vendredi 27 décembre 2013

Notre pain quotidien (Our Daily Bread de K. Vidor, 1934)




Grand classique de King Vidor, qui est un hymne à la force de la communauté unie, dans laquelle chacun, par ses qualités et ses compétences propres, amène une pierre à l’édifice. L’idée d’un tout supérieur à la somme des parties est très bien exprimée ici.
Vidor choisit ici de se concentrer sur la culture de la Terre, en plein exode rural durant la Grande dépression. Il peint avec beaucoup d’humanité les personnages, n’hésitant pas à montrer leur désarroi et leurs doutes. Et il faut une magnifique séquence de creusement de la tranchée, depuis le puits jusqu’au champ, plein d’élan et de rythme, tous à l’unisson, pour mener à bien l’entreprise.


samedi 21 décembre 2013

Network : Main basse sur la télévision (Network de S. Lumet, 1976)




Très bon film de Sidney Lumet, dans lequel il règle le sort de la télévision. Le film est complexe, brasse beaucoup d’idées et fait le tour, avec une acuité très vive, des dérives tout à fait délirantes du média.
Du financement de groupes armés jusqu’au meurtre d’un présentateur qu’on ne parvient pas à virer, Lumet construit un miroir (à peine ?) grossissant et décrit les rouages de la machine qui rend fou. Elle rend fou (ou, pour le dire mieux, lobotomise) les spectateurs, mais elle rend fou, aussi, ceux qui la font. Howard, le présentateur habité qui prêche comme un possédé, Diana Christensen (Faye Dunaway), incapable d’aimer, mais qui jouit en pensant à l’audimat de sa prochaine émission, Hackett (Robert Duvall), qui envisage tout à fait normalement la mort d’un homme comme solution de son problème, sont autant de fous, de calculateurs ou de cyniques.


Certaines séquences sont très efficaces, notamment Howard qui commence à délirer mais dont on se rend compte qu’il fait de l’audimat. Howard toujours qui fait des shows prophétiques qui annoncent les shows hystériques actuels. Ou encore l’exceptionnelle séquence du patron de la chaîne qui s’exprime face à Howard tel un démiurge.
Lumet filme avec maestria l’intérieur de l’immeuble d’UBS (il sort bien peu dans la rue pour voir les téléspectateurs, singulièrement peu présents du film), découpant son cadre sans cesse, dans l’encadrement des portes, des fenêtres, des caméras, des écrans. Tout semble réduit à ce qui apparaît sur l’écran de la télévision. C’est l’alpha et l’oméga de la vie. De sorte que le monde présenté à la télévision rejoint le monde de ceux qui sont aux manettes : on retrouve la même absence de sens, le même manque d’émotion, la même aliénation.
C’est, évidemment, l’étonnante prémonition du film qui fascine aujourd’hui : s’il s’agissait d’un miroir grossissant en 1976, le constat est d’une actualité confondante.


vendredi 20 décembre 2013

L'Empire contre-attaque (The Empire Strikes Back de I. Kershner, 1980)




Cette suite de La Guerre des étoiles est peut-être l’épisode le plus réussi de la série. Après le monumental succès du premier épisode, c’est L’Empire contre-attaque (1) qui vient asseoir la réussite de la saga en donnant à plusieurs personnages une ampleur qu’ils n’avaient pas jusqu’alors.
On voit bien que Lucas (qui a confié la réalisation à Irvin Kershner) a compris la puissance du personnage de Dark Vador qui est ici élevé au rang d’icône, beaucoup plus que dans le premier épisode. Il incarne le mal absolu, non seulement en dirigeant d’une poigne de fer l’Empire, mais aussi en personnifiant le côté obscur, habile création de George Lucas qui revisite à sa façon la tentation chrétienne du Diable.


Le film, par ailleurs, développe l’idée de la Force – qui constitue un des grands pivots de la saga – à laquelle il faut être initié par un maître, et qui, par sa puissance, peut se révéler dangereuse. En introduisant le personnage de Yoda Lucas marque des points dans le cœur de fans.
En revanche il ne sent pas du tout son personnage. Yoda apparaît comme un petit gnome qui fouille les affaires de Luke et lui vole son quatre heures ! Comme quoi le réalisateur a bien du mal à construire des personnages cohérents : il lui a fallu deux films pour prendre la mesure de Dark Vador, là, Yoda passe de chapardeur comique à vieux sage (2).

