mardi 31 janvier 2017

Répulsion (Repulsion de R. Polanski, 1965)




Polanski met toute sa vista pour filmer la décomposition lente et progressive de Carol (étonnante Catherine Deneuve), qui sombre peu à peu sous les coups de sa folie.
Polanski joue de l’opposition entre réalité et apparence, qu’il relie à l’extérieur – la vie sociale – et l’intérieur – celui de l’appartement de Carol, lieu de tous les délires. Et autant Carol semble fragile quand elle est dans cet extérieur où tout la met mal à l’aise, autant son intérieur, c’est-à-dire en réalité son âme, est impénétrable. Et, de plus en plus, sa bizarrerie émerge dans le monde extérieur, pour exploser dans son univers intérieur.
Et Polanski, génial, joue de ses oppositions avec le noir et blanc et rythme la chute de Carol à coups de motifs (les fissures, le lapin qui se décompose) qui viennent accompagner ses hallucinations et sa paranoïa jusque dans l’horreur.


dimanche 29 janvier 2017

Le Voyage dans la Lune (G. Méliès, 1902)




Film majeur dans le cinéma, il est un des représentants les plus célèbres de l’art de Méliès. Le Voyage dans la Lune est très ambitieux : le film propose plusieurs séquences avec autant de décors adaptés, il dure treize minutes, les photogrammes ont été peints à la main et bien des scènes sont spectaculaires.
Les séquences se suivent les unes après autres comme on regarde une pièce de théâtre : la caméra est posée et le cadre ne change jamais. Les décors se succèdent dans le studio et les acteurs jouent devant la caméra comme sur une scène (on a là un lien ontologique très fort entre le théâtre et le cinéma). Malgré son ambition narrative, le film est étranger au concept de montage (les plans se succèdent simplement), de changements de cadrage ou de profondeur de champ.
On déplore le jeu outrancier et épouvantable des acteurs qui est un des grands points faibles du film (comme dans la majorité des réalisations de Méliès), alors qu’il se dégage une certaine poésie de cette histoire de science-fiction, inspirée de Jules Verne et de H. G. Welles, et qui est traitée avec une naïveté poétique pleine de charme.



Hugo Cabret (film par ailleurs décevant) montre très bien comment Méliès réalisait ses films en le présentant dans son studio, à jouer avec ses décors et ses personnages et à réaliser ses trucages.

On notera, malgré sa précocité, tout ce qui sépare Le voyage dans la Lune des tout premiers films du cinéma. Le génie de Méliès est d’avoir su importer son art du spectacle et de la scène vers cet art naissant. Et il relança du même coup l’intérêt pour le cinéma, qui commençait à tourner en rond, épuisé par les vues simples et répétitives des « scènes de vie de tous les jours » issues des premiers films des frères Lumière et qui constituaient alors le cinéma.

vendredi 27 janvier 2017

L'adaptation au cinéma : une certaine tendance du cinéma français (article de François Truffaut)



Article fondamental de F. Truffaut (paru dans Les Cahiers du cinéma, janvier 1954) qui étrille la Tradition de la Qualité, qu’il oppose aux films d’auteurs. Il s’intéresse ici aux scénaristes (en particulier Jean Aurenche et Pierre Bost) qui adaptent des romans. Il leur reproche de produire, in fine, des œuvres parfaitement calibrées, aux thématiques récurrentes et qui distillent les idées de leurs scénaristes, dépassant en cela parfois les idées de l’auteur du roman. Et, surtout, il explique combien ces films de scénaristes sont loin de ce que savent faire de vrais créateurs d’images.

