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jeudi 1 juillet 2021

Inspecteur de service (Gideon’s Day de J. Ford, 1958)

 



Si Inspecteur de service, de prime abord, surprend de la part de John Ford (puisqu’il s’agit, stricto sensu, d’un polar, où l’on suit la journée – très chargée – d’un inspecteur), on comprend très vite qu’il reprend, en réalité, des thèmes chers au réalisateur et qu’il aime glisser dans ces films, fut-ce sans le dire. Le film fourmille donc de détails pittoresques ou familiaux qui, tout en décentrant le film par rapport à la trame policière, épaississent considérablement le personnage de George Gideon (très bon Jack Hawkins).
Et, finalement, si sa journée fut riche en rebondissement et très dangereuse (il est menacé et risque la mort), s’il résout plusieurs affaires, on retient bien autre chose de cette vie trépidante : une bonhommie, une pipe au coin de la bouche, une humeur familiale, un côté rouspéteur grincheux avec ses subordonnés, etc. Autant de touches de pinceaux qui peignent un personnage de policier bien loin des standards américains mais très proches des héros fordiens habituels.


jeudi 24 décembre 2020

L'Ouragan (The Hurricane de J. Ford, 1937)




Incroyable et méconnu film de John Ford qui, loin des westerns ou de l’Irlande, se tourne du côté des îles, entre Tahitiens et Français.
Il décrit (avec un zeste de naïveté) un univers paradisiaque puis il met en place une injustice, de plus en plus violente, lorsque Terangi est progressivement frappé par le destin. Et, quand Terangi semble définitivement condamné (ou bien à la prison pour des années ou bien à l’exil loin des siens), l’ouragan du titre se déchaîne sur l’île.
En une longue séquence incroyable, les vagues viennent peu à peu déferler sur les maisons, déraciner les arbres, renverser les bateaux. Et l’église, même, que l'on pense hors d’atteinte, se fera balayée. Certains s’attachent aux arbres, d’autres se réfugient dans des pirogues, d’autres encore chantent et prient dans l’église, dont il faut bientôt soutenir les murs qui menacent de s’effondrer, sous les coups de butoir des vagues.
La puissance de cette séquence surprend : on tient là   dès les années 30   un film catastrophe qu'il sera difficile d'égaler, à la fois par son sens de l'absolu (c'est tout un univers qui est détruit) et, bien plus encore, par l'inversion qu'il propose : les films catastrophes montrent d'ordinaire une destruction qu'il s'agit d'empêcher ou à laquelle on survit péniblement, dans un monde dévasté. Ici, dans L'Ouragan, cette destruction est la condition même d'une nouvelle vie. En effet, par ce Déluge de fin du monde, tout est balayé, sauf Terangi et les siens, accrochés à un arbre – tel Noé réfugié dans son arche – ainsi que quelques barques miraculées. Les autres habitants meurent, comme autant de victimes expiatoires. Mais, au lendemain du Déluge, Terangi, absout, pourra désormais vivre heureux auprès des siens.


En fin de carrière, Ford reviendra sur les îles, dans La Taverne de l’Irlandais, mais loin des châtiments divins et avec un tout autre ton, celui des amitiés viriles et complices.



vendredi 24 janvier 2020

Up the River (J. Ford, 1930)




Le grand intérêt de ce film est de proposer, dans leurs premiers rôles, les deux futures légendes que sont Humphrey Bogart (1) et Spencer Tracy. Privilège d’autant plus rare qu’ils ne se retrouveront jamais, une fois leur notoriété établie. Qu’ils aient commencé ensemble, en quelque sorte, et sous l’égide de Ford, installe des liens puissants entre ces légendes. Les deux ont déjà leur style et leur allure bientôt inimitables.



Le film, s’il se suit sans déplaisir, se perd un peu en oscillant entre plusieurs genres (le film carcéral, la comédie, le film de gangster) et ce n’est qu’en fin de film, que les choses se décantent : l’esprit potache de Ford et son sens de la camaraderie installent les dernières scènes dans la comédie.