Pour le reste, le film manie parfaitement le cocktail aventure / humour / tragédie. Han Solo s’en donne à cœur joie et le rythme rend le film très prenant (malgré les pauses avec Luke et Yoda). La célèbre révélation en fin de film du lien entre Dark Vador et Luke équilibre magnifiquement la saga et permet de jouer avec l’idée d’une destinée, qui, à la fois, guide Luke vers un accomplissement (devenir Jedi) mais semble aussi l’inciter à glisser du côté obscur de la force. Ce double aspect continuera d’agiter l’épisode suivant, Le Retour du Jedi.




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(1) : Renommé sans vergogne par G. Lucas Star Wars, épisode V : L'Empire contre-attaque après qu'il a lancé sa prélogie en 1999.

(2) : Notons que G. Lucas n’hésitera pas à casser l’image construite en faisant se battre Yoda dans Star Wars II, épisode II : L'Attaque des clônes. Pourtant non, Yoda, tel qu'il existe dans les premiers épisodes, ne se bat pas : son personnage n’est pas dans le combat au corps à corps, il est dans la lutte mentale et dans l’accomplissement de la sagesse.

mercredi 18 décembre 2013

La Voie lactée (L. Buñuel, 1969)




Film étrange, tout à fait représentatif de la bizarrerie et de l’originalité de son auteur, La Voie lactée est comme un précis de théologie mâtiné de surréalisme. Buñuel profite d’une narration débridée et libre, avec des va et vient entre le passé et le présent, avec des cuts brusques ou encore avec des jeux de champ-contre-champ insolites, pour suivre ses deux personnages principaux dans leur cheminement vers Compostelle, mais en interrompant leur pèlerinage à tout va, en laissant la place à tel ou tel épisode passé, tel ou tel personnage symbolique.



C’est que tout est symbole dans ce film, où chaque séquence, pour insolite ou surprenante qu’elle puisse être, vient illustrer une position théologique. Un carton vient d’ailleurs rappeler, avant le générique final, que les idées brassées dans le film viennent toutes, ou bien des Écritures, ou bien de telle ou telle position hérétique mais historique. Si Buñuel, dans sa narration, innove sans cesse, en revanche, sur le point théologique, il sélectionne des thèmes, mais il n’invente rien.



Buñuel, cela dit, se borne à illustrer des positions théologiques, mais chaque personnage semble étranger aux paroles qu’il porte. On n’est pas chez Bresson, dans son Journal d’un curé de campagne, où le curé est l’expression d’un ressenti intime et profond.
L’ensemble donne un film étrange mais à peu près unique.

lundi 16 décembre 2013

L'Opération diabolique (Seconds de J. Frankenheimer, 1966)




Incroyable film de John Frankenheimer, qui vient prendre place aux côtés de Un crime dans la tête et de Sept jours en mai, dans une série de films complotistes ou paranoïaques.
Après un incroyable générique, Frankenheimer tire à boulets rouges sur l’American way of life en filmant la vie moyenne d’Arthur Hamilton comme un cauchemar. Son petit train-train de métro-boulot-dodo est filmé de façon épouvantable, comme un supplice, avec un Frankenheimer qui s’en donne à cœur joie avec des gros plans outrés sur le visage d’Hamilton suant à grosses gouttes, soucieux et écrasé.


Le film, qui ne dévoile que très progressivement ses cartes, passionne et on suit, perplexe, le parcours d’Hamilton, à travers les carcasses de la boucherie, puis dans son rêve  distordu, puis dans cet étrange bureau. La suite, à l’accent faustien, continue de distiller un malaise d’autant plus grand que l’on perçoit tout ce qui se déroule au même niveau que Hamilton, bringuebalé et pris dans un engrenage qui le dépasse.
Frankenheimer, ensuite, continue de faire feu de tout bois : son idée de changer d’acteur pour représenter le même personnage est géniale (même si elle est très risquée, car l’identification des personnages à l’acteur qui les représente est très forte). Mais il n’hésite pas et pousse son idée jusqu’au bout puisqu’à John Randolph, acteur rond, sans grande saveur, il substitue rien moins que Rock Hudson.


