jeudi 30 juillet 2015

Le Grand Sommeil (The Big Sleep de H. Hawks, 1946)




Excellent film de H. Hawks. Il est toujours étonnant de voir combien le film est agréable à suivre alors que l'histoire est très complexe et confuse.
On voit là les grandes qualités de Hawks qui construit son film et réjouit le spectateur malgré les embrouillaminis sans fin du scénario, faisant complètement confiance à ses personnages et à la qualité de chaque séquence. 
Humphrey Bogart est remarquable dans ce rôle de privé au ton acide qui aguiche toutes les femmes qu'il croise (qui le lui rendent bien), avec toujours un air de ne pas y toucher. Bien sûr le couple qu'il forme avec Lauren Bacall est délectable.

Humphrey Bogart et Lauren Bacall

lundi 27 juillet 2015

3 h 10 pour Yuma (3:10 to Yuma de J. Mangold, 2007)




Remake du chef-d'œuvre de Delmer Daves, mais qui est assez décevant. Si la distribution est intéressante (Russell Crowe en bandit et Christian Bale en fermier) elle n’est pas réussie pour autant : Russell Crowe n’a pas assez de méchanceté maligne et Christian Bale n’est pas assez banal, or ces deux aspects étaient essentiels dans le film original. Pour le reste, hormis quelques détails, le film reprend le scénario d’origine.
Il faut admettre qu’adapter une telle réussite est une gageure et on s’interroge sur l’idée artistique de faire « la même chose pas pareille ». Cet entre-deux est difficile à tenir : ou bien on réalise un remake « pur » (comme le fait par exemple G. Van Sant dans son Psycho) ou alors on s’éloigne bien davantage de l’original pour proposer autre chose (par exemple Obsession de De Palma, qui revisite Vertigo). Ici ce qui devait arriva : le film de Mangold n’apparaît que comme une pâle copie de l’original.

samedi 25 juillet 2015

Collatéral (Collateral de M. Mann, 2004)




Très grand polar de Michael Mann, qui est bien l'un des réalisateurs actuels les plus intéressants. Mann revient dans ce genre qu'il connaît bien après Le Solitaire et Heat, dont Collateral reprend d’ailleurs plusieurs aspects (le personnage central du tueur qui évolue sous nos yeux, qui se fissure et dont les affects apparaissent progressivement), tout en enrichissant d’autres aspects, stylistiques notamment.
Quand Heat était un combat classique des gendarmes contre les voleurs, ici le film est réduit à l’affrontement entre deux personnages – un tueur implacable et professionnel et un chauffeur de taxi contraint de l’accompagner –, affrontement dont les termes évoluent tout au long du film. L’implacable tueur se fragilise, le chauffeur de taxi se raffermit.
Les acteurs sont parfaits, en particulier Tom Cruise qui trouve sans doute son meilleur rôle, un peu à contre-emploi parce que très sobre, tout en retenue, en discrétion. Son personnage, très professionnel, doit agir sans faire de vague et il est donc là en toute discrétion : de même pour Tom Cruise qui est la star mais qui est maquillé, discret. Le personnage, évidemment, évoque Jef Costello dans Le Samouraï, même professionnalisme, même mutisme, même solitude, même fantôme qui traverse la ville. Le film lui-même reprend bien des motifs typiques de Melville : le même vide dans l'univers du tueur, les mêmes tons gris, austères et passés qui dessinent un univers gris, austère et passé.
Mann est fidèle à son style, ce mélange où il parvient à la fois à prendre sur le vif (par exemple l’exceptionnelle séquence dans la boîte de nuit) et aussi, à d’autres moments, à donner une impression de recul (avec ses lents plans aériens à la musique envoûtante). Et il parvient toujours – c’est là une de ses qualités majeures – à épaissir progressivement ses personnages, à les rapprocher de nous.
Et, de même que ses personnages, Mann parvient à sentir l’environnement, Los Angeles la nuit, dans les déambulations du taxi (ce qui est une gageure, Los Angeles étant une ville particulièrement laide).
Vincent rejoint le personnage joué par De Niro dans Heat ou celui interprété par James Caan dans Le Solitaire : c’est un professionnel qui se fragilise et se fissure à mesure qu’il s’humanise et que ses sentiments surgissent.
La métaphore est nette : Vincent représente l'homme parfaitement adapté à la société capitaliste et violente. Inhumain, professionnel, sans affect, il ne rêve pas et agit, efficace et impitoyable. Max, lui, rêve, veut y croire, mais il reste assis derrière son volant et rien ne se fait (son rêve de limousine et de soleil n'est qu'un rêve, un échappatoire). L'habileté du film est que Vincent, à rebours de son personnage, va donner à Max des clés pour évoluer, se ressaisir, se donner une chance. Que ce soit dans le rapport employé-patron, dans la séquence où Max doit se confronter au chef mafieux ou à la fin quand Max doit agir, Vincent agit comme catalyseur et même, inconsciemment, comme mentor. La fin est en ce sens ouverte : Max a maintenant les cartes en main, il ne retournera sans doute pas derrière le volant de son taxi.
À lui de vivre sa vie.