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(1) : Bogart avait déjà joué dans de petits rôles, sans être crédité au générique.


lundi 12 novembre 2018

Les Raisins de la colère (The Grapes of Wrath de J. Ford, 1940)




Grand chef-d’œuvre de Ford qui explore avec une conscience sociale aiguë le peuple américain, Les Raisins de la colère reprend les grands axes du roman de Steinbeck. Ford filme une scission qui se crée dans le peuple américain (entre ceux qui possèdent – un capitalisme sans visage nous dit Ford – et le monde des pauvres expulsés) et l’éveil d’une conscience politique : un autre monde se met en place, marqué par la misère et la souffrance mais avec une conscience de soi farouche et une volonté de lutter contre la fatalité.
Ford articule son récit autour de la famille Joad qui erre sur les routes comme tant de fermiers dépossédés et, plus particulièrement, sur Tom Joad, qui constitue un archétype de héros fordien. L’interprétation de Tom Joad par Henry Fonda est tout à fait exceptionnelle. Fonda qui devient, instantanément, une image de ce peuple américain, de cette conscience, de cette résistance face aux spoliations.



Tom Joad n’a pas vu l’Amérique depuis quatre ans : on le voit arriver dans le film, dans un premier plan marquant, et il est alors comme un spectateur : il ne sait rien de ce qui se joue et il veut simplement rentrer chez lui.
Mais il découvre ce qu’est devenue l’Amérique. La séquence de l’expulsion est remarquable avec l’arrivée du gigantesque tracteur qui écrase la maison. Filmé en contre-plongée, l’engin apparaît dans sa violence mécanique. Mais, pire encore, lorsque le conducteur enlève ses lunettes et révèle son visage, les fermiers découvrent qu’ils le connaissent bien, qu’il est le fils d’un voisin. Et celui-ci se justifie : il faut bien vivre et gagner quelques dollars. La monstruosité financière (puisque les propriétés ont été rachetées par des grands groupes financiers) non seulement monte les petites gens les uns contre les autres et fait de l’humain un rouage remplaçable de la machine (le conducteur de l’engin le dit bien : s’il est tué, un autre viendra et un autre encore après lui), mais elle devient insaisissable : le fermier ne sait plus vers qui diriger son fusil pour défendre ses terres (c’est le fameux « sur qui on tire alors ? »). On tient là une différence entre la vision « westernienne » classique, où le héros, par son action (souvent un coup de revolver bien placé), pouvait abattre la personne responsable du mal. Ici il n’y a personne sur qui tirer.

Le récit suit ensuite l’itinéraire des Joad qui quittent leurs terres vers la Californie, et le film devient ainsi l’ancêtre des road-movie qui se développeront à partir des années 70. Et, dans ce trajet, Ford décrit une rencontre particulière à chaque arrêt. Par exemple chez le petit commerçant où la solidarité, sans que rien ne soit dit, se met en place, devant la pauvreté de la petite famille et la fierté du Grand-père qui ne veut pas qu’on lui fasse l’aumône. Ford, en quelques plans, parvient à montrer cette forme de résistance qui naît déjà, face à la violence subie et à la pauvreté.

On notera, entre autres scènes légendaires, l’arrivée de la famille Joad dans le premier camp : filmée en caméra subjective, on découvre la pauvreté en même temps que le camion avance. Ce plan subjectif fonctionne comme un contre-champ (on voit ce que voient les Joad) qui correspond en fait au champ : les pauvres du camp et les Joad se regardent comme appartenant au même peuple. Ici, voir l’autre c’est se voir soi-même : le contre-champ montre le champ (c’est un contre-champ miroir).
Ce type de fulgurance de mise en scène montre parfaitement comment le peuple, blessé, marqué, hagard, est déjà en train de se reformer, d’exister en prenant conscience de soi. Et il y a Casy bien sûr (là aussi un rôle légendaire de John Carradine), qui, avant de mourir en martyre, fait prendre conscience à Tom de ce qui se trame et lui donne cet élan irrésistible.



