vendredi 26 février 2021

Sanjuro (Tsubaki Sanjūrō de A. Kurosawa, 1962)



Cette suite du Garde du corps n’en est pas vraiment une : si elle reprend le personnage de samouraï de Sanjuro, toujours campé avec force par Toshiro Mifune, le scénario, lui, repart sur de nouvelles bases. On retrouve aussi Tatsuya Nakadai, qui fait le rôle du grand méchant qu’il faut affronter.
Mais si le film se suit sans déplaisir, il est loin des sommets du genre. Il déroule en réalité plusieurs passages obligés dans cet affrontement de clans, avec de belles idées (les fleurs de camélias qui flottent dans la rivière d’une maison à l’autre).
On s’attardera, néanmoins, sur l’impact visuel du duel final, où les deux samouraïs s’affrontent et que Kurosawa, à rebours des codes habituels qui offrent un long combat en forme de climax, règle très rapidement. Mais ce duel est appuyé par une gerbe de sang aussi violente que soudaine, qui vient contraster avec les duels qui, jusqu’alors, avaient épargné la vision de la moindre goutte de sang. Et c’est à partir de cette image choc que les films de sabre japonais, chinois ou hongkongais – ceux de King Hu, Chang Cheh et autres Toshiya Fujita – rivaliseront de gerbes de sang qui jailliront à tout instant.


 

mercredi 24 février 2021

Le Garde du corps (Yōjinbō de A. Kurosawa, 1961)



Si Yōjinbō est important aujourd’hui, c’est moins en raison de ses qualités propres (il s’agit d’un honnête film de chanbara, mais Kurosawa a fait tellement mieux et on est loin des sommets du genre) que par la descendance qu’il aura. C’est que le film sera la point de départ de Pour une poignée de dollars de Sergio Leone, qui aura la renommée et l’impact cinématographique que l’on sait.
Au-delà du scénario lui-même que reprendra trait pour trait, du moins dans les premières séquences, le film de Leone (deux clans s’affrontent dans un village lorsqu'arrive un samouraï opportuniste), c’est le ton très moderne qui surprend aujourd’hui. Loin de tout héroïsme, le film montre un incroyable cynisme du personnage qui se vend – littéralement – au plus offrant. Il n’y a pas de bons, pas de héros, tout n’est que corruption et cynisme. Sergio Leone – et, avec lui, tout le western italien – puis tout le cinéma du Nouvel Hollywood reprendront cette idée que le monde n’est pas noir ou blanc mais terriblement gris, sans ligne de discernement facile à voir. Il y a d’ailleurs une belle ironie à voir Sanjuro être confondu dans ses manipulations incessantes juste après avoir eu, pour une fois, une belle action (en libérant la mère retenue en otage).
Mais Sanjuro est trop fort pour ses adversaires et ce personnage, emmené par un Toshiro Mifune très à l’aise, reviendra dans Sanjuro, pour une suite qui n’en est pas une.


lundi 22 février 2021

Halloween 2 (R. Zombie, 2009)



Dans cette suite directe de son Halloween, Rob Zombie est bien peu inspiré. Il conserve bien sûr le principe premier de Carpenter – l’existence du Mal – et l’envoie rôder autour de ce qui reste de la famille maudite Myers. Mais le film ne dit pas grand-chose, dans cette trainée sanguinolente que le colosse masqué laisse derrière lui.
Un des aspects réussis, néanmoins, est que, en face de cette incarnation du Mal (incarnation à la fois imposante et sans visage, inarrêtable et sans pitié), le film n’oppose guère de figures positives. Il en ressort une vision de l’Amérique terrible et très sombre, entre personnages minables, déviants, mercantiles ou superficiels.



vendredi 19 février 2021

Simone Barbès ou la Vertu (M.- C. Treilhou, 1980)