Vincent parvient même à s’exprimer dans sa manière de tuer : avec une indifférence totale et dédaigneuse lorsqu’il abat les junkies qui l’ont volé ; avec une douceur extrême dans le bar quand le jazzman est abattu : il retient sa tête, la pose doucement sur la table, l’homme est comme endormi.


On a une pointe de regret à la fin : les dernières séquences sont haletantes, mais ne surprennent pas réellement.

Il faut insister sur l'influence importante du film : à la fois sur le plan technique (Mann est un des grands pionniers du numérique, c'est le cas ici) et sur le plan esthétique. On retrouve cette influence sur des réalisateurs comme N. Winding (Drive) ou D. Cianfrance (The Place Beyond the Pines).


jeudi 23 juillet 2015

Le Fleuve sauvage (Wild River de E. Kazan, 1960)




Très bon film d’Elia Kazan, qui s’attarde sur des thèmes qui lui sont chers et qui apparaissent aujourd’hui d’une étonnante modernité.
La richesse du film vient de ce que des oppositions sont posées d’emblée mais elles ne cesseront, par la suite, d’être mises à mal et complexifiées : par exemple, le fonctionnaire administrateur Chuck (Montgomery Clift, très juste), persuadé de se débarrasser dans la journée de cette histoire de grand-mère à expulser et qui, par la suite, comprendra de plus en plus viscéralement les raisons d’être de cette communauté mais ne pourra rien faire, finalement, contre les puissances administratives qu’il représente ; ou encore Carol, la petite-fille de la dite grand-mère qui tombe amoureuse de ce fonctionnaire qui représente l’ennemi ; ou Chuck, toujours, plus prompt à aider les Noirs de la ville que les autochtones racistes et violents.
Et de cette trame dense naît un bel hymne sur la racine des êtres : nul n’est déracinable facilement, nul n’est interchangeable. Une maison n’en vaut pas une autre, une terre n’est pas équivalente, aussi simplement, à une autre terre. Chacun est attaché, par son histoire, ses parents, par le labeur, à des éléments, à la nature. Endiguer le fleuve sauvage revient à chercher à déraciner les hommes de ce qui fonde leurs particularités. Cette thèse de Kazan, magnifiquement illustrée, a le bon goût de ne pas être traitée selon un manichéisme simple que l’on pouvait craindre (en réduisant le progrès à une épouvantable machine administrative qui détruit la nature et fait perdre leur âme aux hommes).