C’est cette prise de conscience progressive qui amène la double déclaration finale. Celle de Tom d’abord, célèbre et magnifique (qui devait clore le film, juste avant le plan montrant Tom s’éloignant sur la colline) et par laquelle Tom Joad, en héros fordien par excellence, dépasse sa propre condition et devient partie d’un tout. Puis la déclaration de Ma Joad, très forte elle aussi, dans sa vision du peuple pauvre mais uni (avec le fameux « We are the people »).

Les Raisins de la colère reste une pierre angulaire du cinéma américain, terreau de nombreux films et dont l’humeur à la fois contestataire et portant une forme de sagesse populaire inspirera une multitude d’autres films. Le Nouvel Hollywood y puisera une part de son inspiration (d’autant plus que le Nouvel Hollywood situera de nombreux films dans cette période charnière de la crise des années 30).
Il faut noter que la scène où Tom Joad se retrouve sous un pont, sous la pluie, dans ses premiers pas vers son engagement syndicaliste au côté de Casy évoque une scène similaire de Héros à vendre de W. Wellman, scène étonnante où l’Amérique est directement critiquée en ce qu’elle laisse les gens croupir dans leur coin (avec une violence que le Code Hays, qui n’existait pas encore, interdira par la suite).


samedi 12 mai 2018

Le Cheval de fer (The Iron Horse de J. Ford, 1924)




Dans ce film spectaculaire et ambitieux, John Ford cherche rien moins que de raconter l’immense épopée de la construction de la première ligne de chemin de fer destinée à relier l’Est et l’Ouest des Etats-Unis.
Dans le film, le récit entremêle des éléments purement romanesques avec des éléments historiques : la petite histoire côtoie la grande sans arrêt. Ford insère ainsi des points de repères historiques qu’il met en images, depuis la signature décisive par Lincoln, qui donne l’impulsion décisive au projet, jusqu’au dernier clou – en or – posé sur les rails au moment où les deux compagnies – l’une partie de l’Est et l’autre de l’Ouest – se sont rejointes.



Le chemin de fer est ici une métaphore de la civilisation qui se répand au travers de l’immensité de la Nature. Dans la confrontation à l’espace qu’il faut franchir et transformer, la pose des rails est un symbole puissant : la civilisation progresse, pas à pas, rail par rail, grâce aux ouvriers issus de toutes les communautés qui s’unissent dans l’ouvrage. Des Irlandais, des Chinois, des Italiens, des Polonais : la communion des efforts de chacun permet de réaliser l’œuvre. Ford met donc au cœur de son récit une thématique sur laquelle il reviendra souvent.

Si le chemin de fer est ici le symbole du progrès et la liaison Est-Ouest un rêve qui se réalise, dans d’autres films (le Jesse James de H. King par exemple ou encore Bertha Boxcar de M. Scorsese), il sera le symbole du capitalisme des gros financiers qui spolient les petites propriétaires. Et Ford, attaché à la construction de la Nation, n’aborde pas les conséquences du chemin de fer sur les Indiens et leurs territoires (guerres indiennes, massacres de bisons), thèmes qui ne seront visités par le réalisateur que plus tardivement.


dimanche 31 décembre 2017

La Dernière fanfare (The Last Hurrah de J. Ford, 1958)




La Dernière fanfare fait partie de cette série de films qui annonce la fin de la carrière de John Ford, en ce sens qu’il met en scène un héros résolument tourné vers le passé.
Ici on suit la campagne électorale de Skeffington pour sa réélection en tant que maire. Ford reprend un thème habituel chez lui (le rapport du héros à sa communauté) et un univers qu’il connaît bien. Dans une histoire très politique (sujet que Ford aborde rarement aussi frontalement et le film évoque en ce sens la fin de Vers sa destinée), Ford introduit de nombreux éléments typiques de son univers : des moments pittoresques, des personnages hauts en couleurs, etc. Il utilise ici de nombreux seconds rôles qu’il connaît bien (Jeffrey Hunter, John Carradine, Donald Crisp) et organise le tout autour de Spencer Tracy, magnifique (comme toujours), qui est le relais de Ford à l’image.
C’est qu’il y a évidemment beaucoup de Ford dans Skeffington, aussi bien dans son origine (Skeffington est irlandais, il est issu d’une famille modeste), dans sa trajectoire (il est respecté par ses pairs et par la communauté), que dans son rapport au temps (Skeffington, comme Ford, est un homme tourné vers le passé, avec sa carrière derrière lui). Il tente une dernière réélection, alors qu’il devrait laisser la place. Ce personnage rappelle Nathan Brittles, dans La Charge héroïque, qui, tout au long du film, retarde le moment de partir en retraite.



