mercredi 30 mars 2016

Senso (L. Visconti, 1954)



Senso Luchino Visconti Affiche poster

Volte-face de Luchino Visconti (trahison dirons certains), qui tourne le dos au néo-réalisme après trois films remarquables (dont Ossessione, film fondateur). Il situe son histoire dans le passé (au-delà du spectaculaire changement formel, ce choix est lui aussi complètement opposé au néo-réalisme) : ce sera donc un amour contrarié entre une patriote italienne et un occupant autrichien, en 1866. Prise de passion pour un beau lieutenant autrichien la comtesse Livia Serpieri s’avilira pour permettre à son amant de rester auprès d’elle (en détournant notamment l’argent de la résistance). Repoussée par son amant qui va l’humilier, elle le dénoncera.

Visconti fait évoluer son couple passionné et vain (leur amour ne peut que les détruire) dans un cadre somptueux : au bord des canaux de Venise le soir, dans des appartements où les couleurs jaillissent, où des étoffes amples coulent jusqu’au sol, où quelques objets composent une nature morte. Le battage des blés, une bataille : la beauté des images est époustouflante. Tout le film est un opéra (toute la séquence d’ouverture est à la Fenice), aussi bien dans la théâtralité du couple, dans la musique, dans les décors, que dans le lyrisme de la séquence finale.

Senso Luchino Visconti

dimanche 27 mars 2016

Frankenstein (J. Whale, 1931)




Excellent film de James Whale, réalisé en plein âge d’or des Universal Monsters (il est l’un de ceux qui remporta le plus de succès) et qui dépasse très largement le film de genre. L’ambiance créé par Whale, gothique et noire (avec des relents d'expressionnisme), convient à merveille au thème. Le monstre lui-même, dont la figure boulonnée et bardée de cicatrices est restée inchangée jusqu’à nos jours, fournit une image universelle de ce personnage né dans la littérature. La sobriété du jeu de Boris Karloff contraste parfaitement avec la mise en scène expressive.


De nombreuses séquences très fortes sont inoubliables : les premières scènes, de nuit, dans le cimetière, à déterrer des cadavres ; les scènes où le docteur fait vivre sa créature et qui imposent une image du laboratoire du savant fou qui sera largement exploitée par la suite ; l’image du monstre qui avance avec ses bras tendus et qui a traversé les décennies (on retrouve cette pose chez les morts-vivants de Romero) ; l’image encore des villageois armés de torches et de fourches et qui se regroupent pour partir à la chasse au monstre ; l’image enfin, exceptionnelle, de la rencontre entre le monstre et la petite fille, au bord de l’eau. Toute la nature du monstre, d’ailleurs, est dans cette scène à la fois très belle et dramatique : le monstre n’est pas désigné comme tel par la petite fille (de même que, dans la très bonne suite La Fiancée de Frankenstein, seul l’aveugle verra l’humanité du monstre), qui voit en lui un partenaire de jeu. Et c’est l’incompréhension muette et touchante du monstre qui nouera le drame.


Le monstre de Whale est très éloigné de celui du roman de Mary Shelley. Il sera un peu humanisé dans La Fiancée de Frankenstein, mais on reste loin du personnage de la littérature. Le Frankenstein de Kenneth Branagh, bien que très inférieur, propose lui un monstre très proche de celui du roman.


samedi 26 mars 2016

Le Château du dragon (Dragonwyck de J. L. Mankiewicz, 1946)




Très bon premier film de Mankiewicz qui met en place bien des éléments qu'on retrouvera dans ses films ultérieurs.
Le réalisateur se plaît à installer une ambiance purement gothique (décor, isolement du château, enfermement des personnages, romantisme de Miranda, Katrine Van Ryn victime sans défense, tempête et tonnerre qui gronde, etc.). Ce traitement gothique du film le rapproche évidemment de Rebecca, en plus de bien d'autres points communs (à tel point que Mankiewicz n'appréciait pas trop le script - trop proche à son avis de celui de Rebecca - et qu'il n'a accepté la réalisation qu'à cause de la défection de E. Lubitsch, malade).