Il oppose ainsi les réalisateurs véritables créateurs d’images (Renoir, Bresson, Clouzot, Tati, Ophüls, etc.) aux réalisateurs qui ne font que mettre en images mécaniquement un scénario (Autant-Lara, Allégret, Delannoy, etc.) :

« […]
De l'adaptation telle qu'Aurenche et Bost la pratiquent, le procédé dit de l'équivalence est la pierre de touche. Ce procédé suppose qu'il existe dans le roman adapté des scènes tournables et intournables et qu'au lieu de supprimer ces dernières (comme on le faisait naguère) il faut inventer des scènes équivalentes, c'est-à-dire telles que l'auteur du roman les eût écrites pour le cinéma.
[…]
Ce qui me gêne dans ce fameux procédé de l'équivalence c'est que je ne suis pas certain du tout qu'un roman comporte des scènes intournables, moins certain encore que les scènes décrétées intournables le soient pour tout le monde. Louant Robert Bresson de sa fidélité à Bernanos, André Bazin terminait son excellent article : La stylistique de Robert Bresson, par ces mots : "Après le journal d'un curé de campagne, Aurenche et Bost ne sont plus que les Viollet-Leduc de l'adaptation." 
[…]
Aurenche et Bost n'ont pu faire Le Journal d'un curé de campagne parce que Bernanos était vivant. Robert Bresson a déclaré que, Bernanos vivant, il eut pris avec l'œuvre plus de liberté. Ainsi l'on gêne Aurenche et Bost parce qu'on est en vie, mais l'on gêne Bresson parce que l'on est mort.
[…]
Ces équivalences ne sont qu'astuces timides pour contourner la difficulté, résoudre par la bande sonore des problèmes qui concernent l'image, nettoyages par le vide pour n'obtenir plus sur l'écran que cadrages savants, éclairages compliqués, photo léchée.
Cette école qui vise au réalisme le détruit toujours au moment même de le capter enfin, plus soucieuse qu'elle est d'enfermer les êtres dans un monde clos, barricadé par les formules, les jeux de mots, les maximes, que de les laisser se montrer tels qu'ils sont, sous nos yeux. L'artiste ne peut dominer son œuvre toujours. Il doit être parfois Dieu, parfois sa créature.
[…]
Lorsqu'ils remettent leur scénario, le film est fait ; le metteur en scène, à leurs yeux, est le monsieur qui met des cadrages là-dessus... et c'est vrai, hélas ! »

dimanche 22 janvier 2017

Deepwater (Deepwater Horizon de P. Berg, 2016)




Film catastrophe qui cherche à éviter la surenchère habituelle du genre en limitant à la fois les moments d’émotions sirupeux et les moments héroïques caricaturaux.
En un sens le film réduit le genre à sa plus simple expression : la survenue d’une catastrophe (ici une explosion sur une plate-forme pétrolière) qui touche les protagonistes qui réagissent comme ils peuvent.
Mais, ce faisant, le film montre par là même les limites du genre : il se passe bien peu de choses et rien n’est surprenant. Peter Berg a bien l’intelligence de prendre son temps et de tendre la situation avant de déclencher ses explosions mais c’est à peu près tout.
Les indications répétées (à la fois en intertitres mais aussi dans les séquences de génériques qui débutent et achèvent le film) cherchant à enraciner l’histoire dans le réel (cet accident est effectivement survenu en 2010) ne parviennent pas à éviter une plate caricature : l’accident est dû aux représentants de BP (la compagnie qui exploite la plate-forme), impatients de lancer le pompage et qui se révèlent agressifs et cyniques. Les ouvriers de la plate-forme, qui subissent et s’entraident, sont eux des « héros ordinaires », pères au foyer, simples et aimables. On se retrouve donc avec les bons contre les méchants, ce qui reste d’un conventionnel hollywoodien décevant.

vendredi 20 janvier 2017

Nostalgie de la lumière (Nostalgia de la luz de P. Guzman, 2010)