Et la défaite-surprise de Skeffington signifie, fatalement, pour celui qui recevait chaque jour les doléances individuelles d’une cohorte de citoyens, le retrait de la communauté et donc, symboliquement, la mort. Le personnage était apparu jusqu'alors sympathique mais aussi habile manipulateur, n’hésitant pas à user de chantage pour parvenir à ses fins : sa beauté tient alors dans l'acceptation immédiate de son échec. Car si ses collaborateurs sont catastrophés, lui est apaisé, il part en comprenant ce qui s’achève. Et s’il est terrassé par une crise cardiaque – qui lui laissera néanmoins le temps de dire un au revoir apaisé au monde autour de lui – ce n’est pas tant par le choc et la surprise de la défaite que par l’inéluctable fin de vie que signifie la fin de son mandat.



dimanche 3 septembre 2017

Les Cheyennes (Cheyenne autumn de J. Ford, 1964)




Ce dernier western de John Ford montre bien l’immense chemin parcouru par le réalisateur au cours de sa carrière. Alors que dans ses premiers films (Le Cheval de fer ou Stagecoach un peu plus tard) les Indiens ne sont que des sauvages, des éléments de la nature hostile qui dévalent en hurlant les collines pour attaquer la diligence ou les convois de pionniers, il prend ici fait et cause pour les Indiens, les place au cœur du film et montre les trahisons, les délaissements et la lâcheté qu’ils doivent subir de la part des Blancs. Montré comme un peuple noble subissant injustice et humiliation, Ford exprime ce que les westerns classiques ont occulté : la conquête de l’Ouest, la confrontation à une nature sauvage et, par là-même, la constitution de la nation, se sont faits au détriment d’un peuple légitime qui a été décimé.
Ford revisite ainsi le mythe de l’Ouest tel qu’il a été présenté pendant cinquante ans par une multitude de westerns. L'Indien est décrit comme une victime et non plus comme une menace. Certes Ford n’est pas le premier à changer de point de vue sur les Indiens (on pense à La Porte du Diable ou à La Flèche brisée) mais le film est important puisque Ford lui-même a beaucoup contribué à assimiler des Indiens à des sauvages hurlants.
Une scène résume parfaitement le propos du réalisateur, lorsque le sergent Wichowsky, dans le cadre serré et sombre d’une tente, refuse devant son capitaine de resigner pour continuer à se battre dans l’armée si c’est pour se battre comme un Cosaque. Il explique que, en Pologne, les Cosaques tuent les Polonais juste parce qu’ils sont Polonais et que maintenant l’armée tue des Indiens juste parce qu’ils sont des Indiens.
Ford, comme souvent, magnifie les paysages, dans un rythme lent qui crée une harmonie splendide entre ce peuple noble et vieillissant et la nature immense. Ce faisant il réhabilite les Indiens sur leur territoire (de nombreuses séquences se déroulent au cœur du Monument Valley).


Fidèle à lui-même Ford est très à l’aise avec des scènes intimes ou des personnages pittoresques. Il s’amuse d’ailleurs avec une séquence où il revisite les personnages de Wyatt Earp et de Wild Bill Hicock, dont il confie les rôles à des guests stars truculentes (James Stewart et Arthur Kennedy), et leur fait rejouer, sur un ton de comédie ironique, des scènes classiques.