Deux aspects du film annoncent L'Aventure de Mme Muir, le chef-d'oeuvre à venir du réalisateur (Le Château du dragon, sur ces deux aspects, peut être vu comme une première ébauche, qui ne trouve pas encore sa pleine mesure).
D'une part Mankiewicz introduit une touche fantastique dans son film : les descendants de sang du château entendent parfois une épouse maudite chanter et jouer du clavecin. Cette idée est excellente mais son traitement est frustrant, Mankiewicz l'utilise peu et ne la fait guère intervenir dans sa narration.
L'autre pont entre les deux films est évidemment le personnage principal, à chaque fois interprété par Gene Tierney. Miranda est comme une ébauche plus jeune et plus illusionnée de Lucy Muir. Miranda, dans sa volonté d'aller dans le château de son lointain cousin, puis dans son mariage, réalise ses rêves de jeune fille, elle qui a toujours rêvé de château. Mais, comme lui dit sa mère qui la met en garde, « on n’épouse pas un rêve ».

Miranda est alors prisonnière d'un destin commandé par la dynastie Van Ryn. Elle n'est pas chez elle dans ce château, elle y est comme écrasée par quelque chose qui lui échappe, un peu comme dans Rebecca, même si la sensation est moins forte ici que dans le film de Hitchcock (mais ici cette sensation n'est pas le cœur du film). Nicholas Van Ryn apparaît alors pour ce qu'il est : un monstre qui veut perpétuer une dynastie, et qui met tout en œuvre pour parvenir à ses fins. Le personnage de Katrine, sa première femme, pourtant peu montré, est très intéressant : Katrine n'est pas encore vieille, mais elle n'a plus sa jeunesse, elle est déjà éteinte, recroquevillée dans cet immense château, et elle ne peut donner à son mari ce qu'il désire le plus (un enfant mâle), elle se trouve ainsi très vite condamnée.

jeudi 24 mars 2016

Snowpiercer, le Transperceneige (Seolgungnyeolcha de J. Bong, 2013)




Film bien décevant de Bong Joon-ho. Après ces Memories of Murder ou encore The Host, il avait montré qu’il était capable de redynamiser des genres à la sauce coréenne (le film noir ou le film de monstre). Dès lors on pouvait s’attendre à mieux qu’un film au format banalement hollywoodien et sans saveur. On retrouve bien peu de l'esprit de la BD dont le film s'inspire.

Dans un futur proche les survivants d’une humanité dévastée par une ère glaciaire sont regroupés dans un train gigantesque qui fait le tour du monde sans jamais s’arrêter (en avalant de la neige il pourvoit ainsi à ses besoins, et la vie à bord est en autarcie).
C’est l’occasion d’une métaphore (très lourde et facile) sur la hiérarchie des classes sociales, depuis le fond du train (où est confiné un lumpenprolétariat délaissé) jusqu’à son sommet (où vit seul, tel un démiurge, le concepteur de la machine), en passant par une multitude de wagons qui sont autant de catégories sociales. On retrouve l'ancienne partition verticale riche/pauvre de Métropolis en une partition longitudinale. La révolte qui gronde conduit le héros, depuis l’arrière, à remonter wagon après wagon pour tenter de prendre le contrôle du train. Mais il n’y a là rien de surprenant, rien d’innovant, Snowpiercer est un film d’action on ne peut plus commun, à peine divertissant. Quelques bonnes idées sont gâchées par des scènes convenues ou caricaturales.
On est inquiet de voir un des bons cinéastes coréens réaliser un tel film, certes calibré pour l'exportation, comme si, le succès aidant, il fallait s’avachir et se couler mollement dans les formats des productions hollywoodiennes. Puissent ces prochains films nous faire mentir.

mercredi 23 mars 2016

L'Etrangleur de la place Rellington (10, Rillington place de R. Fleischer, 1971)