Beau documentaire de Guzman, qui décrit, par le biais d’images calmes et belles, comment, dans le désert d’Atacama, les chercheurs qui pointent les étoiles avec leurs télescopes géants et les femmes qui grattent le sol à la recherche de leur proches disparus (enfouis dans l’oubli par la dictature de Pinochet), scrutent tous, à leur façon, le passé.
Ayant lui-même subi les affres de la dictature, ayant par le passé filmé avec engagement tel ou tel  moment de l’histoire de son pays, Guzman semble ici avoir pris un recul qui l’apaise. C’est avec nostalgie qu’il parle du passé et qu’il interviewe ces femmes à l’impossible deuil ou ces rescapés qui se souviennent, et c’est avec calme qu’il  filme les lents mouvements cuivrés des télescopes.
Ces différentes façons de scruter le passé (celui, très humain, des blessures du Chili et celui, immense, du cosmos) est sublimement réuni par la confusion plastique entre ces zooms incroyables des cratères de la Lune et les os poreux desséchés par le désert.


mercredi 18 janvier 2017

Fight Club (D. Fincher, 1999)




Film prétendument culte aujourd'hui, Fight club dédouble avec originalité son personnage principal : au cadre moyen terne et à la vie morne, répond le personnage extravagant et violent de Tyler Durden, qui l’entraîne dans un tourbillon chaotique.
David Fincher propose, comme souvent, une mise en scène efficace mais très aguicheuse et exubérante. On s’accroche à ce double improbable (bien servi par un bon duo d’acteurs, très complémentaire) et les séquences jouent à alterner humour et violence, volontiers racoleuse. Et Fincher s'amuse à glisser des images subliminales (dont la dernière – celle d’un sexe d’homme – annoncée par Tyler Burden durant le film) qui ajoutent une touche ironique à un film au ton parfois détaché.

On aura bien du mal, en revanche, à en tirer une quelconque morale satisfaisante : le film attaque la société de consommation, certes, voilà bien une cible facile, en particulier au travers du narrateur, névrotique, dévirilisé, comme endormi dans la société, au corps ramolli. Le réveil viendra d’ailleurs d’une mise à l’épreuve des corps et d’un renoncement au confort petit bourgeois. La pulsion de vie qui est le cœur de ce qui manque au narrateur est sans doute le seul thème abordé réellement iconoclaste : ce sont les combats au corps à corps qui illustrent l'éveil de cette pulsion disparue de la société. Tyler Durden, double fantasmé, cherche à secouer le narrateur mais cela passe par la destruction de la société de consommation, symbolisée, ce qui est très convenu, par les gratte-ciels des grandes banques qui sont détruits en fin de film. Toute cette dénonciation reste bien classique et affaiblit la portée du film.



Les genres au cinéma : le cas du cinéma français



Très intéressant article de René Prédal (Le cinéma français et les genres, in CinémAction N° 68, 1993) qui explique pourquoi le cinéma français a toujours été rétif au cinéma de genre (par opposition au cinéma américain), hormis pour deux genres qu’il affectionne, le comique et le policier.
Pour le reste, Prédal est très clair :