Le film rejoint ainsi L’Homme qui tua Liberty Valance, précédent western de Ford, en ce qu’il revisite les mythes et légendes de l’Ouest, mythes et légendes que Ford a lui-même contribué à fonder au cinéma.
Après ces différentes dates, il devient difficile pour Hollywood de réaliser des westerns selon les schémas classiques (le gunfighter en héros invulnérable, les pionniers se faisant attaquer par des sauvages, etc.). De tels westerns seront réalisés, mais en Italie, et en délaissant délibérément toute complexité.
Et, plus encore qu’une remise en cause du schéma classique, le western ouvre alors une porte que les Américains ne sont pas encore prêts à regarder en face : le massacre des Indiens, indissociable de la fondation de l’Amérique (Michael Cimino ira encore plus loin avec La Porte du paradis, en évoquant les massacres d’immigrés européens par les gros propriétaires terriens). Quoi qu’il en soit le western a mis le pied dans un engrenage qui lui donne un poids énorme qui le brise en partie. Ce genre, qui a contribué à mettre en image un roman national, a commencé de mettre en lumière une réalité qu’il a longtemps voulu taire : l’Amérique n’est pas propre sur elle, elle a des cadavres immenses et encombrants cachés dans le placard.
On a peut-être là une des explications de l’extinction progressive du genre (même si le genre n’est certes pas tout à fait éteint, le nombre de production s’est considérablement réduit depuis une quarantaine d’années) : exit le beau récit épique ou le héros magnifique, le western confronte désormais le spectateur avec des réalités historiques dérangeantes.
Cette tendance sera renforcée dans les années qui suivront avec plusieurs films qui continueront de dynamiter les récits sur les origines de la nation (Little Big Man, Buffalo Bill et les Indiens, John McCabe, etc.).


samedi 15 octobre 2016

Frontière chinoise (7 Women de J. Ford, 1966)




Le dernier film de J. Ford est bien décevant. Ford, d’ordinaire si habile à brosser des portraits, ne propose rien d’autre que des personnages caricaturaux, avec des actrices qui surjouent en permanence (notamment Anne Bancroft ou Margaret Leighton, enfermées dans leurs personnages exagérés).
Ford cherche à travailler l’espace de façon intéressante en opposant l’espace délimité de la mission, qui serait préservé d’un monde extérieur barbare et violent (qu’on ne verra guère que durant le générique). Et la lourde porte en bois sera en réalité un obstacle dérisoire. Mais même les envahisseurs se révèlent être des caricatures et l’ensemble, malgré une fin sèche et réussie, ne révèle guère de surprises.

dimanche 11 septembre 2016

L'Homme qui tua Liberty Valance (The Man Who Shot Liberty Valance de J. Ford, 1962)




Film fondamental de John Ford qui réalise ici un western exceptionnel, en particulier de par la densité de la réflexion qu'il propose.
Les deux rôles majeurs, au cœur des interrogations soulevées par le film, sont parfaitement interprétés par James Stewart et John Wayne, qui savent donner une épaisseur dramatique immense à leurs personnages. Quant à Lee Marvin, qui joue comme souvent le méchant, il compose un méchant vraiment très méchant. C’est que Liberty Valance est l’incarnation du Mal. Le titre annonce bien sa mort, mais qui parviendra à le tuer ? Il se trouve que l'homme qui y parvient n'est pas celui qu'on croit et c'est bien là toute l'histoire. Toute la carrière de sénateur de Ransom Stoddard (J. Stewart) est donc basée sur une mystification. C'est Tom Doniphon (J. Wayne) – à qui va manifestement la sympathie du réalisateur – qui aurait dû avoir la gloire, c'est lui qui devrait être sénateur, c’est lui, aussi, qui aurait dû se marier avec Hallie.
Le jeu de la révélation de la réalité de ce qui s'est passé est l'occasion d'un beau jeu d'images, tel que Ford sait les construire. Lorsque le duel nous est montré une première fois il ne fait guère de doute (même si c'est une surprise) que Ransom abat Liberty Valance. Mais Ford, avec une grande habileté, nous montre une seconde fois la scène, en changeant l'axe de la caméra, ce qui révèle une tout autre perception.