Le film est alors comme plié en deux puisqu’une seconde vie s’offre à Hamilton qui change de visage, de nom, de métier, de lieu de vie. C’est une vie de rêve qui lui est offerte : il ressemble à Rock Hudson, est aisé, vit de sa passion (la peinture), dans une maison au bord de la mer, avec un serviteur obséquieux. Et Frankenheimer, impitoyablement, poursuit son pilonnage : cette seconde vie, celle dont on rêve, celle que l’on s’imagine que l’on aurait pu faire, se révèle, nous dit Frankenheimer, pire que l’autre.
Hamilton, plutôt que banquier moyen voulait être peintre ? Il se révèle nul en peinture et n’arrive à rien. L’ironie grinçante fait mouche et, très vite, la vie devient invivable.
La seule séquence alors, de tout le film, qui est filmée de façon douce et touchante, apaisée, est celle où Hamilton, sous ses nouveaux traits, vient rendre visite à son ancienne femme. Las, il n’y a plus rien à sauver et la fin, notamment la dernière séquence, scénaristiquement implacable, est glaçante.


vendredi 13 décembre 2013

Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chain Saw Massacre de T. Hooper, 1974)




Le très célèbre Massacre à la tronçonneuse est un énorme pavé dans la mare du cinéma américain, lancé avec violence par Tobe Hooper en 1974. C’est que Hooper n’hésite pas : à la fois il développe un scénario simple, et, surtout, il ne cache rien et ne se donne aucune limite. Très symboliquement, après la première apparition du tueur masqué, celui-ci tire une terrible porte de métal derrière lui. Mais Hooper franchira cette porte et il dévoilera ce qui se trouve derrière, dans l’arrière-cuisine, infernale chambre de l’horreur. Certaines scènes sont encore aujourd’hui à la limite de l’insoutenable (on imagine les réactions lors de sa sortie).
Et pourtant Hooper, par un cadrage intelligent ne montre pas tant qu’il suggère, on voit peu de lames ou de chaînes pénétrer ou trancher la chair. Rien à voir avec des barbouillages ou des gros plans que les rejetons du film se plairont à répandre. L’horreur suggestive va bien au-delà de simples scènes qui montrent la violence : elle est dans la crudité presque documentaire, dans l’image poisseuse, dans les jeux de sons effrayants et dans les délires épouvantables de la famille qui se referme entièrement sur Sally, qui croyait pouvoir s’échapper.
Et, violence supplémentaire du récit, Hooper ne donnera rien pour expliquer, apaiser, résoudre l’énorme monstruosité qu’il décrit. La bande d’amis est déchiquetée par une famille folle et voilà tout.

On notera la parodie qui, paradoxalement, n’est jamais très loin. Par exemple le repas « en famille », tout à fait monstrueux, qui est comme une nouvelle version de Freaks, et qui est un sommet d’horreur. Parodie encore quand Sally, épouvantée et hystérique, est poursuivie par Leatherface qui brandit sa tronçonneuse pétaradante. On se croirait dans un cartoon.

Le film propose une nouvelle version de la confrontation à la Frontière. Il est encore des endroits, nous montre Hooper, qui échappent à la civilisation : cette maison ancrée au milieu de nulle part est un territoire encore vierge. Et ce ne sont pas des serpents à sonnettes qui sont à craindre, ni des Indiens hurlants comme dans les westerns des années 40, mais des détraqués ultraviolents et cannibales. L’aspect familial de la tuerie rajoute à la violence : ce n’est pas un loup solitaire, ce sont des psychopathes congénitaux.
Le film, d’ailleurs, a tout d’un western dégénéré, de par son ambiance, son décor, ce mélange avec la nature et cette psychédélie chamanique délirante (les plumes éparses, les peaux qui sèchent, les ossements partout). Sally est une nouvelle Prisonnière du désert, sans personne pour la sauver et la ramener à la maison.
On sent parfaitement combien dans cet endroit, dans cette maison, un mal inouï rode, comme une radioactivité que rien ne peut effacer. Il n’est pas question d’expliquer le Mal, ni de l’éradiquer. Il n’y a pas de voiture de police opportune qui, telle la cavalerie, viendrait sauver in extremis la jeune fille. Il n’y a rien d’autre à faire que fuir, si l’on y parvient.
A la fin du film le danger est toujours le même, le territoire toujours pareillement envahi par ces monstres qui continueront de déchiqueter les malheureux qui s’y aventureront.