« Si le cinéma français ne s’appuie nullement sur les genres, c’est parce qu’il a de tout temps pris une autre direction que l’on peut nommer « film psychologique » jusqu’aux années 50 puis « cinéma d’auteur » à partir de la Nouvelle Vague. De fait, les deux courants sont plus successifs que parallèles et certainement pas antagonistes. Tant qu’il n’est pas de mode pour l’auteur de s’exprimer ouvertement, l’accent est mis sur les personnages (les films de Carné-Prévert). Lorsque la Nouvelle Vague ambitionne d’écrire un film comme un roman, on retient davantage le regard porté sur les protagonistes (les films de Truffaut) mais les situations, les intrigues, les lieux mis en scène restent à peu près les mêmes. Dialogues et comédiens constituent toujours les éléments fondamentaux de ce type d’œuvre qui incarne le « film français typique » aussi bien à l’intérieur de l’hexagone que dans les festivals étrangers.
On pourrait considérer ce genre national comme l’archétype du « genre cinématographique » parce qu’il présente des caractères propres très marqués (intimisme, accent mis sur la parole et l’analyse des sentiments…), mais il nous semble plutôt constituer au contraire sa négation dans la mesure où il est inversement susceptible de toutes les adaptations, annexions, trahisons ou transformations possibles et imaginables. Héritier d’une authentique tradition culturelle nationale venue du théâtre et du roman, support idéal des petits budgets bien adaptés aux possibilités françaises de financement et tout proche du téléfilm à huis clos qu’il deviendra forcément au bout de quelques mois, le film psychologique flirte en effet avec tous les genres sans tomber vraiment dans aucun. […]
L’auteur français ne s’exprime en toute liberté qu’à travers le film psychologique. C’est là qu’il est à l’aise, qu’il obtient spontanément la confiance des décideurs comme de la critique et du public.
[…]
Nous voulions de toute manière faire seulement une constatation : le cinéma français ignore dans sa majeure partie la loi des genres parce que ce type de cinéma ne correspond ni à son passé culturel (le musical aux États-Unis est un spectacle de scène très populaire avant d’être un genre cinématographique : ce n’est pas le cas chez nous. Quant au « cinéma américain par excellence », à savoir le western, il ne correspond évidemment à rien dans l’hexagone !), ni à ses possibilités financières (le genre est spectaculaire : décors, figuration, costumes), ni à sa tournure d’esprit française (le pays de Descartes et Molière). »


lundi 16 janvier 2017

L'Éclipse (L'Eclisse de M. Antonioni, 1962)




L’Éclipse est tout à fait représentatif du style d’Antonioni. Pour parvenir à apprécier le film, il faut comprendre (et accepter) le parti-pris du réalisateur qui est de filmer les moments creux, les espaces vides, les temps morts, les entre-deux. Il faut donc accepter cette absence d’action, cet effacement des personnages, qui se détachent d’un monde qui semble vide et sans vie.
Antonioni démarre son film non pas sur une rupture dans un couple, mais sur l’instant d’après, lorsque la rupture est consommée et que les choses ont été dites et ressenties. Son film découle donc d’un évènement hors-champ (le film commence trop tard pourrait-on dire), en effet, « quand tout a été dit, quand la scène majeure semble terminée, il y a ce qui vient après » nous dit Antonioni. Et on ne voit en fait que « ce qui reste des expériences vécues ». Et l’on voit Vittoria (Monica Vitti) errer dans les rues, sans trop savoir où elle va, avec des plaisirs fugaces et de longs moments perdus, jeune et pourtant déjà tellement marquée par son passé (le couple et la rupture, qui ne nous ont pas été montrés), lasse, déjà névrosée, enfermée dans une incommunicabilité.



G. Deleuze (dans L’Image-temps) résume très bien le propos principal du réalisateur, au travers de l’interrogation sous-jacente au film : « qu’est-ce qu’est devenu l’amour pour qu’un homme ou une femme en sortent ainsi démunis, lamentables et souffrants, et qu’ils agissent et réagissent aussi mal au début qu’à la fin, dans une société corrompue ? »

Si la démarche, résolument moderne, est intéressante, le résultat est beaucoup plus discutable. On retrouve là un biais de l’art contemporain, qui se définit par une démarche et oublie quelque peu, par-delà ce prétexte de la démarche, l’œuvre.
Pour Deleuze on entre ici dans la crise de l’image-action : les personnages ne réagissent plus selon des liens sensori-moteurs, mais ils sont en errance et définissent des situations optiques et visuelles pures (par exemple lorsque Vittoria cherche le chien de sa voisine la nuit). Antonioni filme le temps pour lui-même.
Le film fonctionne donc par de lents plans, entrecoupés de cuts brusques, des à-coups narratifs, accélérant soudainement et ralentissant terriblement à d’autres. Et l’on passe, d’ellipses en ellipses sur tel ou tel moment.
Antonioni filme la ville en multipliant les cadrages géométriques, oppose les espaces grouillants (la Bourse) aux rues vides, tend à l’abstraction (des arêtes vives, des formes étranges). On peut voir du Mondrian dans ces lignes droites qui se croisent, dans ces carrefours quelconques, dans ces angles de rues et dans ces blocs d’immeubles, dans ces aplats de béton saillant. Et, toujours, cette silhouette de Monica Vitti, sans énergie, sans force de vie, que l’on accompagne le long des rues.
Elle croise Piero (Alain Delon), jeune courtier fougueux, qui ne comprend pas Vittoria, mais qui est lui aussi névrosé, corrompu, nous dit Antonioni, par la vie infiniment futile et vaine de la Bourse. Et le film brosse très bien (à coups d’évocations, de lenteur, de vide), ces deux modèles de vies jeunes mais déjà achevées et que Antonioni ne cherche pas à sauver. Chacun de ces deux personnages n’existe pas réellement : ce ne sont que des attitudes (de l’attente, du désespoir, de la fatigue).