Ce sujet très moderne (la construction d’un barrage qui menace d’engloutir une communauté recluse sur une île) et cette réflexion sur les attaches des individus, trouve des échos dans de nombreux films depuis Délivrance à La forêt d’Emeraude, en passant par Mud – Sur les rives du Mississippi.



mardi 21 juillet 2015

Léon (L. Besson, 1994)




Le point de départ du film est une idée très hollywoodienne : Luc Besson a bien senti combien le personnage du nettoyeur de Nikita était réussi et combien Jean Reno le campait bien. Alors, avec cette vista qu'ont les producteurs des grandes firmes américaines, il a élevé son personnage secondaire au rang de personnage justifiant un film à lui tout seul. Il a ensuite déplacé sa trouvaille à New-York, s'est adjoint un excellent acteur pour faire le méchant (Gary Oldman) et a trempé le tout dans son style très dynamique, haché, façon clip, violent, très rythmé et, pour tout dire, efficace.
Bien entendu il n'y a pas d'histoire, ou à peine, les personnages sont très caricaturaux (le personnage de Léon remportant haut la main la palme : il n'est pas plus approfondi que son prédécesseur Victor, qui n'était pourtant qu'une ébauche dans Nikita) et le scénario ne révèle aucune surprise. Mais que voulez-vous, cela suffit à faire un carton.
Mais Besson a mal joué son coup : en faisant mourir son tueur italien en fin de film il s'interdit d'en faire une suite. Ce doit être la french touch : jamais un producteur hollywoodien n'aurait laissé faire ça.

dimanche 19 juillet 2015

Tout ce que le ciel permet (All That Heaven Allows de D. Sirk, 1955)




Sublime film de Sirk qui, sous un aspect qui apparaît kitsch et naïf, propose une vision de l’Amérique à la fois très critique et très prophétique.
Tout ce que le ciel permet est d’abord une critique de l’Amérique des années 50. Critique dure qui prend comme déclencheur la situation d'une femme veuve qui aime un homme plus jeune qu’elle (quinze ans les séparent). Qu’il s’agisse du regard de la bonne société ou de celle de ses enfants, la condamnation est totale : Cary ne peut être heureuse comme elle l’entend. La scène où ses enfants lui offrent une télévision pour ne plus qu’elle soit seule est à la fois terriblement angoissante et terriblement prophétique.

Le reflet de Cary dans la télévision éteinte
Mais Sirk – et c’est là une richesse immense du film – ne se contente pas de critiquer, il propose des pistes pour se sortir de l’aliénation sociale qu’il décrit. En effet, par le personnage de Ron, Sirk fait allusion à la philosophie de H. D. Thoreau, allant même jusqu’à faire expliquer par un ami proche de Ron que « Ron n’aime pas Thoreau, il est l’incarnation même de cette philosophie ». Thoreau sera le philosophe majeur de la contre-culture américaine, qui se propagera dans l'Amérique qu’une dizaine d’années après le film. En ce sens, Sirk sent son pays d’accueil mieux que personne. Les producteurs ne jugeaient pas indispensables certaines scènes où il est fait allusion à Walden ou la vie dans les bois, c’est Sirk qui a insisté – on le comprend : une part de la substance de son film est là – pour que les scènes soient préservées.
Ron le jardinier qui cultive des plantes dans sa serre d'où il voit les étoiles et quelques arbres au dehors (« si on est impatient, on ne fait pas pousser des arbres ») ; Ron détaché de toute casification sociale, détaché de ce qui se fait ou ne se fait pas ; Ron qui construit, peu à peu, sa maison – son moulin – au bord de l’eau : il est la piste à suivre pour que la société américaine sorte de son carcan et revienne à des fondamentaux assainis. Sirk propose donc un retour à la Nature – rejoignant l’éthique d’harmonie proposée par Thoreau – tout en reprenant le mythe fondateur du pionnier qui construit son habitat.


Cary découvrant Walden ou la vie dans les bois de H. D. Thoreau
Il faut remarquer que le film décrit une société bien différente de celle montrée par N. Ray dans La Fureur de vivre (sorti la même année) où Jim (James Dean) cherche à secouer la société, en s’opposant à des parents beaucoup trop traditionnels. Chez Sirk les enfants ont les mêmes préjugés que les adultes et font partie des forces conformistes les plus puissantes.