L'Etrangleur de la place Rellington Affiche

Très bon film de Fleischer, sans doute son plus réussi. On est bien loin de L’Etrangleur de Boston dont le thème est similaire, mais avec un traitement différent et qui est bien plus quelconque.
Ici l’ancrage social de l’histoire donne au film un réalisme éprouvant. Le film fourmille de séquences à la fois dures, réalistes, saisies au plus près (le procès, l’exécution…), la crudité de certaines scènes (même si l’image épargne sobrement les femmes mortes – on est loin des gros plans sanguinolents qui peuplent la moindre série télé) est équilibrée par des ellipses brillantes (le meurtre de sa femme).
A cela s’ajoute une interprétation exceptionnelle. Richard Attenborough campe un meurtrier mythomane, manipulateur, petit - infiniment petit -, raté, à la limite du grotesque (sa tête ronde et chauve à lunettes, ses douleurs au dos : il est à la limite de la monstruosité) et John Hurt est exceptionnel dans ce jeune homme un peu simplet, complètement dépassé, qui ne réagit pas – ou trop tard –, incapable de reprendre ses esprits.
En revanche ce n’est pas – de mon point de vue – un réquisitoire contre la peine de mort. Certes le cas a déclenché le mouvement contre la peine de mort en Angleterre, mais c’est beaucoup plus un regard social sur les misérables (dans le sens hugolien), sur ces petites gens, sur les paumés qui sont à la limite de la société et de la civilisation même (le jeune homme analphabète, qui bat sa femme), cela au cœur de Londres, au cœur du XXe siècle. Et la civilisation, l’ordre ou la loi (c’est-à-dire dans le film la police et la justice) seront bien incapables de stopper Christie.
Plusieurs séquences sont exceptionnelles. L’exécution, en une minute de plans secs et durs, foudroie bien plus que les interminables films sur le sujet (par exemple le très long et très lourd La Ligne verte).

L'Etrangleur de la place Rellingotn scène de l'exécution

Et, au-delà de l’histoire racontée, le ressenti est très dur : on ressort désespéré du film, avec bien peu d’issues pour en tirer un affect plus positif. Le spectateur, qui ne peut jamais s’identifier à quelque personnage que ce soit, est prisonnier de Fleischer qui ne prend jamais parti : il raconte, scrute, filme de façon hyperréaliste parfois (des gestes quotidiens, les appartements, les tristes meubles…) et coince le spectateur dans son accablement.



L'Etrangelur de la place Rellington Richard Attenbourough et John Hurt


dimanche 20 mars 2016

Adieu poulet (P. Granier-Deferre, 1975)




Film qui sent bon le polar français des années 70-80, avec ce mélange d’ambiance, de situations très françaises (le patron de la police qui vient gêner aux entournures le commissaire, le juge qui vient encore par-dessus) et d’acteurs typiques. Ici Lino Ventura (dans la lignée de Gabin ou de Belmondo) flanque quelques gifles mémorables et l’ensemble se suit sans déplaisir.
De par sa dénonciation de la corruption à tous les étages, le scénario évoque Règlement de compte de Lang où tout n’est que pourriture et délabrement. Même s’il ne s’agit pas d’une grande composition comme dans Série noire, le jeu de Patrick Dewaere amène un peu de folie libre dans cet ensemble compact d’inspecteurs, de commissaires, de juges et de malfrats bien semblables et ternes.


vendredi 18 mars 2016

Allemagne année zéro (Germania anno zero de R. Rossellini, 1948)




Après Rome, ville ouverte et Paisa R. Rossellini emmène sa caméra dans un Berlin encore dévasté. Il parvient à saisir la ville en ruine, les habitants errant dans les décombres, les petits marchés de débrouille, le vieil horloger, etc.
Il choisit d'axer son histoire sur un garçon, Edmund, qui, à la fois, représente et explique l’attitude folle de l’Allemagne lors de la seconde guerre. Rossellini explique lui-même ce qu’il a voulu dire :
« Les Allemands étaient des êtres humains comme les autres ; qu'est-ce qui a pu les amener à ce désastre ? La fausse morale, essence même du nazisme, l'abandon de l'humilité pour le culte de l'héroïsme, l'exaltation de la force plutôt que de la faiblesse, l’orgueil contre la simplicité. C’est pourquoi j'ai choisi de raconter l'histoire d'un enfant, d'un être innocent que la distorsion d'une éducation utopique amène à perpétrer un crime en croyant accomplir un acte héroïque. Mais la petite flamme de la morale n'est pas éteinte en lui : il se suicide pour échapper à ce malaise, à cette contradiction ».