Ransom Stoddard abat Liberty Valance
Mais c'est en réalité Tom qui a porté le coup mortel


L’analyse qu'en fait G. Deleuze est très intéressante : il y voit une évolution du schéma habituel des films. Alors que les films partent souvent d’une situation initiale pour, au terme de différents rebondissements, arriver à une situation finale différente (ce qu’il schématise ainsi : Situation 1 -> Actions du film -> Situation 2 soit : S1 -> A -> S2), ici les choses sont différentes puisque la situation finale est exactement la même que celle de départ. Simplement c’est l’interprétation de la situation qui a changé. On peut le schématiser ainsi S1 -> A -> S1’. Où S1' est la même situation que celle de départ, mais comprise différemment. C’est ainsi un exemple de ce que Deleuze nomme la crise de l’image-action, et qui annonce un autre type de cinéma (qu’il nomme l’image-temps).

Tom est un individualiste, mais (à l’inverse de Liberty Valance qui est uniquement centré sur lui-même et ne connaît que la loi du plus fort) il se met au service de la justice. Et il sait qu’avoir une bonne gâchette est fondamental pour faire respecter la loi, ce que ne comprend pas le jeune avocat Stoddard. Le cœur de l’affrontement du film se situe donc en réalité non pas entre le méchant et les deux bons, mais entre les deux bons (d'ailleurs on sait bien que Liberty Valance va être tué). Ces deux héros – Tom et Ransom – représentent les deux versions de l’Amérique. L’une, incarnée par Tom, est individualiste et appartient au passé, et l’autre, incarnée par Ransom, est au service du collectif et elle représente les valeurs américaines. L’avenir appartient bien entendu à Ransom – le film l’annonce d’emblée de par sa séquence d'ouverture et de par sa construction en flash-back –  mais il devra supporter un mensonge lourd à porter.
En effet, bien loin d’un happy-end traditionnel, la célèbre phrase finale, « Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende » (« When the legend becomes fact, print the legend »), assume l'histoire de l'Amérique comme relevant du mythe : la réalité n'est pas le beau conte qui est relaté (la réussite du sénateur qui incarne les valeurs américaines est basée sur un mensonge), elle est beaucoup plus désenchantée, trompeuse et sans gloire. L'image finale montre ce poids très lourd qui pèse sur les épaules du sénateur Ransom, qui aura recueilli des lauriers qui ne lui revenaient pas. On a là, en pointillés, les premiers indices de l’enterrement du genre. Le film est ainsi empreint d’une grande nostalgie, autour de la mort de Tom : avec lui meurt l’Ouest qu’aime tant Ford.

samedi 28 mars 2015

La Prisonnière du désert (The Searchers de J. Ford, 1956)



La Prisonnière du désert The Searchers John Ford Affiche Poster


Chef d’œuvre de John Ford, unanimement considéré comme l’un des plus grands westerns (il n’y a guère que un ou deux films d’Anthony Mann, d'Howard Hawks ou de Ford lui-même qui puissent lui contester cette place), c’est un film éblouissant.
Le film raconte la recherche, par Ethan et Martin, de la petite Debbie enlevée par les Indiens. Ford, évidemment, est très à l’aise dans l’alternance des grands paysages et des scènes d’intérieur ; des scènes épiques et des scènes familiales ou traditionnelles. Comme toujours il équilibre parfaitement ses personnages, entre le ton dramatique des uns, celui comique des autres.
Ford dépasse les propres personnages qu’il a lui-même créés : il reprend son acteur fétiche pour incarner un personnage qui n’est plus un héros courageux, altruiste, solide, expérimenté ou valeureux, mais un marginal irascible, qui se bat pour des causes perdues, que la misanthropie rejette hors de la communauté, qui n’est chez lui nulle part, et qui est évidemment raciste : quand il considère que Debbie est « irrécupérable » et qu'elle n'est plus de son sang, il veut la tuer.
Ce personnage est néanmoins très complexe : alors qu'il est solitaire et qu'il ne parvient pas à trouver sa place dans sa famille (il ramène Debbie mais repart aussitôt), il se dévoue totalement à la recherche de sa nièce. Il faut remarquer comment Ford utilise l'espace pour situer Ethan par rapport aux autres personnages : l'extérieur - le désert sans limite - correspond à l'univers d'Ethan ; l'intérieur de la maison est celui de la famille, dont Ethan est exclu. Ford joue tout au long du film sur cette limite entre les deux mondes : le générique est écrit sur le mur d'une maison ; les extérieurs sont flamboyants et les intérieurs sombres ; une porte s'ouvre au début et se referme à la fin.
Cet aboutissement du genre, par le traitement qu’en fait Ford, est une source d'inspiration importante pour de très nombreux réalisateurs. Pour s'en rendre compte, il faut comprendre comment Ford répond aux deux questions fondamentales du film :
                     - Pourquoi Ethan veut-il tuer Debbie ?
                     - Pourquoi, finalement, ne la tue-t-il pas ?
Les traitements des deux réponses proposées par Ford sont à l’opposé l’une de l’autre. Ethan veut tuer Debbie parce qu'elle est « devenue indienne » par sa vie chez les Indiens. Ford évoque cette transformation de Debbie mais sans jamais nous la montrer : à partir de son enlèvement elle reste hors champ (alors qu’elle est au cœur de la quête) pendant plus d’une heure. C'est ainsi que Debbie grandit et se transforme hors de l'écran : le personnage existe en dehors de ce qui nous est montré, elle n’est présente à l’écran que dans la représentation fantasmée d’Ethan. On sait que cette manière de faire (déjà présente dans Printemps tardif, par exemple, où un personnage important n'est jamais montré) ouvre d’énormes perspectives scénaristiques : ce qui est important peut ne pas être montré ; le cinéaste se libère de l'écran.