La fin est très réussie : la concision narrative extrême d’Antonioni tire un trait définitif sur ce couple éphémère, sans une parole, sans une explication, simplement à coups de longs plans de rues vides et qui se croisent.

Malheureusement, de ce style et de ces partis-pris, deux conséquences : d’une part le film est totalement dénué de charme et d’épaisseur, tout reste froid et distant. Et, d’autre part, il faut reconnaître qu’il se dit bien peu de choses dans le film (comme dans beaucoup d’autres films d’Antonioni) : à filmer les gaps et les à-côtés, Antonioni vide la narration de sa substance. La vie est vide, semble-t-il se borner à nous dire.



vendredi 13 janvier 2017

Rogue One : A Star Wars Story (G. Edwards, 2016)




Nouvel épisode de la saga (qui va donc être exploitée comme on exploite un filon de charbon : jusqu’à ce qu’il rende l’âme) et qui constitue un moment intermédiaire entre le premier triptyque (datant des années 90-2000) et le second (datant des années 70-80). C’est donc un épisode trois et demi.
De là naissent deux contraintes majeures, l’une plutôt positive, l’autre beaucoup plus négative (pour les fans de la saga, s’entend).
Tout d’abord, aucun des personnages principaux dans le film n’étant présent dans l’épisode suivant, il est très vite tout à fait clair qu’ils vont tous mourir à la fin du film. Voilà une originalité (pour un blockbuster) tout à fait intéressante et loin des happy-ends fadasses.
Mais, comme durant cet épisode les Jedi se font rares (scénario oblige : ils sont massacrés dans le volet précédent), il n’est guère question de « force », de sabre-lasers ou d’initiation. Cette épaisseur – un peu chevaleresque, un peu mystique – très présente dans tous les autres épisodes de La Guerre des étoiles (et qui en fait une grande partie de son charme), est donc tout à fait absente (sauf au travers du personnage du moine aveugle, qui est une version tibéto-shaoline des Jedi, assez peu convaincante). Il en ressort que cet épisode est donc dénué du charme que la saga peut distiller (sur les anciens épisodes surtout) : on a finalement affaire ici à un simple blockbuster de science-fiction, efficace mais guère original.
Le film nous offre ainsi de bonnes séquences d’action, des effets visuels saisissants, avec une véritable dimension de space-opera et la dernière partie du film, sur cet aspect, est une réussite.

Il est regrettable aussi que l’on retrouve dans cet épisode deux des principaux travers de la saga. D’une part, les personnages principaux manquent cruellement de personnalité et sont aussi transparents que caricaturaux. D’autre part, le scénario offre des béances fatigantes. Par exemple : on se demande pourquoi Galène Erso, qui parvient à envoyer un message d’alerte aux rebelles, n’envoie pas l’indispensable plan de l’Étoile de la mort qui va avec ; en tant que concepteur de l’arme depuis quinze ans, la chose devait être possible…

mercredi 11 janvier 2017

Le Prisonnier de Zenda (The Prisoner of Zenda de R. Thorpe, 1952)