Le film, évidemment, par son impact, lance le slasher movie, en mettant en place tous les éléments du genre. Genre qui aura une descendance innombrable : derrière quelques films d’intérêt (de Wes Craven ou John Carpenter), on ne compte plus les films qui procèdent du même ressort et qui étaleront leurs petites boucheries sans apporter la moindre mini-réflexion ou le moindre mini-enrichissement au genre.

Dans un tout autre genre, Délivrance procède d’une même approche en parcourant aussi une zone qui échappe à la civilisation. Et il propose une réflexion très intéressante sur ce rapport civilisation/territoire vierge.

mercredi 11 décembre 2013

Colorado (La Resa dei conti de S. Sollima, 1966)




Intéressant western de Sergio Sollima qui vaut pour le retournement progressif des personnages. Colorado Corbett (Lee Van Cleef dans son rôle de prédilection) est un chasseur de prime impitoyable qui court après Cuchillo (Tomas Milian), desperado accusé du viol et du meurtre d’une fillette. Mais on comprend au fur et à mesure du film que si Cuchillo mérite certainement la corde pour mille faits divers passés, il est bien vite accusé de ce dernier meurtre. Colorado comprendra qu’il est joué et que Cuchillo est un bouc émissaire bien pratique. En fin de film Colorado épargnera Cuchillo, qui apparaîtra alors bien moins sanguinaire et violent que ce que le film supposait au départ. Les deux ennemis se quittent finalement presque bons amis.


Sans se hisser au niveau des plus grandes réussites du genre (on pense au Dernier face à face) et sans avoir le style des meilleurs westerns italiens, le film se laisse voir grâce à cet intérêt scénaristique bien amené, en plus de voir deux acteurs mythiques du genre qui s’affrontent.


lundi 9 décembre 2013

Prends l'oseille et tire-toi (Take the Money and Run de W. Allen, 1969)




Premier film très drôle de Woody Allen qui démarre sa très riche carrière par le burlesque.
Le film est porté de bout en bout par l’imagination débordante de son auteur. Woody Allen réutilisera de nombreuses idées qui sont déjà efficaces : histoire axée sur un petit personnage et racontée en voix off comme un documentaire, images d’archives détournées, fausse interview des protagonistes longtemps après les faits, etc.


Comme souvent chez Woody Allen, le héros Virgil est un raté qui cherche à exister, à sa façon (ici le petit malfrat veut devenir un gangster reconnu). Même ses parents ont honte de lui (et sont interviewés, affublés de masques de Groucho Marx, grande référence burlesque de Woody Allen). On reconnaît aussi le rapport aux femmes, fait de gêne, d’envie, de volonté de tout sacrifier qui sera, là aussi, retrouvé dans bon nombre de films du réalisateurs.
On suit donc avec plaisir l’invraisemblable et gaguesque cavale de Virgil, entrecoupée de hold-up ratés et d’évasions qui échouent tout autant.


samedi 7 décembre 2013

Pour Bresson, le cinéma est une écriture



Une note fondamentale de Robert Bresson :

« Le cinéma n’est pas un spectacle, c’est une écriture » 



vendredi 6 décembre 2013

Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (J.- P. Jeunet, 2001)




Ce gros succès de Jean-Pierre Jeunet, qui met en scène une France contemporaine (l’action est lancée par un événement bien précis : la mort de Lady Diana), convoque pourtant une idée de la France bien loin de la réalité de 1999.
En fait Jeunet s’inspire directement de l’esthétique publicitaire, en reprenant la publicité de 1980 pour la lessive Gama, la fameuse « rue Gama » :


On découvre alors ce qu’est réellement Amélie Poulain : une version longue, d’un peu plus de deux heures, de la publicité de quarante secondes. On y voit, sans déplaisir mais sans grand intérêt non plus, une France sépia, largement ripolinée, accompagnée du frou-frou de l’accordéon, doucement nostalgique. Et le film nous promène de rues en rues de la même façon que la publicité nous fait parcourir la rue Gama.