A l'opposé, la raison pour laquelle Ethan, finalement, ne tue pas Debbie, est montrée grâce à une image - un geste très simple - qui permet d'exprimer un sentiment complexe : lorsqu'il retrouve Debbie, Ethan la soulève comme il l'avait soulevée cinq ans auparavant. Et alors, au-delà de son ressenti raciste, au-delà des transformations subies par Debbie,  Ethan est rattrapé par la réalité, celle de ce contact physique, celle de son amour parental : alors il retrouve Debbie, non pas telle qu’il l’imaginait, une Indienne, mais telle qu’elle est, sa nièce. Debbie est ainsi sauvée par ce geste. C’est l’extraordinaire « Let's go home Debbie ».
Debbie, jeune, soulevée par son oncle
Debbie, à nouveau soulevée par Ethan, quand il la retrouve plusieurs années plus tard
Le génie de Ford s’exprime alors dans le traitement qu'il réserve à ces deux réponses : l'une est hors-champ, l'autre est exclusivement visuelle.
La Prisonnière du désert : scène finale

mercredi 11 mars 2015

La Poursuite infernale (My Darling Clementine de J. Ford, 1946)




Formidable western de John Ford, qui installe dans l’imagerie populaire plusieurs personnages mythiques de l’Ouest (Les frères Earp, Doc Holliday) et certaines séquences reprises maintes et maintes fois au cinéma (la fusillade d’O.K. Corral).
La douceur de jeu d’Henry Fonda est légendaire, de même que l’interprétation de Victor Mature ou Walter Brennan.


Mais Ford, non content de construire ainsi le mythe du cinéma, se permet digression sur digression, formant ainsi un ensemble typique : à ses personnages puissants et au cadre éternel (le Monument Valley), se surajoutent de petites histoires parallèles : autant de rencontres ou de moments pris sur le vif, qui émaillent sa narration de détails pittoresques ou drôles et qui font vivre son film. Cet équilibre, typiquement fordien, est extraordinaire. Comme si Ford n’avait pas besoin de rester agrippé à son récit : sa puissance narrative lui permet de retrouver le fil de son histoire très naturellement, sans accroc. Le titre original (My Darling Clementine, délicieux), loin de tout sens épique, montre combien ces moments passés aux côtés de ses personnages, à l’aide d’autant d’histoires parallèles, est importante pour lui.
Et il faut tout le génie de John Ford pour que le film parvienne à alterner ainsi, sans que cela ne heurte la narration, des moments d’actions violentes et tragiques (avec de nombreux morts) et des moments doux et intimistes.


lundi 26 mai 2014

La Chevauchée fantastique (Stagecoach de J. Ford, 1939)