Bon film de Richard Thorpe, qui, dans un royaume d’Europe centrale à la sauce hollywoodienne, prend plaisir à distiller tous les ingrédients du genre, à coup de mariage royal, de princesse, de trahisons, de châteaux forts, de plongée dans les douves, de cachots et de combats d’épée.
On tient là un film hollywoodien classique du genre – avec force décors en carton-pâte –, parfaitement servi par Stewart Granger, romanesque à souhait, par Deborah Keer, merveilleusement romantique, et par un James Mason mielleux et abominable.


mardi 10 janvier 2017

Le cinéma n'est pas une langue : question de paradigmatique et de syntagmatique



Dans un aphorisme célèbre, A. Bazin nous dit que « le cinéma est un langage ».
Mais, s’il est un langage, il n’est pas une langue (malgré les tentatives de Pasolini de lui trouver une double articulation, équivalente aux monènes et phonèmes de la linguistique).
En effet, s’il y a bien une grammaire du cinéma (dont la typologie a par exemple été abordée par C. Metz), celle-ci n’est pas normative, à la différence de la grammaire des langues. On sait, par exemple, que les « grands » films sont souvent réputés pour leur effet d’originalité et de rupture. Et, par ailleurs, nous explique G. Deleuze, le cinéma n’est pas une langue parce qu’au cinéma la syntagmatique est primordiale et la paradigmatique est secondaire.
Que veut-il dire par là ?
En linguistique, un paradigme c’est l’ensemble des mots interchangeables dans l'enchaînement d'une phrase (la liste des occurrences possibles d'unités, nous disent les sémiologues). Par exemple dans la phrase « le chien mange sa pâtée », le mot « chien » peut être remplacé par toutou, animal, etc. Mais il n’existe pas non plus une infinité de mots qui peuvent remplacer le mot chien sans altérer le sens (cela parce que, dans une langue, les phonèmes sont limités). C’est du fait de cette limitation que la paradigmatique a acquis une grande importance en linguistique.
Or, au contraire, il existe au cinéma une infinité de paradigmes filmiques (dans notre exemple il existe une infinité d’images qui auraient le même sens). Ce qui fait dire à Deleuze que ce qui fait sens au cinéma ce n’est donc pas la paradigmatique, mais plutôt la succession des unités narratives, c’est-à-dire la syntagmatique.
La syntagmatique, c’est la combinaison des éléments qui assure le déroulement du récit. Dans une langue une combinaison de mots fait sens ; au cinéma une combinaison d’images.
L’image au cinéma prend donc son sens du fait de l’enchaînement syntagmatique (c’est-à-dire grâce à la série d’images qui se succèdent à l’écran) et non par rapport aux autres images – absentes – qui auraient pu se substituer à la place de celle que le film montre.
C’est ainsi qu’au cinéma la syntagmatique prédomine, à la différence de ce qu’on observe dans une langue.
Dès lors, pour Deleuze, le cinéma est une matière a-syntaxique, qui n’est pas linguistiquement formée. C'est un ensemble d'images et de signes (les signes sont produits à partir des images) qui produisent un énonçable.

On notera toutefois, histoire de corser les choses, que, dans le cinéma moderne, la narration est parfois remise en question (dans certains films de Godard, de Robbe-Grillet, de Resnais, etc.). C’est-à-dire que la structure syntagmatique ne fait plus sens justement et, même, le paradigme a tendance à l’emporter sur le syntagme : c’est ce qui brise la narration. On passe à un cinéma non-narratif (ou dysnarratif).
Or on a dit que, dans le cinéma, la syntagmatique c’est ce qui constitue, au fur et à mesure de l’avancée de la narration, le contexte. Une forte syntagmatique éclaire l’histoire. La dysnarration se traduit donc par une structure à paradigmatique forte et à syntagmatique pauvre. Le récit n’évolue plus et on constate des répétitions et des permutations des commutables (c’est-à-dire des images qui se valent), mais sans avoir de clef de compréhension. Ce n'est pas tant qu'il n'y ait rien à comprendre, c'est qu'on ne peut pas comprendre, les clefs syntagmatiques sont perdues, la compréhension est hors de propos. C’est le cas par exemple dans L’Année dernière à Marienbad où on a des lambeaux d’histoire difficiles à relier de manière certaine (Deleuze parle de nappes du passé, et l’on passe d’une nappe à l’autre sans clarté narrative). Donc le cinéma moderne propose parfois une mutation structurale du récit, avec une prévalence de la paradigmatique.