Au-delà de l’esthétique, tout à est à l’avenant. Le film nous vend, d’une certaine façon, non pas une lessive, mais une France qui n’existe pas. Jeunet ne s’en cache pas mais, ce faisant, il ne conduit pas le spectateur bien loin. Il présente des personnages comme autant de stéréotypes (avec cette voix off qui détermine précisément les caractères et la place de chacun). Et il n'est pas un de ces personnages qui se verra offrir l'occasion de dépasser ou de contredire ce stéréotype dans lequel il apparaît.
Et, de même que dans la lessive de la publicité, Amélie Poulain elle-même, en faisant le bien autour d’elle, « lave plus blanc que blanc » en quelque sorte.

mercredi 4 décembre 2013

Le Soldat bleu (Bleu soldier de R. Nelson, 1970)




Western de second rang mais qui prend la suite des westerns révisionnistes des années cinquante pour dénoncer le sort des Indiens lors de la Conquête de l’Ouest. Le film a marqué par la violence de la dénonciation du massacre des Indiens. Il s’appuie en effet sur le massacre de Sand Creek où un détachement militaire massacra un paisible campement cheyenne.
Cette séquence, qui ne concerne en réalité que les dernières vingt minutes du film et qui est détachée du reste de l’histoire (cette séquence n’est en rien une conséquence de tout ce qui arrive aux protagonistes lors de la première heure et demie), reprend les canons esthétiques de l’époque en ce qui concerne la représentation de la violence : l’effet Peckinpah fait son œuvre. On a donc droit à des barbouillages de sang et à des petites poches de sang qui explosent en tous sens. De ce fait le film a beaucoup vieilli d’autant plus que, de par l’héroïne, son côté hippie apparaît très daté aujourd’hui.
Cela dit la dénonciation apparaît comme le fait d’une baderne stupide et sans cœur qui veut casser du Peau-Rouge (un peu comme le Custer de Little Big Man) ce qui amoindrit la portée de la dénonciation puisque cette exaction apparaît davantage comme un acte isolé et non la suite logique d’un rouleau compresseur organisé et inarrêtable.


Faisant fi du drapeau américain et du drapeau blanc,
l'armée ouvre le feu
Le Soldat bleu est non seulement une dénonciation du sort réservé aux Indiens au XIXème siècle mais il fait écho, bien entendu, à la guerre du Vietnam et au massacre de My Lai en 1968, qui a marqué l’opinion américaine. Il y a d’ailleurs un jeu de retournement historique et cinématographique étonnant. La guerre du Vietnam a permis une prise de conscience de ce qu’avait été réellement la Conquête de l’Ouest en revisitant le concept de Frontière : jusqu’alors le mythe cinématographique racontait comment la civilisation s’était étendue en Amérique en domptant la Nature et en éludant la réalité des massacres des Indiens. Face aux atrocités commises lors de la guerre du Vietnam, les Américains ont pu prendre conscience des massacres que suppose réellement la conquête d’un territoire. C’est donc la guerre du Vietnam qui a permis de reconsidérer le sort des Indiens. Ici, au contraire, la mise en scène du massacre des Indiens est l’occasion de dénoncer celui de civils vietnamiens et de prendre position contre la guerre du Vietnam.

lundi 2 décembre 2013

L'Atalante (J. Vigo, 1934)




Film unique et qui détonne dans le paysage du cinéma français d’avant-guerre, L’Atalante est une balade poétique, qui s’intéresse assez peu à la narration pour s’attarder sur des moments au fil de l’eau, sur un personnage, sur une ginguette ou sur un port désaffecté. Cette distance prise avec la narration est en rupture totale avec la majeure partie des films de l’époque. La minceur du scénario devient ainsi pour Jean Vigo la possibilité d’une liberté totale, et il se permet des séquences oniriques, sensuels ou même tout à fait surréalistes. Vigo peut s’appuyer sur le talent immense de Michel Simon, dont le personnage truculent confine ici au burlesque.


