vendredi 26 avril 2024

Little Odessa (J. Gray, 1994)

 



Très bon premier film de James Gray qui montre une étonnante maîtrise et une grande maturité pour ce premier film. Partant d’un thème très classique du cinéma américain (le tueur Joshua Shapira doit se charger d’un contrat), Little Odessa s’en décentre habilement pour se concentrer à la fois sur les rapports familiaux de Joshua (avec la mère éreintée par la maladie et son frère cadet qui l’adule) et sur son retour dans ce quartier de Little Odessa où il est proscrit à cause de ses faits d’armes passés. Le film, alors, laisse largement à l’arrière-plan les questions de tueurs et de mafias et il saisit parfaitement l’atmosphère particulière de ce quartier juif russe de Brooklyn. Certaines séquences, lentes et accompagnées d’une musique lancinante, sont magnifiques.
On comprend que Chabrol, qui lui aussi aimait tant peindre des ambiances dans des quartiers ou des villes de province, ait beaucoup apprécié ce travail du réalisateur.
Ce premier film montre toute l’originalité et toute la puissance visuelle de James Gray et annonce nettement ses prochains films (tout du moins ceux qu’il fera immédiatement après).

 



jeudi 18 avril 2024

Diva (J.- J. Beineix, 1981)





Premier film de Jean-Jacques Beineix dont la recherche esthétique est déjà flagrante. Cette esthétique de type clip joue de couleurs métalliques, de musiques variées (incluant, comme il se doit, des airs d’opéra) et de décors allant du loft sans mobilier à l’atelier de peintre en passant par le hangar empli de carcasses ou l’usine désaffectée. Autant d’éléments aujourd’hui datés mais très modernes à l’époque.
L’ensemble cherche un équilibre entre la tonalité urbaine et une certaine humeur poétique (notamment au travers du jeune homme au centre du film, qui est comme une lointaine émanation de Guia, le héros de Il était une fois un merle chanteur de Iosseliani).
On regrette que les personnages restent bien peu épais et que l’intrigue, en définitive, intéresse assez peu le réalisateur, tout à son ambition formelle.




lundi 15 avril 2024

Naked (M. Leigh, 1993)





Mike Leigh filme avec une acuité étonnante l’errance de Johnny, semi-paumé, semi-clodo, qui plonge dans les bas-fonds de Londres.
Son personnage est constamment sur le fil, entre cruauté et violence, mais aussi capable d’attention et de tendresse, provocant des rencontres, tout autant qu’il les fuit, sarcastique et fataliste, parlant beaucoup, tournant en rond, tantôt hésitant, tantôt avançant. On sent combien Leigh s’en remet à David Thewlis, excellent (la manière de faire du réalisateur inclut beaucoup l’improvisation) ainsi qu’à ses autres acteurs (on sait la très grande qualité de l’interprétation chez Leigh).
Et la magie opère : dans l’ordinaire déprimant et volontiers glauque sortent des émotions, des éclairs, des possibilités. C’est que, avec Leigh, tout n’est jamais complètement éteint dans ses personnages (sauf, peut-être, ici, dans celui de Jeremy, pervers et humiliant, mais il est une métaphore thatchérienne plus qu’un personnage de pleine substance). Leigh fouille ses personnages sans jamais les juger et, ce faisant, leur donne toujours une chance d’exister humainement, même quand tout semble condamné.
Terriblement lestée du poids de la  réalité, Naked est ainsi une magnifique satire noire sur la solitude, ce que ne seront plus ses films suivants, notamment Secrets et mensonges ou All or Nothing, qui sont des films sur les liens familiaux ou sur des secrets entre les êtres.

 

jeudi 11 avril 2024

Le cinéma moderne est né dans une île

 



De façon assez symbolique (puisqu’il est un espace isolé du monde), on peut considérer que le cinéma moderne est né dans une île.
En effet tout commence (la forme, le sujet, l’esprit, le ton, le jeu des acteurs) avec Un été avec Monika d'Ingmar Bergman. L’acte fondateur est cette échappée belle sur une île déserte (ou supposée telle). Il s’y joue de brefs instants idylliques, avant que l’ennui ne gagne Harry et Monika, imposant un retour vers la civilisation (qui est ici filmée comme le bruit et la fureur). Puis viennent le mensonge et la trahison – avec le fameux regard caméra d’Harriet Andersson qui nous prend à témoin.
Suivront d’autres pierres fondatrices, notamment L’Avventura puis Le Mépris (avec à la fois bien sûr la séquence de Capri à la villa Malaparte mais aussi la fameuse séquence dans l’appartement, qui fonctionne pour le couple comme un vase clos où tout se joue, à l’écart du monde) ou encore Pierrot le fou, qui fonctionne comme une réminiscence de Monika, en particulier avec ce jeu de couple qui se délite, joué par Belmondo et Anna Karina.




lundi 8 avril 2024

Dune, deuxième partie (Dune: Part Two de D. Villeneuve, 2024)

 



Suite de la première partie (de telle sorte que les deux films forment un tout), Dune, deuxième partie est sans doute moins convaincant. La construction du film est assez différente : le climax final est attendu et c’est vers lui que tendent de nombreux éléments qui se mettent en place tout au long du film (tensions politiques, influence de Paul au sein des Fremen, trahisons et autres barbaries). Or ce n’est pas dans ces moments d’action et de tension que le style de Villeneuve s’exprime le mieux, mais bien plus dans des moments de ralentissement ou de contemplation (ce qui s’accorde bien avec la personnalité de son héros). Dans le premier épisode, la principale scène d’action arrivait tout à coup, sans prévenir, surprenant aussi bien les Atréides que le spectateur. Dans un sens, Villeneuve était débarrassé de ce passage obligatoire d’un grand moment d’action. Ici le film est construit vers l’éclatement de l’action, ce qui lui nuit peut-être.
D’autre part, certains passages obligés sont moins prenants (l’initiation de Paul qui devient Fremen) et certains personnages sont bien décevants (les cousins Harkonnen sont confondants de bêtises et de violences stupides, contrastant avec le baron lui-même, belle incarnation du Mal mais qui n’est pas idiot). Le personnage de Chani pâtit quant à lui de l'interprétation très médiocre de Zendaya.
On note néanmoins de très belles séquences, dont la première, lorsque Paul et Jessica sont traqués par des Harkonnen. Le désert, le silence des déplacements, l’envol des guerriers Harkonnen, cette séquence immersive peut envoûter un instant (et elle entraîne peut-être une petite déception : on ne le sait pas encore mais c’est là un des plus grands moments du film).