vendredi 6 janvier 2017

Délits flagrants (R. Depardon, 1994)




Intéressant documentaire de Raymond Depardon, qui pose sa caméra et laisse les scènes se dérouler (il se retire en cela de son film, à la différence de ce qu’a pu faire Jean Rouch par exemple). On assiste alors à des séries d’entrevues entre des personnes déférées (prises en flagrants délits) et le substitut du procureur. Le film est alors très répétitif, puisqu’il s’agit d’un défilé de prévenus, qui exposent à chaque fois un cas différent. Très loin de lasser, cette répétition, au contraire, fait mouche : elle happe peu à peu et on « entre » vraiment dans la pièce où siègent les protagonistes, on s’installe et on vit le moment comme en direct.
La question intéressante, ensuite, est de chercher à saisir ce qu’en pense Depardon : quel jugement porte celui qui pose ainsi sa caméra sur ce qu’il filme ? Le montage proposé n’aide guère (les choix de Depardon – pourquoi tel prévenu avant tel autre, etc. – ne sont pas clairs). On est tenté de penser que cette façon de simplement poser sa caméra pour qu’elle embrasse la scène est une façon d’approcher une attitude objective. Pourtant, Depardon lui-même, quand il s’exprime à propos de son film, laisse transparaître une subjectivité évidente : il dénonce notamment les conditions de l’entretien entre un substitut rodé à ces entrevues et des prévenus qui ne sont pas au fait de ce qui se joue. Mais cette position ne transparaît guère au travers du documentaire. Au contraire le silence du documentariste, qui n’intervient pas dans son film, laisse le spectateur libre de construire son propre regard, assez peu guidé par des choix de montage ou de prises de vue (dans des précédents documentaires, par exemple Faits divers, Depardon intervient beaucoup plus dans son maniement de caméra et au travers du montage).


mercredi 4 janvier 2017

Le réalisme selon Fellini



Fellini et le réalisme (on comprend mieux, ainsi, la part d’onirisme puissant qui irrigue son univers) :

« Le mot réalisme ne veut rien dire. Dans une certaine mesure, tout est réaliste. Il n’y a pas de frontière entre l’imaginaire et le réel. »


lundi 2 janvier 2017

Hôtel du Nord (M. Carné, 1938)




Très célèbre film de Carné (avec sa fameuse réplique en forme d’atmosphère) qui est pourtant un ton en-dessous de ses plus grandes réussites. En effet, si le brio des acteurs (Jouvet, Arletty ou Blier) emporte le film, celui-ci pâtit du couple Annabella-Jean-Pierre Aumont, important dans l’histoire mais trop fade à l’écran. Il faut dire que le couple Jouvet-Arletty écrase le film, de par le décalage entre le jeu exubérant de l’une et celui, sobre et fascinant, de l’autre. Et comme ce déséquilibre n’est guère compensé, le film semble alors plus artificiel que Le Quai des brumes ou Le Jour se lève (entre lesquels il s’intercale dans la filmographie du réalisateur), pourtant tournés comme lui en studio, mais qui dégagent une harmonie et une puissance visuelle supérieure.
La poésie du film (qui n'est pas du tout réaliste pour le coup, malgré l’étiquette habituelle de « réalisme poétique » que l’on colle à Carné) s’étend néanmoins, notamment au travers de ce mélange entre le ton, tragique et pessimiste, et les personnages pittoresques et hauts en couleur.