Vigo, malade, n’a pas eu la main sur le montage final et des séquences ont été enlevées, de la musique modifiée. La volonté de Vigo, semble-t-il, allait vers plus de poésie encore, ce qui effrayait les producteurs (on peut le comprendre : le film fut de toute façon un échec).
En plus de ses qualités et de son ton poétique unique, la mort prématurée du réalisateur alliée à l’échec du film et à son destin d’œuvre mutilée font aujourd’hui de L’Atalante un film à la fois culte et maudit.


vendredi 29 novembre 2013

La Bête humaine (J. Renoir, 1938)




Magnifique adaptation de Zola, très sombre et pessimiste. Ce n’est pas le Renoir poétique, chatoyant et vivant qui agit ici (comme dans Partie de campagne), mais c’est le Renoir au regard social noir et acéré, qui lui fait disséquer l’âme des hommes et, surtout, explorer les rapports humains, dans tout ce qu’ils peuvent avoir de bas et de tragique.
Renoir filme passionnément la locomotive galopant sur les rails – la séquence d’ouverture est extraordinaire – et fixe son regard sur Lantier, le damné, coincé dans son dilemme et abîmé par sa folie héréditaire. Lantier, emporté par sa machine, semble foncer à pleine vapeur vers la tragédie de son destin.



Gabin est immense, avec cette rage contenue et qui explose par instants fugaces mais tragiques. Et, dans son sillage, toute la distribution fait vivre cette galerie de personnages, certains sombres, d’autres désespérés, d’autres encore goguenards.


mercredi 27 novembre 2013

La Route au tabac (Tobacco Road de J. Ford, 1941)




Le film est un peu une dérive de Ford, qui part des moments burlesques, pittoresques et hauts en couleur qui émaillent toujours ses films, mais en les étendant à la longueur d’un film entier. Il s’attarde ici sur la vie de quelques fermiers usés par la Grande Dépression.
Le film peut ainsi fonctionner comme un garde-fou déséquilibré qui servira de jauge à Ford, qui saura toujours distiller savamment ces éléments personnels qu’il aime tant avec les moments plus forts ou plus tragiques qui constituent la substance de ses films.
Ici le film n’a donc pas l’épaisseur des meilleurs films de Ford, mais certaines scènes sont touchantes (le départ des deux vieux vers l’hospice) et Charley Grapwin est un acteur remarquable.

Et, comme il se doit, Ford, quand bien même il peint des personnages un peu fous, feignants, voleurs, bagarreurs ou inconscients, porte toujours sur eux un regard bienveillant.


lundi 25 novembre 2013

Rollerball (N. Jewison, 1975)





Célèbre film d’anticipation qui met en scène une société sous la coupe d’un pouvoir économique organisé en vastes cartels qui contrôlent tout. Si le film a vieilli (on retrouve là un défaut récurrent des films de la période, avec des décors, une musique et une ambiance datée) les pistes de réflexion qu’il propose restent très pertinentes.
Le concept même du jeu – son extrême violence et la modularité des règles – empêche la survie de tout joueur qui deviendrait une star individuelle. Le problème naît évidemment le jour où Jonathan (James Caan), non seulement survit mais devient de plus en plus décisif. Devant son refus de prendre sa retraite sportive, le pouvoir va donc manipuler le championnat pour, sans cesse, rendre les parties plus longues et plus violentes, dans le seul but d’éliminer Jonathan. Le film va au bout de l’idée puisque la dernière partie se joue sans limite de temps et sans règles, jusqu’à ce que le combat cesse, faute de combattant.



Jonathan, en héros typique de cette période du cinéma américain, est d'abord quelqu'un qui veut savoir ce qui lui arrive : il veut comprendre, c'est pourquoi il refuse d'obéir aux injonctions et de prendre sa retraite sportive.
Le jeu de Rollerball, mélange de différents sports, est très bien filmé par Jewison, qui montre très bien comment la piste devient un exutoire sanglant et combien le public apprécie ce déversement de violences.
La peur de la disparition de « l’idée collective » face à l’émergence d’un talent individuel est très bien illustrée par le film, avec les dirigeants qui sont tétanisés par l’idée que la popularité d’une star puisse les menacer.

samedi 23 novembre 2013

Family Life (K. Loach, 1971)




