qui tua Liberty Valence et donne son avis sur ce thème.

C’est évidemment dans ce dernier cas que le cinéma est fascinant : quand il est le jeu d’un dialogue d’un film à l’autre où des positions sont exprimées. Bien entendu, au-delà des opinions, c’est leur expression qui est fascinante : comment Ford exprime le mensonge qui se cache derrière la légende, quelles images choisit Eastwood en fin de film.

La Prisonnière du désert citée par Eastwood
dans American sniper

dimanche 26 novembre 2017

La La Land (D. Chazelle, 2016)




On a bien du mal à partager l’enthousiasme délirant qui a accueilli le film, qui s’apparente à une honnête comédie musicale, mais sans grande originalité ni surprise.
Le film lorgne un peu du côté de Chantons sous la pluie en jouant sur une mise en abîme du cinéma et en reprenant une situation similaire pour jouer la rencontre des deux (futurs) amoureux. L'histoire nous plonge (un peu) dans l’univers du jazz. Mais les numéros de danse sont très basiques (on est, pour le coup, bien loin des classiques du genre) et la mise en scène est d’une parfaite platitude.
Bien entendu le film cite bon nombre de comédies musicales, depuis les incontournables de Minelli jusqu’à ceux de Jacques Demy, mais c’est un lieu commun du genre de reprendre des images célèbres pour agrémenter le film.
Vivre ses rêves impose des sacrifices, finit par nous dire le film. Certes. Sans doute. Bien. Les grands fans du genre resteront sans doute un peu sur leur faim. Quant aux autres, ils risquent de trouver le temps un peu long…