Premier film fondateur de John Ford, qui met en place des personnages et des séquences qui s’installent dans le western comme autant de classiques.
Les personnages seront des archétypes (le hors-la-loi, la prostituée, le joueur professionnel tricheur, le banquier, le médecin) qui seront mille fois repris à partir de ces bases. Bien plus que leur simple dénomination, c’est le caractère associé à chacun qui est figé pour longtemps : c’est ainsi que le médecin est alcoolique, que la prostituée est aussi une femme au grand cœur (elle se soucie de la femme enceinte) alors  que, tout au contraire, le banquier est indifférent au monde, il se contente de s’accrocher à sa sacoche si précieuse. Ford utilise le principe classique d'enfermer tout son petit monde dans un endroit clos (et même très petit : une diligence) et de laisser se tisser les relations et les tensions.


De même Ford fait entrer dans la légende le Monument Valley : il filme pour la première fois ce paysage grandiose, devenu une image mondiale et infinie du western. Il présente la Nature comme un tout englobant, dans lequel évoluent les personnages mais qu’ils ne peuvent dépasser. Les images des Indiens apparaissant au sommet de la colline avant d’attaquer appartiennent aussi à la légende du cinéma. L’attaque, extrêmement spectaculaire, à coups de chevaux au grand galop, d’Indiens hurlants et de trompette de cavalerie est exceptionnelle et virtuose. Ford, qui expliquait avec un à-propos plein d’humour que si les Indiens abattaient les chevaux alors le film s’arrêtait, prolonge le plaisir en rallongeant la séquence. Les technologies d’alors offrent peu d’alternatives pour filmer une telle séquence : les caméras sont embarquées sur des autos qui foncent pour devancer les chevaux. Le résultat est fabuleux.

Ford manie avec virtuosité l’alternance des extérieurs et des intérieurs, mais aussi les petites histoires pittoresques si typiques qui peuplent son œuvre. Il prend le temps de faire vivre sous nos yeux son petit monde (il fait accoucher la femme de l’officier), d’épaissir la psychologie de chacun qui dépasse la simple description rapide. Cette alternance de grands moments épiques avec des scènes intimistes est à la fois typique du réalisateur et très difficile à manier. Mais pas pour Ford qui jouera toujours avec facilité de cette alternance.


John Wayne tient là ses galons de star (il avait déjà un premier rôle, mais resté sans suite, dans la très bonne Piste des géants de R. Walsh).

Ford complétera au fur et à mesure de ses films – en particulier avec La Poursuite infernale – cette mise en place du genre, mais on tient là un film majeur qui pose les jalons du western et définit des séquences classiques et inoubliables. La Chevauchée fantastique marque alors un regain formidable du genre qui ne se démentira pas pendant 20 ans.


mercredi 5 février 2014

La Taverne de l'Irlandais (Donovan's Reef de J. Ford, 1963)




Film qui décrit un monde paradisiaque, doux, sans méchanceté, avec une certaine langueur. On évolue dans l’étrange univers de la Polynésie, au rythme doux de la musique. Si le film est décalé, bien loin de l’univers des westerns, il n’est pourtant pas surprenant pour le réalisateur, en réalité coutumier de ces écarts de genre.
Ford rassemble des ingrédients qui construisent son univers depuis toujours : une taverne où l’on boit, des bagarres, des personnages hauts en couleurs et pittoresques, un soupçon de burlesque, des scènes de vie, des chants, un prêtre qui rassemble son petit monde, une communauté hétéroclite avec des moments où elle se rassemble (la veillée de Noël, sublime avec l’orage qui éclate).
Les personnages principaux, Donovan et Gilhooley (John Wayne et Lee Marvin), sont eux aussi typiques de la fin de carrière de Ford : ils ont leur histoire derrière eux, et si ce passé a pu les marquer (les combats de la guerre du Pacifique), ils viennent couler maintenant des jours plus tranquilles.



Ce film un peu étrange vient mettre un terme calme et doux sur la longue carrière de Ford, qui sait parfaitement qu’il s’agit là de l’un de ses derniers films. Il joue avec son univers, l’orientant vers des jours calmes et apaisés, épurés de tout conflit, en ne gardant que la petite truculence quotidienne qu’il aime tant.