Film très marquant de Ken Loach, qui expose l’étouffement de Janice, la fille borderline, coincée dans son univers familial. Ce thème « psychiatrique » est dans l’air du temps (on le retrouvera dans Une femme sous influence, réalisé quelques années plus tard) et Loach choisit de l’exprimer non pas au travers de conditions ouvrières ou minières difficiles (comme dans Kes) mais dans une famille « normale » (terriblement normale même), qui vit dans un petit pavillon grisâtre, au milieu de cent autres petits pavillons grisâtres. C’est que le désastre social qui est filmé est moins porté par l’environnement social (le chômage, la misère des rues, la ville minière qui s’effondre) que par l’environnement familial lui-même, creuset de la folie ordinaire.
Family Life dissèque, avec une acuité terrible, le mécanisme infernal (et inconscient de lui-même) qui emprisonne Janice. Les parents ne voient pas, ne comprennent pas ce qui éclate pourtant à l’image, cette asphyxie de Janice, enserrée par le satrape aliénant qu'est sa mère, rigide, qui fonctionne à coups d’interdits, de jugements définitifs sur les choses et qui, peu à peu, étouffe sa fille. Quelle issue pour Janice, quel espoir pour s’en sortir et exister ? Le film laisse poindre un espoir mais qui sera de courte durée.
Le récit, proche du documentaire, contient d’incroyables accents de vérité (on pense à L’Enfance nue de Pialat par exemple) qui marquent le spectateur et font de Family Life l’une des plus marquantes réussites de Ken Loach.


jeudi 21 novembre 2013

Le Colonel Chabert (R. Le Hénaff, 1943)




Bonne adaptation de Balzac, qui vaut pour l’image très sombre de René Le Hénaff et la très bonne prestation de Raimu.
L’atmosphère des pièces sombres et sordides est très bien rendue, la photo noire et confuse convenant à merveille. A l’inverse le contraste apparaît dans le luxe de la comtesse Ferraud.
Raimu est remarquable, ses hausses de tons, brusques et cassantes, conviennent très bien pour ce vieil homme qui a conservé des formes de sa grandeur passée. Et son regard, éteint l’instant d’avant, se met à luire soudainement pour rappeler ce qu'il fut.


mercredi 20 novembre 2013

Les séries au cinéma



Certains films présentent un héros construit sur le même modèle que le héros de série, cher à la littérature populaire et au polar : épisode après épisode, on retrouve ses caractéristiques et le plaisir consiste non pas en la découverte d’un nouvel univers, mais dans les retrouvailles avec un univers déjà connu.


Umberto Eco le décrit parfaitement (dans De Superman au surhomme, 1993) à propos du James Bond de Ian Fleming :
« En réalité, ce qui caractérise le roman policier, ce n’est pas tant la variation des faits que le retour d’un schéma habituel dans lequel le lecteur reconnaîtra quelque chose de déjà vu auquel il est attaché. Sous l’apparence d’une machine à produire de l’information, le polar est en fait une machine à produire de la redondance ; feignant d’émouvoir le lecteur, il le conforte en réalité dans une sorte de paresse imaginative, et il offre de l’évasion en racontant non pas l’inconnu mais le déjà-connu.
[…]
Le plaisir consistera donc à voir avec quelle virtuosité [le héros] atteindra le moment final, avec quelles ingénieuses déviations il confirmera nos prévisions, avec quelles jongleries il triomphera de ses adversaires. »

Si le cinéma a utilisé les ressorts habituels décrits par U. Eco dans la série des James Bond ou, par exemple dans celle des Indiana Jones, c’est la télévision, plus encore que le cinéma, qui s’est emparée du principe des séries pour les multiplier à l’infini, de Columbo au Mentalist, en passant par Les Rues de San Francisco où, avec beaucoup de franchise sur le mécanisme de construction de la série, chaque épisode est découpé en chapitres (I, II, III, IV et épilogue).



lundi 18 novembre 2013

La Chute de la maison Usher (J. Epstein, 1928)




Important film de l’avant-garde française des années 20, La Chute de la maison Usher montre une incroyable créativité visuelle, avec Jean Epstein qui expérimente à tout-va et construit un assemblage gothique remarquable.
Dans une ambiance fantastique, proche d’Edgar Poe (l’histoire est tirée d’une de ses nouvelles), le film est construit autour du jeu entre le portrait (un tableau peint par le mari) et le modèle (sa femme), l’un se construisant quand l’autre est comme vampirisée. C’est le prétexte que prend Epstein, qui installe ce lieu maudit avec de gigantesques décors battus par les vents, pour multiplier les gros plans, les surimpressions, les caméras débullées, les jeux d’éclairage, autant d’éléments qui viennent distiller peu à peu une ambiance sombre, fantastique et onirique. Le tout est assemblé avec un sens du montage détonant. On ressent parfaitement combien le réalisateur explore le langage cinématographique. 