Sirk parvient à résumer son film et son idée dans un ultime plan sublime.



vendredi 17 juillet 2015

La Charge de la brigade légère (The Charge of the light brigade de M. Curtiz, 1936)




Le film est un peu décevant. Bien sûr il y a l'exotisme, l'action épique de Michael Curtiz et Errol Flynn est un héros hollywoodien parfait. Parfait mais un peu lisse et trop convenu. On le préférera chez Walsh où l'épaisseur du personnage enrichit la simple fougue souriante et sûre d'elle-même. Et Curtiz mêle à son histoire une intrigue amoureuse bien pataude.

Alors, bien sûr, il reste de grands moments, de bonnes séquences réussies, mais l'ensemble n'a pas de magie véritable. On préférera nettement, dans le même registre exotique (les Indes coloniales anglaises), Les Trois lanciers du Bengale.

lundi 13 juillet 2015

Les Affranchis (Goodfellas de M. Scorsese, 1990)




Un des meilleurs films de gangster de ces 30 dernières années. Scorsese parvient, dans un genre éculé et dominé par des références envahissantes (Le Parrain), à réaliser un film éblouissant sur la mafia. Mais il faut dire que, même s'il traite du même univers que Coppola, il ne développe pas le même thème : ici ce sont les caïds d'un second rang qui l'intéressent, et non les grands chefs de famille. On suit donc la montée d'un jeune loup aux côtés de ses amis.
Scorsese s'entoure d'un trio d'acteurs extraordinaires. La composition de Ray Liotta est exceptionnelle, dans un ton difficile à trouver puisque son personnage est tout à la fois le héros qui se fait une place dans le milieu mais aussi le témoin-relais qui, le cas échéant, va jusqu'à commenter le film. Joe Pesci compose un Tommy DeVito légendaire (il y a du James Cagney dans cette boule de nerfs sans cesse prête à exploser) et De Niro, toujours fidèle, trouve lui aussi cet équilibre entre amitié et fausseté qui fait le cœur du film et de ce monde de truands.
Le brio de Scorsese éclate sans cesse. Il utilise ou bien des arrêts sur image accompagnés de voix off (magistrale scène d'ouverture avec le corps agonisant dans le coffre, achevé de façon lapidaire et barbare), ou bien de longs plans séquences fluides et jouissifs. On pense par exemple à l'entrée de Henry Hill et de Karen au Copacabana par une porte secondaire, illustration parfaite de la vie facile des affranchis.
Une séquence encore est légendaire, celle où Tommy, au restaurant, semble prêt à exploser simplement parce que Henry lui dit qu'il le trouve drôle (« What's the fuck is so funny about me ? »).

« Funny how ? I mean, funny like I'm a clown ? I amuse you ?  »
La bande originale est enthousiasmante, on sent Scorsese jubiler derrière sa caméra. Il réalise là ce qui est sans doute son meilleur film.
Au milieu de nombreux autres références, Scorsese finit son film par une vision de Henry Hill, désormais caché dans un triste pavillon de banlieue. La réalité de sa vie est bien loin de ses rêves. On voit alors Tommy pointer son revolver vers le spectateur, comme le hors-la-loi de E. Porter, dans Le Vol du grand rapide, quelques quatre-vingt-sept ans plus tôt.


samedi 11 juillet 2015

Her (S. Jonze, 2014)




Film original qui pourrait n’être qu’une petite romance bien conventionnelle mais qui est rendue étrange par plusieurs aspects. Tout d’abord l’atmosphère est réussie : on est dans un futur proche mais assez épuré, tranquille, lumineux. La somme de détails qui diffèrent de la société actuelle est amusante à découvrir. Ensuite il est question d’un amour platonique entre Theodore et la belle voix d’un logiciel, amour original s'il en est.
Alors c’est étrange, certes, mais il est bien difficile d’émouvoir réellement lorsqu’il s’agit de raconter l’histoire d’une personne qui tombe amoureux de son système d’exploitation (quand bien même celui-ci a la voix de Scarlett Johansson !)… Et une histoire romantique, qui manque d'émotion c'est un peu dommage...
Joaquin Phoenix, comme souvent, trouve un ton très juste dans un rôle qui n'est pas si simple.