Étonnant film qui traîne une lassitude d’emblée, en confinant ses personnages dans des milieux interlopes glauques. Le film reflète une fin, un basculement d’époque, basculement qui n’est pas dit ou même évoqué directement mais que l’on sent parfaitement. Plus qu’un cinéma de la gueule de bois, c’est un cinéma du désespoir. Il y a du Houellebec dans l’humeur de ce film, avec la même désillusion, la même lassitude, la même incapacité à communiquer, le même regard vide face à tout ce qui s’est perdu avec la modernité, la laideur du monde, l’émancipation, la libération sexuelle, toute cette tambouille sociale qui, nous dit le film, n’emmène pas bien loin. Simone, carrefour et réceptacle de ces trajectoires perdues est elle aussi perdue et elle le sait parfaitement, même si elle se ment encore à elle-même.
La fin, lorsque Simone conduit un autre déraciné de la nuit, est remarquable : elle donne une dimension supplémentaire à ces deux êtres perdus qui cessent, pour un instant, de s’illusionner. Ce dernier quart d’heure a une puissance étrange et envoûtante.




lundi 15 février 2021

Napoléon (S. Guitry, 1955)





Dans cette nouvelle fantaisie historique, Sacha Guitry, habile conteur d’ordinaire, passe un peu à côté de son Napoléon, ne disant que bien peu de choses, étrangement, du personnage et de son incroyable parcours. Il propose une suite de clichés, collés artificiellement par la narration qu’il prend en charge (à partir du rôle de Talleyrand, déjà étrenné dans
Le Diable boiteux), mais la sauce ne prend pas et la distance un peu désinvolte de Guitry ne parvient pas à construire un récit unique de cette suite d’images.
Qui ne connaît pas Napoléon n’apprendra pas grand-chose et, en tous les cas, ne pourra rien y comprendre. On ne voit qu’à peine les victoires militaires, guère plus les défaites (la retraire de Russie est inracontable dit-il), la première abdication est un mystère. Les défenseurs de Napoléon verront passées sous silence les coalitions qui l’ont forcé à se battre ou les parties d’échecs brillantes d’Austerlitz ou Ulm ; ses détracteurs ne verront pas les champs couverts de morts d’Eylau, de Wagram ou de la campagne de Russie. Et le budget du film ne permet guère de montrer les mouvements de troupes, la masse de la Grande Armée, les charges de cavalerie et autres canonnades. C’est un peu une version côté salon de Napoléon, que l’on voit dans son bureau, sous sa tente ou à butiner autour de jolies dames.

En revanche on s’amuse de la distribution. C’est d’abord un exemple assez rare de film où deux acteurs jouent successivement le même personnage adulte. Mais il est vrai qu’il y a une contradiction entre l’image du Bonaparte du pont d’Arcole – le visage fin et les cheveux longs et raides – et l’image postérieure de l’empereur, avec le visage rond et la mèche de cheveux. Guitry change alors tout à coup d’acteur pour marquer le passage de Bonaparte à Napoléon, passant sans hésiter de Daniel Gélin à Raymond Pellegrin. Ensuite on se distrait en repérant la multitude d’acteurs qui ont un petit rôle, parfois le temps d’une scène ou de quelques plans (de Danielle Darrieux à Orson Welles, en passant par Stroheim ou Jean Marais).

Daniel Gélin est Bonaparte...

...et Raymond Pellegrin est Napoléon


samedi 13 février 2021

Martha Marcy May Marlene (S. Durkin, 2011)

 

Dans ce premier film, Sean Durkin arrive à trouver un ton juste dans un exercice difficile. C’est qu’il cherche à saisir un moment particulier de la vie de Martha, lorsque, échappée de l’emprise d’une communauté et alors qu’elle est prise en charge par sa sœur, elle se retrouve seule et perdue.
On comprend peu à peu, en filigrane, que c’est par rejet du joli monde que sa sœur représente (beau métier, aisance financière, train-train d’une vie bourgeoise, tranquille et conventionnelle), qu’elle a pu se faire happer dans une « famille », en réalité une communauté sous l’emprise de Patrick, le gourou no-limit. Si l’opposition des genres est un peu facile et forcée, le scénario, qui ne dit pas tout, laisse de l’espace au spectateur. C’est là, sans doute, que se trouve la réussite du film.
Le jeu de Elisabeth Olsen est remarquable : elle parvient à incarner une Martha qui n’est jamais tout à fait présente, hantée et happée par son passé, avec toutes ces images et ces sensations qui lui reviennent. Cet entre-deux difficile est parfaitement saisi.