Au-delà de sa richesse formelle, La Chute de la maison Usher parvient à équilibrer remarquablement l’aspect gothique puissamment onirique et le drame qui se joue, avec la détresse de Roderick. Buñuel, assistant d’Epstein, fut ainsi à très bonne école.
Et le film, en plus de l’univers qu’il crée, est une réflexion sur la création artistique : il n’y a pas de création sans douleur, nous dit Epstein,  et même, il n’y a pas de création sans deuil : à l’achèvement du tableau répondra la mort de Madeline, au retour de Madeline répondra l’incendie ravageur.


samedi 16 novembre 2013

L'Homme à la peau de serpent (The Fugitive Kind de S. Lumet, 1959)




Film intéressant mais avec un ressort un peu lent et qui, finalement, peine à convaincre.
Pourtant la scène d’introduction est très réussie, avec un Brando excellent. Celui-ci conservera d’ailleurs durant tout le film la même qualité de jeu, qui parvient à allier une virilité puissante, presque sexuelle, et une retenue permanente, avec sa façon de murmurer si typique. Anna Magnani est une partenaire parfaite, avec un rôle bouleversant et touchant. Ces deux personnages centraux, plongés dans une ville chaude, humide et poisseuse, donnent au film ce ton typique de Tennessee Williams, entre espoir vain et désespoir.
Mais le film, avec le personnage de Carol fatigant (Joanne Woodward en fait trop, comme souvent) et une fin attendue, peine à emmener bien loin la situation qui tourne un peu à vide.


jeudi 14 novembre 2013

Rambo 2 : La Mission (Rambo: First Blood Part II de G. Cosmatos, 1985)




Après le succès du premier Rambo, l’occasion est trop belle pour les producteurs de faire tourner la planche à billets. Mais ce second Rambo est bien loin de la qualité du premier, à la fois dans ses objectifs mais aussi dans son ton : si le premier film datait de 1982, il était pourtant, au niveau de ses thèmes et de son regard sombre et indécis, pleinement inscrit dans les années 70. Il poursuivait un regard de l’Amérique sur le traumatisme du Vietnam, dans la lignée du Voyage au bout de l’enfer, à sa mesure, avec une moindre complexité, mais avec la même humeur.
Ici ce n’est plus le cas, le film tourne résolument le dos à la complexité et devient tout à fait binaire et ridicule. Rambo 2 est même un prototype du film d'action idiot et mal fait tel qu'il a pullulé dans les années 80. Le public adore.

Le film exprime ici ce que l'on peut appeler le contre mythe de la Frontière : il restaure le mythe de la Frontière (mis à bas au cinéma dans les années 70) et réhabilite l'Amérique. Dans Rambo 2, l'intervention violente de l'Amérique au Vietnam est justifiée, les paysans autant que les prisonniers souffrent et les Viêt-Cong sont des salauds  
Rappelons que la guerre du Vietnam a été vu comme un nouveau combat contre la sauvagerie (à l’instar du mythe fondateur de la Frontière). Mais Rambo balaye tout ça : envoyé pour sauver des prisonniers encore présents, il vient aussi pour aider un peuple souffrant du satrape communiste (la jeune Cao en témoigne, elle vient justifier la présence américaine).
Et Rambo apparaît ici comme héros de la Frontière, indianisé (par son look ou ses armes), métissé, ami des vietnamiens (amoureux même !) et qui se sacrifie. Il reste un Ethan Edwards moderne, mais jeté dans un discours tonitruant sur une Amérique reaganienne à nouveau conquérante. Et cette nouvelle version de la guerre est gagnée haut la main par le super guerrier Rambo.



On comprend mieux la différence étonnante entre le premier opus et sa suite : il est rare qu'une suite diverge à ce point, tout en reprenant un même personnage. Mais Rambo et Rambo 2 appartiennent en réalité à des univers bien différents : le premier fait partie de la queue de comète du Nouvel Hollywood, quand le second est une des pierres fondatrices – à la fois dans son intention et dans sa médiocrité – des blockbusters qui fleuriront dans les années 80.