jeudi 9 juillet 2015

A cause, à cause d'une femme (M. Deville, 1963)




Film assez plaisant, dont le style, en fait, est assez différent de beaucoup d'autres films du réalisateur. On se laisse tranquillement porter. Jacques Charrier est très bien en bourreau des cœurs qui sautille d’une femme à l’autre et l’intrigue se noue doucement. Tranquillement plaisant.

mardi 7 juillet 2015

Docteur Jivago (Doctor Zhivago de D. Lean, 1965)




Malgré son grand succès, c’est une adaptation décevante de David Lean. On aura bien du mal à trouver, dans ce mélodrame ambitieux, un écho à la poésie du roman de Pasternak, de même qu’on aura bien du mal à retrouver la majesté et le lyrisme de Lawrence d’Arabie dans cette superproduction. La seconde partie du film, notamment, qui se veut plus romantique, est moins réussie que la première, qui aborde les bouleversements politiques de la Russie.
Si les moyens sont là, la magie n’opère guère et les paysages enneigés, les maisons envahies de glace, le romantisme, tout cela sonne assez faux, quelques bonnes scènes ne parvenant pas réellement à sauver le film.

dimanche 5 juillet 2015

Impitoyable (Unforgiven de C. Eastwood, 1992)




Magnifique western de Clint Eastwood qui parvient à relier le cinéma qui l’habite – celui de John Ford – avec le cinéma dont il est issu – celui de Sergio Leone.
Ce personnage d’ancien tueur devenu fermier et qui reprend du service pour de l’argent est l’occasion pour Eastwood d’une nouvelle réflexion sur la violence et sur la façon dont l’histoire crée des légendes.

On sait que le western, qui fut le genre le plus important du cinéma (notamment en raison de son rôle dans la mise en récit de l'histoire de la nation), n’a guère survécu au Nouvel Hollywood. Avec S. Peckinpah, R. Altman ou A. Penn, les principaux codes du western ont été revisités, puis le genre s’est vu quasiment enterré, sans trop savoir ensuite comment se renouveler et comment faire sien ces anti-héros sans but véritable, perdus dans des sociétés délabrées, thème cher aux années 70. Le filon italien s’épuisera au fur et à mesure, même s’il reste populaire. Le succès, au début des années 90, de Danse avec les loups de K. Costner, western révisionniste dans la lignée de Little Big Manfut une surprise. Succès qui ne relance pas le genre pour autant : peu de productions, et, surtout, peu d’inventivité, peu de renouvellement.
Et, au milieu de ce paysage moribond, Impitoyable (1) parvient à faire la jonction entre le passé et le présent et à offrir au genre un dernier jalon extraordinaire.

Impitoyable dialogue avec le western italien au travers du personnage de William Munny. Interprété par Eastwood, ce personnage de tueur repenti évoque l’homme sans nom ou Blondin, le personnage emblématique de la trilogie du dollar de Sergio Leone. Ce n’est pas seulement le même acteur, c’est en fait le même personnage, que l’on retrouve, vingt-cinq ans plus tard. Il a rangé ses colts, s’est acheté une conduite, en rencontrant une femme qui l’a extirpé de son monde sans foi ni loi, et il est devenu fermier.
Ce premier aspect du film, qui jette un fond fascinant entre ces films (puisqu’on verra que le passé rattrapera ce tueur), relie aussi deux visions du monde constamment explorées par le western. En effet, dans la grande question de savoir ce qu’est être américain – motif constamment traité par le genre –, on sait que deux pôles s’opposent : ou bien le héros est présenté comme sans attache, en aventurier (ou hors-la-loi, pionnier, etc.) qui file d’aventures en aventures, ou bien, au contraire, le héros est un homme qui cherche à se fixer, en construisant sa maison, cultivant un arpent de terre, fondant une famille, etc. Eastwood semble nous dire que les choses ne sont pas figées : l’homme sans attache (et sans état d'âme) peut se fixer (avoir une femme, des enfants, des amis). Mais il lui est difficile d’échapper à son destin et son passé risque toujours de le rattraper : le démon se réveille en fin de film. Pourtant l'épilogue reste optimiste : après ce dernier réveil, William Munny est devenu un père exemplaire pour ses enfants. Et, en commerçant dans les étoffes, il tourne le dos au vieux monde de l’Ouest, où les colts règnent.