Il faut remarquer que le point de départ de Rossellini (« qu'est-ce qui a pu amener les Allemands à ce désastre ? ») rejoint celui de l'historien Ian Kershaw qui s'interroge, en introduction à sa monumentale biographie d'Hitler : 
« Comment Hitler a-t-il été possible ? Comment un désaxé aussi bizarre a-t-il pu prendre le pouvoir en Allemagne, pays moderne, complexe, développé et culturellement avancé ? Comment a-t-il pu, à partir de 1933, s’imposer à des cercles habitués à diriger, bien éloignés des brutes nazies ? Comment a-t-il réussi à entraîner l’Allemagne dans le pari catastrophique visant à établir la domination de son pays en Europe, avec, en son cœur, un programme génocidaire terrible et sans précédent ? »

On suit donc l'histoire terrible du petit Edmund, tour à tour influencé par un intellectuel irresponsable, qui obéit ensuite sans réfléchir, sans se rendre compte de son acte, puis qui en est désespéré.
Le génie de Rossellini s'exprime sublimement dans la dernière séquence : Edmund erre dans les ruines, semble s'amuser, mime un revolver, joue, semble-t-il, avant de se jeter dans le vide. La puissance sèche des images impose de repenser, ensuite, toute la séquence en tentant de la comprendre réellement : cette errance de l'enfant n'est qu'un chemin détourné, instable, qui le conduit au suicide. C'est que jamais le visage de l'enfant ne reflète son conflit intérieur. Comme le dit A. Bazin : « les signes du jeu et de la mort peuvent être les mêmes sur un visage d'enfant, les mêmes du moins pour nous qui ne pouvons percer son mystère ». C'est que Rossellini ne nous aidera pas à lire dans la conscience de l'enfant, son style est celui d'une totale objectivité psychologique. Dès lors, continue Bazin, « ce n'est pas l'acteur qui nous émeut, ni l'événement, mais le sens que nous sommes contraints d'en dégager ».
On a là une des séquences les plus dures et les plus pures de tout le cinéma : il n'y a rien d'autre, à l'image, que l’errance d'un enfant, qui mêle passe-temps, jeux, fugacité et point de non-retour.



mercredi 16 mars 2016

Cote 465 (Men in war de A. Mann, 1957)




Très bon film de guerre, âpre et sec.
On retrouve la patte de A. Mann, celle qu'il avait dans L'Appât par exemple. Ici le scénario est resserré autour de quelques hommes, perdus dans des collines envahies d'ennemis cachés.
Par rapport à ses grands westerns, A. Mann ne cherche pas à les sortir de leur condition de soldat (alors que dans ses westerns il aime confronter ses personnages avec la civilisation ou le développement de communautés...). Bien sûr il y a des traits communs : Le sergent Montana est névrotique, comme l'étaient souvent les héros joués par James Stewart, mais il n'y a pas le même individualisme (même ici en condition de guerre) : le sergent est tout dévoué à son colonel et le lieutenant Benson pense à ses hommes. Non, le film propose essentiellement un affrontement entre deux conceptions de la guerre.