Mais Eastwood revisite aussi le western classique – celui de Ford (2) ou de Hawks – : il reprend des personnages ou des lieux symboliques du western et en propose une version sombre et dégénérée.
C’est ainsi que le sheriff Little Bill (très bon Gene Hackman) est une version dégénérée du sheriff classique (vu par exemple dans Rio Bravo). Si Little Bill semble convenable en début de film, bien que trop laxiste, il apparaît de plus en plus impitoyable au fur et à mesure de l’avancée du récit. Jamais un sheriff campé par John Wayne n’aurait fouetté à mort un suspect.


Gene Hackman campe Little Bill

John Wayne dans Rio Bravo de H. Hawks
C’est une revisite terrible d’un personnage emblématique, typiquement joué par John Wayne (3) : Little Bill, ancien gunfighter, cherche lui aussi à se poser (il se construit tant bien que mal une maison) mais son passé très violent le rattrape et son attitude déclenchera contre lui une malédiction épouvantable. On pense aussi à Karl Malden, jouant le sheriff de La Vengeance aux deux visages, qui fouette son ancien partenaire.
Dans la même veine, le film revisite le saloon (qui n’est plus qu’un endroit de débauche sombre et glauque) ou encore le personnage du cow-boy lui-même (avec les difficultés de Munny à viser convenablement ou à monter à cheval, ou encore Ned et Munny qui sont traités comme deux vieillards qui ronchonnent). Les codes classiques sont donc largement revisités, un peu comme Robert Altman a pu le faire (notamment dans John McCabe) mais avec ici une dimension sombre et funèbre.
Le regard d’Eastwood sur la communauté est donc terriblement dur et noir, très loin de l’image traditionnellement donnée par les westerns classiques (4). Cette noirceur vaut condamnation : après une première séquence dans la nuit, le film passe progressivement du beau temps au déluge boueux jusqu’à l’éclatement de l’orage qui marque le retour de William Munny, non plus seulement en tueur, mais en démon venant châtier Little Bill et maudissant la ville. En fin de film, quand Munny sort du saloon, il est un punisseur invulnérable qui annonce la malédiction qui viendra s’abattre sur quiconque, de nouveaux, touchera aux prostituées.




Eastwood aborde profondément la question du héros et de la légende qui lui tourne autour. Avec le personnage de l’écrivain biographe, il montre combien la construction d’une légende va de pair avec la rédaction d’une histoire et que cette histoire n’hésite pas à affabuler et à déformer la réalité. Eastwood reprend donc ce grand thème fordien (commencé avec Le Massacre de Fort Apache et poursuivi par L’Homme qui tua Liberty Valance) (5) qui est une réflexion autour de l’écart inévitable, mais que l’on ne cherche pas à combler, entre la réalité – volontiers délaissée – et la légende. Dans Impitoyable, toute la dimension légendaire – « mythique » – de ces gunfighters est balayée : ces individus étaient des monstres sans morale et sans honneur, nous dit Eastwood, constamment saouls, incapables même parfois de se souvenir de ce qui avait pu leur arriver la veille.