Aldo Ray, dans son rôle de sergent dur et jusqu’au-boutiste est remarquable. D’ailleurs la substantifique moelle du film est résumée dans une réplique, lorsque le sergent tue des soldats coréens qui avaient mis des uniformes américains mais sans pouvoir être sûr qu’il s’agissait bien d’ennemis. Il a tiré parce qu’il le « savait », mais il n’en savait rien justement. Le lieutenant, comprenant la cruauté du sergent qui n’a pas hésité à tirer quand bien même il ne pouvait être sûr, lui dit : « Que Dieu nous protège si, pour gagner cette guerre, il faut des gars comme vous ». On a là un regard sur la guerre d’une grande acuité.
En effet, dès lors qu’une guerre est engagée il faut la gagner et que faut-il pour gagner une guerre ? Des guerriers sans pitié nous dit le film, quand bien même cela nous révulse. Et, à contrecœur, le lieutenant est bien obligé, à plusieurs reprises, de reconnaître l’efficacité du sergent.
Malgré son scénario très simple, ce film influencera de nombreux autres films de guerre. Le rôle d’Aldo Ray en annonce un autre similaire dans Les Nus et les morts (mais dans cet autre film la réflexion sur la guerre est encore enrichie). Et l’opposition entre soldats inspirera de nombreux films, depuis Platoon jusqu'à La Ligne rouge (même si ce film a une ligne lyrique complètement absente ici).

Aldo Ray Robert Ryan Cote 465
Aldo Ray et Robert Ryan

dimanche 13 mars 2016

Coup de torchon (B. Tavernier, 1981)




Bon film de Bertrand Tavernier, qui montre un monde colonial désespéré mais haut en couleur, dans une ambiance parfois irréelle, qui apparaît comme détaché du monde. Et Cordier, flic isolé et dépassé, agit finalement hors de tout contrôle, en ange exterminateur, comme si ses règlements de compte faisaient œuvre de salubrité publique.
Porté par de longs-plans séquences et des jeux saccadés à la steady-cams, La bonhomie de Noiret fait merveille (même si, dans son commentaire du film, Serge Daney trouve qu’on voit trop son jeu – surtout l’évolution de son jeu, à mesure que le personnage évolue – et pas assez le personnage), les seconds rôles sont truculents et les dialogues sont très bons – avec beaucoup d’humour noir. L’idée scénaristique de faire réapparaître Jean-Pierre Marielle est excellente et quelques scènes sont savoureuses (« j'ai réfléchi, j'ai réfléchi et puis, à force de réfléchir, finalement j'ai pris une décision et j'ai décidé que je savais pas quoi faire »).


vendredi 11 mars 2016

Nous ne vieillirons pas ensemble (M. Pialat, 1972)




Grand film de Maurice Pialat qui dissèque un couple étrange et qui tient en équilibre, on ne sait comment, ne cessant de s’éloigner et de se rapprocher. C'est un peu la chronique d'un amour destructeur. Pialat adapte au cinéma son roman autobiographique : le moins que l’on puisse dire est qu’il ne se ménage pas, Jean Yanne interprétant son double cinématographique, personnage violent, lunatique, souvent pathétique.
Jean est marié, mais il vit depuis plusieurs années avec sa maitresse Catherine. Mais cette relation est très tumultueuse : Jean est souvent goujat, agressif ou insultant, et parfois doux et cherchant à se rabibocher. De sorte que leur couple est montré comme une suite ininterrompue de disputes et de réconciliations.

Pialat filme au scalpel cette destruction progressive, que l’on croit pourtant capable de durer indéfiniment, tant, à la violence de Jean qui provoque autant de moments de rupture, succèdent des scènes de rapprochement. Il filme les amants en les écartant de plus en plus l’un de l’autre : d’abord en les réunissant dans les mêmes plans séquences, puis en les opposant dans des champ/contre-champ, puis en les séparant (l’un regardant l’autre depuis l’intérieur d’une voiture par exemple). La violence de Jean explose de plus en plus, pour de trop rares moments d’apaisement.
Et Catherine qui, depuis des années ne s’éloignait jamais complétement ou jamais suffisamment, même après des scènes ignobles de Jean, finit par parvenir à s’émanciper, à prendre ses distances et à quitter Jean pour avancer. Jean, penaud, incrédule, qui découvre que tout est terminé, que son attitude a eu raison de Catherine.
A la carrure bourrue de Jean Yanne répond la fragilité innocente de Marlène Jobert. Jean Yanne joue à merveille la dualité de son personnage, tantôt goujat brusque et violent, tantôt penaud et maladroit pour tenter de se réconcilier. Marlène Jobert exprime merveilleusement l’amour et l'admiration pour Jean, qui lui fait supporter l’insupportable, puis elle glisse progressivement vers une froide indifférence quand elle s’écarte de Jean jusqu'à, finalement, se tourner vers un autre homme.