Impitoyable évoque aussi Le dernier des géants de Don Siegel, où John Wayne (lui-même malade) interprète un gunfighter vieillissant, se sachant mourant, qui n’aspire qu’à partir tranquillement, ce que l’Ouest lui refuse. On retrouve une même idée dans ces deux films : celle d’un personnage dont le passé appartient à une double légende. En effet, dans les deux cas, le personnage appartient à la légende, non seulement dans le récit, mais aussi dans la mémoire du spectateur. C’est que John Wayne et Clint Eastwood évoquent, pour le spectateur, des rôles inoubliables. Dans ces deux cas, le film dialogue donc à la fois avec le cinéma et avec la mémoire du spectateur.

En un incroyable syncrétisme, Eastwood parvient donc à relier toutes ces différentes branches du western : le western classique, celui qui revisite le genre des années 70 et, bien entendu, le western italien. On a là le meilleur western réalisé depuis plus de 30 ans. En fait, depuis les derniers chefs-d’œuvre de John Ford ou Howard Hawks, on n’a pas fait mieux.





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(1) : On se demande pourquoi le titre original, Unforgiven (c’est-à-dire Impardonnable), n’a pas été simplement traduit.
(2) : Eastwood cite d’ailleurs La Charge héroïque de Ford, en ouvrant et fermant son film sur un très beau plan où l’on voit la tombe de la femme de Munny qui rappelle un plan célèbre et magnifique de John Wayne venant parler sur la tombe de sa femme.

Le plan d'ouverture (et le plan final) de Impitoyable

John Wayne dans La Charge héroïque de J. Ford
(3) : Un jeu de mot amusant et qui revient plusieurs fois scelle ce parallèle entre Little Bill et John Chance (le sheriff de Rio Bravo) : quand Little Bill confond « Duck » et « Duke », appellation qui évoque directement « The Duke », c’est-à-dire John Wayne himself.
(4) : Même si le regard de certains westerns est très dur : Le Train sifflera trois fois de F. Zinneman ou Quatre étranges cavaliers de A. Dwan sont des charges violentes contre la société.
(5) : Eastwood poursuivra également sa réflexion en se tournant vers les héros actuels dans American Sniper.

vendredi 3 juillet 2015

Aliens, le retour (Aliens de J. Cameron, 1986)




Profitant du succès du premier opus, James Cameron propose un film d’action efficace mais très daté années 80. Les personnages, la musique, les effets spéciaux, tout cela a pris un coup de vieux tel qu’il est difficile aujourd’hui de prendre le film au premier degré.
Les scénaristes savent maintenant que les spectateurs connaissent la monstrueuse bestiole qui sévit dans les environs, il n’est donc plus question de retarder son apparition (comme dans le premier film) : à l’opposé du film de suspense de Ridley Scott, basé sur l’attente et la rareté des séquences d’action, Aliens propose donc un déchaînement de violence, avec de nombreuses bébêtes qu’il s’agit de dégommer à qui mieux mieux. Le film, dès lors, s’éloigne de ce qui faisait l’originalité et le brio du premier film (qui était un huis clos oppressant dans un vaisseau spatial) pour devenir un film d’action très (trop) conventionnel.

jeudi 2 juillet 2015

La Septième victime (The Seventh Victim de M. Robson, 1943)



La septième victime Mark Robson Affiche Poster

Très bon film noir, étrange, maléfique, qui plonge le spectateur dans une atmosphère dont il est difficile de s'extirper. Les puissances morbides qui tirent vers elles la sœur de Mary attirent aussi le spectateur.
Robson excelle dans les suggestions, les indices laissés hors-champ. C’est ainsi que le film abonde en personnages troubles et comme pervertis. On découvre une étonnante scène de douche qui est comme une ébauche de la célèbre séquence de Psychose.

Mary (Kim Hunter) surprise sous la douche
Le film tente une victoire sur le Mal mais la dernière scène, très sobre et qui nous dit tout sans rien nous montrer (géniale conclusion du film, à la fois conclusion morale et stylistique), finit de plonger le spectateur dans le désarroi du mal.

La septième victime Mark Robson