mercredi 9 mars 2016

Le Ciel est à vous (J. Grémillon, 1944)




Film très réussi de Grémillon, inspiré d’un fait réel et qui s'attache à la France populaire, qui se bat pour ses rêves, avec une vision progressiste étonnante. En effet à cette époque (surtout sous le régime de Vichy…) la place d’une femme était bien plus au foyer qu’aux commandes d’un avion pour battre des records. Il faut donc au couple se battre non seulement contre la difficulté du record qui ne va pas sans risques (il lui faut voler sur plus de 4 000 km) mais aussi contre la résistance des villageois conservateurs.
Le couple s’oppose avec une belle force d’amour à ces résistances (belle et difficile question que celle de Pierre à Thérèse au moment où elle veut partir pour tenter de battre le record : « La plus grande preuve d’amour, c’est de te dire oui ou de te dire non ? »). Charles Vanel et Madeleine Renaud sont parfaits.


lundi 7 mars 2016

La Chienne (J. Renoir, 1931)



La Chienne Affiche du film

Premier film parlant de Renoir. Son génie diffuse au travers du film, par séquences, par exemple lors de l'assassinat de Lulu. La caméra se fait alors éblouissante pour nouer le drame.
Michel Simon est incroyable, en particulier dans les moments où, petit employé médiocre mais amoureux, il doit encaisser les moqueries de Lulu ou la suffisance de Dédé. Il montre ainsi un pan de l'éventail de son jeu, ici la sobriété et le ton dramatique, alors qu'il peut jouer, tout à l'opposé, le cabotinage comique (dans Boudu par exemple), mais avec toutes les nuances possibles selon les rôles.

La fin du film, étonnamment, annonce d'ailleurs directement Boudu sauvé des eaux.

Michel Simon La Chienne

dimanche 6 mars 2016

The Revenant (A. G. Iñàrritu, 2016)




Film d’aventure assez moyen, qui est un remake du Convoi sauvage de Sarafian. L'original datant de 1971, le film de Iñàrritu est beaucoup plus violent et sauvage. Le script est très réduit (un trappeur est laissé pour mort après avoir été attaqué par un ours ; il parvient à survivre et à se venger de ceux qui l'ont abandonné) mais il ne permet pas vraiment au réalisateur de se libérer. Quelques séquences sont très réussies (l’attaque initiale des Indiens, l’attaque de l’ours) mais l’ensemble est prévisible et nous voici donc avec un mélange de Seul au monde et de Jeremiah Johnson. Le titre nous l’annonce, Hugh Gass va revenir de l’enfer pour se venger. Dès lors on ne tremble guère : la survie du pauvre Gass ne laissant aucun doute, on suit sans grand suspense son chemin de croix.
Di Caprio est bien mais le rôle n’est pas difficile : son personnage (tous en fait) étant très monolithique, il n’y a guère d’émotion, de sentiments, d’affects complexes à faire passer. C’est simplement un rôle physique et grimaçant. C’est amusant de le voir oscarisé et porté aux nues pour un tel rôle.
Remarquons que, tout au long du film, Iñàrritu est tenté par le lyrisme : les paysages sont splendides et l’histoire est propice à des temps d’introspection ou de ralentissement. Alors il s’y essaie et se veut poétique : il nous gratifie de flash-backs rêvés, d’une chute de météorite, d’un long plan sur la lune, d’arbres filmés en lumière rasante, de chevaux au ralentis qui trottent sur la neige. Tout cela est très joli, mais rien n’y fait, ça ne prend pas du tout, on est loin d’une sensation cosmique ou lyrique, on voit les arbres, les chutes d’eau mais il n’y a rien d’envoûtant ou d’holistique. Iñàrritu ne parvient pas à élever visuellement le combat de Gass à un affrontement cosmique, ce qu’il est pourtant : c’est la Nature dure et violente qui a raison du trappeur, car c’est l’ours d’abord qui l’attaque (avant les Indiens, avant les autres hommes). Une part de cet échec revient à la volonté de réalisme de l'image : réalisme de la vie des trappeurs, du froid et des blessures (enfin réalisme ? il faut le dire vite : le combat final est une boucherie tarantinienne). Or ce réalisme s'oppose, dans l'image, avec les plans qui se veulent lyriques, Iñàrritu ne parvenant pas à concilier les deux. Une autre part revient à la bande originale qui n’est pas du tout au diapason de l’univers blanc qui est filmé, mais qui hollywoodise la Nature sauvage.
Point de lyrisme, point d’émotion, donc, derrière cette banale histoire de vengeance. Mais n’est pas Kurosawa, Herzog ou Malick qui veut.

Par rapport au Convoi sauvage dont il est le remake, The Revenant rajoute le personnage du fils assassiné de Gass : il permet ainsi de démultiplier la haine de Gass et transforme un film de survivant en un film de vengeance. 
Le film néanmoins cite plusieurs de ses sources : par exemple la séquence où son compagnon indien, dans un blizzard épouvantable, construit en tout hâte une hutte de branchages vient tout droit de Dersou Ouzala (où Dersou, pareillement, sauve la vie du capitaine) et celle où Fitzgerald vient vérifier si Gass est bien mort, quand il est tombé près de son cheval, vient, elle, de Jeremiah Johnson, film largement inspirateur de celui-ci (mais qui avait un ton très différent, tout en lenteur), puisqu'il s'agit aussi d'une histoire de vengeance, dans le froid, d’un trappeur qui a vu massacrer sa famille.
Iñàrritu est finalement assez décevant malgré une reconnaissance qui va croissante. Amours chiennes ou 21 grammes, sans être exempts de défauts, distillaient une certaine émotion, mais, ensuite, Babel et Biutiful seront très en-dessous et Birdman très vide et soûlant (et déjà Iñàrritu se frottait à trop grand pour lui, Birdman lorgnant avec peine du côté d'Opening Night).

mercredi 2 mars 2016

Le Fanfaron (Il sorpasso de R. Disi, 1962)



Le Fanfaron Ridi Gassman Trintignant Affiche Poster

Une des toutes meilleures comédies italiennes, qui saisit d'un coup une époque et un pays. Cela semble léger, ébouriffant, et puis… ça ne l’est plus ! Le mélange typique entre la comédie et la gravité du propos fait mouche : le propos, sous des dehors légers, est très dur contre l'Italie des années 60.

L'entrelacement des personnages est passionnant : Robert (Jean-Louis Trintignant), le temps d'un week-end, est projeté dans la vie de Bruno (Vittorio Gassman, génial comme toujours). Ils sont totalement opposés l'un et l'autre : l'un est introverti, timide et sur la réserve ; l'autre est extraverti, sans limite et sans-gêne. Et le spectateur se place au coté de Robert pour suivre, à la fois fasciné et effaré, Bruno qui engloutit la vie chaque jour. Robert, d'abord ébahi, acquiert au fur et à mesure du film une épaisseur dramatique complexe. Et de même pour Bruno qui, derrière la façade du sourire facile et superficiel, détruit tout ce qu'il touche. Il est destructeur en raison même de son manque de substance : sa vacuité réelle est forcément néfaste.

Le Fanfaron Ridi Gassman Trintignant
J.- L. Trintignant et V. Gassman
La fin peut surprendre, mais elle est en fait inéluctable : c’est bien là le cœur du propos de Risi sans doute, et de son regard acerbe et lucide sur la société. Car bien au-delà de la simple présentation de deux individus, ces deux personnages sont le moyen pour Risi de secouer la société italienne en révélant ses déséquilibres, ses tares, ses scléroses.